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28/11/2023 | FRANCE | N°22NT01739

France | France, Cour administrative d'appel, 5ème chambre, 28 novembre 2023, 22NT01739


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme C... B..., agissant en son nom propre et en qualité de représentante légale de l'enfant D... Lukengea, a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 29 avril 2021 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision de l'autorité consulaire française en Ouganda du 31 décembre 2020 refusant de délivrer un visa de long séjour à l'enfant D... A... au titre de

la réunification familiale.



Par un jugement n° 2109340 du 14 mars 2022, le trib...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... B..., agissant en son nom propre et en qualité de représentante légale de l'enfant D... Lukengea, a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 29 avril 2021 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision de l'autorité consulaire française en Ouganda du 31 décembre 2020 refusant de délivrer un visa de long séjour à l'enfant D... A... au titre de la réunification familiale.

Par un jugement n° 2109340 du 14 mars 2022, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 7 juin 2022, Mme B..., représentée par Me Régent, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 14 mars 2022 du tribunal administratif de Nantes ;

2°) d'annuler la décision du 31 décembre 2020 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;

3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer le visa sollicité dans un délai 15 jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard, subsidiairement, de réexaminer la demande de visa dans les mêmes conditions de délai ;

4°) de mettre à la charge de l'État le versement à son conseil de la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- la décision est entachée d'une erreur de droit au regard de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; il n'est pas établi que la commission aurait examiné les éléments de possession d'état présentés pour établir le lien de filiation l'unissant à l'enfant ;

- la décision méconnait les dispositions des articles L. 752-1 et le 8° de l'article L. 414-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ; l'identité de l'enfant et son lien avec l'exposante est établi par l'acte d'état-civil produit ainsi qu'un passeport ; elle n'a jamais été animée d'intentions frauduleuses ; les éléments de possession d'état produits établissent également ce lien ;

- la décision méconnait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant.

Par un mémoire en défense, enregistré le 19 juillet 2022, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 20 mai 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale des droits de l'enfant ;

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Rivas,

- et les observations de Me Regent, représentant Mme B....

Considérant ce qui suit :

1. Mme B..., ressortissante ougandaise née le 28 décembre 1986, s'est vue reconnaître en France la qualité de réfugiée par une décision de l'office français de protection des réfugiés et apatrides du 27 mai 2015. Une demande de visa de long séjour au titre de la réunification familiale a été déposée pour sa fille alléguée, la jeune D... A.... Cette demande a été rejetée par une décision de l'autorité consulaire française en Ouganda du 31 décembre 2020. Le recours formé contre cette décision devant la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a été rejeté par une décision du 29 avril 2021. Par un jugement du 14 mars 2022, dont Mme B... relève appel, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande d'annulation de cette décision.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Pour rejeter le recours formé par Mme B..., la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a fait valoir que l'identité de la jeune D... A... et son lien allégué avec la requérante n'étaient pas établis par les pièces produites, la demande de visa révélant une intention frauduleuse.

3. Aux termes de l'article L. 752-1 alors en vigueur du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I. - Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié (...) peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / 1° Par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage ou l'union civile est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile ; (...) / 3° Par les enfants non mariés du couple, âgés au plus de dix-neuf ans. / (...) / II. - Les articles L. 411-2 à L. 411-4 et le premier alinéa de l'article L. 411-7 sont applicables. / (...) Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. / Pour l'application du troisième alinéa du présent II, ils produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 721-3 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux. (...) ". L'article L. 411-2 alors en vigueur du même code dispose que : " Le regroupement familial peut également être sollicité pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et ceux de son conjoint dont, au jour de la demande, la filiation n'est établie qu'à l'égard du demandeur ou de son conjoint ou dont l'autre parent est décédé ou déchu de ses droits parentaux. ". Aux termes de l'article L. 411-3 alors en vigueur de ce code : " Le regroupement familial peut être demandé pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et ceux de son conjoint, qui sont confiés, selon le cas, à l'un ou l'autre, au titre de l'exercice de l'autorité parentale, en vertu d'une décision d'une juridiction étrangère. Une copie de cette décision devra être produite ainsi que l'autorisation de l'autre parent de laisser le mineur venir en France. ". Par ailleurs aux termes de l'article L. 314-11 alors en vigueur du même code : " Sauf si la présence de l'étranger constitue une menace pour l'ordre public, la carte de résident est délivrée de plein droit, sous réserve de la régularité du séjour : / (...) 8° A l'étranger reconnu réfugié en application du livre VII ainsi qu'à : /(...) c) Ses enfants dans l'année qui suit leur dix-huitième anniversaire ou entrant dans les prévisions de l'article L. 311-3 (...). ".

4. L'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur, prévoit, en son premier alinéa, que la vérification des actes d'état civil étrangers doit être effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. L'article 47 du code civil dispose quant à lui que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.

5. En premier lieu, la décision contestée repose sur le rappel de divers éléments factuels, dont la contradiction entre les déclarations de Mme B... faites à l'appui de sa demande d'asile et celles effectuées lors de la demande de visa de la jeune D... A..., de nature à fonder, selon la commission, le rejet du recours au motif que les éléments présentés ne permettent d'identifier ni l'identité de la demandeuse de visa ni son lien familial avec Mme B.... Dans ces conditions, cette dernière n'est pas fondée à soutenir qu'il n'a pas été procédé à un examen particulier de la situation par la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, et que la décision est entachée d'une erreur de droit au regard du II de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

6. En deuxième lieu, et d'une part, Mme B... explique que la jeune D... A... est née en 2010 des conséquences de graves outrages et qu'après avoir cru que son enfant était décédée peu après sa naissance en Ouganda elle a appris sa survie après l'obtention de sa qualité de réfugiée en France en 2015, expliquant ainsi l'enregistrement de cet enfant à l'état-civil ougandais seulement en 2017. A l'appui d'une première demande de visa effectuée en faveur de l'enfant en 2018 et afin d'établir l'identité de cette dernière, Mme B... a produit un premier acte de naissance établi le 26 juin 2018 mentionnant une naissance le 12 mai 2000. Or l'intéressée a également produit à l'appui de la seconde demande visa un autre certificat de naissance, daté de 2017, mentionnant cette fois une naissance le 12 mai 2010. Le ministre soutient qu'après vérification auprès des autorités ougandaises le certificat de 2018 serait un faux eu égard à la signature dont il est revêtu et à la police d'impression du formulaire, ce que la requérante ne conteste pas. Pour expliquer cette situation Mme B... se borne à indiquer que le certificat de 2018 a été sollicité par un tiers, dans des conditions matérielles qu'elle ignore, à la demande des autorités consulaires françaises souhaitant disposer d'un certificat plus récent que celui de 2017 initialement proposé. Une telle assertion n'est cependant pas établie par les pièces du dossier. La circonstance que les autorités ougandaises ont établi un premier passeport pour l'enfant en 2018, puis un nouveau en 2020 compte tenu d'un changement de la réglementation nationale, n'est par ailleurs pas de nature à établir l'identité de l'intéressée en l'absence notamment d'éléments relatifs à la filiation dans ces documents. La production d'un troisième certificat de naissance établi en 2022, soit après la décision contestée, n'est pas de nature à établir l'identité de l'enfant alors que les conditions de son obtention sont inconnues. Dans ces conditions, les éléments d'état-civil présents au dossier sont dépourvus de la force probante nécessaire afin d'établir l'identité de la demandeuse de visa, et partant sa filiation.

7. D'autre part, il ressort des pièces du dossier, qu'alors même que Mme B... a expliqué à l'appui de sa demande d'asile qu'elle a subi à plusieurs reprises de graves outrages en conséquence de la découverte par des tiers de son orientation sexuelle, elle n'a jamais fait état à cette occasion du fait qu'elle aurait accouché d'une enfant en conséquence en 2010. Elle n'informera l'Office français de protection des réfugiés et apatrides de l'existence de cette enfant que par un courrier du 30 novembre 2017 en indiquant qu'elle se serait souvenue de son existence après avoir été en contacts réguliers avec des enfants de tiers en France et qu'elle n'a appris la survie de son enfant que fortuitement, en décembre 2016, à l'occasion d'un voyage en Turquie. Dans un écrit du 5 mai 2022 une psychologue stagiaire d'une association de soutien aux personnes exilées atteste que Mme B... lui aurait mentionné avec émotion dès 2014-2015 qu'elle avait accouché très prématurément d'une enfant en Ouganda, qu'elle pensait de ce fait décédée, puis qu'elle lui a appris avec la même détresse qu'elle avait été informée fortuitement de la survie de sa fille lors d'un séjour en Turquie en décembre 2016. Pour autant il résulte d'une attestation du 28 octobre 2019 d'une psychologue clinicienne de l'hôpital Robert Debré à Paris, ayant pris en charge Mme B... à la même période, que celle-ci se borne alors à évoquer les conséquences psychologiques négatives pour l'intéressée de sa séparation d'avec son conjoint ougandais, épousé religieusement en novembre 2018 en Turquie où il séjourne, alors que le couple attend un enfant. Par ailleurs, les éléments présentés tenant aux relations de Mme B... avec l'enfant restée en Ouganda, constituées pour l'essentiel d'attestations de tiers, d'échanges par les réseaux sociaux, de documents attestant des modalités de prise en charge de l'enfant en Ouganda, d'envois d'argent à des tiers ne sont pas de nature à établir une situation de possession d'état, alors notamment que Mme B... a divergé à diverses reprises sur la composition de sa famille restée en Ouganda évoquant par exemple la présence d'un frère pour seule famille dans ce pays dans un courrier reçu par le ministère le 13 novembre 2019 pour ensuite expliquer qu'ils sont plusieurs. De même elle a produit dans une instance en référé devant le tribunal administratif de Nantes une photographie la représentant avec une enfant présentée comme sa fille de quelques jours, laquelle ne présente pas les caractéristiques d'une enfant née après seulement sept mois de grossesse dont le diagnostic vital est engagé. Ainsi les documents produits ne permettent pas d'établir l'existence d'un lien de filiation par possession d'état.

8. En conséquence des deux points précédents, la commission de recours a pu, sans faire une inexacte application des dispositions citées aux points 3 et 4, rejeter la demande de visa litigieuse au motif que l'identité et le lien de filiation de la jeune D... A... avec Mme B... n'étaient pas établis.

9. En dernier lieu, le lien familial n'étant pas établi, ainsi qu'il vient d'être dit, les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant, ne peuvent qu'être écartés.

10. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction sous astreinte ainsi que celles tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Délibéré après l'audience du 9 novembre 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Rivas, président de la formation de jugement,

- Mme Ody, première conseillère,

- Mme Dubost, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 novembre 2023.

Le président de la formation de jugement,

rapporteur,

C. RIVAS

L'assesseure la plus ancienne dans le grade le plus élevé,

C. ODY

Le greffier,

C. GOY

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22NT01739


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NT01739
Date de la décision : 28/11/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. RIVAS
Rapporteur ?: M. Christian RIVAS
Rapporteur public ?: M. FRANK
Avocat(s) : REGENT

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-11-28;22nt01739 ?
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