Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... F... C... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 23 juin 2021 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté son recours dirigé contre la décision du 22 mars 2021 de l'autorité consulaire française à Bangui (République centrafricaine) refusant de délivrer à Mme E... C... un visa de long séjour en qualité de membre de famille de réfugié.
Par un jugement n° 2109293 du 14 mars 2022, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision du 23 juin 2021 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France et a enjoint, sous astreinte, au ministre de l'intérieur de délivrer à Mme E... C... le visa demandé dans un délai de deux mois à compter de la notification de son jugement.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 13 mai 2022, le ministre de l'intérieur et des outre-mer demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. C... devant le tribunal administratif de Nantes.
Il soutient que :
- la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France contestée est légalement fondée sur les dispositions de l'article L. 561-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la décision de refus peut légalement être fondée sur un autre motif tiré de ce que la délégation de l'autorité parentale n'a pas été consentie par la mère de l'enfant, et ce en méconnaissance de la conception française de l'ordre public international qui suppose que le consentement à la délégation de l'autorité parentale d'un enfant soit donné dans le respect du principe d'égalité des parents dans l'exercice de l'autorité parentale.
Par un mémoire en défense, enregistré le 23 août 2022, Mme E... C... et M. A... F... C..., représentés par Me Saligari, concluent au rejet de la requête et demandent à la cour de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent qu'aucun des moyens invoqués par le ministre n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Ody a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Par un jugement du 14 mars 2022, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision du 23 juin 2021 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a refusé de délivrer à Mme E... C..., ressortissante centrafricaine née en 2003, un visa de long séjour en qualité de membre de famille de réfugié. Le ministre de l'intérieur relève appel de ce jugement.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. La décision contestée de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France est fondée sur ce que l'acte de naissance de Mme E... C... a été transcrit sans respect du délai d'appel prévu par l'article 502 du code de procédure civile centrafricain, seize ans après l'évènement, postérieurement à l'obtention du statut de réfugié par M. A... F... C..., présenté comme son père, selon un jugement supplétif de naissance rendu le 19 novembre 2019 sur requête de celui-ci déclarant résider à Bangui alors qu'il a obtenu le statut de réfugié en France en décembre 2016.
3. Aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : (...) / 3° Par les enfants non mariés du couple, n'ayant pas dépassé leur dix-neuvième anniversaire. / (...) L'âge des enfants est apprécié à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été introduite. ". Aux termes de l'article L. 561-4 du même code : " Les articles L. 434-1, L. 434-3 à L. 434-5 et le premier alinéa de l'article L. 434-9 sont applicables. (...) ". Aux termes de l'article L. 561-5 du même code : " Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. Ils produisent pour cela les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. / En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 121-9 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux. ". Et aux termes de l'article L. 434-4 du même code : " Le regroupement familial peut être demandé pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et ceux de son conjoint, qui sont confiés, selon le cas, à l'un ou l'autre, au titre de l'exercice de l'autorité parentale, en vertu d'une décision d'une juridiction étrangère. Une copie de cette décision devra être produite ainsi que l'autorisation de l'autre parent de laisser le mineur venir en France. ".
4. Aux termes de l'article L. 811-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. ". Aux termes de l'article 47 du code civil, dans sa rédaction alors applicable : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.
5. Il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où le jugement produit aurait un caractère frauduleux.
6. A l'appui de la demande de visa présentée pour Mme E... C..., ont été produits un jugement supplétif rendu le 19 novembre 2019 par le tribunal de grande instance de Bangui ainsi que l'acte de naissance dressé à Bangui le 27 novembre 2019 sur la base de ce jugement supplétif. L'administration soutient que cet acte de naissance a été transcrit sans respect du délai d'appel prévu par l'article 502 du code de procédure civile, seize ans après l'évènement, postérieurement à l'obtention du statut de réfugié par M. A... F... C..., selon un jugement supplétif de naissance rendu sur requête de celui-ci déclarant résider à Bangui alors qu'il a obtenu le statut de réfugié en France en décembre 2016. Ces circonstances ne sont toutefois pas de nature à elles seules à établir le caractère frauduleux du jugement supplétif du 19 novembre 2019. En outre, la circonstance que le jugement a été rendu le lendemain de l'enregistrement de la requête de M. C... n'est pas non plus de nature à établir à elle seule le caractère frauduleux du jugement supplétif du 19 novembre 2019. Par ailleurs et en tout état de cause, contrairement à ce que soutient le ministre, il ressort des pièces du dossier que ce jugement supplétif est motivé en droit et en fait et que le ministère public a été saisi de la requête et a prononcé ses réquisitions devant le tribunal.
7. Il résulte de ce qui précède que c'est par une inexacte application des dispositions précitées que la commission a rejeté la demande de visa litigieuse au motif que l'identité de Mme C..., et partant son lien familial à l'égard de M. C..., n'étaient pas établis.
8. Toutefois, l'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative, il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.
9. Pour établir que la décision contestée était légale, le ministre de l'intérieur a fait valoir, devant la cour, un nouveau motif fondé sur la situation constatée à la date de cette décision, tiré de ce que sauf à méconnaitre la conception française de l'ordre public international la délégation d'autorité parentale d'un enfant ne peut, comme en l'espèce, être accordée par un seul de ses parents. Il ajoute que la mère de l'enfant n'a pas davantage autorisé son départ.
10. Il résulte de l'article 567 du code de la famille centrafricain que " L'autorité parentale sur les enfants légitimes appartient conjointement au père et à la mère pour protéger l'enfant dans sa santé, sa sécurité et sa moralité. Ils ont à son égard droit et devoir de garde, de surveillance, d'éducation. ". Il résulte en outre de l'article 568 du même code que " Durant le mariage, l'autorité parentale est exercée par le père en qualité de chef de famille. Les décisions qu'il prend, contrairement aux intérêts de l'enfant ou de la famille, peuvent être modifiées ou rapportées par le juge du domicile de l'enfant, à la demande de la mère. ". En outre, l'article 576 du même code prévoit que " L'enfant naturel dont la filiation est établie à l'égard des deux parents est assimilé à l'enfant légitime pour l'attribution de l'autorité parentale. ".
11. Les jugements rendus par un tribunal étranger relativement à l'état et à la capacité des personnes produisent leurs effets en France indépendamment de toute déclaration d'exequatur, sauf dans la mesure où ils impliquent des actes d'exécution matérielle sur des biens ou de coercition sur des personnes. Il appartient toutefois à l'autorité administrative, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, de ne pas fonder sa décision sur des éléments issus d'un jugement étranger qui révélerait l'existence d'une fraude ou d'une situation contraire à la conception française de l'ordre public international. Si la conception française de l'ordre public international implique que le consentement à la délégation de l'autorité parentale à l'égard d'un enfant soit donné dans le respect du principe d'égalité des parents dans l'exercice de l'autorité parentale, la circonstance qu'une décision prise par un tribunal étranger réserve à l'un des parents le soin de prendre seul certaines décisions relatives aux enfants ne peut permettre d'écarter cette décision que pour autant qu'elle heurte de manière concrète les principes essentiels du droit français.
12. A l'appui de la demande de visa, M. C... a produit un jugement de délégation d'autorité parentale du 14 décembre 2020 du tribunal de grande instance de Bimbo lui attribuant l'autorité parentale sur l'enfant E... C.... Le ministre de l'intérieur soutient que l'article 568 du code de la famille centrafricain est contraire à la conception française de l'ordre public international laquelle suppose que le consentement à la délégation de l'autorité parentale sur un enfant soit donné dans le respect du principe d'égalité des parents dans l'exercice de cette autorité parentale. Il ressort toutefois des pièces du dossier que M. C... et Mme D... B..., mère de Mme E... C..., ne se sont pas mariés. Par ailleurs et en l'espèce, indépendamment des dispositions de l'article 576 du code de la famille centrafricain, il ressort du jugement du 14 décembre 2020 que Mme B... exerçait seule l'autorité parentale sur l'enfant depuis la séparation du couple et, ayant comparu en personne à l'audience, l'intéressée ne s'est pas opposée à ce que l'autorité parentale soit déléguée au père de l'enfant, M. C..., ni à ce que l'enfant rejoigne ce dernier en France où il réside. Par suite, le motif tiré de ce que, sauf à méconnaitre la conception française de l'ordre public international, la délégation d'autorité parentale de l'enfant ne pouvait, comme en l'espèce, être accordée par un seul de ses parents n'est pas de nature à fonder légalement la décision contestée, tout comme celui tiré de l'absence d'autorisation de sortie du territoire centrafricain donnée par la mère de l'enfant. Dès lors, la demande de substitution de motif sollicitée par le ministre ne peut être accueillie.
13. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 23 juin 2021 et lui a enjoint de délivrer sous astreinte le visa de long séjour sollicité dans un délai de deux mois à compter de la notification de son jugement.
Sur les frais liés au litige :
14. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'État la somme globale de 1 200 euros à verser à M. et Mme C... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : La requête du ministre de l'intérieur et des outre-mer est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à M. A... F... C... et à Mme E... C... une somme globale de 1 200 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... F... C..., à Mme E... C... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré après l'audience du 9 novembre 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Rivas, président de la formation de jugement,
- Mme Ody, première conseillère,
- Mme Dubost, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 novembre 2023.
La rapporteure,
C. ODY
Le président de la formation de jugement,
C. RIVAS
Le greffier,
C. GOY
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22NT01489