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28/11/2023 | FRANCE | N°21NC01579

France | France, Cour administrative d'appel, 4ème chambre, 28 novembre 2023, 21NC01579


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne de condamner l'Etat à lui verser une somme de 90 000 euros en réparation du préjudice que lui a causé le harcèlement moral dont il estime avoir été victime dans l'exercice de ses fonctions.



Le syndicat Alternative Police CFDT s'est associé à son recours et a demandé au tribunal de condamner l'Etat à lui verser une somme de 10 000 euros en réparation du préjudice qu'il estime av

oir subi.



Par un jugement n° 1902124 du 2 avril 2021, le tribunal administratif de Châlons-...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne de condamner l'Etat à lui verser une somme de 90 000 euros en réparation du préjudice que lui a causé le harcèlement moral dont il estime avoir été victime dans l'exercice de ses fonctions.

Le syndicat Alternative Police CFDT s'est associé à son recours et a demandé au tribunal de condamner l'Etat à lui verser une somme de 10 000 euros en réparation du préjudice qu'il estime avoir subi.

Par un jugement n° 1902124 du 2 avril 2021, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a admis l'intervention du syndicat Alternative Police CFDT et rejeté les conclusions de ce dernier ainsi que la demande de M. A....

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 28 mai 2021, M. B... A... et le syndicat Alternative Police CFDT, représentés par Me Pitcho, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de condamner l'Etat à verser des sommes de 90 000 euros HT à M. A... et de 10 000 euros HT au syndicat Alternative Police CFDT, assorties des intérêts de droit à compter de la notification de leur réclamation indemnitaire ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- c'est à tort que les premiers juges ont estimé que le harcèlement moral dont a été victime M. A... n'était pas caractérisé ; il a été harcelé moralement par son supérieur hiérarchique, le commandant D... ; ce harcèlement s'est matérialisé par des tentatives de mutations injustifiées, étrangères à l'intérêt du service, contraires à sa volonté et également imputables à M. C..., sans respect des obligations procédurales ; sa notation annuelle a été dégradée de manière injustifiée, et elle n'a pas fait l'objet d'une réévaluation par la hiérarchie contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges ; le tribunal a commis une erreur de droit en exigeant que ses missions aient été modifiées pour caractériser le harcèlement ; M. D... s'est opposé à sa formation, à ce qu'il organise un moment de convivialité pour célébrer son habilitation, et a adopté à son égard un comportement humiliant et provocateur, alors qu'il a également commis des faits répréhensibles sur d'autres agents ; M. A... a continué à faire l'objet de harcèlement, étant muté de service en service, après son affectation à Sedan ; son état de santé s'est dégradé ; il n'a pas reçu certaines primes, malgré une activité au même niveau que ses collègues, et a été écarté de l'attribution de certaines médailles ou de certaines affectations ou d'avancement ;

- le harcèlement constitue une faute engageant la responsabilité de l'administration et qui a causé, de manière directe et certaine, un préjudice à M. A... ; le préjudice moral et les troubles qu'il a subis dans ses conditions d'existence doivent être indemnisés à hauteur de 50 000 euros ; le préjudice matériel, tenant à l'atteinte à la réputation professionnelle et à l'évolution de sa carrière, doit être évalué à 40 000 euros ;

- le syndicat a subi un préjudice tenant à l'atteinte portée à la protection collective des agents et à la prévention des atteintes aux droits sociaux, M. A... a été empêché d'exercer ses fonctions syndicales ; le préjudice moral du syndicat doit être indemnisé à hauteur de 10 000 euros.

Par ordonnance du 13 juillet 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 8 septembre 2023.

Un mémoire en défense, produit par le ministre de l'intérieur et des outre-mer, a été enregistré le 23 octobre 2023, soit après la clôture d'instruction et n'a pas été communiqué.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Samson-Dye,

- les conclusions de M. Michel, rapporteur public,

- et les observations de Me Petkova, pour M. A... et le syndicat Alternative Police CFDT.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne de condamner l'Etat à lui verser une somme de 90 000 euros en réparation du préjudice que lui a causé le harcèlement moral dont il estime avoir été victime dans l'exercice de ses fonctions. Le syndicat Alternative Police CFDT s'est associé à son recours et a demandé au tribunal de condamner l'Etat à lui verser une somme de 10 000 euros en réparation du préjudice qu'il estime avoir subi. M. A... et ce syndicat relèvent appel du jugement du 2 avril 2021 par lequel le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, après avoir admis l'intervention du syndicat Alternative Police CFDT, a rejeté les conclusions de ce dernier ainsi que la demande de M. A....

Sur les conclusions indemnitaires du syndicat Alternative Police CFDT :

2. Le syndicat reprend ses conclusions tendant à ce que l'Etat soit condamné à lui verser une indemnité de 10 000 euros, sans toutefois critiquer le motif d'irrecevabilité retenu par les premiers juges pour rejeter sa demande. Il n'est, dans de telles conditions, pas fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement contesté le tribunal a rejeté ses conclusions indemnitaires.

Sur les conclusions indemnitaires de M. A... :

3. Aux termes de l'article 6 quinquiès de la loi du 13 juillet 1983 portant droit et obligation des fonctionnaires : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel (...) ".

4. Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. En revanche, la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l'existence d'un harcèlement moral est établie, qu'il puisse être tenu compte du comportement de l'agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui. Le préjudice résultant de ces agissements pour l'agent victime doit alors être intégralement réparé.

5. En premier lieu, hormis dans le cas où le juge de première instance a méconnu les règles de compétence, de forme ou de procédure qui s'imposaient à lui et a ainsi entaché son jugement d'une irrégularité, il appartient au juge d'appel, non d'apprécier le bien-fondé des motifs par lesquels le juge de première instance s'est prononcé sur les moyens qui lui étaient soumis, mais de se prononcer directement sur les moyens dirigés contre la décision administrative contestée dont il est saisi dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel. Les requérants ne peuvent donc pas utilement se prévaloir d'une erreur de droit qu'auraient commis les premiers juges pour demander l'annulation du jugement attaqué.

6. En deuxième lieu, il ne ressort d'aucun élément soumis à l'instruction que les arrêts de travail dont M. A... a bénéficié seraient liés à des circonstances professionnelles, aucun document produit au contentieux ne faisant apparaître les motifs de ces arrêts de travail pour maladie. L'existence d'une dégradation de la santé de l'intéressé résultant d'évènements subis dans le cadre de ses fonctions n'est dès lors pas établie.

7. En troisième lieu, sont évoquées des dégradations de la notation et de l'évaluation de M. A... au titre de l'année 2017. Il résulte effectivement de l'instruction que la proposition initiale du commandant D... envisageait d'abaisser sa notation pour l'année 2017, et était assortie d'une appréciation littérale particulièrement défavorable faisant état d'une précédente condamnation pénale et d'une suspension administrative, ainsi que de ses activités syndicales. Cependant, il ressort de la fiche individuelle synthétique produite par le ministre en première instance que la note de M. A... est demeurée à 5 pour la période considérée, sans connaître de baisse, et que l'appréciation littérale a ensuite été révisée par l'administration, à la suite de sa contestation par M. A..., faisant disparaître les références à ses activités syndicales, à sa condamnation par le juge pénal et à sa suspension. A supposer même que la note chiffrée de l'intéressé serait effectivement passée de 5 à 4, cette seule circonstance n'est pas de nature, par elle-même, à faire présumer de l'existence d'un harcèlement.

8. En quatrième lieu, s'il est soutenu que M. D... aurait tenté de s'opposer à la formation du requérant comme officier de police judiciaire, et en particulier à ce qu'il réalise ses stages dans la circonscription de Charleville-Mézières, ainsi qu'à son habilitation, l'intéressé ne produit aucun élément de nature à faire soupçonner de tels agissements. De plus, il résulte de l'instruction, et en particulier des propos tenus par M. A... dans un courrier produit à l'appui d'une plainte contre son supérieur, qu'il a néanmoins pu effectuer ce stage au sein de la circonscription, ainsi qu'il l'avait souhaité, et obtenir son habilitation.

9. En cinquième lieu, si le requérant évoque des tentatives de mutation mises en œuvre par son supérieur à compter de 2018, pour le faire quitter la circonscription de Charleville-Mézières, aucun commencement de preuve quant à l'existence d'une telle démarche en vue de lui imposer une mutation n'est produit. Le départ de M. A... pour la circonscription de sécurité publique de Sedan lui a été imposé en avril 2019 pour un motif d'intérêt général, que l'intéressé n'a pas contesté au contentieux ainsi que le fait valoir le ministre dans ses écritures de première instance, ce départ ayant eu lieu quelques jours après qu'il soit intervenu pour prêter assistance à l'auteur de coups de couteau, alors qu'il n'était pas en service, selon son propre témoignage. Si les requérants reprochent au commandant D... d'avoir divulgué ces faits à la presse, ces circonstances ne sont pas établies, un autre policier, membre d'un syndicat distinct de celui de M. A..., ayant fait état de ces évènements, dans le cadre d'accusations croisées entre les membres des deux syndicats.

10. En sixième lieu, s'il est fait état du fait que M. A... n'aurait pas reçu certaines primes, malgré une activité au même niveau que ses collègues, et qu'il aurait été écarté de l'attribution de certaines médailles, affectations ou avancements, aucun élément n'est produit pour corroborer ces allégations.

11. En septième lieu, si le requérant fait état plus généralement d'un comportement humiliant et provocateur de la part de M. D..., et notamment du refus de le laisser organiser un moment de convivialité pour lui permettre de célébrer son habilitation en qualité d'officier de police judiciaire, les éléments soumis à l'instruction ne permettent pas de faire présumer l'existence d'actes ou comportement répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, alors même qu'il est établi que M. D... avait manifesté son inimité à l'encontre de M. A..., en raison de sa dénonciation, à titre syndical, de comportements qu'il estimait critiquables et qu'il imputait à son supérieur. La circonstance que le commandant D... aurait eu un comportement répréhensible à l'égard d'autres agents, à la supposer établie, n'est pas de nature, par elle-même, à présumer que M. A... lui-même aurait subi un harcèlement.

12. En huitième et dernier lieu, il est allégué que M. A... aurait également subi un harcèlement après son affectation au sein de la circonscription de sécurité publique de Sedan, manifesté par un changement d'affectation entre différents services, entre avril et juillet 2019. Toutefois, si l'intéressé a été affecté au groupe d'appui judiciaire fin avril 2019, et si l'administration est revenue sur son affectation au sein de la brigade de sureté urbaine prévue pour le 1er juillet 2019, pour le réaffecter sur son poste précédent le 8 juillet 2019, cette seule circonstance ne suffit pas à caractériser, ni même à faire présumer, un harcèlement.

13. Il résulte de ce qui précède que les requérants n'apportent aucun élément de fait susceptible de faire présumer l'existence d'un harcèlement à l'égard de M. A.... Ils ne sont donc pas fondés à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont rejeté les conclusions indemnitaires fondées sur le harcèlement moral de M. A....

14. La requête doit donc être rejetée dans toutes ses conclusions, y compris s'agissant de celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sans qu'il soit besoin de statuer sur la recevabilité des conclusions d'appel du syndicat au soutien des prétentions indemnitaires de M. A....

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. A... et du syndicat Alternative police CFDT est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., au syndicat Alternative police CFDT et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Délibéré après l'audience du 7 novembre 2023, à laquelle siégeaient :

- Mme Ghisu-Deparis, présidente,

- Mme Samson-Dye, présidente-assesseure,

- Mme Roussaux, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 novembre 2023

La rapporteure,

Signé : A. Samson-Dye

La présidente,

Signé : V. Ghisu-Deparis La greffière,

Signé : N. Basso

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

N. Basso

2

N° 21NC01579


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NC01579
Date de la décision : 28/11/2023
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme GHISU-DEPARIS
Rapporteur ?: Mme Aline SAMSON-DYE
Rapporteur public ?: M. MICHEL
Avocat(s) : PITCHO

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-11-28;21nc01579 ?
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