La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

24/11/2023 | FRANCE | N°23MA00855

France | France, Cour administrative d'appel, 7ème chambre, 24 novembre 2023, 23MA00855


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler la décision du 9 juillet 2019 par laquelle le préfet des Bouches-du-Rhône a refusé de faire droit à sa demande de regroupement familial introduite au profit de son épouse, Mme B... épouse A..., d'enjoindre au préfet, à titre principal, de lui accorder le bénéfice du regroupement familial dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 100 euros par

jour de retard et, à titre subsidiaire, de réexaminer sa demande et de condamner l'Etat à...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler la décision du 9 juillet 2019 par laquelle le préfet des Bouches-du-Rhône a refusé de faire droit à sa demande de regroupement familial introduite au profit de son épouse, Mme B... épouse A..., d'enjoindre au préfet, à titre principal, de lui accorder le bénéfice du regroupement familial dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard et, à titre subsidiaire, de réexaminer sa demande et de condamner l'Etat à lui verser une somme de 10 000 euros en réparation de son préjudice moral.

Par un jugement n° 2101167 du 11 octobre 2022, le tribunal administratif de Marseille a, à l'article 1er, annulé cette décision du 9 juillet 2019, à l'article 2, enjoint au préfet des Bouches-du-Rhône de procéder au réexamen de la situation de M. A... dans le délai de deux mois à compter de la notification du jugement, à l'article 3, condamné l'Etat à verser la somme de 1 100 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 4, rejeté le surplus des conclusions de la requête de M. A....

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 7 avril 2023, sous le n° 23MA00855, M. A..., représenté par Me Lemarchand, demande à la Cour :

1°) d'annuler l'article 4 de ce jugement du 11 octobre 2022 du tribunal administratif de Marseille en tant qu'il a rejeté ses conclusions indemnitaires ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 10 000 euros en réparation de son préjudice moral ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser à Me Lemarchand au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 lequel s'engage dans ce cas à renoncer à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.

Il soutient que :

- sa demande indemnitaire était recevable dès lors qu'il a adressé une demande préalable indemnitaire au préfet le 29 juin 2022 et transmise au tribunal le 30 juin 2022 ;

- le refus illégal du préfet lui a causé un préjudice moral lié à l'impossibilité de mener une vie affective et familiale normale et aux multiples relances et démarches qu'il a effectuées en vain durant plusieurs années ;

- il a déjà réalisé de nombreuses demandes de regroupement familial, en 2013, 2015 et 2017 qui ont été systématiquement rejetées, sans que cela ait été justifié ;

- le préfet ne s'est exécuté qu'en février 2023, soit quatre mois après le jugement rendu, ajoutant à son préjudice résultant de l'anxiété liée à l'incertitude du regroupement ;

- le trouble dans ses conditions d'existence est indéniable, d'autant qu'il n'a pas d'autre choix que de vivre en France, pour être soigné.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 27 janvier 2023.

La requête a été communiquée au préfet des Bouches-du-Rhône qui n'a pas produit de mémoire.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Marchessaux a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant malgache né le 5 avril 1957 et entré en France le 12 décembre 2005 est titulaire en dernier lieu d'une carte de résident valable jusqu'au 30 janvier 2025. Il a présenté, le 27 novembre 2018, une demande de regroupement familial au bénéfice de son épouse. Par une décision du 9 juillet 2019, le préfet des Bouches-du-Rhône a refusé de faire droit à sa demande. Par un jugement du 11 octobre 2022, le tribunal administratif de Marseille a, à l'article 1er, annulé cette décision du 9 juillet 2019, à l'article 2, enjoint au préfet des Bouches-du-Rhône de procéder au réexamen de la situation de M. A... dans le délai de deux mois à compter de la notification du jugement, à l'article 3, condamné l'Etat à verser la somme de 1 100 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et, à l'article 4, rejeté le surplus des conclusions de la requête de M. A.... Ce dernier relève appel de l'article 4 du jugement attaqué en tant qu'il a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 10 000 euros en réparation de son préjudice moral et des troubles dans ses conditions d'existence qu'il estime avoir subis.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée. / Lorsque la requête tend au paiement d'une somme d'argent, elle n'est recevable qu'après l'intervention de la décision prise par l'administration sur une demande préalablement formée devant elle. (...) ".

3. Il résulte de ces dispositions qu'en l'absence d'une décision de l'administration rejetant une demande formée devant elle par le requérant ou pour son compte, une requête tendant au versement d'une somme d'argent est irrecevable et peut être rejetée pour ce motif même si, dans son mémoire en défense, l'administration n'a pas soutenu que cette requête était irrecevable, mais seulement que les conclusions du requérant n'étaient pas fondées. En revanche, les termes du second alinéa de l'article R. 421-1 du code de justice administrative n'impliquent pas que la condition de recevabilité de la requête tenant à l'existence d'une décision de l'administration s'apprécie à la date de son introduction. Cette condition doit être regardée comme remplie si, à la date à laquelle le juge statue, l'administration a pris une décision, expresse ou implicite, sur une demande formée devant elle. Par suite, l'intervention d'une telle décision en cours d'instance régularise la requête, sans qu'il soit nécessaire que le requérant confirme ses conclusions et alors même que l'administration aurait auparavant opposé une fin de non-recevoir fondée sur l'absence de décision.

4. Il résulte de l'instruction que M. A... a demandé, notamment, au tribunal de condamner l'Etat à lui verser une somme de 10 000 euros en réparation de son préjudice moral. Par lettre du 21 juin 2022, le greffe du tribunal lui a demandé de produire la demande préalable indemnitaire adressée au préfet des Bouches-du-Rhône ainsi que l'accusé de réception de cette demande et le, cas échéant, la production de la décision du préfet intervenue sur cette demande. En cours d'instance, par lettre du 29 juin 2022, M. A... a adressé au préfet une demande indemnitaire préalable par laquelle il sollicitait la réparation de son préjudice moral à hauteur de 10 000 euros. Cette demande, ainsi que la preuve de son dépôt effectué le même jour, en lettre recommandée ont été transmises au tribunal qui l'a reçu le 30 juin 2022. Ainsi, une décision implicite de rejet de cette demande était née à la date à laquelle les premiers juges ont statué. Dès lors, M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal a estimé que ses conclusions indemnitaires étaient irrecevables. Par suite, le jugement attaqué doit être annulé dans cette mesure.

5. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande indemnitaire présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Marseille.

Sur les conclusions indemnitaires :

En ce qui concerne la responsabilité de l'Etat :

6. Aux termes de l'article L. 411-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa rédaction applicable : " Le ressortissant étranger qui séjourne régulièrement en France depuis au moins dix-huit mois, sous couvert d'un des titres d'une durée de validité d'au moins un an prévus par le présent code ou par des conventions internationales, peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre du regroupement familial, par son conjoint, si ce dernier est âgé d'au moins dix-huit ans, et les enfants du couple mineurs de dix-huit ans ". Aux termes de l'article L. 411-5 du même code : " Le regroupement familial ne peut être refusé que pour l'un des motifs suivants : / 1° Le demandeur ne justifie pas de ressources stables et suffisantes pour subvenir aux besoins de sa famille. (...) ; 2° Le demandeur ne dispose pas ou ne disposera pas à la date d'arrivée de sa famille en France d'un logement considéré comme normal pour une famille comparable vivant dans la même région géographique ; (...) ". L'article R. 411-4 du même code dispose : " Pour l'application du 1° de l'article L. 411-5, les ressources du demandeur et de son conjoint qui alimenteront de façon stable le budget de la famille sont appréciées sur une période de douze mois par référence à la moyenne mensuelle du salaire minimum de croissance au cours de cette période. Ces ressources sont considérées comme suffisantes lorsqu'elles atteignent un montant équivalent à : - cette moyenne pour une famille de deux ou trois personnes ; / (...) ". Aux termes de l'article R. 421-4 du même code : " A l'appui de sa demande de regroupement, le ressortissant étranger présente les copies intégrales des pièces suivantes : (...) 3° Les justificatifs des ressources du demandeur et, le cas échéant, de son conjoint, tels que le contrat de travail dont il est titulaire ou, à défaut, une attestation d'activité de son employeur, les bulletins de paie afférents à la période des douze mois précédant le dépôt de sa demande, ainsi que le dernier avis d'imposition sur le revenu en sa possession, dès lors que sa durée de présence en France lui permet de produire un tel document, et sa dernière déclaration de revenus. La preuve des revenus non salariaux est établie par tous moyens (...) ".

7. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que le caractère suffisant du niveau de ressources du demandeur est apprécié sur la période de douze mois précédant le dépôt de la demande de regroupement familial, par référence à la moyenne mensuelle du salaire minimum interprofessionnel de croissance au cours de cette même période, même si, lorsque ce seuil n'est pas atteint au cours de la période considérée, il est toujours possible, pour le préfet, de prendre une décision favorable en tenant compte de l'évolution des ressources du demandeur, y compris après le dépôt de la demande.

8. Il résulte de l'instruction, ainsi que l'a relevé le tribunal et n'est pas contesté par le préfet, que M. A... a perçu, au cours de la période de référence mentionnée au point 7, un revenu mensuel moyen de 1 203 euros net. Or, le salaire minimum interprofessionnel de croissance était, en 2018, de 1 498 euros brut mensuel, soit 1 173 euros net mensuel. Dès lors, le préfet des Bouches-du-Rhône qui ne fait valoir aucun autre motif susceptible de justifier le refus initialement opposé a commis une faute susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat en refusant à M. A... le bénéfice du regroupement familial pour son épouse au motif tiré de l'insuffisance de ces ressources au cours de la période de référence.

9. En se bornant à soutenir qu'il a par ailleurs déjà réalisé de nombreuses demandes de regroupement familial, en 2013, 2015 et 2017 qui ont été systématiquement rejetées, sans que cela ait été justifié, M. A... n'établit pas que le préfet des Bouches-du-Rhône aurait commis une autre illégalité fautive.

En ce qui concerne l'évaluation du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence :

10. Il en résulte que la faute mentionnée au point 8 est directement à l'origine du préjudice résultant de l'impossibilité d'introduire son épouse sur le territoire français avant le 27 janvier 2023, date à laquelle le préfet des Bouches-du-Rhône a finalement fait droit à sa demande. Ainsi, dans les circonstances particulières de l'espèce, il sera fait une juste appréciation du préjudice moral et des troubles de toute nature dans les conditions d'existence subis par M. A... compte tenu de sa séparation avec son épouse pendant une période de 3 ans et six mois à compter de la date de la décision contestée du 9 juillet 2019 jusqu'au 27 janvier 2023 en l'évaluant à 4 000 euros.

11. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... est fondé à demander la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 4 000 euros en réparation de son préjudice moral et des troubles dans ses conditions d'existence qu'il a subis.

Sur les frais liés au litige :

12. M. A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Lemarchand, avocate de M. A..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Lemarchand de la somme de 1 500 euros.

D É C I D E :

Article 1er : L'article 4 du jugement du tribunal administratif de Marseille du 11 octobre 2022 est annulé en tant qu'il a rejeté la demande de M. A... tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 10 000 euros en réparation de son préjudice moral.

Article 2 : L'Etat est condamné à payer une somme de 4 000 euros à M. A....

Article 3 : L'Etat versera à Me Lemarchand une somme de 1 500 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Lemarchand renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. A... est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A..., à Me Lemarchand et au ministre de l'intérieur et des Outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet des Bouches-du-Rhône.

Délibéré après l'audience du 10 novembre 2023, où siégeaient :

- Mme Chenal-Peter, présidente de chambre,

- Mme Vincent, présidente assesseure,

- Mme Marchessaux, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 24 novembre 2023.

2

N° 23MA00855

fa


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de MARSEILLE
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 23MA00855
Date de la décision : 24/11/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : Mme CHENAL-PETER
Rapporteur ?: Mme Jacqueline MARCHESSAUX
Rapporteur public ?: M. GUILLAUMONT
Avocat(s) : LEMARCHAND

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-11-24;23ma00855 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award