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24/11/2023 | FRANCE | N°22MA02217

France | France, Cour administrative d'appel, 7ème chambre, 24 novembre 2023, 22MA02217


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société Mumtaz a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler la décision du 29 septembre 2020 par laquelle le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) a mis à sa charge la contribution spéciale prévue par l'article L. 8253-1 du code du travail pour un montant de 18 100 euros et la contribution forfaitaire prévue par l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour un monta

nt de 2 309 euros.



Par un jugement n° 2009443 du 29 juin 2022, le tribunal admi...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Mumtaz a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler la décision du 29 septembre 2020 par laquelle le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) a mis à sa charge la contribution spéciale prévue par l'article L. 8253-1 du code du travail pour un montant de 18 100 euros et la contribution forfaitaire prévue par l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour un montant de 2 309 euros.

Par un jugement n° 2009443 du 29 juin 2022, le tribunal administratif de Marseille a rejeté cette demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 5 août 2022, sous le n° 22MA02217, la société Mumtaz, représentée par Me Ramzan, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du 29 juin 2022 du tribunal administratif de Marseille ;

2°) d'annuler la décision du 29 septembre 2020 ;

3°) de mettre à la charge de l'Office français de l'immigration et de l'intégration la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la décision contestée a été prise par une autorité incompétente ;

- elle ne prend pas en compte ses remarques et les pièces qu'elle a produites dans son courrier du 15 juillet 2020 en violation de l'article R. 822-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- elle était de bonne foi dès lors qu'elle ignorait totalement la décision de refus de renouvellement de la carte de séjour du salarié ;

- elle a toujours fait les choses dans les règles de l'art ;

- le procureur de la République d'Aix-en-Provence n'a prononcé qu'un simple rappel à la loi ;

- dès le 10 mars 2020, le salarié a effectué les démarches afin de régulariser sa situation auprès de la préfecture de Marseille ;

- l'OFII a commis un abus de droit.

La requête a été communiquée à l'Office français de l'immigration et de l'intégration qui n'a pas produit de mémoire.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la directive 2009/52/CE du Parlement européen et du Conseil du 18 juin 2009 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Marchessaux,

- et les conclusions de M. Guillaumont, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Lors d'un contrôle opéré le 15 octobre 2019 dans les locaux du restaurant à l'enseigne Kohinoor de spécialités indo-pakistanaises situé à Salon-de-Provence, les services de police ont constaté la présence en action de travail d'un ressortissant pakistanais en situation irrégulière et dépourvu d'autorisation de travail. Par une décision du 29 septembre 2020, le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) a mis à la charge de la société Mumtaz la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail, pour un montant de 18 100 euros, ainsi que la contribution forfaitaire prévue à l'article L. 621-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, pour un montant de 2 309 euros. La société Mumtaz relève appel du jugement attaqué par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision du 29 septembre 2020.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Il résulte de l'instruction que par une décision du 19 décembre 2019 régulièrement publiée sur le site internet de l'OFII, son directeur général a consenti à Mme C... B..., cheffe du service juridique et contentieux, conseillère juridique du directeur général, une délégation de signature à l'effet de signer, dans la limite de ses attributions, tous actes, décisions et correspondances relevant du champ de compétences du service juridique et contentieux tel que défini par la décision du 31 décembre 2013, notamment l'ensemble des décisions relatives aux contributions spéciale et forfaitaire. Cette délégation n'étant ainsi pas consentie en cas d'absence ou d'empêchement du directeur de l'OFII, ce dernier n'avait pas à démontrer qu'il était indisponible ou empêché lorsque Mme B... a signé la décision contestée.

3. D'une part, aux termes du premier alinéa de l'article L. 8251-1 du code du travail : " Nul ne peut, directement ou indirectement, embaucher, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l'autorisant à exercer une activité salariée en France. (...) ". Aux termes de l'article L. 8253-1 du même code : " Sans préjudice des poursuites judiciaires pouvant être intentées à son encontre, l'employeur qui a employé un travailleur étranger en méconnaissance des dispositions du premier alinéa de l'article L. 8251-1 acquitte, pour chaque travailleur étranger non autorisé à travailler, une contribution spéciale. Le montant de cette contribution spéciale est déterminé dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat. Il est, au plus, égal à 5 000 fois le taux horaire du minimum garanti prévu à l'article L. 3231-12. Ce montant peut être minoré en cas de non-cumul d'infractions ou en cas de paiement spontané par l'employeur des salaires et indemnités dus au salarié étranger non autorisé à travailler mentionné à l'article R. 8252-6. Il est alors, au plus, égal à 2000 fois ce même taux. Il peut être majoré en cas de réitération et est alors, au plus, égal à 15 000 fois ce même taux. / L'Office français de l'immigration et de l'intégration est chargé de constater et fixer le montant de cette contribution pour le compte de l'Etat (...) ". Aux termes de l'article L. 8271-17 du même code, dans sa rédaction alors applicable : " Outre les agents de contrôle de l'inspection du travail mentionnés à l'article L. 8112-1, les agents et officiers de police judiciaire, les agents de la direction générale des douanes sont compétents pour rechercher et constater, au moyen de procès-verbaux transmis directement au procureur de la République, les infractions aux dispositions de l'article L. 8251-1 relatif à l'emploi d'un étranger non autorisé à travailler et de l'article L. 8251-2 interdisant le recours aux services d'un employeur d'un étranger non autorisé à travailler (...)". Aux termes de l'article R. 8253-3 du même code : " Au vu des procès-verbaux qui lui sont transmis en application de l'article L. 8271-17, le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration indique à l'employeur, par lettre recommandée avec avis de réception ou par tout autre moyen permettant de faire la preuve de sa date de réception par le destinataire, que les dispositions de l'article L. 8253-1 sont susceptibles de lui être appliquées et qu'il peut présenter ses observations dans un délai de quinze jours ". Enfin, l'article R. 8253-4 de ce code dispose : " A l'expiration du délai fixé, le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration décide, au vu des observations éventuelles de l'employeur, de l'application de la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1, la liquide et émet le titre de perception correspondant. ".

4. D'autre part, aux termes de l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur : " Sans préjudice des poursuites judiciaires qui pourront être engagées à son encontre et de la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail, l'employeur qui aura occupé un travailleur étranger en situation de séjour irrégulier acquittera une contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement de l'étranger dans son pays d'origine. / Le montant total des sanctions pécuniaires prévues, pour l'emploi d'un étranger non autorisé à travailler, au premier alinéa du présent article et à l'article L. 8253-1 du code du travail ne peut excéder le montant des sanctions pénales prévues par les articles L. 8256-2, L. 8256-7 et L. 8256-8 du code du travail ou, si l'employeur entre dans le champ d'application de ces articles, le montant des sanctions pénales prévues par le chapitre II du présent titre. / L'Office français de l'immigration et de l'intégration est chargé de constater et de fixer le montant de cette contribution. (...) ". Selon l'article R. 822-5 du même code : " A l'expiration du délai de quinze jours fixé à l'article R. 822-4, le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration décide, au vu des observations éventuelles de l'employeur, de l'application de la contribution forfaitaire prévue à l'article L. 822-2. Le ministre chargé de l'immigration est l'autorité compétente pour la liquider et émettre le titre de perception correspondant. (...) ".

5. Il appartient au juge administratif, lorsqu'il est saisi comme juge de plein contentieux d'une contestation portant sur une sanction prononcée sur le fondement de l'article L. 8253-1 du code du travail, d'examiner tant les moyens tirés des vices propres de la décision de sanction que ceux mettant en cause le bien-fondé de cette décision et de prendre, le cas échéant, une décision qui se substitue à celle de l'administration. Celle-ci devant apprécier, au vu notamment des observations éventuelles de l'employeur, si les faits sont suffisamment établis et, dans l'affirmative, s'ils justifient l'application de cette sanction administrative, au regard de la nature et de la gravité des agissements et des circonstances particulières à la situation de l'intéressé, le juge peut, de la même façon, après avoir exercé son plein contrôle sur les faits invoqués et la qualification retenue par l'administration, tant s'agissant du manquement que de la proportionnalité de la sanction, maintenir la contribution, au montant fixé de manière forfaitaire par les dispositions citées au point 3, ou en décharger l'employeur.

6. Il résulte de l'instruction que, par un courrier du 15 juillet 2020, le directeur général de l'OFII a informé la société Mumtaz qu'il envisageait de lui infliger la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail et la contribution forfaitaire prévue à l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, devenu l'article L. 822-2 du même code, pour l'emploi d'un salarié étranger dépourvu de titre de travail et de titre de séjour. Par un courrier du 30 juillet 2020, la société Mumtaz a présenté ses observations écrites à l'OFII. Si les dispositions mentionnées aux points 3 et 4 impliquent que le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration décide, au vu des observations éventuelles de l'employeur, de l'application de la contribution spéciale et de la contribution forfaitaire, elles n'impliquent pas qu'il prenne en compte ces observations et y réponde.

7. Il résulte des dispositions précitées de l'article L. 8253-1 du code du travail et de l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que les contributions qu'ils prévoient ont pour objet de sanctionner les faits d'emploi d'un travailleur étranger séjournant irrégulièrement sur le territoire français ou démuni de titre l'autorisant à exercer une activité salariée, sans qu'un élément intentionnel soit nécessaire à la caractérisation du manquement. Toutefois, un employeur ne saurait être sanctionné sur le fondement de ces dispositions, qui assurent la transposition des articles 3, 4 et 5 de la directive 2009/52/CE du Parlement européen et du Conseil du 18 juin 2009 prévoyant des normes minimales concernant les sanctions et les mesures à l'encontre des employeurs de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, lorsque tout à la fois, d'une part, et sauf à ce que le salarié ait justifié avoir la nationalité française, il s'est acquitté des obligations qui lui incombent en vertu de l'article L. 5221-8 du code du travail et que, d'autre part, il n'était pas en mesure de savoir que les documents qui lui étaient présentés revêtaient un caractère frauduleux ou procédaient d'une usurpation d'identité.

8. Il résulte de l'instruction, en particulier des énonciations du procès-verbal établi le 15 octobre 2019 que lors d'un contrôle opéré le même jour dans les locaux du restaurant à l'enseigne Kohinoor de spécialités indo-pakistanaises situé à Salon-de-Provence, les services de police assistant un inspecteur de l'union de recouvrement de la sécurité sociale et des allocations familiales (URSSAF) de Provence-Alpes-Côte d'Azur, ont constaté la présence en action de travail de M. A..., ressortissant pakistanais en situation irrégulière et dépourvu d'autorisation de travail. La société Mumtaz qui ne conteste pas ces constatations soutient que M. A... était titulaire d'une carte de séjour avec autorisation de travail lors de son embauche le 26 mai 2016, puis d'une carte de séjour l'autorisant à travailler qui devait expirer le 17 mai 2019, qu'il a été muni d'un récépissé valable jusqu'au 09 août 2019 mais qu'il n'a jamais reçu de réponse de la préfecture. Toutefois, son gérant a déclaré lors de son audition par les services de police qu'il savait que le salarié avait effectué des démarches pour renouveler son titre de séjour mais qu'après, il a oublié de lui demander s'il avait pu obtenir le renouvellement de son titre puis, qu'en septembre 2019, il lui a demandé la copie de son document mais qu'il ne lui a rien présenté. Par ailleurs, l'autre gérant associé de la société Mumtaz a déclaré lors de son audition que, lorsque M. A... " a voulu faire le renouvellement de son titre de séjour, la préfecture a voulu changer son statut et ne lui a pas renouvelé son document ". Ainsi, il ne résulte pas de l'instruction que l'employeur ait effectué toutes les vérifications qui lui incombaient pour s'assurer que ce salarié disposait d'un document de nature à justifier de sa situation régulière l'autorisant à travailler. Faute de ces diligences, la société appelante ne peut être regardée comme s'étant acquitté des obligations qui lui incombent en application des dispositions précitées et ne saurait se prévaloir utilement de sa bonne foi pour contester les sanctions qui lui ont été infligées. Les circonstances que la société Mumtaz aurait toujours fait les choses dans les règles de l'art et que le procureur de la République d'Aix-en-Provence n'aurait prononcé qu'un simple rappel à la loi sont sans incidence sur la légalité de la décision en litige. Il en va de même du fait que M. A... aurait effectué, le 10 mars 2020, des démarches afin de régulariser sa situation auprès de la préfecture de Marseille et serait actuellement titulaire d'un récépissé de carte de séjour délivré par le préfet des Bouches-du Rhône, le 17 novembre 2020, lequel est sans incidence sur la réalité de l'infraction établie le jour du contrôle. Par suite, le directeur général de l'OFII pouvait légalement mettre à la charge de la société appelante la contribution spéciale et forfaitaire en raison de l'emploi d'un étranger non muni de titre l'autorisant à travailler en France.

9. Il résulte de tout ce qui précède que la société Mumtaz n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 29 septembre 2020 du directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration.

Sur les frais liés au litige :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme demandée par la société Mumtaz, au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de la société Mumtaz est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Mumtaz et à l'Office français de l'immigration et de l'intégration.

Délibéré après l'audience du 10 novembre 2023, où siégeaient :

- Mme Chenal-Peter, présidente de chambre,

- Mme Vincent, présidente assesseure,

- Mme Marchessaux, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 24 novembre 2023.

2

N° 22MA02217

bb


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de MARSEILLE
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 22MA02217
Date de la décision : 24/11/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-06-02-02 Étrangers. - Emploi des étrangers. - Mesures individuelles. - Contribution spéciale due à raison de l'emploi irrégulier d'un travailleur étranger.


Composition du Tribunal
Président : Mme CHENAL-PETER
Rapporteur ?: Mme Jacqueline MARCHESSAUX
Rapporteur public ?: M. GUILLAUMONT
Avocat(s) : RAMZAN

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-11-24;22ma02217 ?
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