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23/11/2023 | FRANCE | N°22LY02008

France | France, Cour administrative d'appel, 7ème chambre, 23 novembre 2023, 22LY02008


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure



La société Hafner Entreprises a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler, d'une part, la décision du 2 novembre 2020 de la préfète de la Loire retirant l'autorisation de recours à l'activité partielle indemnisée accordée pour l'une des salariés de la société et l'indemnisation associée et, d'autre part, les deux ordres de recouvrement émis le 6 avril 2021 par le directeur de l'Agence de services et de paiement pour le recouvrement de la somme de 11 860,61 euros, ensem

ble les rejets implicites des recours hiérarchiques dirigés contre cette décision et ces ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La société Hafner Entreprises a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler, d'une part, la décision du 2 novembre 2020 de la préfète de la Loire retirant l'autorisation de recours à l'activité partielle indemnisée accordée pour l'une des salariés de la société et l'indemnisation associée et, d'autre part, les deux ordres de recouvrement émis le 6 avril 2021 par le directeur de l'Agence de services et de paiement pour le recouvrement de la somme de 11 860,61 euros, ensemble les rejets implicites des recours hiérarchiques dirigés contre cette décision et ces ordres de recouvrement.

Par un jugement n° 2104372, 2107726 du 29 avril 2022, le tribunal a fait droit à sa demande en annulant la décision du 2 novembre 2020, le rejet du recours hiérarchique dirigé contre cette décision et les deux ordres de recouvrement émis le 6 avril 2021 et en mettant à la charge de l'Etat une somme de 1 400 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 29 juin 2022, le ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion demande à la cour d'annuler ce jugement et de rejeter la demande présentée par la société Hafner Entreprises devant le tribunal.

Il soutient que :

- c'est à tort que le tribunal a annulé le retrait d'autorisation d'activité partielle sans examiner si le défaut d'activité était fondé sur l'un des motifs de recours au dispositif d'activité partielle ;

- en l'absence d'accord ou de document unilatéral relatif à l'individualisation de l'activité partielle permettant la mise en œuvre des dispositions prévues à l'article 10 ter de l'ordonnance du 27 mars 2020 portant mesures d'urgence en matière d'activité partielle, le droit commun relatif à l'activité partielle prévu à l'article L. 5122-1 du code du travail, qui implique un placement en position d'activité partielle individuellement et alternativement, devait s'appliquer ; la société Hafner Entreprises ne pouvait placer individuellement et totalement Mme A... en activité partielle, sans mettre en œuvre de roulement entre les salariés susceptibles d'exercer ses tâches, alors que les tâches de son service n'avaient pas cessé mais avaient seulement été confiées à d'autres salariés de la société ou du groupe ou externalisées ;

- alors que Mme A... a été placée en activité partielle totale du 20 mars après-midi au 30 juin 2020, elle a fourni un travail pendant cette période ;

- en application de l'article R. 5122-1 du code du travail, l'activité partielle n'est mobilisable que lorsque l'entreprise est contrainte de réduire ou de suspendre son activité pour l'un des cinq motifs visés à cet article et ne peut résulter d'une décision de gestion interne à l'entreprise, comme cela a été le cas de Mme A... dont les missions ont été réparties en interne et en externe et qui a été finalement licenciée pour motif économique le 30 juin 2020.

Par un mémoire enregistré le 25 octobre 2022, la société Hafner Entreprises, représentée par Me Garcia, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 400 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que les moyens soulevés par le ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 19 septembre 2023, la clôture d'instruction a été prononcée à effet immédiat.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code du travail ;

- l'ordonnance n° 2020-346 du 27 mars 2020 ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Duguit-Larcher, présidente-assesseure,

- les conclusions de M. Rivière, rapporteur public,

- et les observations de Me Tourret pour la société Hafner Entreprises ;

Considérant ce qui suit :

1. La société Hafner Entreprises, qui assure la gestion administrative et commerciale des filiales du groupe Hafner, spécialisé dans la confection de pâtisserie industrielle, a fait l'objet d'un contrôle de la direction départementale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de la Loire à la suite duquel l'autorisation d'activité partielle qui lui avait été accordée sur le fondement des articles L. 5122-1 et suivants du code du travail, pour la période du 19 mars au 30 juin 2020 pour l'une de ses salariés, Mme A..., a été retirée par une décision du 2 novembre 2020 de la préfète de le Loire. Par cette décision, la préfète lui a réclamé le remboursement de la somme de 11 860,61 euros correspondant au montant des aides perçues à ce titre. La société Hafner Entreprises a été destinataire de deux ordres de recouvrement, valant titres exécutoires, émis le 6 avril 2021 par le directeur de l'Agence de services et de paiement. La société Hafner Entreprises a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler cette décision du 2 novembre 2020, les deux ordres de recouvrement émis le 6 avril 2021 et le rejet implicite par le ministre du travail de ses recours hiérarchiques présentés contre cette décision et ces titres exécutoires. Par un jugement du 29 avril 2022 dont le ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion relève appel, le tribunal a annulé la décision du 2 novembre 2020, le rejet du recours hiérarchique dirigé contre cette décision et les deux ordres de recouvrement émis le 6 avril 2021. Il a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 400 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Sur le motif d'annulation retenu par le tribunal :

2. Aux termes de l'article L. 5122-1 du code du travail : " I- Les salariés sont placés en position d'activité partielle, après autorisation expresse ou implicite de l'autorité administrative, s'ils subissent une perte rémunération imputable: / - soit à la fermeture temporaire de leur établissement ou partie d'établissement; / - soit à la réduction de l'horaire de travail pratiqué dans l'établissement ou partie d'établissement en deçà de la durée légale de travail. / En cas de réduction collective de l'horaire de travail, les salariés peuvent être placés en position d'activité partielle individuellement et alternativement. / II.- Les salariés reçoivent une indemnité horaire, versée par leur employeur, correspondant à une part de leur rémunération antérieure dont le pourcentage est fixé par décret en Conseil d'État. L'employeur perçoit une allocation financée conjointement par l'État et l'organisme gestionnaire du régime d'assurance chômage. ". L'article R. 5122-1 du code du travail précise que : " L'employeur peut placer ses salariés en position d'activité partielle lorsque l'entreprise est contrainte de réduire ou de suspendre temporairement son activité pour l'un des motifs suivants : / 1° La conjoncture économique ; (...) / 5° Toute autre circonstance de caractère exceptionnel ".

3. Il résulte de ces dispositions que dans le cas où un employeur a recours à l'activité partielle, les salariés placés en position d'activité partielle ne doivent pas travailler pendant les heures où ils sont placés dans cette position. Le recours à l'activité partielle doit concerner l'établissement ou la partie d'établissement qui subit une baisse d'activité. En cas de réduction d'horaire de travail, cette réduction est en principe collective, mais les salariés peuvent être placés individuellement et alternativement en position d'activité partielle.

4. La société Hafner Entreprises, qui ne rentrait pas dans le champ du I de l'article 10 ter de l'ordonnance du 27 mars 2020 portant mesures d'urgence en matière d'activité partielle, faute soit d'un accord d'entreprise ou à défaut de convention ou d'accord de branche soit d'un avis du comité social et économique, ne pouvait bénéficier des mesures dérogatoires au dispositif légal rappelé ci-dessus mises en place temporairement par cette ordonnance, permettant à un employeur de placer une partie seulement des salariés de l'entreprise, d'un établissement, d'un service ou d'un atelier, y compris ceux relevant de la même catégorie professionnelle, en position d'activité partielle ou appliquer à ces salariés une répartition différente des heures travaillées et non travaillées, lorsque cette individualisation est nécessaire pour assurer le maintien ou la reprise d'activité.

5. La préfète de la Loire a décidé de retirer l'autorisation de chômage partiel de Mme A... au motif que les conditions légales pour bénéficier d'une telle autorisation n'étaient pas réunies en retenant, d'une part, qu'elle avait effectivement travaillé pendant la période où elle a été placée en chômage partiel total, d'autre part, que les activités de Mme A... n'avaient pas disparu pendant cette période mais avaient été réorganisées afin d'en exclure cette dernière et d'aboutir à son licenciement économique le 30 juin 2023 et enfin qu'alors que l'article L. 5122-1 du code du travail prévoit que les salariés peuvent être placés en position d'activité partielle individuellement et alternativement, aucun roulement n'avait été organisé avec les responsables des ressources humaines des différents sites de production.

6. D'une part, il ressort des pièces du dossier qu'alors que Mme A... avait été placée en position d'activité partielle totale à compter du 20 mars 2020 après-midi, elle a, dans un courrier circonstancié adressé à l'administration, exposé avoir dû répondre aux sollicitations de ses collègues pendant cette période. Elle a notamment eu divers échanges avec la déléguée syndicale du site de Hafner Septeuil, la responsable des ressources humaines de ce site, celle du site d'Estillac, des contacts avec la conseillère en protection sociale et mutuelle du cabinet Legay et avec son contact au sein de la fédération des entreprises et entrepreneurs de France dans le cadre du projet de labellisation RSE. Ses affirmations sont confirmées par une attestation circonstanciée du 10 novembre 2020 de la déléguée syndicale du site Hafner Septeuil indiquant qu'elles ont échangé sur la mise en place du comité social et économique central de l'entreprise, son règlement intérieur et les procès-verbaux de cette instance. Ces échanges sont confirmés par la production d'un mail de Mme A... adressé à cette dernière démontrant qu'elle a travaillé sur le sujet pendant la période où elle était en activité partielle totale. Par ailleurs la responsable des ressources humaines de l'établissement d'Estillac a attesté qu'elles ont échangé régulièrement entre le 20 mars et le 30 avril 2020, date de son départ de l'entreprise, sur la mise en place du chômage partiel, de la paie du site d'Estillac, des accords de substitution et de la nouvelle complémentaire santé et de la liquidation judiciaire d'Hafner Estillac. Enfin, alors que pour la journée du 20 mars 2020, l'entreprise a déclaré quatre heures d'activité partielle pour Mme A..., cette dernière a déclaré avoir travaillé sept heures, ce qui correspond à une journée complète de travail. Dans ces conditions, et alors que l'attestation produite par Mme A... dans le cadre de son licenciement économique, selon laquelle elle n'aurait pas travaillé pendant sa période d'activité partielle totale est contredite par les éléments qui viennent d'être exposés, l'administration a pu légalement se fonder sur cette circonstance pour décider de retirer l'autorisation d'activité partielle relative à cette salariée et ce, alors même que le nombre d'heures de travail ainsi réalisé ne correspond pas au nombre d'heures qu'elle aurait réalisées si elle n'avait pas été placée dans cette position et que son employeur lui avait adressé un mail lui demandant de ne pas travailler.

7. D'autre part, si, en principe, il n'appartient pas à l'administration de s'immiscer dans les choix de gestion d'un employeur, il lui appartient toutefois d'apprécier si les conditions pour bénéficier d'un dispositif légal sont remplies. S'il n'est pas contesté que le groupe Hafner a connu, pendant la crise sanitaire de la COVID une baisse importante de son activité, justifiant qu'une partie du personnel des sociétés du groupe, et en particulier de la société Hafner Entreprises, soit placée en position d'activité partielle, il n'en demeure pas moins, ainsi que l'a indiqué l'administration, que Mme A..., qui occupait les fonctions de directrice des ressources humaines pour cette société, est la seule salariée qui a été placée totalement en position d'activité partielle, alors que ses missions n'ont pas disparu pendant cette période. Ses missions ont été réparties soit à l'intérieur de la société, une partie de ses tâches ayant été reprise par le directeur de la société, soit à l'extérieur, les responsables RH des différents sites du groupe ayant repris une partie de ses fonctions. Il ressort de ces éléments, qu'une partie de la réduction de l'horaire de travail de Mme A... ne résulte pas directement de la crise de la COVID et de la baisse d'activité qui en a résulté, mais du choix de son employeur à court terme, de réorganiser l'attribution de ses fonctions et, à moyen terme, de supprimer le poste de directrice des ressources humaines, ainsi que le révèle le licenciement pour motif économique de l'intéressée le 30 juin 2020. L'administration pouvait donc également se fonder sur cette circonstance pour estimer que l'autorisation d'activité partielle concernant Mme A... n'était pas fondée.

8. Enfin, l'administration s'est également fondée sur la circonstance tirée de ce que Mme A... n'avait pas été placée individuellement et alternativement avec les autres responsables des ressources humaines du groupe en position d'activité partielle. Cependant les responsables des ressources humaines des autres sites n'étaient pas salariés de la société Hafner Entreprises, mais de la société Hafner Biscuits, ce qui faisait ainsi obstacle à ce qu'un tel motif soit opposé.

9. Toutefois, il résulte de l'instruction que la préfète de la Loire aurait pris la même décision si elle s'était seulement fondée sur les motifs exposés aux points 6 et 7 pour justifier sa décision. Par suite, c'est à tort que le tribunal a annulé la décision litigieuse au motif qu'aucun des motifs sur lequel la préfète s'était fondée ne pouvait légalement justifier cette décision.

10. Il résulte de ce qui précède, en l'absence d'autres moyens qu'il appartiendrait à la cour d'examiner dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel tant en première instance qu'en appel, que le ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a annulé la décision du 2 novembre 2020, le rejet du recours hiérarchique dirigé contre cette décision et les deux ordres de recouvrement émis le 6 avril 2021.

Sur les frais liés au litige :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat qui n'a pas, dans la présente instance, la qualité de partie perdante, verse à la société Hafner Entreprises la somme qu'elle réclame au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2104372, 2107726 du tribunal administratif de Lyon du 29 avril 2022 est annulé.

Article 2 : Les demandes présentées par la société Hafner Entreprises devant le tribunal administratif de Lyon sont rejetées.

Article 3 : Les conclusions présentées par la société Hafner Entreprises au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion et à la société Hafner Entreprises.

Copie en sera adressée à la préfète de la Loire et à l'Agence de service et de paiement.

Délibéré après l'audience du 9 novembre 2023, à laquelle siégeaient :

M. Picard, président de chambre,

Mme Duguit-Larcher, présidente assesseure,

M. Chassagne, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 23 novembre 2023.

La rapporteure,

A. Duguit-LarcherLe président,

V.-M. Picard

La greffière,

A.-C. Ponnelle

La République mande et ordonne au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

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N° 22LY02008

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 22LY02008
Date de la décision : 23/11/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-10-01 Travail et emploi. - Politiques de l'emploi. - Aides à l`emploi.


Composition du Tribunal
Président : M. PICARD
Rapporteur ?: Mme Agathe DUGUIT-LARCHER
Rapporteur public ?: M. RIVIERE
Avocat(s) : CAPSTAN RHONE-ALPES

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-11-23;22ly02008 ?
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