Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. et Mme A... B... ont demandé au tribunal administratif de Dijon de prononcer la décharge des compléments d'impôt sur le revenu auxquels ils ont été assujettis au titre des années 2011, 2012 et 2013, ainsi que des majorations correspondantes.
Par un jugement n° 1701736 du 14 décembre 2018, le tribunal administratif de Dijon a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour avant cassation
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 10 février 2019, le 11 septembre 2019 et le 13 janvier 2020, M. et Mme B..., représentés par Me Tauzin, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Dijon du 14 décembre 2018 ;
2°) de prononcer la décharge de ces impositions et des majorations correspondantes ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- l'administration ne pouvait mettre en œuvre la procédure d'évaluation d'office, dès lors que la mise en demeure a été adressée à la société polonaise A... B... ACS 21 et non à M. B..., qu'ils avaient déjà souscrit des déclarations de bénéfices industriels et commerciaux et qu'ils ont ainsi été induits en erreur sur la portée de cette mise en demeure ;
- la vérification de comptabilité est irrégulière, dès lors que l'avis de vérification de comptabilité a été envoyé à la société A... B... ACS 21 et non à M. B... ;
- l'administration a engagé le 27 février 2015 une nouvelle vérification de comptabilité sans adresser à M. B... un avis de vérification en méconnaissance de l'article L. 47 du livre des procédures fiscales ;
- l'administration les a privés de la garantie tenant à la saisine de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires ;
- c'est à tort que l'administration a imposé entre les mains de M. B... les bénéfices réalisés par la société polonaise A... B... ACS 21 dès lors que cette société n'existe pas ;
- les bénéfices en litige ont été réalisés par l'établissement stable polonais de son entreprise individuelle française et ont déjà été imposés en Pologne ;
- l'administration a méconnu l'article 7 de la convention fiscale conclue entre la France et la Pologne ;
- les impositions de l'année 2011 de l'entreprise individuelle française sont prescrites ;
- l'administration ne pouvait lui infliger des majorations pour manquement délibéré.
Par des mémoires, enregistrés le 19 juillet 2019 et 17 février 2020, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au non-lieu à statuer, à hauteur des sommes dégrevées, et au rejet du surplus des conclusions de la requête.
Il soutient que, par décision du 8 juillet 2019, il a prononcé le dégrèvement du complément d'impôt sur le revenu de l'année 2011, à hauteur de la somme de 9 137 euros, et pour le surplus, que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de ce que, dans l'hypothèse où la cour déchargerait les cotisations d'impôt sur le revenu procédant de l'imposition en France des bénéfices de l'établissement stable de la société polonaise A... B... ACS 21, M. B..., qui ne dépasserait plus, à raison de la seule activité d'entrepreneur individuel déclarée, les limites d'imposition du régime de micro-BIC, devrait de plein droit être imposé selon ce régime et ainsi être déchargé des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu, et des majorations correspondantes, résultant du dépassement du seuil du régime d'imposition de micro-BIC.
M. et Mme B... ont adressé à la cour administrative une note en délibéré qui a été enregistrée au greffe, le 10 juillet 2020.
Par un arrêt n° 19LY00519 du 7 septembre 2020, la cour, après avoir jugé qu'il n'y avait pas lieu à statuer sur les conclusions des requérants relatives à l'impôt sur le revenu au titre de l'année 2011 et des majorations correspondantes à concurrence d'une somme de 9 137 euros, a rejeté le surplus des conclusions de la requête d'appel de M. et Mme B....
Par une décision n° 446116 du 14 avril 2022, le Conseil d'État statuant au contentieux a annulé l'article 2 de cet arrêt et a renvoyé, dans cette mesure, à la cour le jugement de l'affaire, désormais enregistrée sous le n° 22LY01227.
Procédure devant la cour après cassation
Par des mémoires enregistrés le 23 mai 2022 et le 19 décembre 2022, M. et Mme B... qui concluent aux mêmes fins, précisent que leur moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 47 du livre des procédures fiscales, en l'absence de l'envoi d'un nouvel avis de vérification à la suite de la réponse à la demande d'assistance administrative, doit être retenu également au regard de la doctrine administrative référencée BOI-CF-PGR-10-60 du 12 septembre 2012.
Par un mémoire enregistré le 9 août 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique soutient en outre que les requérants ne peuvent utilement se prévaloir de la doctrine BOI-CF-PGR-10-60 du 16 janvier 2019.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention fiscale conclue entre la France et la Pologne signée le 20 juin 1975 et publiée par le décret n° 76-1075 du 24 novembre 1976 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Dèche, présidente assesseure ;
- et les conclusions de Mme Le Frapper, rapporteure publique ;
Considérant ce qui suit :
1. M. B... exerçait à titre individuel une activité de négoce de véhicules et de courtage à Lamarche-sur-Saône (Côte-d'Or) à raison de laquelle il a été imposé, au titre des années 2011, 2012 et 2013 selon le régime d'imposition des micro-entreprises de l'article 50-0 du code général des impôts, applicable aux contribuables dont le chiffre d'affaires n'excède pas certaines limites. Estimant qu'il était également le gérant et l'associé d'une société polonaise dénommée A... B... ACS 21, l'administration est intervenue, le 8 juillet 2014, sur le fondement de la procédure de visite et de saisie de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales, dans les locaux de Lamarche-sur-Saône susceptibles d'être occupés par cette société. Le 4 novembre 2014, elle a envoyé à M. B..., en tant que représentant légal de la société A... B... ACS 21, d'une part, une mise en demeure de souscrire des déclarations de résultats n° 2031 au titre des années 2011, 2012 et 2013, et d'autre part, un avis de vérification de comptabilité de la société A... B... ACS 21 portant sur les années en 2011, 2012 et 2013. A la suite de ce contrôle et de renseignements obtenus des autorités polonaises dans le cadre d'une demande d'assistance internationale faite le 8 décembre 2014, le vérificateur a estimé que la société A... B... ACS 21 disposait en France, depuis sa création en 2011, d'un établissement stable à partir duquel elle exerçait une activité d'achat revente de véhicules neufs et de courtage et a procédé à une reconstitution de ses résultats imposables, lesquels ont été assignés à la société par notification n° 3924 du 12 mai 2015, en application de la procédure d'évaluation d'office prévue au 1° de l'article L. 73 du livre des procédures fiscales. Estimant que M. B... exploitait deux entreprises ayant une activité identique dont le chiffre d'affaires cumulé excédait les limites prévues pour l'application du régime des micro-entreprises, l'administration a remis en cause le régime des micro-entreprises sous le bénéfice duquel il s'était placé pour l'imposition de son entreprise individuelle et a inclus dans le revenu imposable de M. et Mme B... des années 2011, 2012 et 2013, dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux, des sommes de, respectivement, 80 611 euros, 83 883 euros et 87 284 euros correspondant au montant cumulé des résultats de l'entreprise individuelle déterminés selon le régime réel et des résultats de la société, au moyen d'une proposition de rectification n° 2120 du 12 mai 2015, laquelle a, par ailleurs, réintégré dans le revenu imposable du foyer fiscal de l'année 2013 une somme de 5 468 euros correspondant au résultat de l'activité individuelle de M. B... que celui-ci avait mentionné dans une déclaration de résultat n° 2031 sans le reporter dans la déclaration d'ensemble de revenus. Les compléments d'impôt sur le revenu auxquels M. et Mme B... ont été assujettis en conséquence de ces redressements ont été assortis de la majoration pour manquement délibéré de 40 % prévue à l'article 1729 du code général des impôts s'agissant des impositions procédant des rectifications se rapportant à la société A... B... ACS 21 et de la majoration de 10 % prévue à l'article 1758 A du code s'agissant des autres chefs de redressement. Par un jugement du 14 décembre 2018, le tribunal administratif de Dijon a rejeté la demande de M. et Mme B... tendant à la décharge de ces impositions supplémentaires. Par un arrêt n° 19LY00519 du 7 septembre 2020, la cour, après avoir jugé qu'il n'y avait pas lieu à statuer sur les conclusions des requérants relatives à l'impôt sur le revenu au titre de l'année 2011 et des majorations correspondantes à concurrence d'une somme de 9 137 euros, a rejeté le surplus des conclusions de la requête d'appel de M. et Mme B.... Par décision n° 446116 du 14 avril 2022, le Conseil d'État statuant au contentieux a annulé l'article 2 de cet arrêt et a renvoyé, dans cette mesure, à la cour le jugement de l'affaire pour qu'elle y statue de nouveau.
2. Aux termes de l'article L. 73 du livre des procédures fiscales : " Peuvent être évalués d'office : 1° Le bénéfice imposable des contribuables qui perçoivent des revenus provenant d'entreprises industrielles, commerciales ou artisanales, ou des revenus d'exploitations agricoles imposables selon un régime de bénéfice réel, lorsque la déclaration annuelle prévue à l'article 53 A du code général des impôts n'a pas été déposée dans le délai légal (...) Les dispositions de l'article L. 68 sont applicables dans les cas d'évaluation d'office prévus aux 1° et 2°. " Aux termes de l'article L. 68 du même livre : " La procédure de taxation d'office prévue aux 2° et 5° de l'article L. 66 n'est applicable que si le contribuable n'a pas régularisé sa situation dans les trente jours de la notification d'une mise en demeure. Toutefois, il n'y a pas lieu de procéder à cette mise en demeure (...) 3° Si le contribuable s'est livré à une activité occulte, au sens du troisième alinéa de l'article L. 169 ". Enfin, aux termes du deuxième alinéa de l'article L. 169 du même livre : " Par exception aux dispositions du premier alinéa, le droit de reprise de l'administration s'exerce jusqu'à la fin de la dixième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est due, lorsque le contribuable exerce une activité occulte. L'activité occulte est réputée exercée lorsque le contribuable n'a pas déposé dans le délai légal les déclarations qu'il était tenu de souscrire et soit n'a pas fait connaître son activité à un centre de formalités des entreprises ou au greffe du tribunal de commerce, soit s'est livré à une activité illicite. "
3. Lorsqu'un contribuable exerce plusieurs activités dont les bénéfices sont imposables dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux, il n'est tenu de souscrire des déclarations différentes au titre de chacune de ces activités que lorsque, ayant des objets entièrement différents, elles ne peuvent être rattachées l'une à l'autre.
4. L'administration a évalué d'office les résultats de l'entreprise A... B... ACS 21 au titre des années 2011, 2012 et 2013, au motif que l'entreprise n'avait pas déposé de déclaration de résultat en dépit d'une mise en demeure, datée du 4 novembre 2014, et ne s'était pas fait connaître d'un centre de formalités des entreprises ou du greffe du tribunal de commerce à raison des activités de négoce de véhicules et de courtage qu'elle avait déployées en France depuis un établissement stable au titre des années en cause.
5. D'une part, il résulte de l'instruction, et notamment de la proposition de rectification du 12 mai 2015, adressée à M. et Mme B..., à laquelle était jointe la proposition de rectification du même jour adressée à M. B..., en tant que " représentant légal de la société A... B... ACS 21 ", que l'administration était informée par la réponse établie le 27 février 2015, par les autorités polonaises à la demande d'assistance administrative internationale qui leur avait été envoyée le 8 décembre 2014, que l'activité professionnelle enregistrée par M. B... en Pologne ne pouvait l'être sous forme de société, dès lors que l'administration polonaise se borne à constater que " le contribuable M. A... B... a enregistré l'activité économique d'une personne physique à son propre compte et en son nom propre ". Elle en a tiré les conséquences en estimant que " quelles que soient les modalités d'exercice de l'activité (entreprise individuelle ou société de droit polonais assimilée en France à une société relevant de l'article 8 du code général des impôts) " les résultats de l'ensemble de l'activité professionnelle des intéressés devaient être imposés en France au nom des requérants dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux. D'autre part, il est constant que l'activité enregistrée en Pologne que M. B... exerçait en 2012 et 2013, se rattachait eu égard à son objet, à celle qu'il exerçait en France et pour laquelle il avait souscrit la déclaration prévue à l'article 53 A du code général des impôts. En application des principes rappelés au point 3 du présent arrêt, les revenus professionnels tirés de l'activité enregistrée par M. B... en Pologne qui n'étaient pas exercés par deux entités distinctes, n'avaient pas, dès lors, à donner lieu au dépôt d'une déclaration distincte. Par suite, l'absence de déclaration des revenus tirés de cette activité doit être regardée comme une insuffisance de déclaration des bénéfices réalisés par M. B... et non comme un défaut de déclaration au sens de l'article L. 73 du livre des procédures fiscales. Il en résulte que les bénéfices en cause ne pouvaient faire l'objet de la procédure d'évaluation d'office prévue par cet article.
6. Par ailleurs, il résulte de l'instruction et notamment de la réponse établie le 27 février 2015, par les autorités polonaises que M. et Mme B... ont déclaré en Pologne, les bénéfices retirés au titre de l'activité enregistrée dans ce pays, qu'ils ont d'ailleurs reportés dans la déclaration de leurs revenus effectuée en France dans la catégorie des revenus de source étrangère exonérés mais retenus pour la détermination du taux effectif. Il en résulte que le ministre ne pouvait pas plus estimer que les intéressés devaient être regardés comme ayant exercé, au cours des années en cause, une activité commerciale de manière occulte pouvant faire l'objet d'une évaluation d'office dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux.
7. Il résulte de ce qui précède que les requérants sont fondés à soutenir que les bénéfices en cause ne pouvaient faire l'objet de la procédure d'évaluation d'office prévue par l'article L. 73 du livre des procédures fiscales.
8. Enfin, il résulte de l'instruction et n'est pas contesté par le ministre en défense, qu'au regard des revenus tirés de la seule activité d'entrepreneur individuel déclaré en France par M. B..., les intéressés ne dépassent pas les limites d'imposition des micro-entreprises de l'article 50-0 du code général des impôts et doivent en conséquence être imposés selon ce régime. Dans ces conditions, les requérants sont fondés à demander que leurs bases imposables à l'impôt sur le revenu dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux au titre des années 2012 et 2013 doivent être déterminées selon le régime des micro-entreprises au lieu du régime simplifié d'imposition retenu à tort par l'administration.
9. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, M. et Mme B... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Dijon a rejeté leur demande tendant d'une part à ce que le résultat imposable à l'impôt sur le revenu des années 2012 et 2013 soit déterminé selon le régime des micro-entreprises prévu à l'article 50-0 du code général des impôts et à ce qu'ils soient en conséquence déchargés, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux à concurrence de cette réduction de leurs bases imposables, et d'autre part, tendant à la décharge des pénalités de 40 % dont ont été assorties ses cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu au titre des années 2012 et 2013.
Sur les frais liés au litige :
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par M. et Mme B... et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : Les bases imposables à l'impôt sur le revenu de M. et Mme B... dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux au titre des années 2012 et 2013 sont déterminés selon le régime des micro-entreprises prévu à l'article 50-0 du code général des impôts.
Article 2 : M. et Mme B... sont déchargés, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux à concurrence de la réduction des bases imposables prononcée à l'article 1.
Article 3 : Le jugement n° 1701736 du 14 décembre 2018 du tribunal administratif de Dijon est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera M. et Mme B... une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus de la requête est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme A... B... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré après l'audience du 9 novembre 2023 à laquelle siégeaient :
M. Bourrachot, président de chambre,
Mme Dèche, présidente-assesseure,
Mme Rémy-Néris, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 novembre 2023.
La rapporteure,
P. Dèche
Le président,
F. Bourrachot,
La greffière,
F. Prouteau
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 22LY01227
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