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23/11/2023 | FRANCE | N°21LY03289

France | France, Cour administrative d'appel, 4ème chambre, 23 novembre 2023, 21LY03289


Vu la procédure suivante :





Procédure contentieuse antérieure



Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Dijon d'annuler la décision du 5 août 2020 par laquelle le directeur du centre de détention de Joux-la-Ville a ordonné la saisie d'un courrier que M. C... lui avait adressé et d'enjoindre au directeur de lui remettre ce courrier dans un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de cent euros par jour de retard.



Par jugement n° 2100339 du 30 septembre 20

21, le tribunal a annulé cette décision et a rejeté le surplus des conclusions de la demande.







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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Dijon d'annuler la décision du 5 août 2020 par laquelle le directeur du centre de détention de Joux-la-Ville a ordonné la saisie d'un courrier que M. C... lui avait adressé et d'enjoindre au directeur de lui remettre ce courrier dans un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de cent euros par jour de retard.

Par jugement n° 2100339 du 30 septembre 2021, le tribunal a annulé cette décision et a rejeté le surplus des conclusions de la demande.

Procédure devant la cour

I. Par une requête enregistrée le 12 octobre 2021 sous le n° 21LY03289, Mme A..., représentée par Me Ciaudo, demande à la cour :

1°) d'annuler l'article 2 de ce jugement en tant qu'il rejette ses conclusions à fin d'injonction ;

2°) d'enjoindre au directeur du centre de détention de lui remettre le courrier dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt et sous astreinte de cent euros par jour de retard ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que l'annulation rétroactive de la décision du 5 août 2020 impliquait nécessairement que ce courrier lui soit remis, alors même qu'à la date où le tribunal a statué, l'interdiction de communiquer ordonnée par le tribunal de l'application des peines était applicable.

Par mémoire enregistré le 6 décembre 2021, le garde des sceaux, ministre de la justice, conclut au rejet de la requête.

Il soutient que dès lors que le tribunal a statué le 30 septembre 2021, soit après l'entrée en vigueur de l'interdiction juridictionnelle de communiquer, le tribunal ne pouvait que rejeter les conclusions à fin d'injonction.

Mme A... a été admise au bénéficie de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 17 décembre 2021.

II. Par une requête enregistrée le 6 décembre 2021 sous le n° 21LY03902, le garde des sceaux, ministre de la justice, demande à la cour :

1°) d'annuler l'article 1er de ce jugement en tant qu'il annule la décision du 5 août 2020 ;

2°) de rejeter la demande ;

Il soutient que la décision du 5 août 2020 ordonnant la saisie de la correspondance adressée par M. C... à Mme A... pouvait légalement être fondée sur le motif tiré de ce que cette correspondance paraissait compromettre le bon ordre et la sécurité ; ce motif peut être substitué au motif, initialement retenu, tiré de l'interdiction juridictionnelle de correspondre entre les deux prévenus, laquelle n'était applicable qu'à compter de la libération de M. C..., le 29 octobre 2020.

La requête a été communiquée à Mme A... qui n'a pas présenté d'observations.

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- le code de procédure pénale ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-639 du 10 juillet 1991 ;

- la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Evrard,

- et les conclusions de M. Savouré, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A..., alors détenue au centre de détention de Joux-la-Ville depuis le 2 octobre 2018, a été informée, le 3 août 2020, de l'intention du chef d'établissement de saisir, avant qu'il ne lui soit remis, le courrier daté du 26 juillet 2020 qui lui avait été adressé par M. C.... Après avoir recueilli les observations de l'intéressée, le chef d'établissement a, par décision du 5 août 2020, ordonné la saisie du courrier, au motif que le juge anti-terroriste de l'application des peines avait interdit à M. C... d'entrer en relation avec Mme A.... Mme A... a demandé au tribunal administratif de Dijon d'annuler la décision du 5 août 2020 et d'enjoindre au directeur du centre de lui remettre le courrier dans un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement. Par jugement n° 2100339 du 30 septembre 2021, le tribunal a annulé cette décision et a rejeté le surplus des conclusions de la demande. Mme A... relève appel de ce jugement en tant qu'il rejette le surplus des conclusions de sa demande. Le garde des sceaux, ministre de la justice, relève appel de ce jugement en tant qu'il prononce l'annulation de la décision du 5 août 2020.

2. Les requêtes n°s 21LY03289 et 21LY03902 ont trait au même litige et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour qu'il soit statué par un même arrêt.

Sur la requête n° 21LY03902 :

3. Aux termes de l'article 40 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 : " Les personnes condamnées (...) peuvent correspondre par écrit avec toute personne de leur choix. / Le courrier adressé ou reçu par les personnes détenues peut être contrôlé et retenu par l'administration pénitentiaire lorsque cette correspondance paraît compromettre gravement leur réinsertion ou le maintien du bon ordre et la sécurité (...) Lorsque l'administration pénitentiaire décide de retenir le courrier d'une personne détenue, elle lui notifie sa décision ". Aux termes de l'article R. 57-8-19 du code de procédure pénale alors en vigueur : " La décision de retenir une correspondance écrite, tant reçue qu'expédiée, est notifiée à la personne détenue par le chef d'établissement au plus tard dans les trois jours (...) / La correspondance retenue est déposée dans le dossier individuel de la personne détenue. Elle lui est remise lors de sa libération ". Ce dispositif permet à l'administration pénitentiaire, sans préjudice d'éventuelles mesures prises par le juge judiciaire, de restreindre au cas par cas la liberté de correspondance des détenus lorsqu'un courrier paraît compromettre gravement leur réinsertion ou le maintien du bon ordre et la sécurité.

4. Il ressort des pièces du dossier que, pour justifier la retenue de la lettre adressée par M. C... à Mme A... le 26 juillet 2020, le chef d'établissement du centre de détention de Joux-la-Ville s'est fondé sur la circonstance que le juge de l'application des peines avait, par jugement de placement sous surveillance judiciaire du 19 juin 2020, ordonné à M. C... de s'abstenir, à compter de sa libération, d'entrer en relation avec Mme A.... Par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Dijon a annulé cette décision au motif qu'à la date de la décision en litige, le 5 août 2020, M. C... n'avait pas été libéré, si bien qu'aucune restriction juridictionnelle de communication entre M. C... et Mme A... n'était applicable.

5. L'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.

6. Le garde des sceaux, ministre de la justice, qui ne critique pas le motif d'annulation retenu par les premiers juges, soutient en appel que la saisie du courrier daté du 26 juillet 2020 pouvait être fondée sur l'article 40 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 qui prévoit la possibilité pour l'administration pénitentiaire de contrôler et de retenir les correspondances paraissant compromettre le maintien du bon ordre et de la sécurité, dès lors que M. C..., condamné à la peine de huit ans d'emprisonnement pour des faits de participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte de terrorisme, présentait des risques de récidive et qu'il exerçait sur Mme A... une emprise susceptible de les conduire à la réitération de faits similaires à ceux ayant justifié leur incarcération.

7. Toutefois, le ministre ne fait état d'aucun élément tiré du contenu même de la correspondance en cause susceptible de justifier une telle mesure, les dispositions citées au point 3 n'ayant pas pour objet de permettre à l'administration pénitentiaire de compléter les mesures du juge d'application des peines en se dispensant d'analyser le courrier qu'elle décide de retenir. Dans de telles conditions, et dès lors qu'il ne démontre pas que cette correspondance pouvait paraître de nature à compromettre gravement la réinsertion des détenus ou le maintien du bon ordre et la sécurité, le garde des sceaux, ministre de la justice n'est pas fondé à soutenir que ce motif pouvait légalement fonder la décision du directeur du centre de détention de Joux-la-Ville du 5 août 2020.

8. Il résulte de ce qui précède que le garde des sceaux, ministre de la justice, n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Dijon a annulé la décision du chef d'établissement du centre de détention de Joux-la-Ville du 5 août 2020 retenant le courrier adressé par M. C... le 26 juillet 2020 à Mme A....

Sur la requête n° 21LY03289 :

9. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public (...) prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution ".

10. Si, à la date du jugement attaqué, M. C... avait été libéré, la mesure judiciaire portant interdiction d'entrer en contact avec Mme A... s'appliquait à toute initiative qu'il aurait pu prendre à compter de sa libération et ne pouvait concerner la correspondance en litige, adressée à Mme A... alors qu'il était détenu et soumise au contrôle a priori de l'administration. Par suite, l'annulation de la décision du chef d'établissement du centre de détention de Joux-la-Ville du 5 août 2020 implique nécessairement, au sens de dispositions précitées, que le courrier en cause soit remis à Mme A..., dans le délai d'un mois à compter du présent arrêt. Il s'ensuit que Mme A... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Dijon a rejeté ses conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint au ministre de lui remettre ce courrier.

Sur les frais liés au litige :

11. Mme A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Ciaudo, avocat de Mme A..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'État le versement à Me Ciaudo de la somme de 1 000 euros.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête du garde des sceaux, ministre de la justice est rejetée.

Article 2 : Il est enjoint au garde des sceaux, ministre de la justice, de remettre à Mme A... le courrier que lui a adressé M. C..., le 26 juillet 2020, dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : Le jugement n° 2100339 du tribunal administratif de Dijon du 30 septembre 2021 est réformé en tant qu'il rejette les conclusions à fin d'injonction de Mme A....

Article 4 : L'Etat versera à Me Ciaudo, avocat de Mme A..., la somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve que Me Ciaudo renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et au garde des sceaux, ministre de la justice.

Délibéré après l'audience du 2 novembre 2023, à laquelle siégeaient :

M. Arbarétaz, président,

Mme Evrard, présidente-assesseure,

Mme Corvellec, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 novembre 2023.

La rapporteure,

A. EvrardLe président,

Ph. Arbarétaz

La greffière,

A-C. Ponnelle

La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

21LY03289-21LY03902


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 21LY03289
Date de la décision : 23/11/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

37-05-02-01 Juridictions administratives et judiciaires. - Exécution des jugements. - Exécution des peines. - Service public pénitentiaire.


Composition du Tribunal
Président : M. ARBARETAZ
Rapporteur ?: Mme Aline EVRARD
Rapporteur public ?: M. SAVOURE
Avocat(s) : SCP THEMIS AVOCATS & ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-11-23;21ly03289 ?
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