Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... D... a demandé au tribunal administratif de Lille, d'annuler les arrêtés du 2 novembre 2022 par lesquels le préfet du Nord, d'une part, l'a obligée à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination de cette mesure d'éloignement et lui a interdit de retourner sur le territoire français pour une durée d'un an et, d'autre part, l'a assignée à résidence. Elle a également demandé au tribunal d'enjoindre au préfet du Nord, d'une part, de lui délivrer un titre de séjour, ou, à défaut, de procéder à un nouvel examen de sa situation sous couvert d'une autorisation provisoire de séjour dans un délai d'un mois à compter du jugement à intervenir sous astreinte de 150 euros par jour de retard et, d'autre part, de lui restituer son passeport dans un délai de huit jours à compter du jugement à intervenir. Enfin, elle a demandé au tribunal de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à son conseil au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, contre renonciation de la part de ce conseil au bénéfice de l'indemnité versée au titre de l'aide juridictionnelle.
Par un jugement n° 2208372 du 6 décembre 2022, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 7 mars 2023, Mme D..., représentée par Me Clément, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler l'arrêté du 2 novembre 2022 par lequel le préfet du Nord l'a obligée à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an ;
3°) d'annuler l'arrêté du 2 novembre 2022 par lequel le préfet du Nord l'a assignée à résidence ;
4°) d'enjoindre au préfet du Nord de réexaminer sa situation dans un délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard, et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler dans l'attente de ce réexamen ;
5°) d'enjoindre au préfet du Nord de lui restituer son passeport dans un délai de huit jours à compter de l'arrêt à intervenir ;
6°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à son conseil au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, contre renonciation de celui-ci au bénéfice de l'indemnité versée au titre de l'aide juridictionnelle.
Elle soutient que :
- son appel est recevable ;
- la décision l'obligeant à quitter le territoire français est entachée d'une erreur de droit quant à l'application des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;
- la décision refusant l'octroi d'un délai de départ volontaire doit être annulée par voie de conséquence de l'illégalité de la décision l'obligeant à quitter le territoire ;
- elle méconnaît les dispositions des articles L.612-2 et L.612-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle est entachée d'une erreur d'appréciation ;
- elle est entachée d'un défaut d'examen sérieux de sa situation personnelle ;
- la décision fixant le pays de destination est dépourvue de base légale compte tenu de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;
- la décision portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an et inscription au fichier SIS doit être annulée par voie de conséquence de l'illégalité de la décision l'obligeant à quitter le territoire ;
- elle est entachée d'une erreur de droit quant à l'application des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- la décision portant assignation à résidence doit être annulée par voie de conséquence de l'illégalité de la décision l'obligeant à quitter le territoire.
La requête a été communiquée au préfet du Nord qui n'a pas produit d'observations.
Par une ordonnance du 5 septembre 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 18 septembre 2023 à 12 heures.
Mme D... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 2 février 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Frédéric Malfoy, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B... D..., ressortissante algérienne née en 1982, est entrée en France le 3 décembre 2019 sous couvert d'un visa de type C valable du 30 novembre 2019 au 27 février 2020. A la suite d'une interpellation par les services de police, Mme D... a été placée, le 1er novembre 2022, en retenue administrative pour vérification de son droit au séjour et à la circulation en France. Par un arrêté du 2 novembre 2022, le préfet du Nord l'a obligée à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination de cette mesure d'éloignement et lui a interdit de retourner sur le territoire français pour une durée d'un an. Par un arrêté du même jour, le préfet du Nord l'a assignée à résidence. Mme D... relève appel du jugement du 6 décembre 2022 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces deux arrêtés.
Sur le bien-fondé du jugement :
Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :
2. En premier lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...). / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".
3. Il ressort des mentions de la décision attaquée que pour obliger Mme D... à quitter le territoire français, le préfet du Nord s'est fondé sur la circonstance, non contestée par l'intéressée, qu'étant entrée en France en décembre 2019 sous couvert d'un visa valable pour une durée de trente jours, elle s'est ensuite irrégulièrement maintenue.
4. Pour s'opposer à cette mesure, Mme D... se prévaut de son arrivée en France depuis la fin de l'année 2019 et de la présence, à ses côtés, de son époux, M. A... C..., également de nationalité algérienne, avec lequel elle occupe un appartement en location sur la commune de Roubaix. Selon Mme D..., son maintien sur le territoire français est justifié par l'état de santé de son époux atteint de troubles psychiatriques pour lesquels il est régulièrement suivi depuis le 26 février 2020 au centre médico-psychologique de Roubaix faute de pouvoir bénéficier d'un traitement effectif en Algérie. Pour ce motif médical, son époux a sollicité la délivrance d'un titre de séjour qui lui a été refusé par le préfet du Nord le 15 octobre 2021 et qu'il a contesté sans succès devant le tribunal administratif de Lille. S'il est constant que l'appel formé par le mari de Mme D... était pendant devant la cour à la date à laquelle le préfet du Nord a fait obligation à cette dernière de quitter le territoire français, elle ne saurait utilement invoquer cette circonstance pour justifier la présence du couple sur le sol français dès lors que cet appel n'était pas suspensif. En outre, il ressort de l'arrêt rendu le 17 mai 2023 par la cour de céans (n° 22DA02159), qu'elle a confirmé que c'est à bon droit que le préfet du Nord a refusé de délivrer à M. A... C... un titre de séjour pour raison de santé. Au-delà de la nécessité de demeurer auprès de son époux malade, Mme D... invoque les nombreux liens qu'elle possède en France, avec des membres de sa famille et de sa belle-famille. Mais il ressort de ses propres déclarations durant sa retenue administrative, que la plupart des membres de sa famille se trouvent en Algérie. Par ailleurs, si elle allègue d'une insertion par l'apprentissage régulier de la langue française, son audition par les services de police révèle qu'elle a bénéficié de l'assistance d'un interprète en langue arabe. Enfin, la circonstance que le père de son époux a combattu pour la France en Algérie, ne saurait être retenue comme un élément pertinent pour témoigner des liens qu'elle déclare entretenir personnellement avec la société française. Par suite, compte tenu des conditions du séjour en France de Mme D..., le préfet du Nord n'a pas porté au droit au respect de la vie privée et familiale de l'intéressée, une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels la décision a été prise et n'a par suite, pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ni celles de l'article 6-5 de l'accord franco-algérien. Pour les mêmes motifs, il n'a pas commis d'erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de cette mesure sur la situation personnelle de Mme D....
5. En second lieu, il ne ressort pas des termes de la décision en litige que le préfet du Nord n'aurait pas procédé à un examen sérieux et particulier de la situation de l'intéressée. Dès lors, ce moyen doit être écarté.
6. Il résulte de ce qui précède, que Mme D... n'est pas fondée à soutenir que la décision l'obligeant à quitter le territoire français serait illégale.
Sur la décision refusant d'accorder un délai de départ volontaire :
7. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit précédemment que le moyen tiré, par la voie de l'exception, de l'illégalité de la décision faisant obligation à Mme D... de quitter le territoire français doit être écarté.
8. En second lieu, aux termes de l'article L. 612-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Par dérogation à l'article L. 612-1, l'autorité administrative peut refuser d'accorder un délai de départ volontaire dans les cas suivants : / (...) / 3° Il existe un risque que l'étranger se soustraie à la décision portant obligation de quitter le territoire français dont il fait l'objet ". Aux termes de l'article L. 612-3 du même code : " Le risque mentionné au 3° de l'article L. 612-2 peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : / (...) 2° L'étranger s'est maintenu sur le territoire français au-delà de la durée de validité de son visa (...) sans avoir sollicité la délivrance d'un titre de séjour ; (...) ".
9. Comme l'a relevé le préfet du Nord dans sa décision contestée du 2 novembre 2022, Mme D... s'est maintenue sur le territoire français à l'expiration de son visa et n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour. Elle entre donc dans le champ d'application du 2° de l'article L. 612-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et, comme telle, doit être regardée comme présentant un risque de fuite. En outre, compte tenu de ce qui a été dit au point 4, l'appel non suspensif formé par son mari à l'encontre de l'arrêté du préfet du Nord lui refusant un titre de séjour pour raison de santé ne saurait constituer une circonstance particulière justifiant qu'un délai de départ lui soit accordé. Par suite, c'est sans commettre d'erreur manifeste d'appréciation que le préfet du Nord, qui a procédé à un examen sérieux de la situation de l'appelante, lui a fait obligation de quitter le territoire sans assortir cette mesure d'un délai de départ volontaire.
Sur la décision fixant le pays de destination :
10. Il résulte de ce qui a été dit au point 6, que Mme D..., à l'appui de ses conclusions tendant à l'annulation de la décision fixant le pays de renvoi, n'est pas fondée à invoquer, par la voie de l'exception, l'illégalité de la décision l'obligeant à quitter le territoire français.
Sur la décision prononçant une interdiction de retour d'un an :
11. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit précédemment au point 6, que la mesure d'éloignement prise à l'encontre de Mme D... n'est pas entachée d'illégalité. Par suite, le moyen tiré de l'illégalité, invoquée par voie d'exception, de cette décision, doit être écarté.
12. En second lieu, aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. (...) ". En outre, aux termes de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français ".
13. Mme D... soutient que ses attaches personnelles et l'état de santé de son époux, s'opposent à ce que la cellule familiale soit séparée durant un an. Toutefois, compte tenu de ce qui a été dit au point 4, l'interdiction de retour d'une année, prononcée par le préfet du Nord, ne méconnaît pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et n'est entachée d'aucune erreur manifeste d'appréciation.
Sur la décision d'assignation à résidence :
14. Il résulte des points 2 à 9 que Mme D..., à l'appui de ses conclusions tendant à l'annulation de la décision l'assignant à résidence, n'est pas fondée à invoquer, par la voie de l'exception, l'illégalité de la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français sans délai.
15. Il résulte de tout ce qui précède que Mme D... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué du 6 décembre 2022, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a rejeté ses demandes. Par voie de conséquence, il y a lieu de rejeter ses conclusions à fins d'injonction ainsi que celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme D... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... D..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Me Norbert Clément.
Copie en sera adressée au préfet du Nord.
Délibéré après l'audience publique du 7 novembre 2023 à laquelle siégeaient :
- Mme Marie-Pierre Viard, présidente de chambre,
- M. Jean-Marc Guérin-Lebacq, président-assesseur,
- M. Frédéric Malfoy, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 novembre 2023.
Le rapporteur,
Signé : F. Malfoy
La présidente de chambre,
Signé : M-P. Viard
La greffière,
Signé : N. Roméro
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme
La greffière,
N. Roméro
N° 23DA00421 2