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22/09/2023 | FRANCE | N°22MA00901

France | France, Cour administrative d'appel, 7ème chambre, 22 septembre 2023, 22MA00901


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La SAS Cheloniens Diffusion a demandé au tribunal administratif de Bastia d'annuler l'arrêté du 16 janvier 2020 par lequel la préfète de la Corse-du-Sud l'a mise en demeure de régulariser sa situation administrative concernant la commercialisation de tortues terrestres menacées d'extinction et son activité de parc animalier de présentation au public.



Par un jugement n° 2000302 du 25 janvier 2022, le tribunal administratif de Bastia a rejeté cette demand

e.



Procédure devant la Cour :



Par une requête et un mémoire, enregistrés les ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SAS Cheloniens Diffusion a demandé au tribunal administratif de Bastia d'annuler l'arrêté du 16 janvier 2020 par lequel la préfète de la Corse-du-Sud l'a mise en demeure de régulariser sa situation administrative concernant la commercialisation de tortues terrestres menacées d'extinction et son activité de parc animalier de présentation au public.

Par un jugement n° 2000302 du 25 janvier 2022, le tribunal administratif de Bastia a rejeté cette demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 23 mars 2022 et 17 avril 2023, sous le n° 22MA00901, la SAS Cheloniens Diffusion, représentée par Me Paolini, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bastia du 25 janvier 2022 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 16 janvier 2020 ;

3°) d'enjoindre à la préfète de Corse-du-Sud de lui délivrer le " CITES catégorie C " ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le tribunal a estimé à tort que la préfète de la Corse-du-Sud était dans une situation de compétence liée et que les moyens de légalité externe et interne étaient inopérants à l'égard de l'arrêté contesté ;

- les premiers juges ont refusé d'exercer le moindre contrôle sur la réalité des manquements allégués la privant ainsi du droit à un recours effectif ;

- elle revendique le bénéfice de ses moyens soulevés en première instance notamment en ce qui concerne la légalité externe ;

- l'exigence du retrait du cheptel des reproducteurs des animaux non cessibles, donc des animaux dotés d'un " CIC F ", est contraire au règlement du 4 mai 2006, tout comme la position de principe consistant à soutenir que les produits de la reproduction de ce cheptel auront de manière systématique et définitive un " CIC F " ;

- l'exigence tirée de ce qu'elle doit procéder à la séparation de ses activités de commerce et de présentation au public des tortues d'élevage est dépourvue de fondement légal ;

- elle est contraire au principe de la liberté d'entreprendre ;

- l'exigence tirée de la séparation des registres d'entrée et de sortie des spécimens est dépourvue de fondement légal ;

- elle est inutile dès lors que les services de l'Etat ont été destinataires de l'ensemble de la liste antérieure à 2013 ;

- la demande de tenir à jour un document permettant de suivre les naissances année par année de façon plus précise avec une meilleur traçabilité ne correspond à aucune exigence règlementaire et est irréaliste ;

- l'arrêté contesté a été mis jour par les mentions de M. A..., du nom des capacitaires et de leurs certificats de capacité ;

- la mise en demeure est sans objet sur le point relatif aux mentions obligatoires requises dans le registre des effectifs ;

- la vérification et le marquage des spécimens ont été réalisés ;

- l'enregistrement des animaux dans le fichier national d'identification des animaux d'espèces non domestiques (IFAP) a été effectué ;

- les demandes des certificats intra-communautaires après marquage et identification ont été réalisées ;

- le règlement intérieur existait lors des contrôles ;

- les mesures de mise en place d'un espace de sécurité entre les animaux et le public ont été réalisées pour les espèces présentant un risque pour la sécurité publique ;

- les travaux concernant la réalisation d'une enceinte extérieure ont été effectués.

Par un mémoire en défense, enregistré le 20 mars 2023, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête de la SAS Cheloniens Diffusion.

Il fait valoir que les moyens soulevés par la SAS Cheloniens Diffusion ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction signée à Washington le 3 mars 1973 ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le règlement (CE) n° 338/97 du Conseil du 9 décembre 1996 relatif à la protection des espèces de faune et de flore sauvages par le contrôle de leur commerce ;

- le règlement (CE) n° 865/2006 du 4 mai 2006 portant modalités d'application du règlement (CE) n° 338/97 ;

- le code de l'environnement ;

- l'arrêté du 25 mars 2004 fixant les règles générales de fonctionnement et les caractéristiques générales des installations des établissements zoologiques à caractère fixe et permanent, présentant au public des spécimens vivants de la faune locale ou étrangère ;

- l'arrêté du 8 octobre 2018 fixant les règles générales de détention d'animaux d'espèces non domestiques ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Marchessaux,

- et les conclusions de M. Guillaumont, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté du 2 novembre 2000, le préfet de la Corse-du-Sud a autorisé l'ouverture du parc animalier " A Cupulatta ". La SAS Cheloniens Diffusion a déposé, les 28 avril 2008 et 9 août 2017, des demandes de délivrance de certificat intra-communautaire (CIC) de " code source C " (commerce) en vue de la commercialisation de tortues terrestres figurant à l'annexe A du règlement CE n° 338/97 du conseil du 9 décembre 1996 relatif à la protection des espèces de faune et de flore sauvages par le contrôle de leur commerce. Par courrier du 6 décembre 2018, le directeur régional de l'environnement, de l'aménagement et du logement de la Corse-du-Sud a rejeté ces demandes. A la suite de rapports en manquement administratif de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) de la Corse-du-Sud du 26 mars 2019 et de l'Office national de la chasse et de la faune sauvage du 3 septembre 2019, la préfète de la Corse-du-Sud, par un arrêté du 16 janvier 2020, l'a mise en demeure de régulariser sa situation administrative concernant la commercialisation de tortues terrestres menacées d'extinction et son activité de parc animalier de présentation au public. La SAS Cheloniens Diffusion relève appel du jugement du 25 janvier 2022 du tribunal administratif de Bastia qui a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 16 janvier 2020.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Le moyen tiré de ce que le tribunal a écarté à tort les moyens de la SAS Cheloniens Diffusion comme inopérants en raison de la compétence liée de la préfète de la Corse-du-Sud justifie uniquement la censure de ce motif de son jugement et l'examen par la Cour, statuant comme juge d'appel dans le cadre de l'effet dévolutif, des autres moyens soulevés en première instance, mais non l'annulation du jugement pour irrégularité.

3. Les premiers juges n'ont pas privé la société requérante du droit à un recours effectif garanti par les stipulations de l'article 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en retenant la compétence liée de la préfète de la Corse-du-Sud à prendre l'arrêté contesté.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne le régime juridique applicable :

4. D'une part, aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'environnement : " Sont soumis aux dispositions du présent titre les usines, ateliers, dépôts, chantiers et, d'une manière générale, les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, (...) ". Aux termes de l'article L. 511-2 de ce code : " Les installations visées à l'article L. 511-1 sont définies dans la nomenclature des installations classées établie par décret en Conseil d'Etat (...). Ce décret soumet les installations à autorisation, à enregistrement ou à déclaration suivant la gravité des dangers ou des inconvénients que peut présenter leur exploitation. ". La nomenclature annexée à l'article R. 511-9 du code précité, prévoit que les installations fixes et permanentes de présentation au public des animaux d'espèces non domestiques relèvent de la rubrique 2140 et du régime de l'autorisation. L'article L. 171-7 du même code dispose que : " I.- Indépendamment des poursuites pénales qui peuvent être exercées, lorsque des installations ou ouvrages sont exploités, (...) sans avoir fait l'objet de l'autorisation, de l'enregistrement, de l'agrément, de l'homologation, de la certification ou de la déclaration requis en application du présent code, ou sans avoir tenu compte d'une opposition à déclaration, l'autorité administrative compétente met l'intéressé en demeure de régulariser sa situation dans un délai qu'elle détermine, et qui ne peut excéder une durée d'un an. / (...) ". Aux termes de l'article L. 514-6 du même code : " I. - Les décisions prises en application des articles L. 512-7-3 à L. 512-7-5, L. 512-8, L. 512-12, L. 512-13, L. 512-20, L. 513-1, L. 514-4, du I de l'article L. 515-13 et de l'article L. 516-1 sont soumises à un contentieux de pleine juridiction. ".

5. D'autre part, aux termes de l'article L. 413-3 du code de l'environnement : " Sans préjudice des dispositions en vigueur relatives aux installations classées pour la protection de l'environnement, l'ouverture des établissements d'élevage d'animaux d'espèces non domestiques, de vente, de location, de transit, ainsi que l'ouverture des établissements destinés à la présentation au public de spécimens vivants de la faune locale ou étrangère, doivent faire l'objet d'une autorisation délivrée dans les conditions et selon les modalités fixées par un décret en Conseil d'Etat. (...) ". L'article L. 413-5 du code précité dispose que : " Indépendamment des poursuites pénales qui peuvent être exercées en application du présent titre, des mesures administratives pouvant aller jusqu'à la fermeture de l'établissement peuvent être prescrites par l'autorité administrative. Un décret en Conseil d'Etat précise les modalités d'application du présent article. ". Selon l'article R. 413-8 du même code : " L'ouverture des établissements d'élevage, de vente, de location ou de transit d'animaux d'espèces non domestiques, ainsi que des établissements fixes ou mobiles destinés à la présentation au public de spécimens vivants de la faune locale ou étrangère, fait l'objet d'une autorisation préalable dans les conditions définies par la présente sous-section ". Aux termes de l'article R. 413-45 de ce code : " Lorsqu'un établissement soumis aux dispositions du présent chapitre est exploité sans avoir fait l'objet de l'autorisation ou de la déclaration prévues aux articles R. 413-8, R. 413-28 et R. 413-40, le préfet met l'exploitant en demeure, pour régulariser sa situation, de déposer, dans un délai déterminé, suivant le cas, une demande d'autorisation ou une déclaration. ". L'article R. 413-48 du même code dispose : " Indépendamment des poursuites pénales qui peuvent être exercées et lorsqu'un agent mentionné à l'article L. 415-1 a constaté l'inobservation des conditions imposées à l'exploitant d'un établissement soumis aux dispositions du présent chapitre ou des règles de détention des animaux, le préfet met ce dernier en demeure de satisfaire à ces conditions ou de se conformer à ces règles dans un délai déterminé. ".

6. Il résulte de l'ensemble de ces dispositions que les décisions relatives à la réalisation et l'exploitation des installations fixes et permanentes de présentation au public des animaux d'espèces non domestiques trouvent leur fondement juridique à la fois dans la législation relative aux installations classées pour la protection de l'environnement et dans la législation relative à la protection de la nature. Elles relèvent ainsi d'un contentieux de pleine juridiction, dans les conditions fixées par l'article L. 514-6 du même code.

7. En outre, il résulte des dispositions des articles R. 413-45 et R. 413-48 du code de l'environnement que lorsque les agents mentionnés à l'article L. 415-1 du même code ont constaté, selon la procédure requise par ce code, l'inobservation de conditions légalement imposées à l'exploitant d'une installation fixe et permanente de présentation au public des animaux d'espèces non domestiques, le préfet, sans procéder à une nouvelle appréciation de la violation constatée, est tenu d'édicter une mise en demeure de satisfaire à ces conditions dans un délai déterminé.

8. Selon l'article 8 du règlement (CE) n° 338/97 du Conseil du 9 décembre 1996 : " 1. Il est interdit d'acheter, de proposer d'acheter, d'acquérir à des fins commerciales, d'exposer à des fins commerciales, d'utiliser dans un but lucratif et de vendre, de détenir pour la vente, de mettre en vente ou de transporter pour la vente des spécimens d'espèces inscrites à l'annexe A. / 2. Les États membres peuvent interdire la détention de spécimens, notamment, d'animaux vivants appartenant à des espèces de l'annexe A. / 3. Conformément aux exigences des autres actes législatifs communautaires relatifs à la conservation de la faune et de la flore sauvages, il peut être dérogé aux interdictions prévues au paragraphe 1 à condition d'obtenir de l'organe de gestion de l'État membre dans lequel les spécimens se trouvent un certificat à cet effet, délivré cas par cas, lorsque les spécimens : / a) ont été acquis ou introduits dans la Communauté avant l'entrée en vigueur, pour les spécimens concernés, des dispositions relatives aux espèces inscrites à l'annexe I de la convention, à l'annexe C 1 du règlement (CEE) n° 3626/82 ou à l'annexe A du présent règlement / ou / b) sont des spécimens travaillés ayant été acquis plus de cinquante ans auparavant / ou / c) ont été introduits dans la Communauté conformément aux dispositions du présent règlement et sont destinés à être utilisés à des fins ne nuisant pas à la survie de l'espèce concernée / ou / d) sont des spécimens nés et élevés en captivité d'une espèce animale ou des spécimens reproduits artificiellement d'une espèce végétale, ou une partie ou un produit obtenu à partir de tels spécimens / ou / (...) / ou / f) sont destinés à l'élevage ou à la reproduction et contribueront de ce fait à la conservation des espèces concernées (...) / ou / h) sont originaires d'un État membre et ont été prélevés dans leur milieu naturel conformément à la législation en vigueur dans ledit État membre. (...) ". Aux termes de l'article 48 du règlement (CE) n° 865/2006 du 4 mai 2006 relatif aux certificats prévus à l'article 8, paragraphe 3, du règlement (CE) n° 338/97 précité : " 1. Un certificat aux fins de l'article 8, paragraphe 3, du règlement (CE) n° 338/97 atteste que les spécimens d'espèces inscrites à l'annexe A dudit règlement sont exemptés d'une ou plusieurs des interdictions prévues à l'article 8, paragraphe 1, dudit règlement pour l'une des raisons suivantes : / a) ils ont été acquis ou introduits dans la Communauté avant que les dispositions relatives aux espèces inscrites à l'annexe A du règlement (CE) n° 338/97 ou à l'annexe I de la convention, ou à l'annexe C1 du règlement (CEE) n° 3626/82 ne leur deviennent applicables ; / b) ils proviennent d'un État membre et ont été prélevés dans la nature conformément à la législation de cet État membre; / c) ils sont des animaux nés et élevés en captivité, ou des parties ou produits de ces animaux; / d) leur utilisation à l'une des fins visées à l'article 8, paragraphe 3, point c) et points e) à g), du règlement (CE) n° 338/97 est autorisée. / (...) ". L'article 54 du règlement (CE) n° 865/2006 du 4 mai 2006 dispose que : " Sans préjudice de l'article 55, un spécimen d'une espèce animale n'est considéré comme né et élevé en captivité que si un organe de gestion compétent, après avoir consulté une autorité scientifique compétente de l'État membre concerné, a la certitude que les critères suivants sont respectés : / 1) le spécimen est un descendant ou le produit d'un descendant, né ou produit autrement en milieu contrôlé, de l'une des catégories suivantes de parents: / a) des parents qui se sont accouplés ou dont les gamètes ont été transmis autrement en milieu contrôlé (reproduction sexuée) ; / b) des parents vivant en milieu contrôlé au début du développement de la descendance (reproduction asexuée); / 2) le cheptel reproducteur a été constitué conformément aux dispositions légales qui lui étaient applicables à la date d'acquisition et d'une manière ne portant pas préjudice à la survie de l'espèce concernée dans la nature ; / 3) le cheptel reproducteur est maintenu sans introduction de spécimens sauvages, à l'exception d'apports occasionnels d'animaux, d'œufs ou de gamètes, conformément aux dispositions légales pertinentes et de manière non préjudiciable à la survie de l'espèce concernée dans la nature, exclusivement dans l'un des buts suivants : / a) éviter ou limiter les effets négatifs de la consanguinité, la fréquence de ces apports étant déterminée par le besoin de matériel génétique nouveau ; / b) utiliser des animaux confisqués conformément à l'article 16, paragraphe 3, du règlement (CE) n° 338/97; / c) exceptionnellement, utiliser ces spécimens comme cheptel reproducteur ; / 4) le cheptel reproducteur a produit une descendance de deuxième génération ou de génération ultérieure (F2, F3, etc.) en milieu contrôlé ou est géré d'une manière qui s'est révélée capable de produire, de façon sûre, une descendance de deuxième génération en milieu contrôlé ". L'annexe IX de ce règlement indique que le code F correspond aux animaux nés en captivité, mais pour lesquels les critères du chapitre XIII du règlement (CE) n° 865/2006 ne sont pas satisfaits.

En ce qui concerne le retrait du cheptel des reproducteurs des animaux non cessibles :

9. Par l'arrêté contesté, la préfète de la Corse-du-Sud a mis en demeure la SAS Cheloniens Diffusion de retirer du cheptel des reproducteurs toutes les tortues qui détiennent un certificat intra-communautaire (CIC) qui n'autorise que la présentation au public sans achat ni vente, ce qui implique pour les tortues juvéniles qui n'ont pas encore obtenu de CIC avant cette séparation, de se voir attribuer des " codes source F " n'autorisant que la présentation au public sans achat ni vente. Elle s'est fondée sur les manquements relevés par la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) dans son rapport du 26 mars 2019 selon lesquels le stock de géniteurs destinés à la commercialisation des Testudo Marginata, Testudo Hermanni et Astrochelys radiata comprend des spécimens dont les conditions ne sont pas remplies pour déroger à l'interdiction de commerce rendant le cheptel inéligible à la commercialisation des spécimens issus de leur reproduction, ce qui constitue un manquement aux dispositions du règlement (CE) n° 865/2006 du 4 mai 2006, notamment les articles 48 et 54.

10. La SAS Cheloniens Diffusion soutient qu'aucune disposition ne fonde une telle exigence et que cette injonction revient à considérer que les spécimens régulièrement détenus au titre d'un " CIC F ", donc destinés à la présentation au public mais incessibles ne peuvent participer à l'activité de reproduction de l'élevage. B..., en vertu de l'article 8 du règlement (CE) n° 338/97 du Conseil du 9 décembre 1996 mentionné au point 8, il peut être dérogé aux interdictions d'acheter, de proposer d'acheter, d'acquérir à des fins commerciales, d'exposer à des fins commerciales, d'utiliser dans un but lucratif et de vendre, de détenir pour la vente, de mettre en vente ou de transporter pour la vente des spécimens d'espèces inscrites à l'annexe A à condition d'obtenir de l'organe de gestion de l'État membre dans lequel les spécimens se trouvent un certificat à cet effet, délivré cas par cas, lorsque ces spécimens sont nés et élevés en captivité d'une espèce animale. Au sens de l'article 54 du règlement (CE) n° 865/2006 du 4 mai 2006, les animaux bénéficiant d'un " CIC commerce " ou " code source C ", sont ceux considérés comme nés et élevés en captivité et lorsque quatre conditions sont remplies. Par ailleurs, lorsqu'une ou plusieurs de ces quatre conditions ne sont pas remplies, un " code source F " est attribué aux animaux nés sur place mais qui ne sont pas éligibles à la vente. Ainsi, ces animaux ne peuvent pas participer à l'activité de reproduction de l'élevage des spécimens destinés au commerce qui doivent eux-mêmes remplir ces quatre conditions. Par suite, la préfète de la Corse-du-Sud a pu légalement demander à la SAS Cheloniens Diffusion qui ne conteste pas le manquement relevé au point 9, de retirer du cheptel des reproducteurs toutes les tortues qui détiennent un certificat intra-communautaire (CIC) n'autorisant que la présentation au public sans achat ni vente.

En ce qui concerne la séparation des deux activités de présentation et de commerce de tortues au public, ainsi que des registres d'entrée et de sortie dédiés à l'élevage commercial :

11. L'article 14 de de l'arrêté du 8 octobre 2018 prévoit que : " La détention en captivité d'animaux d'espèces non domestiques est soumise à autorisation en application de l'article L. 413-3 du code de l'environnement lorsque l'une au moins des conditions suivantes est satisfaite, et les installations d'hébergement constituent alors un établissement d'élevage au sens de cet article : / (i) l'élevage porte sur des animaux d'espèces ou groupes d'espèces inscrits à la colonne (c) de l'annexe 2 et les effectifs détenus sont égaux ou supérieurs à la valeur mentionnée dans cette même colonne ; / (ii) le nombre d'animaux adultes hébergés excède 40 pour les mammifères, 100 pour les oiseaux, 40 pour les reptiles ou 40 pour les amphibiens ; / (iii) le nombre total d'animaux adultes hébergés excède 40 lorsqu'ils appartiennent à plusieurs des classes zoologiques mentionnées au (ii) ;/ (iv) l'élevage est pratiqué dans un but lucratif, notamment : / la reproduction d'animaux a pour objectif la production habituelle de spécimens destinés à la vente ; / ou le nombre de spécimens cédés à titre gratuit ou onéreux au cours d'une année excède le nombre de spécimens produits. / Les personnes responsables de l'entretien des animaux au sein de ces établissements doivent être titulaires du certificat de capacité prévu à l'article L. 413-2 du code de l'environnement. / Il est interdit d'exposer en vue de la cession gratuite et onéreuse des animaux appartenant à une espèce ou à un groupe d'espèces qui relève, dès le premier spécimen détenu, de la colonne (c) de l'annexe 2. ". Aux termes de l'article 63 de l'arrêté du 25 mars 2004 : " Il est interdit de vendre ou de proposer à la vente aux visiteurs des animaux hébergés dans les établissements visés par le présent arrêté. "

12. Par la mise en demeure contestée, la préfète de la Corse-du-Sud a demandé à la SAS Cheloniens Diffusion de procéder à la séparation, sur le plan juridique, de ses deux activités de commerce de tortues d'élevage et de présentation au public de ces tortues, ainsi que des registres d'entrée et de sortie dédiés à l'élevage commercial. Cette exigence n'est pas dépourvue de fondement légal ni contraire à la règlementation nationale dès lors qu'elle résulte des dispositions des articles 48 et 54 du règlement (CE) n° 865/2006 du 4 mai 2006 lesquels sont d'application directe et exigent que les animaux " nés et élevés en captivité " de code source C soient traités différemment en vue de déterminer que les quatre critères prévus par l'article 54 du règlement (CE) n° 865/2006 du 4 mai 2006 sont remplis, de permettre l'attribution du code source C et partant la délivrance du " CIC commerce ". Dès lors la société requérante ne peut utilement se prévaloir des articles 14 de l'arrêté du 18 octobre 2018 et 63 de l'arrêté du 25 mars 2004, d'autant qu'en vertu de l'article 2 de l'arrêté du 18 octobre 2018, les dispositions du présent arrêté s'appliquent sans préjudice des autres dispositions réglementaires relatives aux animaux d'espèces non domestiques.

13. L'arrêté du 2 novembre 2000 portant autorisation d'ouverture de l'établissement " A Cupulatta " ne concerne pas la commercialisation des espèces mentionnées à l'annexe A du règlement n° 338/97 du Conseil du 9 décembre 1996 laquelle est régie par l'article 8 de ce règlement ainsi que par les articles 48 et 54 du règlement (CE) n° 865/2006 du 4 mai 2006 précités. En outre, il résulte de l'instruction que, par un arrêté du 10 janvier 2022, le préfet de la Corse-du-Sud a modifié cet arrêté du 2 novembre 2000 en raison de son caractère obsolète lequel vise désormais le règlement (CE) n° 865/2006 du 4 mai 2006. Par suite, la SAS Cheloniens Diffusion ne peut utilement soutenir que l'arrêté du 2 novembre 2000 ne prévoit pas une telle séparation et que l'exigence de séparation modifierait l'autorisation initiale délivrée par cet arrêté du 2 novembre 2000.

14. La liberté d'entreprendre s'entend comme celle d'exercer une activité économique dans le respect de la législation et de la réglementation en vigueur et conformément aux prescriptions qui lui sont légalement imposées. Dès lors, compte tenu de ce qui a été dit au point 12, le moyen tiré de ce que la séparation des activités de commerce et de présentation au public des tortues d'élevage serait contraire au principe de la liberté d'entreprendre doit être écarté.

En ce qui concerne la reprise du registre des effectifs en y indiquant les mentions obligatoires requises :

15. Si la SAS Cheloniens Diffusion soutient que le rapport du 3 septembre 2009 de l'office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) indique que " globalement le registre est tenu conformément à la réglementation en vigueur ", il relève cependant une irrégularité du registre des effectifs et demande à l'exploitant de le reprendre en y indiquant les mentions obligatoires requises, à savoir la date d'entrée et de sortie des animaux, les références des justificatifs entrée et sortie et le numéro d'identification et statut des espèces. Par suite, l'arrêté contesté n'est pas sans objet sur ce point.

En ce qui concerne la demande de tenir à jour un document permettant de suivre les naissances année par année de façon plus précise avec une meilleur traçabilité notamment avec l'indication des références des parents, en principe a minima la mère qui doit pouvoir être identifiée, et les références des enclos des parents :

16. La société requérante soutient que cette demande excède les exigences imposées à un établissement par l'arrêté du 8 octobre 2018. B..., ce moyen n'est pas assorti de précisions suffisantes permettant d'en apprécier le bien-fondé.

En ce qui concerne la réintégration dans les registres entrées/sorties dédiés à l'élevage commercial des lignes de l'ancien registre antérieur à 2013 :

17. Si le rapport du 3 septembre 2009 de l'ONCFS indique que " globalement le registre est tenu conformément à la réglementation en vigueur ", il relève cependant une irrégularité du registre des effectifs en violation de l'article 8 de l'arrêté du 8 octobre 2018 et demande à l'exploitant de reprendre le registre des effectifs en y indiquant les mentions obligatoires requises, date d'entrée et de sortie des animaux, références des justificatifs entrée et sortie, numéro d'identification et statut des espèces. Il s'ensuit que cette exigence de la mise en demeure contestée n'est pas sans objet.

En ce qui concerne le marquage des spécimens d'espèces protégées ou classées en annexes A, B, C et D du règlement CITES et les demandes de certificats intracommunautaires :

18. Si la SAS Cheloniens Diffusion soutient qu'elle a remédié à cette situation, il résulte de l'instruction, en particulier du compte-rendu de visite de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) de Corse du 23 avril 2022 produit par le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires qu'elle n'a pas procédé au marquage de ces espèces ni n'a effectué les demandes de certificats intracommunautaires.

En ce qui concerne les autres vices :

19. Dès lors que la préfète de la Corse-du-Sud était en situation de compétence liée ainsi qu'il a été dit au point 7, les autres vices allégués, tirés de l'absence de motivation de l'arrêté contesté et de ce que la demande de tenir à jour un document permettant de suivre les naissances année par année avec une meilleur traçabilité serait irréaliste doivent être écartés comme étant inopérants.

En ce qui concerne les régularisations effectuées postérieurement à l'arrêté en litige :

20. Le rapport du 3 septembre 2009 de l'ONCFS a relevé l'absence de règlement intérieur, d'espace de sécurité entre le public et les animaux, de mise à jour dans les mentions de M. A... comme président de l'établissement et titulaire du certificat de capacité, d'enregistrement des animaux dans le fichier national d'identification des animaux d'espèces non domestiques (IFAP) et d'enceinte extérieure d'une hauteur de 1,80 m. B..., il résulte de l'instruction que le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires admet en défense que la société requérante a régularisé sa situation sur ces manquements en s'appuyant sur le compte-rendu de visite de la DREAL de Corse du 23 avril 2022, les conclusions d'un rapport d'inspection du 30 mai 2022 et les mentions de l'arrêté modificatif du 10 janvier 2022. Dans ces conditions, il y a lieu d'abroger, l'arrêté contesté en tant qu'il met en demeure la SAS Cheloniens Diffusion de régulariser ces manquements.

21. Il résulte de tout ce qui précède que la SAS Cheloniens Diffusion est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bastia a refusé d'abroger l'arrêté 16 janvier 2020 en tant qu'il la met en demeure de régulariser les manquements mentionnés au point 20.

Sur les conclusions aux fins d'injonction :

22. Le présent arrêt qui rejette les conclusions à fin d'annulation présentées par la SAS Cheloniens Diffusion n'implique aucune mesure d'exécution. Il y a lieu, par suite, de rejeter les conclusions à fin d'injonction de la SAS Cheloniens Diffusion.

Sur les frais liés au litige :

23. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de la SAS Cheloniens Diffusion présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : L'arrêté du 16 janvier 2020 de la préfète de la Corse-du-Sud est abrogé en tant qu'il met en demeure la SAS Cheloniens Diffusion de régulariser les manquements portant sur l'absence de règlement intérieur, d'espace de sécurité entre le public et les animaux, de mise à jour des mentions de M. A... comme président de l'établissement et titulaire du certificat de capacité, d'enregistrement des animaux dans le fichier national d'identification des animaux d'espèces non domestiques et d'enceinte extérieure.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Bastia du 25 janvier 2022 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de la SAS Cheloniens Diffusion est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS Cheloniens Diffusion et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Copie en sera adressée au préfet de la Corse-du-Sud.

Délibéré après l'audience du 8 septembre 2023, où siégeaient :

- Mme Chenal-Peter, présidente de chambre,

- Mme Marchessaux, première conseillère,

- Mme Poullain, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 22 septembre 2023.

2

N° 22MA00901

bb


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de MARSEILLE
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 22MA00901
Date de la décision : 22/09/2023
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

54-02-02-01 Les décisions relatives à la réalisation et l'exploitation des installations fixes et permanentes de présentation au public des animaux d'espèces non domestiques trouvent leur fondement juridique à la fois dans la législation relative aux installations classées pour la protection de l'environnement et dans la législation relative à la protection de la nature et relèvent ainsi d'un contentieux de pleine juridiction, dans les conditions fixées par l'article L. 514-6 du même code. (1).


Composition du Tribunal
Président : Mme CHENAL-PETER
Rapporteur ?: Mme Jacqueline MARCHESSAUX
Rapporteur public ?: M. GUILLAUMONT
Avocat(s) : PAOLINI

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-09-22;22ma00901 ?
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