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06/05/2025 | FRANCE | N°491616

France | France, Conseil d'État, 4ème - 1ère chambres réunies, 06 mai 2025, 491616


Vu la procédure suivante :



Le syndicat CGT Educ'Action de Seine-Saint-Denis a demandé au tribunal administratif de Montreuil, sur le fondement de l'article L. 77-12-1 du code de justice administrative, de reconnaître le droit pour les professeurs coordonnateurs de la mission de lutte contre le décrochage scolaire de la Seine-Saint-Denis employés en contrat à durée déterminée de bénéficier de l'indemnité de fonctions instituée par le décret n° 2019-1440 du 23 décembre 2019 portant attribution d'une indemnité de fonctions à certains personnels ensei

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Vu la procédure suivante :

Le syndicat CGT Educ'Action de Seine-Saint-Denis a demandé au tribunal administratif de Montreuil, sur le fondement de l'article L. 77-12-1 du code de justice administrative, de reconnaître le droit pour les professeurs coordonnateurs de la mission de lutte contre le décrochage scolaire de la Seine-Saint-Denis employés en contrat à durée déterminée de bénéficier de l'indemnité de fonctions instituée par le décret n° 2019-1440 du 23 décembre 2019 portant attribution d'une indemnité de fonctions à certains personnels enseignants et d'éducation titulaires du certificat de professionnalisation en matière de lutte contre le décrochage scolaire. Par un jugement n° 2117366 du 17 novembre 2022, le tribunal administratif a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 23PA00220 du 8 décembre 2023, la cour administrative d'appel de Paris a, sur appel du syndicat CGT Educ'Action de Seine Saint Denis, annulé ce jugement et reconnu aux professeurs coordonnateurs de la mission de lutte contre le décrochage scolaire employés en contrat à durée déterminée exerçant effectivement des missions sur le territoire du département de la Seine-Saint-Denis le droit de bénéficier des indemnités de fonctions prévues par les articles 1er et 2 du décret du 23 décembre 2019 dans les conditions définies au point 14 de son arrêt.

Par un pourvoi et un mémoire en réplique, enregistrés les 9 février et 28 mai 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel du syndicat CGT Educ'Action de Seine-Saint-Denis.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution ;

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- la directive 1999/70/CE du Conseil du 28 juin 1999 concernant l'accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée ;

- le code de l'éducation ;

- le code général de la fonction publique ;

- la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 ;

- le décret n° 2017-791 du 5 mai 2017 ;

- le décret n° 2017-888 du 6 mai 2017 ;

- le décret n° 2019-1440 du 23 décembre 2019 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Julien Fradel, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Cyrille Beaufils, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Marlange, de la Burgade, avocat du syndicat CGT Educ'Action de Seine-Saint-Denis ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un courrier du 5 octobre 2021, le syndicat CGT Educ'Action de Seine-Saint-Denis a saisi le recteur de l'académie de Créteil d'une demande tendant à la reconnaissance du droit des professeurs coordonnateurs de la mission de lutte contre le décrochage scolaire de la Seine-Saint-Denis employés en contrat à durée déterminée de bénéficier de l'indemnité de fonctions instituée par l'article 2 du décret du 23 décembre 2019 portant attribution d'une indemnité de fonctions à certains personnels enseignants et d'éducation titulaires du certificat de professionnalisation en matière de lutte contre le décrochage scolaire. Par un jugement du 17 novembre 2022, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à la reconnaissance de ce droit dans le cadre de la procédure d'action en reconnaissance de droits régie par les articles L. 77-12-1 et suivants du code de justice administrative. Par un arrêt du 8 décembre 2023, contre lequel la ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse se pourvoit en cassation, la cour administrative d'appel a, sur appel du syndicat CGT Educ'Action de Seine-Saint-Denis, annulé ce jugement et reconnu aux professeurs coordonnateurs de la mission de lutte contre le décrochage scolaire en contrat à durée déterminée exerçant effectivement des missions sur le territoire du département de la Seine-Saint-Denis le droit de bénéficier des indemnités de fonctions prévues par les articles 1er et 2 du décret du 23 décembre 2019 dans les conditions définies au point 14 de son arrêt.

Sur le cadre juridique applicable à l'action en reconnaissance de droits :

2. La loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIème siècle a introduit, dans le titre VII du livre VII du code de justice administrative, un chapitre XII relatif à l'action en reconnaissance de droits. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 77-12-1 du code de justice administrative : " L'action en reconnaissance de droits permet à une association régulièrement déclarée ou à un syndicat professionnel régulièrement constitué de déposer une requête tendant à la reconnaissance de droits individuels résultant de l'application de la loi ou du règlement en faveur d'un groupe indéterminé de personnes ayant le même intérêt, à la condition que leur objet statutaire comporte la défense dudit intérêt. Elle peut tendre au bénéfice d'une somme d'argent légalement due ou à la décharge d'une somme d'argent illégalement réclamée. Elle ne peut tendre à la reconnaissance d'un préjudice. / Le groupe d'intérêt en faveur duquel l'action est présentée est caractérisé par l'identité de la situation juridique de ses membres. Il est nécessairement délimité par les personnes morales de droit public ou les organismes de droit privé chargés de la gestion d'un service public mis en cause. / L'action collective est présentée, instruite et jugée selon les dispositions du présent code, sous réserve du présent chapitre. " L'article L. 77-12-2 du même code précise les conditions dans lesquelles l'engagement d'une action en reconnaissance de droits interrompt les délais de prescription et de forclusion opposables, en vertu des lois et règlements en vigueur, aux personnes susceptibles de se prévaloir, dans le cadre d'une action individuelle, des droits dont la reconnaissance est demandée par l'action collective, et prévoit qu'un nouveau délai de prescription ou de forclusion court, dans les conditions prévues par les dispositions législatives et règlementaires applicables, à compter de la publication de la décision statuant sur l'action collective passée en force de chose jugée. L'article L. 77-12-3 de ce code dispose, par ailleurs, que " Le juge qui fait droit à l'action en reconnaissance de droits détermine les conditions de droit et de fait auxquelles est subordonnée la reconnaissance des droits. S'il lui apparaît que la reconnaissance de ces droits emporte des conséquences manifestement excessives pour les divers intérêts publics ou privés en présence, il peut déterminer les effets dans le temps de cette reconnaissance. / Toute personne qui remplit ces conditions de droit et de fait peut, sous réserve que sa créance ne soit pas prescrite ou son action forclose, se prévaloir, devant toute autorité administrative ou juridictionnelle, des droits reconnus par la décision ainsi passée en force de chose jugée. / L'autorité de chose jugée attachée à cette décision est soulevée d'office par le juge. " Selon le premier alinéa de l'article L. 77-12-4 du code de justice administrative, " L'appel formé contre un jugement faisant droit à une action en reconnaissance de droits a, de plein droit, un effet suspensif ". En outre, en application de l'article L. 77-12-5 du même code, toute personne qui estime être en droit de se prévaloir d'une décision juridictionnelle faisant droit à une action en reconnaissance de droits, passée en force de chose jugée, peut, en cas d'inexécution d'une telle décision à son égard, demander à en obtenir l'exécution auprès du juge administratif qui a la possibilité, le cas échéant, de fixer un délai d'exécution et de prononcer une astreinte dans les conditions prévues par le livre IX de ce code, mais aussi d'infliger une amende à la personne morale de droit public ou à l'organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public intéressé. Enfin, les articles R. 77-12-2 et suivants du code de justice administrative, créés par le décret n° 2017-888 du 6 mai 2017, précisent les conditions règlementaires dans lesquelles une action en reconnaissance de droits est formée, instruite et jugée.

3. Il résulte de ces dispositions qu'une action en reconnaissance de droits peut être engagée devant le juge administratif, par une association ou un syndicat professionnel satisfaisant aux conditions prévues par la loi, afin que soit reconnu, à un groupe indéterminé de personnes placées dans une situation juridique identique et partageant le même intérêt, le bénéfice de droits individuels résultant de l'application de la loi ou du règlement. A ce titre, la contrariété d'une disposition législative à la Constitution, pour autant qu'une question prioritaire de constitutionnalité soit soulevée, ou aux stipulations d'un traité ou accord international, entrées en vigueur dans l'ordre juridique interne et invocables devant le juge administratif, ou encore au droit de l'Union européenne, de même que l'illégalité d'une disposition règlementaire peuvent être utilement invoquées à l'appui d'une telle action, sous réserve que la disposition législative ou règlementaire en cause constitue la base légale de la décision de rejet opposée par l'autorité compétente à la réclamation préalable formée par l'association ou le syndicat professionnel demandeur à l'action. Si le juge administratif fait droit à cette action, il lui appartient, en application des dispositions de l'article L. 77-12-3 du code de justice administrative citées au point 2, dans les limites de sa compétence, de déterminer les conditions de droit et de fait auxquelles est subordonnée la reconnaissance des droits ainsi accordée. A cet égard, s'il apparaît au juge administratif que les effets de cette reconnaissance sont de nature à emporter des conséquences manifestement excessives pour les divers intérêts publics ou privés en présence, il lui revient - après avoir recueilli sur ce point les observations des parties - de déterminer les conditions et les limites dans lesquelles les droits individuels revendiqués sont susceptibles d'être remis en cause.

Sur le cadre juridique en vigueur applicable au versement des indemnités de fonctions instituées par le décret du 23 décembre 2019 :

4. Aux termes des deux premiers alinéas de l'article L. 122-2 du code de l'éducation : " Tout élève qui, à l'issue de la scolarité obligatoire, n'a pas atteint un niveau de formation sanctionné par un diplôme national ou un titre professionnel enregistré et classé au niveau 3 du répertoire national des certifications professionnelles doit pouvoir poursuivre des études afin d'acquérir ce diplôme ou ce titre. L'Etat prévoit les moyens nécessaires, dans l'exercice de ses compétences, à la prolongation de scolarité qui en découle. / Tout jeune sortant du système éducatif sans diplôme bénéficie d'une durée complémentaire de formation qualifiante qu'il peut utiliser dans des conditions fixées par décret. Cette durée complémentaire de formation qualifiante peut consister en un droit au retour en formation initiale sous statut scolaire. " Au titre des mesures règlementaires intervenues pour préciser les conditions dans lesquelles le système de formation et d'orientation garantit l'accès des jeunes concernés à cette durée complémentaire de formation qualifiante, ont notamment été publiés le décret du 5 mai 2017 relatif à la mise en place du certificat de professionnalisation en matière de lutte contre le décrochage scolaire et le décret du 23 décembre 2019 portant attribution d'une indemnité de fonctions à certains personnels enseignants et d'éducation titulaires d'un tel certificat.

5. D'une part, le décret du 5 mai 2017 institue, à son article 1er, un certificat qui a pour objet d'attester de la qualification des personnels d'enseignement et d'éducation appelés à participer aux missions mises en place dans les services académiques et départementaux et dans les établissements du second degré de l'enseignement public et privé sous contrat pour prévenir le décrochage scolaire et à accompagner les jeunes qui bénéficient du droit au retour en formation initiale prévu à l'article L. 122-2 du code de l'éducation cité au point précédent. Selon l'article 2 de ce décret : " Peuvent se présenter à l'examen conduisant à la délivrance du certificat de professionnalisation en matière de lutte contre le décrochage scolaire les personnels d'enseignement et d'éducation de l'enseignement public, titulaires et contractuels employés par contrat à durée indéterminée, ainsi que les maîtres contractuels et les maîtres délégués bénéficiant d'un contrat à durée indéterminée des établissements d'enseignement privés sous contrat. " Ses articles 3 et 4 confient au ministre chargé de l'éducation nationale le soin de fixer, par arrêté, respectivement, les contenus et les conditions générales d'organisation de la formation préparant à ce certificat, cette formation devant comporter des modules de formation théorique, d'approfondissement et de mise en situation professionnelle, et les modalités d'organisation de l'examen conduisant à la délivrance du certificat. Enfin, aux termes de l'article 5 de ce même décret : " Les enseignants titulaires recrutés par la voie des concours de recrutement de professeurs certifiés et de professeurs de lycée professionnel dans la section coordination pédagogique-ingénierie de formation sont réputés être titulaires du certificat de professionnalisation en matière de lutte contre le décrochage scolaire. / Sont également réputés être titulaires de ce certificat les personnels d'enseignement et d'éducation, titulaires ou employés par contrat à durée indéterminée qui exercent leur activité à temps complet depuis au moins trois ans à la date d'entrée en vigueur du présent décret, dans le cadre des missions mises en place pour prévenir le décrochage scolaire et accompagner les jeunes qui bénéficient du droit au retour en formation initiale prévu à l'article L. 122-2 du code de l'éducation dans les services académiques et départementaux ainsi que dans les établissements du second degré de l'enseignement public et privé sous contrat. L'exercice de cette activité fait l'objet d'une attestation établie par le recteur d'académie. "

6. D'autre part, aux termes de l'article 1er du décret du 23 décembre 2019 portant attribution d'une indemnité de fonctions à certains personnels enseignants et d'éducation titulaires du certificat de professionnalisation en matière de lutte contre le décrochage scolaire : " Une indemnité de fonctions est allouée aux personnels enseignants et aux conseillers principaux d'éducation titulaires du certificat de professionnalisation en matière de lutte contre le décrochage scolaire institué par le décret du 5 mai 2017 (...) et qui assurent au moins un demi-service sur tout poste ou emploi requérant une telle qualification ". L'article 2 de ce même décret prévoit qu'" A titre transitoire, une indemnité de fonctions est versée, pendant une période de trois ans à compter de la date d'entrée en vigueur du présent décret, aux personnels enseignants et aux personnels d'éducation, titulaires ou en contrat à durée indéterminée, qui ne détiennent pas la certification prévue à l'article 1er du présent décret et qui assurent au moins un demi-service sur tout poste ou emploi requérant une telle qualification ". En application de son article 5, ce décret est entré en vigueur rétroactivement le 1er septembre 2017.

Sur le pourvoi :

7. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond, ainsi qu'il a été rappelé au point 1, que le syndicat CGT Educ'Action de Seine Saint Denis a saisi le recteur de l'académie de Créteil, en application des dispositions des articles R. 77-12-4 et R. 421-1 du code de justice administrative, d'une réclamation préalable tendant à la seule reconnaissance du droit des professeurs coordonnateurs de la mission de lutte contre le décrochage scolaire de la Seine-Saint-Denis employés en contrat à durée déterminée de bénéficier de l'indemnité de fonctions transitoire instituée par l'article 2 du décret du 23 décembre 2019. Au demeurant, l'argumentation développée par ce syndicat, tant en première instance qu'en appel dans le cadre de son action en reconnaissance de droits, se borne à ne dénoncer que l'inégalité de traitement dans la perception de cette indemnité entre, d'une part, les personnels de cette mission titulaires ou en contrat à durée indéterminée, et, d'autre part, ceux de ses personnels en contrat à durée déterminée, qui, dans un cas comme dans l'autre, exercent des fonctions similaires dans des conditions comparables et ne sont pas détenteurs du certificat de professionnalisation en matière de lutte contre le décrochage scolaire institué par l'article 1er du décret du 5 mai 2017 relatif à cette certification. Par suite, la cour administrative d'appel de Paris, en s'estimant saisie d'une action en reconnaissance de droits incluant la question de l'application aux professeurs coordonnateurs de la mission de lutte contre le décrochage scolaire de la Seine-Saint-Denis employés en contrat à durée déterminée du droit de se présenter à l'examen menant à l'obtention de ce certificat ou d'en être réputés titulaires dans les mêmes conditions que les enseignants titulaires ou en contrat à durée indéterminée et de bénéficier, en cas d'obtention ou de reconnaissance de cette certification, de l'indemnité de fonctions pérenne instituée par l'article 1er du décret du 23 décembre 2019 s'est méprise sur son office.

8. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de son pourvoi, que la ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l'affaire au fond.

Sur le règlement au fond du litige :

10. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 3 que peut utilement être invoquée, à l'appui d'une action en reconnaissance de droits, la méconnaissance, par la règlementation encadrant le bénéfice du ou des droits individuels revendiqués dans le cadre de cette action, du principe d'égalité garanti par la Constitution, comme de dispositions contraignantes du droit de l'Union, dont le principe de non-discrimination à l'égard des travailleurs employés pour une durée déterminée énoncé par la clause 4 de l'accord-cadre sur le travail à durée déterminée du 18 mars 1999 annexé à la directive 1999/70/CE du Conseil du 28 juin 1999, aux termes de laquelle : " 1. Pour ce qui concerne les conditions d'emploi, les travailleurs à durée déterminée ne sont pas traités d'une manière moins favorable que les travailleurs à durée indéterminée comparables au seul motif qu'ils travaillent à durée déterminée, à moins qu'un traitement différent soit justifié par des raisons objectives. / (...) ". Cette clause, dans l'interprétation qu'en retient la Cour de justice de l'Union européenne, s'oppose aux inégalités de traitement dans les conditions d'emploi entre travailleurs à durée déterminée et travailleurs à durée indéterminée, sauf à ce que ces inégalités soient justifiées par des raisons objectives, qui requièrent que l'inégalité de traitement se fonde sur des éléments précis et concrets, pouvant résulter, notamment, de la nature particulière des tâches pour l'accomplissement desquelles des contrats à durée déterminée ont été conclus et des caractéristiques inhérentes à celles-ci ou, le cas échéant, de la poursuite d'un objectif légitime de politique sociale d'un Etat membre.

11. Toutefois, en l'espèce, la différence de traitement entre, d'une part, les enseignants titulaires ou en contrat à durée indéterminée et, d'autre part, les enseignants en contrat à durée déterminée, intervenant dans le cadre de la lutte contre le décrochage scolaire, pour le bénéfice de l'indemnité de fonctions transitoire instituée par l'article 2 du décret du 23 décembre 2019, répondait au choix de l'autorité administrative, commandé par l'objectif de professionnalisation de la lutte contre le décrochage scolaire, d'une part, de privilégier le recrutement au sein des missions de lutte contre le décrochage scolaire de profils d'enseignants justifiant d'une ancienneté de service et d'acquis de l'expérience professionnelle dans le domaine de la lutte contre le décrochage scolaire et dont la durée d'engagement devait leur permettre de se consacrer de façon durable à cette activité, et, d'autre part, d'inciter les personnels enseignants titulaires ou en contrat à durée indéterminée exerçant pour le compte d'une mission de lutte contre le décrochage scolaire, qui ne seraient pas encore détenteurs du certificat de professionnalisation en matière de lutte contre le décrochage scolaire, à se présenter à l'examen conduisant à sa délivrance. Un tel choix de gestion des ressources humaines au service de la politique de lutte contre le décrochage scolaire doit, dès lors, dans les circonstances de l'espèce, être regardé comme justifiant la différence de traitement en cause.

12. Il s'ensuit que les moyens, invoqués par le syndicat requérant à l'appui de son action en reconnaissance de droits tendant à l'octroi aux professeurs coordonnateurs de la mission de lutte contre le décrochage scolaire de la Seine-Saint-Denis employés en contrat à durée déterminée de l'indemnité de fonctions transitoire créée par l'article 2 du décret du 23 décembre 2019, tirés de ce que les dispositions de cet article contreviennent au principe d'égalité et au principe de non-discrimination à l'égard des travailleurs employés pour une durée déterminée consacré par le droit de l'Union européenne, doivent être écartés.

13. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse, que le syndicat CGT Educ'Action de Seine-Saint-Denis n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté l'action en reconnaissance de droits qu'il a présentée, sur le fondement des dispositions de l'article L. 77-12-1 du code de justice administrative, tendant à la reconnaissance, au bénéfice des professeurs coordonnateurs de la mission de lutte contre le décrochage scolaire de la Seine-Saint-Denis employés en contrat à durée déterminée, du droit de bénéficier de l'indemnité de fonctions transitoire instituée par l'article 2 du décret du 23 décembre 2019.

Sur les conclusions présentées par le syndicat CGT Educ'Action de Seine-Saint-Denis au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

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Article 1er : L'arrêt du 8 décembre 2023 de la cour administrative d'appel de Paris est annulé.

Article 2 : La requête d'appel du syndicat CGT Educ'Action de Seine-Saint-Denis est rejetée.

Article 3 : Les conclusions présentées par le syndicat CGT Educ'Action de Seine-Saint-Denis au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la ministre d'Etat, de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche et au syndicat CGT Educ'Action de Seine-Saint-Denis.


Synthèse
Formation : 4ème - 1ère chambres réunies
Numéro d'arrêt : 491616
Date de la décision : 06/05/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

54-07-01 PROCÉDURE. - POUVOIRS ET DEVOIRS DU JUGE. - QUESTIONS GÉNÉRALES. - ACTION EN RECONNAISSANCE DE DROITS (ART. L. 77-12-1 DU CJA) – 1) POSSIBILITÉ DE SOULEVER, DANS CE CADRE, UNE EXCEPTION D’INCONSTITUTIONNALITÉ, D’INCONVENTIONNALITÉ OU D’ILLÉGALITÉ D’UNE DISPOSITION CONSTITUANT LA BASE LÉGALE DE LA DÉCISION CONTESTÉE – EXISTENCE – 2) OFFICE DU JUGE FAISANT DROIT À UNE TELLE ACTION – POSSIBILITÉ DE DÉTERMINER LES CONDITIONS ET LIMITES DANS LESQUELLES LES DROITS INDIVIDUELS REVENDIQUÉS SONT SUSCEPTIBLES D’ÊTRE REMIS EN CAUSE – EXISTENCE – CONDITIONS.

54-07-01 Il résulte des articles L. 77-12-1 et suivants du code de justice administrative (CJA) qu’une action en reconnaissance de droits peut être engagée devant le juge administratif, par une association ou un syndicat professionnel satisfaisant aux conditions prévues par la loi, afin que soit reconnu, à un groupe indéterminé de personnes placées dans une situation juridique identique et partageant le même intérêt, le bénéfice de droits individuels résultant de l’application de la loi ou du règlement. ...1) A ce titre, la contrariété d’une disposition législative à la Constitution, pour autant qu’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) soit soulevée, ou aux stipulations d’un traité ou accord international, entrées en vigueur dans l’ordre juridique interne et invocables devant le juge administratif, ou encore au droit de l’Union européenne (UE), de même que l’illégalité d’une disposition règlementaire peuvent être utilement invoquées à l’appui d’une telle action, sous réserve que la disposition législative ou règlementaire en cause constitue la base légale de la décision de rejet opposée par l’autorité compétente à la réclamation préalable formée par l’association ou le syndicat professionnel demandeur à l’action. ...2) Si le juge administratif fait droit à cette action, il lui appartient, en application des dispositions de l’article L. 77-12-3 du CJA, dans les limites de sa compétence, de déterminer les conditions de droit et de fait auxquelles est subordonnée la reconnaissance des droits ainsi accordée. A cet égard, s’il apparaît au juge administratif que les effets de cette reconnaissance sont de nature à emporter des conséquences manifestement excessives pour les divers intérêts publics ou privés en présence, il lui revient – après avoir recueilli sur ce point les observations des parties – de déterminer les conditions et les limites dans lesquelles les droits individuels revendiqués sont susceptibles d’être remis en cause.


Publications
Proposition de citation : CE, 06 mai. 2025, n° 491616
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Julien Fradel
Rapporteur public ?: M. Cyrille Beaufils
Avocat(s) : SCP MARLANGE, DE LA BURGADE

Origine de la décision
Date de l'import : 09/05/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2025:491616.20250506
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