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17/12/2024 | FRANCE | N°479074

France | France, Conseil d'État, 2ème - 7ème chambres réunies, 17 décembre 2024, 479074


Vu la procédure suivante :



M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 30 décembre 2019 par laquelle le consul général de France à Dakar a refusé de lui délivrer un passeport. Par un jugement n° 2110759 du 28 juin 2022, ce tribunal a rejeté sa demande.



Par un arrêt n° 22PA05439 du 8 juin 2023, la cour administrative d'appel de Paris a, sur l'appel formé par M. A..., annulé ce jugement et la décision du 30 décembre 2019 et enjoint au consul de France à Dakar de délivrer à celui-

ci un passeport dans un délai de deux mois.



Par un pourvoi et un mémoire ...

Vu la procédure suivante :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 30 décembre 2019 par laquelle le consul général de France à Dakar a refusé de lui délivrer un passeport. Par un jugement n° 2110759 du 28 juin 2022, ce tribunal a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 22PA05439 du 8 juin 2023, la cour administrative d'appel de Paris a, sur l'appel formé par M. A..., annulé ce jugement et la décision du 30 décembre 2019 et enjoint au consul de France à Dakar de délivrer à celui-ci un passeport dans un délai de deux mois.

Par un pourvoi et un mémoire en réplique, enregistrés le 8 août 2023 et 15 octobre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'Europe et des affaires étrangères demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel de M. A....

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code civil ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le décret n° 2005-1726 du 30 décembre 2005 ;

- le décret n° 2008-521 du 2 juin 2008 ;

- le décret n° 2017-890 du 6 mai 2017 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Amélie Fort-Besnard, maîtresse des requêtes,

- les conclusions de Mme Dorothée Pradines, rapporteure publique,

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Le Guerer, Bouniol-Brocher, avocat de M. A... ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. B... A..., né le 13 juillet 2001 au Sénégal, a sollicité en novembre 2019 la délivrance d'un premier passeport auprès des services consulaires à Dakar. Par un jugement du 28 juin 2022, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du 30 décembre 2019 par laquelle le consul général de France à Dakar a rejeté sa demande. Par un arrêt du 8 juin 2023, contre lequel le ministre de l'Europe et des affaires étrangères se pourvoit en cassation, la cour administrative d'appel de Paris a annulé ce jugement et la décision du 30 décembre 2019 et enjoint au consul de France à Dakar de délivrer à M. A... un passeport dans un délai de deux mois.

2. En vertu de l'article 2 du décret du 30 décembre 2005 relatif aux passeports, le passeport est délivré, sans condition d'âge, à tout Français qui en fait la demande. Aux termes du I de l'article 5 du même décret : " I.- En cas de première demande, le passeport est délivré sur production par le demandeur : / (...) 4° Ou à défaut de produire l'un des titres mentionnés aux alinéas précédents [carte nationale d'identité ou passeport d'un autre type sous certaines conditions], de son extrait d'acte de naissance de moins de trois mois, comportant l'indication de sa filiation (...). / Lorsque la nationalité française ne ressort pas des pièces mentionnées aux alinéas précédents, elle peut être justifiée dans les conditions prévues au II ". Il résulte des dispositions du II de cet article 5 que la preuve de la nationalité française du demandeur peut être établie à partir de l'extrait d'acte de naissance portant en marge l'une des mentions prévues aux articles 28 et 28-1 du code civil ou, lorsque l'extrait d'acte de naissance ne suffit pas à établir la nationalité française du demandeur, par la production de l'une des pièces justificatives mentionnées aux articles 34 ou 52 du décret du 30 décembre 1993 relatif aux déclarations de nationalité, aux décisions de naturalisation, de réintégration, de perte, de déchéance et de retrait de la nationalité française, ou à défaut par la justification d'une possession d'état de Français de plus de dix ans ou, lorsque ne peut être produite aucune de ces pièces, par la production d'un certificat de nationalité française.

3. Pour l'application de ces dispositions, il appartient aux autorités administratives de s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, que les pièces produites à l'appui d'une demande de passeport sont de nature à établir l'identité et la nationalité du demandeur. Seul un doute suffisant sur l'identité ou la nationalité de l'intéressé peut justifier le refus de délivrance ou de renouvellement de passeport.

4. Pour annuler la décision du consul général de France à Dakar de refuser de délivrer un passeport à M. A... qui faisait valoir qu'il était Français par filiation, la cour administrative de Paris s'est bornée à relever que l'administration déclarait dans ses écritures devant elle ne remettre en cause ni la filiation du demandeur, ni la nationalité française de son père. En statuant ainsi, sans rechercher si les pièces produites par l'intéressé étaient de nature à établir sa nationalité selon les modalités prévues par les dispositions de l'article 5 du décret du 30 décembre 2005 citées au point 2, la cour administrative d'appel de Paris a entaché son arrêt d'erreur de droit. Par suite, le ministre de l'Europe et des affaires étrangères est fondé à en demander l'annulation.

5. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

6. Aux termes du premier alinéa de l'article 24 du décret du 6 mai 2017 relatif à l'état civil : " Les actes de l'état civil dressés en pays étranger qui concernent des Français sont transcrits soit d'office, soit sur la demande des intéressés, sur les registres de l'état civil de l'année courante tenus par les agents diplomatiques ou les consuls territorialement compétents (...) ". Aux termes du second alinéa de l'article 5 du décret du 2 juin 2008 relatif aux attributions des autorités diplomatiques et consulaires françaises en matière d'état civil, les agents relevant des autorités diplomatiques et consulaires françaises à l'étranger, qui ont la qualité d'officier de l'état civil en vertu de l'article 1er de ce décret, " transcrivent également sur ces registres [les registres de l'état civil consulaire] les actes concernant les Français, établis par les autorités locales, lorsqu'ils sont conformes aux dispositions de l'article 47 du code civil et sous réserve qu'ils ne soient pas contraires à l'ordre public ".

7. Il résulte de ces dispositions qu'un extrait d'acte de naissance transcrit sur les registres de l'état civil consulaire doit être regardé comme faisant ressortir la nationalité française du demandeur au sens et pour l'application du I de l'article 5 du décret du 30 décembre 2005. Il appartient toutefois à l'administration de rejeter la demande de passeport s'il existe un doute suffisant sur sa nationalité.

8. Il ressort des pièces du dossier que le dossier de demande de passeport de M. A... comportait son extrait d'acte de naissance portant la mention de sa transcription à l'état civil français par le consul général de France à Saint-Louis au Sénégal et transmis par le service central d'état civil par l'intermédiaire de la plateforme sécurisée de communication électronique des données de l'état civil. Il résulte de ce qui a été dit au point 7 que, pour l'application des dispositions du I du l'article 5 du décret du 30 décembre 2005, la nationalité française de M. A... doit être regardée comme ressortant de ce document. En se bornant, pour estimer que celui-ci n'avait pas justifié de sa nationalité et décider, sans faire état d'aucun élément permettant de douter de cette nationalité, de ne pas lui délivrer de passeport, à faire valoir que celui-ci et ses deux parents étaient nés à l'étranger et qu'il ne produisait pas de certificat de nationalité, le ministre de l'Europe et des affaires étrangères a fait une inexacte application des dispositions précitées du décret du 30 décembre 2005.

9. Il résulte de ce tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 30 décembre 2019 par laquelle le consul général de France à Dakar a rejeté sa demande de délivrance d'un passeport.

10. Eu égard au motif d'annulation retenu, la présente décision implique nécessairement que l'administration consulaire délivre à M. A... le passeport sollicité. Il y a lieu d'enjoindre au consul général de France à Dakar d'y procéder dans le délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision.

11. M. A... ayant obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros à verser à la SCP Le Guerer, Bouniol-Brochier, avocat de M. A..., sous réserve que cette société renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêt du 17 mai 2023 de la cour administrative d'appel de Paris est annulé.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif du 28 juin 2022 et la décision du consul général de France à Dakar du 30 décembre 2019 sont annulés.

Article 3 : Il est enjoint au consul général de France à Dakar de délivrer à M. A... un passeport dans le délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision.

Article 4 : L'Etat versera à la SCP Le Guerer, Bouniol-Brochier, avocat de M. A..., une somme de 3 000 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cette société renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Article 5 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'Europe et des affaires étrangères et à M. B... A....

Délibéré à l'issue de la séance du 20 novembre 2024 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Nicolas Boulouis, M. Olivier Japiot, présidents de chambre ; Mme Anne Courrèges, M. Géraud Sajust de Bergues, M. Gilles Pellissier, M. Jean-Yves Ollier, M. Frédéric Gueudar Delahaye, conseillers d'Etat et Mme Amélie Fort-Besnard, maîtresse des requêtes-rapporteure.

Rendu le 17 décembre 2024.

Le président :

Signé : M. Pierre Collin

La rapporteure :

Signé : Mme Amélie Fort-Besnard

La secrétaire :

Signé : Mme Eliane Evrard


Synthèse
Formation : 2ème - 7ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 479074
Date de la décision : 17/12/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

26-01-04 DROITS CIVILS ET INDIVIDUELS. - ÉTAT DES PERSONNES. - QUESTIONS DIVERSES RELATIVES À L`ÉTAT DES PERSONNES. - PASSEPORT – REFUS DE DÉLIVRANCE [RJ1] – 1) OFFICE DU JUGE DE L’EXCÈS DE POUVOIR SAISI D’UN TEL REFUS – ETABLISSEMENT DE LA NATIONALITÉ – 2) PIÈCES DESQUELLES RESSORT LA NATIONALITÉ FRANÇAISE (I DE L’ART. 5 DU DÉCRET DU 30 DÉCEMBRE 2005) – INCLUSION – EXTRAIT D’ACTE DE NAISSANCE ÉTRANGER TRANSCRIT À L’ÉTAT CIVIL FRANÇAIS.

26-01-04 Pour l'application des articles 1er et 5 du décret n° 2005-1726 du 30 décembre 2005 relatif aux passeports, il appartient aux autorités administratives de s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, que les pièces produites à l'appui d'une demande de passeport sont de nature à établir l'identité et la nationalité du demandeur. Seul un doute suffisant sur l'identité ou la nationalité de l'intéressé peut justifier le refus de délivrance ou de renouvellement de passeport....1) Saisi d’une contestation d’un refus de délivrer un passeport à une personne, il appartient au juge de l’excès de pouvoir de rechercher si les pièces produites par l’intéressé sont de nature à établir sa nationalité selon les modalités prévues par l’article 5 du décret du 30 décembre 2005, et non d’apprécier directement la nationalité du demandeur....2) Un extrait d’acte de naissance étranger portant la mention de sa transcription à l’état civil français constitue une pièce de laquelle ressort la nationalité française, pour l’application du I de l’article 5 du décret n° 2005-1726 du 30 décembre 2005.


Publications
Proposition de citation : CE, 17 déc. 2024, n° 479074
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Amélie Fort-Besnard
Rapporteur public ?: Mme Dorothée Pradines
Avocat(s) : SCP LE GUERER, BOUNIOL-BROCHIER

Origine de la décision
Date de l'import : 22/12/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:479074.20241217
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