La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

10/07/2024 | FRANCE | N°470884

France | France, Conseil d'État, 5ème - 6ème chambres réunies, 10 juillet 2024, 470884


Vu la procédure suivante :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), devenu l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) à lui verser la somme de 20 205 001 euros, en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis en raison de l'illégalité de la décision du 14 octobre 2015 par laquelle le CSA a abrogé la décision du 3 juillet 2012 par laquelle la société Diversité TV France avait été autorisée à utiliser une ressource radioélectriqu

e pour l'exploitation d'un service de télévision à caractère national diffusé en ...

Vu la procédure suivante :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), devenu l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) à lui verser la somme de 20 205 001 euros, en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis en raison de l'illégalité de la décision du 14 octobre 2015 par laquelle le CSA a abrogé la décision du 3 juillet 2012 par laquelle la société Diversité TV France avait été autorisée à utiliser une ressource radioélectrique pour l'exploitation d'un service de télévision à caractère national diffusé en clair par voie hertzienne terrestre en haute définition et de la décision du 10 décembre 2015 rejetant son recours gracieux contre cette décision. Par un jugement n° 1906300/5-2 du 12 novembre 2020, le tribunal administratif a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 20PA04197 du 5 décembre 2022, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par M. B... contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire, un mémoire en réplique et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 27 janvier 2023, 26 avril 2023, 2 février 2024, 29 avril 2024 et 13 juin 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à ses conclusions d'appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Arcom la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 ;

- le code de justice administrative ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 24 juin 2024, présentée par M. B....

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Hortense Naudascher, auditrice,

- les conclusions de M. Florian Roussel, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Le Guerer, Bouniol-Brochier, avocat de M. B... et à la SCP Gury et Maître, avocat de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique.

Considérant ce qui suit :

Sur le pourvoi :

1. Il résulte des pièces du dossier soumis au juge du fond que les sociétés Diversité TV France et NextRadioTV ont signé le 7 mai 2015 un contrat de cession, aux termes duquel NextRadioTV devait acquérir la totalité du capital de Diversité TV France, éditrice du service de télévision " Numéro 23 ", pour un prix comportant une part fixe de 88 280 000 euros et une part variable tenant compte de plusieurs indicateurs chiffrés à évaluer au moment de la cession. La réalisation de la cession était soumise à une seule condition suspensive, tenant à l'autorisation de l'opération par le conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), en application des dispositions de l'article 42-3 de la loi du 30 septembre 1986. Par une décision du 14 octobre 2015, le CSA a abrogé, avec effet au 30 juin 2016, la décision du 3 juillet 2012 par laquelle il avait autorisé la société Diversité TV France à utiliser une ressource radioélectrique pour diffuser par voie hertzienne terrestre en mode numérique le service national de télévision en cause. Par une autre décision du 14 octobre 2015, le CSA a estimé qu'il n'y avait dès lors plus lieu de se prononcer sur la demande d'agrément de cession du capital de la société Diversité France à la société NextRadioTV. Par une décision du 30 mars 2016, le Conseil d'Etat a annulé la décision du 14 octobre 2015 du CSA abrogeant l'autorisation d'émettre de la société Diversité TV France. Le 1er avril 2016, un protocole d'accord sur la cession de Diversité TV France à NextRadioTV a été conclu entre les actionnaires des deux sociétés, pour un prix comportant une part fixe de 78 280 000 euros et une part variable dépendant de plusieurs indicateurs chiffrés à évaluer au moment de la cession. M. B..., en sa qualité d'ancien actionnaire majoritaire de la société Diversité TV France, a adressé une demande indemnitaire au CSA tendant à la réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de l'illégalité de la décision du CSA abrogeant son autorisation d'émettre. Par un jugement du 12 novembre 2020, le tribunal administratif de Paris a rejeté la demande de M. B... tendant à la condamnation du CSA à lui verser la somme de 20 205 001 euros au titre de ses préjudices. M. B... se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 5 décembre 2022 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté son appel contre ce jugement.

2. Il résulte ainsi des pièces du dossier soumis aux juges du fond, et il n'est pas contesté, d'une part, que le contrat de cession du capital de la société Diversité TV France a été conclu le 7 mai 2015 et était assorti d'une clause suspensive tenant à l'obtention de l'agrément du CSA, expirant au plus tard le 30 novembre 2015 et, d'autre part, que la société Diversité TV France avait présenté une demande d'agrément de cette cession au CSA. Il en ressort également qu'à la suite de sa décision du 14 octobre 2015 abrogeant l'autorisation d'émettre dont bénéficiait la société Diversité TV France, le CSA a estimé qu'il n'y avait plus lieu de se prononcer sur la demande d'agrément de cession du capital de cette société dont il était saisi. Il en ressort enfin que cette cession n'est intervenue que le 1er avril 2016, postérieurement à l'annulation, par le Conseil d'Etat statuant au contentieux le 30 mars 2016, de la décision du 14 octobre 2015 abrogeant l'autorisation d'émettre dont bénéficiait la société Diversité TV France, et pour un montant dont la part fixe était inférieure de 10 millions d'euros à celle prévue initialement.

3. En premier lieu, s'agissant de la perte de valeur des actions de la société Diversité TV France imputée par le requérant à l'illégalité de la décision du CSA abrogeant son autorisation d'émettre, annulée par la décision du Conseil d'Etat du 30 mars 2016, la cour administrative d'appel s'est, pour rejeter la demande indemnitaire dont elle était saisie, bornée à relever, d'une part, qu'il n'était pas démontré que les décisions du CSA avaient influé sur la part d'audience de la chaîne et, d'autre part, que, malgré l'impact négatif des décisions du CSA sur le chiffre d'affaires de la société, il n'était pas établi que la diminution des recettes publicitaires serait à elle seule à l'origine de l'aggravation des difficultés financières de la société. En statuant par ces motifs, sans se prononcer, comme elle y était pourtant invitée, sur le point de savoir dans quelle mesure le décalage, imputable à la décision illégale, du calendrier de cession des parts de la société avait par lui-même aggravé la situation financière de celle-ci et par conséquent diminué la valeur des actions détenues par M. B..., la cour a insuffisamment motivé son arrêt dans sa réponse aux conclusions portant sur la perte de valeur des actions de la société Diversité TV France.

4. En second lieu, pour écarter la demande de réparation du préjudice né de l'atteinte qui aurait été portée à l'image et à la réputation professionnelle de M. B..., la cour a souverainement jugé, par un arrêt exempt de dénaturation, que les éléments apportés par celui-ci étaient insuffisants pour établir la réalité de ce préjudice.

5. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, que M. B... est fondé à demander l'annulation de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris qu'il attaque, en tant qu'il statue sur sa demande d'indemnisation du préjudice patrimonial lié à la perte de valeur de ses actions de la société Diversité TV France à la date à laquelle il les a cédées le 1er avril 2016.

6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond, dans la mesure de la cassation prononcée, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

Sur le règlement au fond :

7. Aux termes de l'article 42-3 de la loi du 30 septembre 1986, dans sa version applicable au litige, " Sans préjudice de l'application du premier alinéa, tout éditeur de services détenteur d'une autorisation délivrée en application des articles 29,29-1,30-1,30-5 et 96 doit obtenir un agrément du Conseil supérieur de l'audiovisuel en cas de modification du contrôle direct ou indirect, au sens de l'article L. 233-3 du code de commerce, de la société titulaire de l'autorisation. Cet agrément fait l'objet d'une décision motivée. / Lorsque la modification du contrôle porte sur un service national de télévision autorisé en application de l'article 30-1 de la présente loi ou un service de radio appartenant à un réseau de diffusion à caractère national, au sens de l'article 41-3, et que cette modification est susceptible de modifier de façon importante le marché en cause, l'agrément est précédé d'une étude d'impact, notamment économique, rendue publique dans le respect du secret des affaires. / S'il l'estime utile, le Conseil supérieur de l'audiovisuel peut effectuer une telle étude pour les autres services autorisés ". En l'absence de délai imposé au CSA par ces dispositions, il lui appartient de se prononcer dans un délai raisonnable, compatible avec les exigences propres à l'instruction de chaque demande.

8. Il résulte de l'instruction que, si la société Diversité TV France a, en application des dispositions précitées, sollicité le 9 avril 2015 l'agrément du CSA pour la cession de son capital à la société NextRadioTV, elle ne lui a transmis que le 26 mai 2015, à la suite d'une nouvelle relance du directeur général du CSA, le pacte d'actionnaires qu'elle avait précédemment signé avec les sociétés PHO Holding et UTH le 21 octobre 2013, faisant ainsi très tardivement suite à des demandes réitérées formulées par les services du CSA depuis mars 2014, auxquelles M. B... avait même, le 24 juin 2014, faussement répondu qu'il n'avait pas été signé de pacte. Les questions ainsi suscitées par les évolutions capitalistiques de la société et les agissements de celle-ci ont d'ailleurs conduit le rapporteur indépendant du CSA à engager le 23 juin 2015 une procédure de sanction, qui était de nature, jusqu'à la décision prise dans le cadre de cette procédure par le CSA le 14 octobre 2015, à perturber le calendrier d'examen de la demande d'agrément, alors que le terme ultime prévu par la clause suspensive du contrat de cession était le 30 novembre 2015. Dans ces conditions, et eu égard au délai qui devait être laissé CSA pour se prononcer sur la demande dont il était saisi, M. B... ne justifie pas d'un lien de causalité suffisamment direct et certain entre l'illégalité de l'abrogation de son autorisation d'émettre et le préjudice invoqué. Il n'est dès lors pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'indemnisation de ce manque à gagner.

Sur les frais liés à l'instance :

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge, à ce titre, de l'Arcom, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. B... la somme de 3000 euros à verser à ce titre à l'Arcom.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêt du 5 décembre 2022 de la cour administrative d'appel de Paris est annulé dans la mesure où il se prononce sur la réparation du préjudice patrimonial subi par M. B....

Article 2 : Le surplus des conclusions de cassation et les conclusions d'appel de M. B... sont rejetées.

Article 3 : M. B... versera à l'Arcom la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. A... B... et à l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique.

Délibéré à l'issue de la séance du 24 juin 2024 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre ; M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre ; Mme Fabienne Lambolez, conseillère d'Etat ; M. Cyril Roger-Lacan, M. Laurent Cabrera, M. Stéphane Hoynck, M. Alain Seban, conseillers d'Etat et Mme Hortense Naudascher, auditrice-rapporteure.

Rendu le 10 juillet 2024.

Le président :

Signé : M. Rémy Schwartz

La rapporteure :

Signé : Mme Hortense Naudascher

Le secrétaire :

Signé : M. Bernard Longieras


Synthèse
Formation : 5ème - 6ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 470884
Date de la décision : 10/07/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 10 jui. 2024, n° 470884
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Hortense Naudascher
Rapporteur public ?: M. Florian Roussel
Avocat(s) : SCP LE GUERER, BOUNIOL-BROCHIER ; SCP GURY & MAITRE

Origine de la décision
Date de l'import : 14/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:470884.20240710
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award