Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au Tribunal administratif de Paris de condamner le Conseil supérieur de l'audiovisuel à lui verser la somme de 20 205 001 euros en réparation des préjudices que lui ont causé les décisions n°s 2015-367 et 2015-368 du 14 octobre 2015 par lesquelles le Conseil supérieur de l'audiovisuel a respectivement prononcé une sanction à l'encontre de la société Diversité TV France et constaté qu'il n'y avait plus lieu de statuer sur la demande d'agrément formulée par cette société ainsi que la décision du 10 décembre 2015 rejetant le recours gracieux de la société à l'encontre de la sanction.
Par un jugement n° 1906300/5-2 du 12 novembre 2020, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires enregistrés les 23 décembre 2020, 10 mai et 8 juillet 2021, M. B..., représenté par la SCP Thomas-Raquin, Le Guerer, Bouniol-Brochier, avocat au Conseil d'Etat, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1906300/5-2 du 12 novembre 2020 du Tribunal administratif de Paris ;
2°) de condamner le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) à lui verser la somme de 20 205 001 euros en réparation des préjudices que lui ont causé les décisions n°s 2015-367 et 2015-368 du 14 octobre 2015 et la décision du 10 décembre 2015 rejetant son recours gracieux ;
3°) de mettre à la charge du CSA la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- en prenant les décisions n°s 2015-367 et 2015-368 du 14 octobre 2015 qui ont été jugées illégales par le Conseil d'Etat dans sa décision du 30 mars 2016, le CSA a commis une faute de nature à engager sa responsabilité à son encontre en sa qualité d'ancien actionnaire majoritaire de la société Diversité TV France ;
- il n'a pas commis de faute dans la communication du pacte d'actionnaire conclu entre la société PHO Holding et la société UTH Russia Limited le 21 octobre 2013 qui serait de nature à exonérer le CSA de sa responsabilité ;
- les décisions du 14 octobre 2015 du CSA et la communication du CSA sur ces décisions ont eu pour conséquence de dégrader l'image de la chaîne de télévision " Numéro 23 ", exploitée par la société Diversité TV France, auprès du public et des annonceurs publicitaires entraînant une aggravation majeure des difficultés financières de la société et, par suite, des conditions dégradées de négociation de sa cession à la société NextRadioTV en avril 2016 par rapport au premier contrat de cession négocié en mai 2015 ;
- le lien de causalité direct et certain entre, d'une part, l'illégalité des décisions du CSA du 14 octobre 2015 et de la décision du 10 décembre 2015 rejetant le recours gracieux de la société Diversité TV France et, d'autre part, le préjudice financier subi est établi ;
- en sa qualité d'ancien actionnaire majoritaire de la société Diversité TV France, il a subi un manque à gagner évalué à 20 205 001 euros correspondant, d'une part, à la perte de valeur des actions de la société Diversité TV France entre le premier contrat de cession du 7 mai 2015 et le protocole d'accord conclu le 1er avril 2016 à hauteur de 11 653 000 euros et, d'autre part, au préjudice financier résultant de la modification des modalités de la cession de la société retenues dans le cadre du protocole d'accord du 1er avril 2016 évalué à 8 552 000 euros ;
- en sa qualité d'actionnaire majoritaire et de président directeur général de la société Diversité TV France, il a subi une atteinte à son image et à sa réputation professionnelle distincte du préjudice subi par la société ;
- il renvoie aux observations présentées devant le tribunal administratif en ce qui concerne, d'une part, l'annulation de la décision implicite de rejet résultant du silence gardé par le président du CSA sur la demande d'indemnisation et d'autre part, la condamnation du CSA à lui verser la somme de 20 205 001 euros au titre des préjudices subis.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 22 mars et 24 juin 2021, le Conseil supérieur de l'audiovisuel, représenté par la SCP Baraduc-Duhamel-Rameix, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 4 000 euros soit mise à la charge de M. B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
-le lien de causalité entre les décisions du CSA et la modification des modalités de cession de la société Diversité TV France entre le contrat de cession du 7 mai 2015 et le protocole d'accord du 1er avril 2016 n'est pas établi ;
- le requérant n'a pas subi de préjudice personnel distinct de celui de sa société ;
- à titre subsidiaire, aucun lien de causalité entre les décisions du CSA et le préjudice invoqué par le requérant n'est établi dès lors que s'il n'avait pas commis d'illégalité en se fondant sur le motif erroné tiré de la fraude, il aurait pu légalement fonder sa décision de sanction sur le motif tiré de la modification substantielle des données au vu desquelles l'autorisation d'exploiter une chaîne de télévision par voie hertzienne terrestre en mode numérique avait été délivrée en 2012 sans qu'il en soit informé ;
- si le requérant avait répondu dès mars 2014 ou dans un délai raisonnable aux sollicitations du régulateur, la saisine du rapporteur indépendant aurait été effectuée plus tôt et la procédure de sanction qui a été engagée par le rapporteur le 23 juin 2015 aurait été achevée avant toute demande d'agrément ; en outre, si le requérant avait sollicité un agrément auprès du CSA avant de conclure le pacte d'actionnaires du 21 octobre 2013, aucune procédure de sanction n'aurait été engagée ; les carences de l'intéressé sont de nature à l'exonérer de sa responsabilité ;
- à titre très subsidiaire, le requérant n'établit pas la réalité et l'étendue de son préjudice.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C...,
- les conclusions de Mme Bernard, rapporteure publique,
- et les observations de Me Bouniol-Brochier, avocat de M. B..., et de Me Gregory, avocat de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique.
Une note en délibéré a été présentée pour M. B... le 18 octobre 2022.
Considérant ce qui suit :
1. Il résulte de l'instruction que par une décision du 3 juillet 2012, le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) a autorisé la société par actions simplifiée Diversité TV France dont M. B... était alors l'unique actionnaire, à utiliser une ressource radioélectrique pour diffuser par voie hertzienne terrestre en mode numérique un service national de télévision initialement dénommé " TVous la Télédiversité " puis renommé " Numéro 23 ". A la suite de deux augmentations de capital, portées à la connaissance du CSA, le capital social s'est trouvé détenu par la société PHO Holding, elle-même entièrement détenue par M. B..., par sept actionnaires entrés en octobre 2012 et par la société UTH Russia Limited, entrée en octobre 2013. Les 3 mars et 1er septembre 2014, le CSA a sollicité la communication du pacte d'actionnaires conclu entre la société PHO Holding et la société UTH Russia Limited le 21 octobre 2013. Par ailleurs, le 9 avril 2015, la société Diversité TV France a demandé au CSA, en application du cinquième alinéa de l'article 42-3 de la loi du 30 septembre 1986 issu de la loi n° 2013-1028 du 15 novembre 2013, d'agréer la cession de l'intégralité de son capital au groupe NextRadioTV. Un contrat de cession des actions de la société Diversité TV France et des titres de la société PHO Holding a été signé le 7 mai 2015 entre les actionnaires de la société Diversité TV France et la société NextRadioTV sous réserve de l'obtention au plus tard le 30 novembre 2015 de l'agrément sollicité auprès du CSA le 9 avril 2005. A la suite d'une nouvelle relance du CSA, la société Diversité TV France a transmis au directeur général du CSA le 25 mai 2015 le pacte d'actionnaires conclu entre la société PHO Holding et la société UTH Russia Limited. Le 23 juin 2015, le rapporteur indépendant chargé, en application des dispositions de l'article 42-7 de la loi du 30 septembre 1986, d'engager les poursuites préalables au prononcé par le CSA de sanctions contre les titulaires d'autorisation et de mener l'instruction a notifié au représentant de la société des griefs tirés de ce que la conclusion de ce pacte était, eu égard à certaines de ses clauses, susceptible d'être regardée comme une modification substantielle des données au vu desquelles l'autorisation avait été délivrée et de justifier son retrait en application des dispositions du premier alinéa de l'article 42-3 de la loi du 30 septembre 1986. Par une décision n° 2015-367 du 14 octobre 2015, le CSA a abrogé, avec effet au 30 juin 2016, la décision du 3 juillet 2012 autorisant la société Diversité TV France à exploiter le service de télévision " Numéro 23 ". Par une décision n° 2015-368 du même jour, le CSA a estimé que du fait de l'abrogation de la décision du 3 juillet 2012, il n'y avait plus lieu de se prononcer sur la demande d'agrément de cession de l'intégralité du capital de la société Diversité TV France à la société NextRadioTV. Par une décision du 10 décembre 2015, le CSA a rejeté le recours gracieux formé par la société Diversité TV France contre la décision de sanction du 14 octobre 2015.
2. Par une décision du 30 mars 2016, le Conseil d'Etat a annulé la décision n° 2015-367 du 14 octobre 2015 du CSA ainsi que sa décision du 10 décembre 2015 rejetant le recours gracieux de la société Diversité TV France. Le 1er avril 2016, un protocole d'accord a été conclu entre les actionnaires de la société Diversité TV France et la société NextRadioTV. Le 14 janvier 2019, M. B..., en sa qualité d'ancien actionnaire majoritaire de la société Diversité TV France, a adressé une demande indemnitaire au CSA tendant à la réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait des trois décisions du CSA des 14 octobre et 10 décembre 2015. Sa demande a été implicitement rejetée par le CSA. Par un jugement du 12 novembre 2020, le Tribunal administratif de Paris a rejeté la demande de M. B... tendant à la condamnation du CSA à lui verser la somme de 20 205 001 euros au titre de ses préjudices. M. B... relève appel de ce jugement.
Sur les conclusions indemnitaires :
3. M. B... soutient que les décisions du 14 octobre 2015 du CSA et la communication du CSA sur ces décisions ont eu pour conséquence de dégrader l'image de la chaîne de télévision " Numéro 23 ", exploitée par la société Diversité TV France, auprès du public et des annonceurs publicitaires qui n'ont pas renouvelé leurs engagements financiers entraînant une aggravation majeure des difficultés financières de la société et, par suite, des conditions dégradées de négociation de sa cession à la société NextRadioTV en avril 2016 par rapport au premier contrat de cession négocié en mai 2015. Sollicitée par la société Diversité TV France pour évaluer ses préjudices ainsi que ceux de ses actionnaires, la société Ricol Lasteyrie Conseil a évalué la perte de valeur des actions détenues par M. B... entre le contrat de cession du 7 mai 2015 et le protocole d'accord du 1er avril 2016 à 11 653 000 euros et le préjudice financier résultant pour ce dernier de la modification des modalités de la cession de la société, le protocole d'accord du 1er avril 2016 ne retenant qu'une rémunération en numéraire contrairement à l'accord du 7 mai 2015 qui prévoyait à la fois une rémunération en numéraire et l'attribution d'obligations convertibles en actions, à 8 552 000 euros.
4. Il résulte de l'instruction que le protocole d'accord du 1er avril 2016 conclu entre les actionnaires de la société Diversité France TV et la société NextRadioTV stipulait que le prix de cession des actions de la société Diversité France TV serait ajusté au moment de la vente en tenant compte des différentes variables relatives à la situation financière de la société. Si le requérant se prévaut d'une baisse de l'audience de la chaîne de télévision " Numéro 23 " du fait de la sanction prononcée par le CSA le 14 octobre 2015, il ressort toutefois du graphique établi par la société Médiamétrie retraçant la courbe de l'audience de la chaîne " Numéro 23 " que la part de l'audience de cette chaîne en avril 2015, lors des négociations du premier contrat de cession, et en mars 2016, lors des négociations du protocole d'accord, était identique, soit 0,7%. Si sur la période comprise entre avril 2015 et mars 2016, la part d'audience de la chaîne a atteint un pic à 0,8 % en août 2015 avant de diminuer sur la période allant d'août à novembre 2015 où elle est descendue à 0,5 %, l'audience de la chaîne repart à la hausse pour atteindre 0,6 % dès décembre 2015 puis 0,7 % à compter de février 2016, c'est-à-dire 0,2 points supplémentaires entre novembre 2015 et avril 2016. Dans ces conditions, et à supposer même que les chaînes concurrentes aient connu une hausse de leurs parts d'audience comprise entre 0,2 % et 0,4 % sur la période allant de mars 2015 à mars 2016, il n'est pas démontré que les décisions du CSA intervenues le 14 octobre 2015 et le 10 décembre 2015 aient eu une incidence sur la part d'audience de la chaîne " Numéro 23 ".
5. Par ailleurs, il ressort du courrier en date du 26 janvier 2016 que la société TFI Publicité a alerté la société Diversité France TV sur les " difficultés de commercialisation des espaces (publicitaires) de la Chaine depuis la décision du CSA, et qui ne font que s'accentuer en ce début d'année 2016, de nombreux annonceurs refusant expressément de communiquer sur Numéro 23, de sorte que nous sommes aujourd'hui très pessimistes quant à la réalisation des objectifs d'affaires fixés pour 2016 ". Il est ainsi établi que la sanction infligée à la société Diversité TV France par le CSA a eu un impact négatif sur les annonceurs, ce qui a nécessairement conduit à une diminution des recettes publicitaires de la chaîne " Numéro 23 ". Toutefois, il ne résulte pas de l'instruction que cette diminution de recettes publicitaires, dont le montant n'est au demeurant pas précisé et qui s'inscrit dans un contexte de baisse du montant " minimum garanti " de recettes publicitaires de la société Diversité TV France au titre de 2015 en raison des faibles audiences de la chaîne sur certaines cibles de téléspectateurs ainsi que dans une situation de diminution générale des dépenses publicitaires (-0,4 % en 2015 et -0,1% en 2016) comme cela ressort de l'étude d'impact du CSA élaborée dans le cadre de la procédure d'instruction de la demande d'agrément de la société Diversité TV France, serait à elle-seule à l'origine de l'aggravation des difficultés financières de la société Diversité TV France.
6. Il ressort des points 4 et 5 que les décisions du CSA ne sauraient être regardées comme étant, de manière directe et certaine, à l'origine de la perte de valeur de la société Diversité France TV et, par voie de conséquence, de la valeur des actions de M. B... ainsi que des conditions dégradées de négociation du protocole d'accord du 1er avril 2016 à l'issue desquelles des modalités de cession moins favorable à l'intéressé ont pu être retenues.
7. Enfin, le requérant soutient qu'en sa qualité d'actionnaire majoritaire et de président directeur général de la société Diversité TV France, il a subi un préjudice en termes d'image et de réputation professionnelle distinct de celui subi par la société du fait de la sanction infligée par le CSA le 14 octobre 2015 et de son retentissement dans les médias qui ont associé son nom à celui de la société Diversité TV France. Cependant, les articles des hebdomadaires Le Point et L'Obs des 15 et 27 octobre 2015 et du journal Le Monde du 10 octobre 2015 cités par M. B... à l'appui du préjudice dont il entend obtenir réparation, sont insuffisants pour établir la réalité de l'atteinte qui aurait été portée à son image et à sa réputation professionnelle.
8. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Sur les frais liés à l'instance :
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du CSA, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme demandée par M. B... au titre des frais liés à l'instance. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, par application de ces mêmes dispositions, de mettre à la charge de M. B... une somme de 2 000 euros à verser au CSA.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : M. B... versera à l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et à l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique.
Délibéré après l'audience du 18 octobre 2022, à laquelle siégeaient :
- M. Ho Si Fat, président de la formation de jugement,
- Mme Collet, première conseillère,
- Mme Larsonnier, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 décembre 2022.
La rapporteure,
V. C... Le président,
F. HO SI FAT
Le greffier,
P. TISSERAND
La République mande et ordonne à la ministre de la culture en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20PA04197