Vu la procédure suivante :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 24 février 2021 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice a ordonné son transfert de la maison centrale de Clairvaux vers le centre pénitentiaire de Lille-Loos-Sequedin. Par un jugement n° 2110556 du 14 décembre 2021, le tribunal administratif de Paris a annulé cette décision.
Par un arrêt n° 22PA00728 du 22 juin 2023, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par le garde des sceaux, ministre de la justice contre ce jugement.
Par un pourvoi, enregistré le 23 août 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le garde des sceaux, ministre de la justice demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de procédure pénale ;
- le code pénitentiaire ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Alexandra Bratos, auditrice,
- les conclusions de Mme Esther de Moustier, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, au Cabinet Rousseau, Tapie, avocat de M. A... ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. A..., écroué depuis le 26 février 2012, condamné pour diverses infractions, a fait l'objet, à la demande du chef d'établissement, par une décision du 24 février 2021 du garde des sceaux, ministre de la justice, d'un changement d'affectation, par mesure d'ordre et de sécurité, de la maison centrale de Clairvaux, relevant de la circonscription territoriale de la direction interrégionale des services pénitentiaires Grand-Est, où il était détenu depuis le 11 août 2020, au quartier maison d'arrêt pour hommes (QMAH) du centre pénitentiaire de Lille-Loos-Sequedin, relevant de la circonscription territoriale de la direction interrégionale des services pénitentiaires Grand-Nord. Le ministre se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 22 juin 2023 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel qu'il avait formé contre le jugement du 14 décembre 2021 par lequel le tribunal administratif de Paris a, à la demande de M. A..., annulé pour excès de pouvoir sa décision.
2. Aux termes de l'article D. 80 du code de procédure pénale, dans sa version applicable à la date de la décision attaquée : " Le ministre de la justice dispose d'une compétence d'affectation des condamnés dans toutes les catégories d'établissement. Sa compétence est exclusive pour les affectations dans les maisons centrales et les quartiers maison centrale ainsi que pour décider de l'affectation : / - des condamnés à une ou plusieurs peines dont la durée totale est supérieure ou égale à dix ans et dont la durée de l'incarcération restant à subir au moment où leur condamnation ou la dernière de leurs condamnations est devenue définitive est supérieure à cinq ans ; / - des condamnés à raison d'actes de terrorisme tels que prévus et réprimés par les articles 421-1 à 421-5 du code pénal ainsi que des condamnés ayant fait l'objet d'une inscription au répertoire des détenus particulièrement signalés, prévu par l'article D. 276-1. / Le directeur interrégional des services pénitentiaires est compétent pour décider de l'affectation, dans les centres de détention ou quartiers centre de détention, les centres de semi-liberté ou quartiers de semi-liberté, les centres pour peines aménagées ou quartiers pour peines aménagées, les maisons d'arrêt ou quartiers maison d'arrêt, les établissements spécialisés pour mineurs et les quartiers des mineurs des établissements pénitentiaires des autres condamnés. Il peut déléguer sa compétence aux directeurs des établissements pénitentiaires comprenant un quartier maison d'arrêt et un quartier centre de détention, pour l'affectation des condamnés qui y sont incarcérés et auxquels il reste à subir, au moment où leur condamnation ou la dernière de leurs condamnations est devenue définitive, une incarcération d'une durée inférieure à deux ans ". Aux termes de l'article D. 82 du même code, dans sa version alors applicable : " L'affectation peut être modifiée soit à la demande du condamné, soit à la demande du chef de l'établissement dans lequel il exécute sa peine. / La décision de changement d'affectation appartient au ministre de la justice, dès lors qu'elle concerne : / 1° Un condamné dont il a décidé l'affectation dans les conditions du deuxième alinéa de l'article D. 80 et dont la durée de l'incarcération restant à subir est supérieure à trois ans, au jour où est formée la demande visée au premier alinéa ; / 2° Un condamné à raison d'actes de terrorisme tels que prévus et réprimés par les articles 421-1 à 421-5 du code pénal ; / 3° Un condamné ayant fait l'objet d'une inscription au répertoire des détenus particulièrement signalés, prévu par l'article D. 276-1. / Le directeur interrégional des services pénitentiaires est compétent pour décider du changement d'affectation des autres condamnés. / L'affectation ne peut être modifiée que s'il survient un fait ou un élément d'appréciation nouveau ".
3. Il résulte des dispositions combinées des articles D. 80 et D. 82 du code de procédure pénale, désormais codifiés aux articles D. 211-18 à D. 211-23 du code pénitentiaire s'agissant de la décision d'affectation de la personne condamnée et aux articles D. 211-25 à D. 211-27 du même code, s'agissant des changements d'affectation, que le garde des sceaux, ministre de la justice dispose d'une compétence générale d'affectation des personnes condamnées dans toutes les catégories d'établissements pénitentiaires et que cette compétence lui est réservée pour les affectations dans les maisons centrales et les quartiers maison centrale ainsi que pour décider de l'affectation de certaines personnes condamnées. Par suite, le ministre a compétence, même hors des cas où il dispose d'une compétence exclusive, pour procéder au changement d'affectation d'une personne condamnée, notamment entre deux établissements pénitentiaires relevant du ressort territorial de directions interrégionales des services pénitentiaires différentes, sans qu'y fassent obstacle les dispositions qui donnent également compétence au directeur interrégional pour se prononcer sur leur changement d'affectation.
4. Il s'ensuit qu'en jugeant que le garde des sceaux, ministre de la justice n'avait pas compétence pour décider du changement d'affectation de M. A..., au motif que la décision attaquée n'entrait dans aucun des trois cas pour lesquels l'article D. 82 du code de procédure pénale prévoit sa compétence exclusive pour un changement d'affectation, la cour administrative d'appel de Paris a commis une erreur de droit.
5. Il résulte de ce qui précède que le garde des sceaux, ministre de la justice est fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque. Les dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 font alors obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées sur le fondement de ces dispositions.
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 22 juin 2023 est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Paris.
Article 3 : Les conclusions présentées au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au garde des sceaux, ministre de la justice et à M. B... A....
Délibéré à l'issue de la séance du 29 mai 2024 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; M. Olivier Yeznikian, M. Nicolas Polge, M. Vincent Daumas, M. Didier Ribes, Mme Rozen Noguellou, conseillers d'Etat et Mme Alexandra Bratos, auditrice-rapporteure.
Rendu le 17 juin 2024.
Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
La rapporteure :
Signé : Mme Alexandra Bratos
La secrétaire :
Signé : Mme Claudine Ramalahanoharana