La société de l'Aygue Longue a demandé à la cour administrative d'appel de Bordeaux d'annuler pour excès de pouvoir, d'une part, l'avis défavorable du 23 janvier 2020 de la Commission nationale d'aménagement commercial (CNAC) émis à l'encontre d'un projet d'extension de 8 349 m2 de la surface de vente d'un ensemble commercial situé au Pian-Médoc (Gironde), d'autre part, l'arrêté du 21 février 2020 par lequel le maire de Pian-Médoc a refusé de lui délivrer un permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale, en tant qu'il refuse d'autoriser ce projet d'extension et d'enjoindre, à titre principal, au maire de lui délivrer ce permis de construire et, à titre subsidiaire, au maire et à la CNAC de statuer à nouveau sur sa demande. Par un arrêt n° 20BX00761 du 17 décembre 2021, la cour administrative d'appel a rejeté les conclusions dirigées contre l'avis de la CNAC et annulé l'arrêté du maire de Pian-Médoc.
Par un pourvoi, enregistré le 17 février 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'économie, des finances et de la relance et la Commission nationale d'aménagement commercial demandent au Conseil d'Etat d'annuler cet arrêt en tant qu'il annule l'arrêté du maire de Pian-Médoc.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de commerce ;
- le code de l'urbanisme ;
- la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Edouard Solier, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Jean-François de Montgolfier, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP L. Poulet, Odent, avocat de la société de l'Aygue Longue ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société de l'Aygue Longue a sollicité auprès du maire de Pian-Médoc (Gironde) un permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale en vue de l'extension de 8 349 m2 de la surface de vente d'un ensemble commercial situé sur le territoire de cette commune. La commission départementale d'aménagement commercial de la Gironde a émis, le 19 septembre 2019, un avis favorable à ce projet. Le 23 novembre 2020, la Commission nationale d'aménagement commercial s'est, à l'inverse, prononcée défavorablement au projet, après s'en être autosaisie. Par un arrêté du 21 février 2020, le maire de Pian-Médoc a refusé de délivrer le permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale sollicité. Le ministre de l'économie, des finances et de la relance et la Commission nationale d'aménagement commercial se pourvoient en cassation contre l'arrêt du 17 décembre 2021 de la cour administrative d'appel de Bordeaux en tant qu'il a, sur la requête de la société pétitionnaire, annulé l'arrêté du 21 février 2020 du maire de Pian-Médoc et lui a enjoint de délivrer le permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale dans un délai de deux mois.
2. Aux termes de l'article L. 752-1 du code de commerce : " Sont soumis à une autorisation d'exploitation commerciale les projets ayant pour objet : (...) / 5° L'extension de la surface de vente d'un ensemble commercial ayant déjà atteint le seuil des 1 000 mètres carrés ou devant le dépasser par la réalisation du projet ; (...) ". Aux termes de l'article L. 752-17 du même code : " (...) / II. Lorsque la réalisation du projet ne nécessite pas de permis de construire, les personnes mentionnées au premier alinéa du I peuvent, dans un délai d'un mois, introduire un recours contre la décision de la commission départementale d'aménagement commercial./. (...). / III.-La commission départementale d'aménagement commercial informe la Commission nationale d'aménagement commercial de tout projet mentionné à l'article L. 752-1 dont la surface de vente atteint au moins 20 000 mètres carrés, dès son dépôt. / IV. La commission départementale d'aménagement commercial doit, dès le dépôt du dossier de demande, informer la Commission nationale d'aménagement commercial de tout projet mentionné à l'article L. 752-1 dont la surface de vente est supérieure à 20 000 mètres carrés ou ayant déjà atteint le seuil de 20 000 mètres carrés ou devant le dépasser par la réalisation du projet. / V. La Commission nationale d'aménagement commercial peut se saisir de tout projet mentionné à l'article L. 752-1 dont la surface de vente atteint au moins 20 000 mètres carrés dans le délai d'un mois suivant l'avis émis par la commission départementale d'aménagement commercial conformément au I du présent article ou suivant la décision rendue conformément au II. Elle émet un avis ou rend une décision sur la conformité du projet aux critères énoncés à l'article L. 752-6. Cet avis ou cette décision se substitue à celui de la commission départementale. (...) ".
3. Il résulte des dispositions combinées des III, IV et V de l'article L. 752-17 du code de commerce, éclairées par les travaux préparatoires de la loi du 18 juin 2014 relative à l'artisanat, au commerce et aux très petites entreprises dont elles sont issues, que le législateur a entendu, en prévoyant que la Commission nationale d'aménagement commercial est systématiquement informée des projets dont la surface de vente est supérieure ou égale à 20 000 mètres carrés et de ceux ayant déjà atteint ce seuil ou devant le dépasser par la réalisation du projet, que la Commission nationale puisse s'autosaisir de l'ensemble de ces projets, et non seulement de ceux dont la surface de vente devant être autorisée est supérieure ou égale à 20 000 m2.
4. Il s'ensuit qu'en jugeant que la Commission nationale d'aménagement commercial ne pouvait légalement se saisir du projet d'extension de l'ensemble commercial faisant l'objet de la demande de permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale déposée par la société de l'Aygue Longue au seul motif que l'extension projetée était inférieure à 20 000 m2, alors qu'il lui appartenait de rechercher également si l'ensemble commercial litigieux avait déjà atteint ce seuil ou devait le dépasser par la réalisation du projet, la cour administrative d'appel de Bordeaux a entaché son arrêt d'erreur de droit.
5. Par suite, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre moyen du pourvoi, le ministre de l'économie, des finances et de la relance et la Commission nationale d'aménagement commercial sont fondés à demander l'annulation de l'arrêt qu'ils attaquent en tant qu'il a annulé l'arrêté du maire de Pian-Médoc.
6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
7. D'une part, en vertu de la première phrase de l'article V de l'article L. 752-17 du code de commerce, la Commission nationale d'aménagement commercial peut se saisir de tout projet mentionné à l'article L. 752-1 dont la surface de vente atteint au moins 20 000 mètres carrés dans le délai d'un mois suivant l'avis émis par la commission départementale d'aménagement commercial ou, le cas échéant sa décision. Aux termes de l'article R. 752-4-1 : " (...) Le délai d'un mois prévu au V de l'article L. 752-17 court à compter de la notification au secrétariat de la commission nationale de l'avis ou de la décision de la commission départementale ".
8. D'autre part, aux termes de l'article R. 752-42 : " Sur proposition de son président ou d'au moins de quatre de ses membres, la commission nationale, à la majorité absolue des membres présents, se saisit d'un projet en application du V de l'article L. 752-17. / Le président de la commission nationale notifie la décision de la commission nationale, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou par courrier électronique sécurisé, au préfet du département de la commune d'implantation, au demandeur et, si le projet nécessite un permis de construire, à l'autorité compétente en matière de permis de construire. / Le respect du délai de saisine est apprécié à la date de la notification de la décision au demandeur. "
9. Il résulte de ces dispositions que le respect du délai d'un mois, non franc, dont dispose la Commission nationale d'aménagement commercial pour s'autosaisir sur le fondement des dispositions du V de l'article L. 752-17 du code de commerce, s'apprécie à la date à laquelle sa décision d'autosaisine est notifiée au demandeur. En cas de notification par voie de lettre recommandée avec accusé de réception, le demandeur est réputé en avoir reçu notification à la date de la première présentation du courrier par lequel elle lui est adressée.
10. Il ressort des pièces du dossier que l'avis favorable au projet de la société de l'Aygue Longue émis par la commission départementale d'aménagement commercial de la Gironde le 19 septembre 2019 a été notifié à la Commission nationale d'aménagement commercial le 8 octobre 2019, de sorte que le délai d'un mois prévu par les dispositions du V de l'article L. 752-17 du code de commerce a commencé à courir dès le lendemain et expirait le 8 novembre 2019. Il ressort également des pièces du dossier que la Commission nationale d'aménagement commercial n'a expédié sa décision d'autosaisine, en date du 7 novembre 2019, que par un pli posté le vendredi 8 novembre suivant et qu'il n'a pas été notifié au demandeur avant l'expiration du délai précité. Dans ces conditions, la société requérante est fondée à soutenir que la Commission nationale d'aménagement commercial ne s'est pas compétemment autosaisie du projet litigieux et ne pouvait, dès lors, légalement substituer, à l'avis favorable de la commission départementale, l'avis défavorable qu'elle a émis le 23 novembre 2020. Contrairement à ce que soutient la Commission nationale d'aménagement commercial, cette irrégularité a nécessairement été de nature à entacher la décision prise d'illégalité.
11. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, la société de l'Aygue Longue est fondée à demander l'annulation de l'arrêté du maire de Péan-Médoc refusant de lui délivrer un permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale au vu de l'avis défavorable de la Commission nationale d'aménagement commercial.
12. L'annulation prononcée par la présente décision n'implique pas nécessairement que le maire de Pian-Médoc délivre le permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale sollicité par la requérante. En revanche, il y a lieu d'enjoindre au maire de se prononcer à nouveau sur la demande litigieuse dans un délai de trois mois, en ne prenant en considération que l'avis émis par la commission départementale d'aménagement commercial de la Gironde émis le 19 septembre 2019.
13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à la société de l'Aygue Longue au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 17 décembre 2021 de la cour administrative d'appel de Bordeaux en tant qu'il annule l'arrêté du 21 février 2020 du maire de Pian-Médoc refusant de délivrer un permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale à la société de l'Aygue Longue est annulé.
Article 2 : L'arrêté du 21 février 2020 du maire de Pian-Médoc refusant de délivrer un permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale à la société de l'Aygue Longue est annulé.
Article 3 : Il est enjoint au maire de Pian-Médoc de se prononcer à nouveau, dans un délai de trois mois, sur la demande de permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale à la société de l'Aygue Longue, en tenant compte de l'avis favorable du 19 septembre 2019 de la commission départementale d'aménagement commercial de la Gironde.
Article 4 : L'Etat versera à la société de l'Aygue Longue une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête d'appel est rejeté.
Article 6 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, à la société de l'Aygue Longue et à la commune de Pian-Médoc.
Délibéré à l'issue de la séance du 27 mai 2024 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; M. Jean-Luc Nevache, M. Alban de Nervaux, M. Jean-Dominique Langlais, conseillers d'Etat ; Madame Catherine Brouard-Gallet, conseillère d'Etat en service extraordinaire ; Mme Julia Beurton, maîtresse des requêtes et M. Edouard Solier, maître des requêtes-rapporteur
Rendu le 17 juin 2024.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
Le rapporteur :
Signé : M. Edouard Solier
Le secrétaire :
Signé : M. Christophe Bouba