Vu la procédure suivante :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler la décision implicite par laquelle la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer a rejeté son recours hiérarchique dirigé à l'encontre de la décision du 20 février 2017 par laquelle l'assistante préparatrice section PS du centre nucléaire de production d'électricité (CNPE) de Saint-Alban Saint-Maurice-l'Exil lui avait interdit l'accès à ce centre.
Par un jugement n° 1702853 du 18 décembre 2020, le tribunal administratif de Grenoble a, d'une part, annulé cette décision, d'autre part, enjoint à la ministre de la transition écologique de délivrer l'autorisation sollicitée sous réserve d'éléments nouveaux.
Par un arrêt n° 21LY00601 du 19 avril 2022, la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté l'appel formé par la ministre de la transition écologique contre ce jugement.
Par un pourvoi, enregistré le 17 juin 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la ministre de la transition énergétique demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la défense ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Stéphanie Vera, maîtresse des requêtes,
- les conclusions de M. Frédéric Puigserver, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Gaschignard, Loiseau, Massignon, avocat de M. A... ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juges du fond que M. A..., ouvrier monteur étant intervenu à plusieurs reprises dans des centres nucléaires de production d'électricité (CNPE), a fait l'objet, fin 2015, d'une demande d'autorisation d'accès au CNPE de Saint-Alban Saint-Maurice-l'Exil qui a donné lieu à une décision de refus de l'exploitant le 20 février 2017. Par un courrier du 10 mars 2017, dont il a été accusé réception le 15 mars, M. A... a formé un recours gracieux contre cette décision en application des dispositions de l'article R. 1332-33 du code de la défense qui a fait l'objet d'une décision implicite de rejet du ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer. Par un jugement du 18 décembre 2020, le tribunal administratif de Grenoble a, à la demande de M. A..., annulé cette décision implicite et enjoint à la ministre de la transition écologique de lui délivrer l'autorisation sollicitée sous réserve d'éléments nouveaux. Par un arrêt du 19 avril 2022 contre lequel la ministre de la transition énergétique se pourvoit en cassation, la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté son appel formé contre ce jugement.
2. D'une part, en vertu de l'article L. 1332-1 du code de la défense : " Les opérateurs publics ou privés exploitant des établissements ou utilisant des installations et ouvrages, dont l'indisponibilité risquerait de diminuer d'une façon importante le potentiel de guerre ou économique, la sécurité ou la capacité de survie de la nation, sont tenus de coopérer à leurs frais dans les conditions définies au présent chapitre, à la protection desdits établissements, installations et ouvrages contre toute menace, notamment à caractère terroriste ". Aux termes de l'article L. 1332-2-1 du même code : " L'accès à tout ou partie des établissements, installations et ouvrages désignés en application du présent chapitre est autorisé par l'opérateur qui peut demander l'avis de l'autorité administrative compétente dans les conditions et selon les modalités définies par décret en Conseil d'Etat. / L'avis est rendu à la suite d'une enquête administrative (...) La personne concernée est informée de l'enquête administrative dont elle fait l'objet ". L'article R. 1332-22-1 du même code dans sa rédaction applicable en l'espèce précise que : " Avant d'autoriser l'accès d'une personne physique ou morale à tout ou partie d'un point d'importance vitale qu'il gère ou utilise, l'opérateur d'importance vitale peut demander par écrit l'avis du préfet de département dans le ressort duquel se situe le point d'importance vitale (...). / Cette demande peut justifier que soit diligentée sous le contrôle de l'autorité concernée une enquête administrative destinée à vérifier que les caractéristiques de la personne physique ou morale intéressée ne sont pas incompatibles avec l'accès envisagé et pouvant donner lieu à la consultation des traitements automatisés de données personnelles mentionnés à l'article 26 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978. (...) ". Aux termes de l'article R. 1332-22-3 du code de la défense : " L'opérateur d'importance vitale informe par écrit la personne concernée de la demande d'avis formulée auprès de l'autorité administrative et lui indique que, dans ce cadre, elle fait l'objet d'une enquête administrative conformément aux dispositions de l'article L. 1332-2-1 du présent code ". Enfin, l'article R. 1332-33 du même code dispose que : " Préalablement à l'introduction d'un recours contentieux contre tout acte administratif pris en application du présent chapitre (...), le requérant adresse un recours administratif au ministre coordonnateur du secteur d'activités dont il relève. Le ministre statue dans un délai de deux mois. En l'absence de décision à l'expiration de ce délai, le recours est réputé être rejeté ".
3. En vertu de ces dispositions, l'accès d'une personne à une installation d'importance vitale peut être refusé par l'exploitant de l'installation lorsque les caractéristiques de cette personne ne sont pas compatibles avec cet accès. L'exploitant peut solliciter par écrit l'avis du préfet de département, lequel peut demander à ce que soit diligentée une enquête administrative destinée à vérifier que les caractéristiques de la personne physique ou morale intéressée ne sont pas incompatibles avec l'accès envisagé. Lorsqu'il est saisi, par le recours administratif prévu à l'article R. 1332-33 du code de la défense à titre de préalable obligatoire, d'une décision de refus d'accès à une telle installation, il appartient au ministre compétent d'apprécier, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les caractéristiques de la personne concernée sont effectivement incompatibles avec l'accès à l'installation en cause.
4. D'autre part, aux termes de l'article L. 2312-4 du code de la défense : " Une juridiction française dans le cadre d'une procédure engagée devant elle ou le président d'une des commissions permanentes de l'Assemblée nationale ou du Sénat chargées des affaires de sécurité intérieure, de la défense ou des finances peut demander la déclassification et la communication d'informations, protégées au titre du secret de la défense nationale, à l'autorité administrative en charge de la classification. / Cette demande est motivée. / L'autorité administrative saisit sans délai la Commission du secret de la défense nationale. " Aux termes de l'article L. 2312-7 du même code : " La Commission du secret de la défense nationale émet un avis dans un délai de deux mois à compter de sa saisine. Cet avis prend en considération, d'une part, les missions du service public de la justice, le respect de la présomption d'innocence et les droits de la défense, ou l'exercice du pouvoir de contrôle du Parlement, d'autre part, le respect des engagements internationaux de la France ainsi que la nécessité de préserver les capacités de défense et la sécurité des personnels. / (...) " Par ailleurs, l'article L. 2312-8 du même code prévoit que : " Dans le délai de quinze jours francs à compter de la réception de l'avis de la Commission du secret de la défense nationale, ou à l'expiration du délai de deux mois mentionné à l'article L. 2312-7, l'autorité administrative notifie sa décision, assortie du sens de l'avis, à la juridiction (...) ayant demandé la déclassification et la communication d'informations classifiées. /(...) " L'article R. 2311-4 du même code précise notamment que : " Toute modification du niveau de classification, déclassification, modification ou suppression d'une mention particulière de protection d'une information ou d'un support classifié est décidée par l'autorité sous la responsabilité de laquelle il a été procédé à la classification ".
5. Il appartient au juge administratif, dans l'exercice de ses pouvoirs généraux de direction de la procédure, de prendre toutes mesures propres à lui procurer, par les voies de droit, les éléments de nature à lui permettre de former sa conviction sur les points en litige. Lorsqu'il est fait valoir que certains de ces éléments sont protégés au titre du secret de la défense nationale, il résulte des dispositions citées au point précédent que la commission du secret de la défense nationale ne peut être saisie qu'à la demande de la juridiction en vue du règlement du litige porté devant elle, si elle l'estime utile.
6. Il ressort des pièces de la procédure soumise aux juges du fond que par un jugement avant dire droit du 31 janvier 2020, le tribunal administratif de Grenoble a ordonné un supplément d'instruction tendant notamment à la production par la ministre des armées de toutes précisions sur les motifs permettant d'apprécier la légalité du refus d'accès opposé à M. A..., après avoir saisi la commission du secret de la défense nationale en application des dispositions de l'article L. 2312-4 du code de la défense et, le cas échéant, déclassifié les informations en cause. Par un mémoire du 21 août 2020, le ministre a indiqué ne pas pouvoir porter à la connaissance de la juridiction la note classifiée au niveau " confidentiel défense " établie le 12 mai 2017. Il a toutefois en partie exposé le contenu de cette note reposant, d'une part, sur les conclusions de la commission des recours du service de défense, de sécurité et d'intelligence économique selon lesquelles l'intéressé entretenait des relations avec des personnes liées au terrorisme susceptibles d'induire une vulnérabilité incompatible avec l'accès à des installations d'importance vitale, d'autre part sur des scenarii de menaces envisageables, s'agissant d'une personne occupant le poste auquel M. A... souhaitait accéder, mais ne pouvant être divulgués, et enfin, sur une note du service départemental du renseignement territorial de l'Ain apportant des précisions sur les relations entretenues par M. A... dont la teneur était explicitée.
7. Pour juger que le refus d'accès opposé à M. A... était entaché d'illégalité faute pour l'administration d'apporter un commencement de preuve quant aux relations de l'intéressé avec des personnes ayant commis des infractions pénales de droit commun mais également liées à la mouvance islamiste radicale, la cour administrative d'appel de Lyon s'est notamment fondée sur la circonstance qu'il n'était justifié d'aucune saisine de la commission du secret de la défense nationale en application de l'article L. 2312-4 du code de la défense alors que la ministre de la transition écologique avait fait valoir dès l'instance devant le tribunal administratif le contenu d'une note classifiée au niveau " confidentiel défense " établie le 12 mai 2017 et que le jugement avant-dire droit du tribunal administratif du 31 janvier 2020 sollicitait une telle saisine. En statuant ainsi, alors qu'en tant que juridiction saisie du litige, il lui appartenait, si elle estimait ne pas disposer d'éléments suffisamment circonstanciés de demander, ainsi que le prévoient les dispositions de L. 2312-4 du code de la défense, la déclassification de cette note à l'autorité administrative en charge de la classification à laquelle il revenait ensuite de saisir pour avis la commission consultative du secret de la défense nationale, elle a entaché son arrêt d'erreur de droit.
8. Il résulte de ce qui précède que la ministre de la transition énergétique est fondée à demander l'annulation de l'arrêt attaqué.
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon du 19 avril 2022 est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Lyon.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et à M. B... A....
Délibéré à l'issue de la séance du 20 mars 2024 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, M. Jean-Philippe Mochon, présidents de chambre ; Mme Fabienne Lambolez, M. Alain Seban, M. Cyril Roger-Lacan, M. Stéphane Hoynck, M. Laurent Cabrera, conseillers d'Etat et Mme Stéphanie Vera, maîtresse des requêtes-rapporteure.
Rendu le 26 avril 2024.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
La rapporteure :
Signé : Mme Stéphanie Vera
La secrétaire :
Signé : Mme Marie-Adeline Allain