La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

01/03/2024 | FRANCE | N°466764

France | France, Conseil d'État, 6ème chambre, 01 mars 2024, 466764


Vu la procédure suivante :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 15 octobre 2018 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice a prononcé à son égard la sanction disciplinaire de révocation. Par un jugement n° 1801574 du 13 octobre 2020, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.



Par un arrêt n° 20PA03975 du 30 juin 2022, la cour administrative d'appel de Paris a, sur appel de M. B..., d'une part, annulé ce jugement ainsi que la déci

sion du 15 octobre 2018 du garde des sceaux, ministre de la justice, et, d'autre part...

Vu la procédure suivante :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 15 octobre 2018 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice a prononcé à son égard la sanction disciplinaire de révocation. Par un jugement n° 1801574 du 13 octobre 2020, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 20PA03975 du 30 juin 2022, la cour administrative d'appel de Paris a, sur appel de M. B..., d'une part, annulé ce jugement ainsi que la décision du 15 octobre 2018 du garde des sceaux, ministre de la justice, et, d'autre part, enjoint à ce dernier de réintégrer M. B... dans ses effectifs et de reconstituer sa carrière à compter de la notification de la décision du 15 octobre 2018.

Par un pourvoi, enregistré le 18 août 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le garde des sceaux, ministre de la justice demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel de M. B....

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général de la fonction publique ;

- le code pénitentiaire ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

- la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 ;

- le décret n° 2010-1711 du 30 décembre 2010 ;

- le décret n° 84-961 du 25 octobre 1984 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. David Gaudillère, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Guérin - Gougeon, avocat de M. B... ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un arrêté du 15 octobre 2018, la garde des sceaux, ministre de la justice a prononcé à l'égard de M. A... B..., surveillant des services déconcentrés de l'administration pénitentiaire, la sanction disciplinaire de révocation. Par un jugement du 13 octobre 2020, le tribunal administratif de Melun a rejeté la demande de M. B... tendant à annuler pour excès de pouvoir cet arrêté. Le garde des sceaux, ministre de la justice se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 30 juin 2022 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a, sur l'appel de M. B..., d'une part, annulé ce jugement ainsi que l'arrêté du 15 octobre 2018, et, d'autre part, enjoint au garde des sceaux, ministre de la justice de réintégrer M. B... dans ses effectifs et de reconstituer sa carrière à compter de la notification de cet arrêté.

2. D'une part, en vertu de l'article 11 de la loi du 24 novembre 2009 pénitentiaire, dans sa rédaction applicable à la date de la décision en litige, et dont les dispositions ont été codifiées aux articles L. 113-1 et L. 120-1 du code pénitentiaire : " L'administration pénitentiaire comprend des personnels de direction, des personnels de surveillance, des personnels d'insertion et de probation et des personnels administratifs et techniques. / Un code de déontologie du service public pénitentiaire, établi par décret en Conseil d'Etat, fixe les règles que doivent respecter ces agents (...) ". Selon l'article 12 de la loi du 24 novembre 2009 pénitentiaire, désormais codifié à l'article L. 113-4 du code pénitentiaire : " Les personnels de surveillance de l'administration pénitentiaire constituent, sous l'autorité des personnels de direction, l'une des forces dont dispose l'Etat pour assurer la sécurité intérieure. / Dans le cadre de leur mission de sécurité, ils veillent au respect de l'intégrité physique des personnes privées de liberté et participent à l'individualisation de leur peine ainsi qu'à leur réinsertion (...) ".

3. En application de ces dispositions, l'article 7 du décret du 30 décembre 2010 portant code de déontologie du service public pénitentiaire, dans sa rédaction applicable à la date de la décision en litige, et désormais codifié à l'article R. 122-1 du code pénitentiaire, dispose que : " Le personnel de l'administration pénitentiaire est loyal envers les institutions républicaines. Il est intègre, impartial et probe. Il ne se départit de sa dignité en aucune circonstance ". En vertu de l'article 9 du même décret du 30 décembre 2010, aujourd'hui codifié à l'article R. 122-3 du code pénitentiaire : " Le personnel de l'administration pénitentiaire doit s'abstenir de tout acte (...) qui serait de nature à porter atteinte à la sécurité et au bon ordre des établissements et services et doit remplir ses fonctions dans des conditions telles que celles-ci ne puissent préjudicier à la bonne exécution des missions dévolues au service public pénitentiaire ". Selon l'article 13 du décret du 30 décembre 2010, repris à l'article R. 122-7 du code pénitentiaire : " Le personnel qui serait témoin d'agissements prohibés par le présent code doit s'efforcer de les faire cesser et les porter à la connaissance de sa hiérarchie. Si ces agissements sont constitutifs d'infractions pénales, il les porte également à la connaissance du procureur de la République ". Selon l'article 17 du décret du 30 décembre 2010, repris à l'article R. 122-12 du code pénitentiaire : " Le personnel de l'administration pénitentiaire doit en toute circonstance se conduire et accomplir ses missions de telle manière que son exemple ait une influence positive sur les personnes dont il a la charge et suscite leur respect ". Selon l'article 19 du décret du 30 décembre 2010, repris à l'article R. 122-14 du code pénitentiaire : " Le personnel de l'administration pénitentiaire ne peut occuper les personnes qui lui sont confiées à des fins personnelles, ni accepter d'elles, directement ou indirectement, des dons et avantages de quelque nature que ce soit. / Il ne peut se charger d'aucun message et d'aucune mission, acheter ou vendre aucun produit ou service pour le compte des personnes qui lui sont confiées. / Il ne peut leur remettre ni recevoir d'elles des sommes d'argent, objets ou substances quelconques en dehors des cas prévus par la loi. / Il ne doit permettre ni faciliter aucune communication non autorisée par les textes entre personnes détenues ou entre les personnes détenues et l'extérieur. / Il ne doit pas agir, que ce soit de façon directe ou indirecte, auprès des personnes qui lui sont confiées pour influer sur leurs moyens de défense ou le choix de leurs défenseurs ". Selon l'article 20 du décret du 30 décembre 2010 précité, repris à l'article R. 122-15 du code pénitentiaire : " Le personnel de l'administration pénitentiaire ne peut entretenir sciemment avec des personnes placées par décision de justice sous l'autorité ou le contrôle de l'établissement ou du service dont il relève, ainsi qu'avec les membres de leur famille ou leurs amis, de relations qui ne seraient pas justifiées par les nécessités du service. / Cette interdiction demeure pendant une période de cinq années à compter de la fin de l'exercice de ladite autorité ou dudit contrôle (...) ". Enfin, selon l'article 6 du décret du 30 décembre 2010 précité, désormais codifié à l'article R. 121-3 du code pénitentiaire : " Tout manquement aux devoirs définis par le (...) code [de déontologie du service public pénitentiaire] expose son auteur à une sanction disciplinaire ou au retrait, dans les conditions fixées par le code de procédure pénale, du titre en vertu duquel il intervient au sein des services de l'administration pénitentiaire, sans préjudice, le cas échéant, des peines prévues par la loi pénale ".

4. D'autre part, aux termes de l'article 29 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dans sa version applicable à la date de la décision en litige, désormais codifié à l'article L. 530-1 du code général de la fonction publique : " Toute faute commise par un fonctionnaire dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions l'expose à une sanction disciplinaire sans préjudice, le cas échéant, des peines prévues par la loi pénale ". En outre, aux termes de l'article 66 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat, alors applicable, dont les dispositions ont été reprises à l'article L. 533-1 du code général de la fonction publique : " Les sanctions disciplinaires sont réparties en quatre groupes. / Premier groupe : (...) / Deuxième groupe : (...) / Troisième groupe : la rétrogradation ; l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de trois mois à deux ans / Quatrième groupe : la mise à la retraite d'office ; la révocation (...) ".

5. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes. Si le caractère fautif des faits reprochés est susceptible de faire l'objet d'un contrôle de qualification juridique de la part du juge de cassation, l'appréciation du caractère proportionné de la sanction au regard de la gravité des fautes commises relève, pour sa part, de l'appréciation des juges du fond et n'est susceptible d'être remise en cause par le juge de cassation que dans le cas où la solution qu'ils ont retenue quant au choix, par l'administration, de la sanction est hors de proportion avec les fautes commises.

6. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué qu'alors qu'il exerçait l'activité de surveillant pénitentiaire à la maison d'arrêt de Mulhouse en 2015, M. B... a, après avoir donné son numéro de téléphone à un détenu, rencontré ce dernier à l'extérieur de l'établissement pénitentiaire après sa sortie et reçu de sa part deux téléphones portables. Il a ensuite, à la demande de cet ancien détenu, introduit ces téléphones portables au sein de l'établissement pénitentiaire, en contournant le portique de sécurité, pour les remettre à un autre détenu. Il ressort des énonciations du même arrêt que ces faits ont valu à M. B... la condamnation, par un jugement du 9 juillet 2018 du tribunal correctionnel de Mulhouse, à douze mois d'emprisonnement délictuel avec sursis et douze mois d'interdiction d'exercer l'activité de surveillant pénitentiaire, cette peine d'interdiction d'exercer ayant ensuite été réduite à quatre mois par une décision de la cour d'appel de Colmar du 10 janvier 2019. Si la cour administrative d'appel de Paris a relevé que la gravité des faits reprochés à M. B... justifiait le prononcé d'une sanction sévère, elle a estimé, en se fondant sur le caractère isolé de ces faits dans la carrière de l'intéressé depuis 2010 et sur sa manière de servir, y compris en 2018 alors que les faits avaient eu lieu en 2015, ainsi que de l'absence d'antécédents judiciaires ou disciplinaire, que la sanction de révocation prononcée par le garde des sceaux à l'égard de M. B... était disproportionnée aux faits en cause. Toutefois, les obligations déontologiques de loyauté, d'intégrité, d'impartialité, de dignité et de probité " en toute circonstance " assignées par le code de déontologie du service public pénitentiaire au personnel de l'administration pénitentiaire tout comme l'interdiction pour ce dernier d'entretenir avec les personnes détenues des relations qui ne seraient pas justifiées par les nécessités du service répond à des impératifs tenant à la présentation de la sécurité à l'intérieur de l'établissement, à l'égalité de traitement entre les personnes détenues, ainsi qu'à la nécessité de protéger les droits et libertés de la personne détenue, placée, lorsqu'elle est en détention, dans une situation de vulnérabilité vis-à-vis des personnes concourant au service public pénitentiaire. Par suite, eu égard, d'une part, aux exigences déontologiques qui incombent en toutes circonstances au personnel de surveillance de l'administration pénitentiaire et, d'autre part, à la particulière gravité des manquements reprochés à M. B..., qui, dans le cadre de relations avec un ancien détenu qui n'étaient pas justifiées par les nécessités du service, a porté atteinte à la sécurité même de l'établissement pénitentiaire dans lequel il exerçait ses fonctions, l'appréciation portée sur ce point par la cour conduirait, en cas de reprise de la procédure disciplinaire, au prononcé d'une sanction qui serait, en raison de son caractère insuffisant, hors de proportion avec les fautes commises. Il s'ensuit que le garde des sceaux, ministre de la justice est fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque.

7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 30 juin 2022 est annulé.

Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Paris.

Article 3 : Les conclusions présentées par M. B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée au garde des sceaux, ministre de la justice et à M. A... B....

Délibéré à l'issue de la séance du 25 janvier 2024 où siégeaient : Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre, présidant ; M. Cyril Roger-Lacan, conseiller d'Etat et M. David Gaudillère, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 1er mars 2024.

La présidente :

Signé : Mme Isabelle de Silva

Le rapporteur :

Signé : M. David Gaudillère

La secrétaire :

Signé : Mme Angélique Rajaonarivelo


Synthèse
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 466764
Date de la décision : 01/03/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 01 mar. 2024, n° 466764
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. David Gaudillère
Rapporteur public ?: M. Nicolas Agnoux
Avocat(s) : SCP GUÉRIN - GOUGEON

Origine de la décision
Date de l'import : 03/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:466764.20240301
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award