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13/10/2023 | FRANCE | N°461407

France | France, Conseil d'État, 6ème - 5ème chambres réunies, 13 octobre 2023, 461407


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Par une décision n° 409441 du 28 décembre 2018, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a attribué au tribunal administratif de Montpellier le jugement de la requête par laquelle M. Jacques Laffon, M. Jean-Luc Marcuello et M. Alain Ayrolles, notaires, associés d'une société civile professionnelle (SCP) titulaire d'un office de notaire à la résidence de Sigean (Aude), ont demandé, d'une part, d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 29 novembre 2016

par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a rejeté leur demande tendant...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par une décision n° 409441 du 28 décembre 2018, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a attribué au tribunal administratif de Montpellier le jugement de la requête par laquelle M. Jacques Laffon, M. Jean-Luc Marcuello et M. Alain Ayrolles, notaires, associés d'une société civile professionnelle (SCP) titulaire d'un office de notaire à la résidence de Sigean (Aude), ont demandé, d'une part, d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 29 novembre 2016 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a rejeté leur demande tendant à l'ouverture d'un bureau annexe à la résidence de Leucate (Aude) ainsi que la décision implicite de rejet du recours gracieux qu'ils ont formé contre cette décision et, d'autre part, d'enjoindre au garde des sceaux, ministre de la justice, de délivrer à la SCP une attestation de la décision implicite du 21 août 2016 autorisant l'ouverture du bureau annexe, ou, à défaut, de prendre une nouvelle décision.

Par un jugement n° 1806436 du 5 juillet 2019, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté leur demande.

Par un arrêt n° 19MA04224 du 14 décembre 2021, la cour administrative d'appel de Marseille a, sur appel de M. Laffon, M. Marcuello et M. Ayrolles, d'une part, annulé ce jugement ainsi que la décision du 2 novembre 2016 et la décision confirmative prise sur le recours gracieux contre cette décision et, d'autre part, enjoint au garde des sceaux, ministre de la justice, de délivrer à la SCP " Jacques Laffon, Jean-Luc Marcuello et Alain Ayrolles, notaires associés titulaires d'un office notarial " devenue SCP " Alain Ayrolles, Nathalie Roudières, Guillem Ricour, Elodie Fourcadet, Ombeline Poudou-Labonde et Jean-Luc Marcuello, notaires associés ", une attestation d'autorisation d'ouverture d'un bureau annexe à Leucate et de suppression du bureau annexe de Durban-Corbières, dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt.

Procédure devant le Conseil d'Etat :

Par un pourvoi et un mémoire en réplique, enregistrés les 11 février et 19 décembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le garde des sceaux, ministre de la justice, demande au Conseil d'Etat d'annuler cet arrêt.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 66-879 du 29 novembre 1966 ;

- la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 ;

- l'ordonnance n° 45-2590 du 2 novembre 1945 ;

- le décret n° 67-868 du 2 octobre 1967 ;

- le décret n° 71-942 du 26 novembre 1971 ;

- le décret n° 73-609 du 5 juillet 1973 ;

- le décret n° 2014-1277 du 23 octobre 2014 ;

- le décret n° 2016-216 du 26 février 2016 ;

- le décret n° 2016-661 du 20 mai 2016 ;

- l'arrêté du 16 septembre 2016 du garde des sceaux, ministre de la justice et du ministre de l'économie et des finances, pris en application de l'article 52 de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Cédric Fraisseix, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Stéphane Hoynck, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, avocat de M. Laffon et autres ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article 10 du décret du 26 novembre 1971 relatif aux créations, transferts et suppressions d'offices de notaire, à la compétence d'instrumentation et à la résidence des notaires, à la garde et à la transmission des minutes et registres professionnels des notaires, dans sa rédaction applicable au litige en vertu de l'article 16 du décret du 20 mai 2016 relatif aux officiers publics et ministériels : " (...) il est interdit aux notaires de recevoir eux-mêmes ou de faire recevoir par une personne à leur service leurs clients à titre habituel dans un local autre que leur étude (...). / Le garde des sceaux, ministre de la justice peut, à la demande du titulaire de l'office, prendre un arrêté autorisant l'ouverture d'un ou plusieurs bureaux annexes soit à l'intérieur du département, soit à l'extérieur du département dans un canton ou une commune limitrophe du canton où est établi l'office. Le ou les bureaux annexes ainsi ouverts restent attachés à l'office sans qu'il soit besoin, lors de la nomination d'un nouveau titulaire, de renouveler l'autorisation accordée ". Aux termes de l'article 2-7 du même décret, dans sa rédaction applicable au litige : " La création ou la suppression d'un office, la transformation d'un bureau annexe en office distinct et l'ouverture ou la suppression d'un bureau annexe font l'objet d'un arrêté du garde des sceaux, ministre de la justice. / Le siège de l'office créé est précisé par l'arrêté qui nomme le titulaire ".

2. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, sur le fondement des dispositions citées au point 1, MM. Laffon, Marcuello et Ayrolles, notaires, associés d'une société civile professionnelle (SCP) titulaire d'un office de notaire à la résidence de Sigean (Aude), ont sollicité, par une demande en date du 14 juin 2016, reçue le 21 juin 2016 par le garde des sceaux, ministre de la justice, l'autorisation d'ouvrir un bureau annexe à la résidence de Leucate (Aude) et la suppression concomitante d'un bureau annexe à la résidence de Durban-Corbières (Aude). Par une décision du 28 décembre 2018, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a attribué au tribunal administratif de Montpellier, en application de l'article R. 351-1 du code de justice administrative, le jugement de la requête de M. Laffon et autres tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du 29 novembre 2016 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a rejeté leur demande du 14 juin 2016 ainsi que de la décision implicite, née du silence gardé par ce dernier pendant un délai de deux mois, rejetant leur recours gracieux formé le 9 décembre 2016 contre cette décision. Par un jugement du 5 juillet 2019, le tribunal administratif a rejeté la demande de M. Laffon et autres. Le garde des sceaux, ministre de la justice se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 14 décembre 2021 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille a, sur appel de M. Laffon et autres, d'une part, annulé le jugement du tribunal administratif ainsi que les deux décisions attaquées du garde des sceaux, ministre de la justice et, d'autre part, enjoint à ce dernier de délivrer à la SCP " Jacques Laffon, Jean-Luc Marcuello et Alain Ayrolles, notaires associés titulaires d'un office notarial ", devenue SCP " Alain Ayrolles, Nathalie Roudières, Guillem Ricour, Elodie Fourcadet, Ombeline Poudou-Labonde et Jean-Luc Marcuello, notaires associés ", une attestation d'autorisation d'ouverture d'un bureau annexe à la résidence de Leucate et de suppression du bureau annexe de la résidence de Durban-Corbières, dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt.

Sur le cadre juridique applicable au litige :

3. D'une part, aux termes de l'article 1er de l'ordonnance du 2 novembre 1945 relative au statut des notaires : " Les notaires sont les officiers publics établis pour recevoir tous les actes et contrats auxquels les parties doivent ou veulent faire donner le caractère d'authenticité attaché aux actes de l'autorité publique, et pour en assurer la date, en conserver le dépôt, en délivrer des grosses et expéditions ". En vertu de l'article 52 de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques : " I. - Les notaires (...) peuvent librement s'installer dans les zones où l'implantation d'offices apparaît utile pour renforcer la proximité ou l'offre de services. / Ces zones sont déterminées par une carte établie conjointement par les ministres de la justice et de l'économie, sur proposition de l'Autorité de la concurrence en application de l'article L. 462-4-1 du code de commerce. Elles sont définies de manière détaillée au regard de critères précisés par décret, parmi lesquels une analyse démographique de l'évolution prévisible du nombre de professionnels installés. / A cet effet, cette carte identifie les secteurs dans lesquels, pour renforcer la proximité ou l'offre de services, la création de nouveaux offices de notaire (...) apparaît utile. / Afin de garantir une augmentation progressive du nombre d'offices à créer, de manière à ne pas bouleverser les conditions d'activité des offices existants, cette carte est assortie de recommandations sur le rythme d'installation compatible avec une augmentation progressive du nombre de professionnels dans la zone concernée. / Cette carte est rendue publique et révisée tous les deux ans. / II.- Dans les zones mentionnées au I, lorsque le demandeur remplit les conditions de nationalité, d'aptitude, d'honorabilité, d'expérience et d'assurance requises pour être nommé en qualité de notaire, (...) le ministre de la justice le nomme titulaire de l'office de notaire (...) créé. (...) / Si, dans un délai de six mois à compter de la publication de la carte mentionnée au I, le ministre de la justice constate un nombre insuffisant de demandes de créations d'office au regard des besoins identifiés, il procède (...) à un appel à manifestation d'intérêt en vue d'une nomination dans un office vacant ou à créer ou de la création d'un bureau annexe par un officier titulaire. / Si l'appel à manifestation d'intérêt est infructueux, le ministre de la justice confie la fourniture des services d'intérêt général en cause (...), à la chambre départementale des notaires (...) concernée (...). / III. - Dans les zones autres que celles mentionnées au I, il ne peut être créé de nouveaux offices qu'à la condition de ne pas porter atteinte à la continuité de l'exploitation des offices existants et à la qualité du service rendu. L'arrêté portant création d'un ou plusieurs nouveaux offices est pris après avis de l'Autorité de la concurrence (...) ".

4. D'autre part, aux termes de l'article 1er du décret du 26 février 2016 relatif à l'établissement de la carte instituée au I de l'article 52 de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques : " I. - (...) l'Autorité de la concurrence propose au ministre de la justice et au ministre chargé de l'économie une carte identifiant les zones (...) où l'implantation d'offices apparaît utile pour renforcer la proximité ou l'offre de service de ces professions, au regard des critères suivants : / 1° Critères permettant d'évaluer le niveau et les perspectives d'évolution de l'offre de service : / - nombre et localisation des offices installés ; / - chiffre d'affaires global de ces offices et celui réalisé par chacun d'entre eux sur les cinq dernières années, en distinguant les montants respectifs des émoluments et des honoraires ; / - nombre de professionnels nommés dans ces offices (titulaires, associés, salariés) ; / - nombre et localisation des offices vacants ; / - âge des professionnels en exercice ; / 2° Critères permettant d'évaluer le niveau et les perspectives d'évolution de la demande : / - caractéristiques démographiques et tendance de leur évolution ; / - évolutions significatives de la situation économique ayant une incidence directe sur l'activité des professionnels, dont l'évolution : / - s'agissant des notaires : des marchés immobiliers et fonciers, et du nombre de mariages et de décès ; / (...). / II. - Les zones mentionnées au I doivent être délimitées en tenant compte de la localisation géographique des usagers auxquels les professionnels fournissent habituellement des prestations et du lieu d'exécution de la prestation ". Aux termes de l'article 53 du décret du 5 juillet 1973 relatif à la formation professionnelle dans le notariat et aux conditions d'accès aux fonctions de notaire, dans sa rédaction applicable au litige, qui régit les demandes de nomination sur un office de notaire créé : " Dans les zones mentionnées au I de l'article 52 de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 susmentionnée, le garde des sceaux, ministre de la justice, nomme les demandeurs au regard des recommandations dont est assortie la carte et suivant l'ordre d'enregistrement de leur demande. / Toutefois, lorsque le nombre des demandes de création d'office enregistrées dans les vingt-quatre heures suivant la date d'ouverture du dépôt des demandes (...) est supérieur, pour une même zone, aux recommandations, l'ordre de ces demandes est déterminé par tirage au sort en présence d'un représentant du Conseil supérieur du notariat dans les conditions prévues par un arrêté du garde des sceaux, ministre de la justice ".

5. Il résulte des dispositions de l'article 52 de la loi du 6 août 2015 citées au point 3, précisées par les dispositions réglementaires citées au point 4, que le législateur a entendu améliorer l'accès aux offices publics ou ministériels dans la perspective de renforcer la cohésion territoriale des prestations et d'augmenter de façon progressive le nombre d'offices sur le territoire, la réalisation de cet objectif devant toutefois se faire dans des conditions permettant de ne pas bouleverser les conditions d'activité des offices existants. Pour ce faire, le législateur a substitué à un régime d'autorisation préalable un principe de liberté d'installation des offices, encadré par une procédure permettant de s'assurer que le nombre, la localisation, les caractéristiques et la viabilité économique des offices à créer, tout comme les motifs de leur création, reposent sur des critères objectifs et répondent aux besoins du service public notarial. Dans les zones où l'implantation d'offices apparaît utile pour renforcer la proximité ou l'offre de services, dites zones d'installation libre, les nominations sont ainsi prononcées par le garde des sceaux, ministre de la justice, au regard des recommandations de la carte arrêtée par les ministres de la justice et de l'économie et suivant l'ordre d'enregistrement de leur demande et, lorsque le nombre de demandes de création d'office est supérieur aux recommandations, par tirage au sort.

6. Enfin, aux termes de l'article L. 100-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Le présent code régit les relations entre le public et l'administration en l'absence de dispositions spéciales applicables (...) ". En vertu des dispositions de l'article L. 231-1 du même code : " Le silence gardé pendant deux mois par l'administration sur une demande vaut décision d'acceptation ".

Sur le pourvoi :

7. Il appartient au garde des sceaux, ministre de la justice, dans l'exercice des pouvoirs qui lui sont conférés par les dispositions du décret du 26 novembre 1971 citées au point 1, de se fonder, dans l'intérêt du service public, sur les besoins du public, la situation géographique et l'évolution démographique et économique pour décider l'ouverture d'un bureau annexe à un office de notaire existant, et ce, quelle que soit la zone où celle-ci est envisagée, et de tenir compte, pour cela, du nombre et de la localisation des offices existants ou à créer. Dans l'appréciation de ces intérêts, il peut également tenir compte des exigences liées à la viabilité d'un office de notaire dont le maintien apparaît nécessaire. Il lui appartient également de veiller à ce que, par ses effets, l'ouverture d'un bureau annexe ne remette pas en cause la création d'offices, particulièrement lorsque le nombre de demandes de création de ces offices est supérieur aux recommandations. En outre, il résulte des dispositions du II de l'article 52 de la loi du 6 août 2015 précité que dans les zones où l'implantation d'offices apparaît utile pour renforcer la proximité ou l'offre de services, si, dans un délai de six mois à compter de la publication de la carte fixant les zones dans lesquelles les notaires peuvent librement s'installer ainsi que le nombre d'offices à créer dans ces zones pour les deux années à venir, le garde des sceaux, ministre de la justice constate un nombre insuffisant de demandes de créations d'offices au regard des besoins identifiés, il s'assure de la satisfaction de ces derniers, notamment par la création de bureaux annexes à un office existant, après avoir lancé un appel à manifestation d'intérêt.

8. Il résulte de ce qui précède que la procédure d'ouverture d'un bureau annexe à un office de notaire doit tenir compte de la procédure d'instruction des demandes de création d'offices de notaire et, en tout état de cause, ne pas la remettre en cause, par ses effets, et constitue ainsi, comme cette dernière, une procédure spécifique, eu égard tant à la qualité d'officier public des notaires et aux prérogatives qui leur sont conférées qu'à la nécessité pour le nombre et la localisation de ces offices et bureaux annexes de correspondre aux besoins du service public notarial. En outre, l'ouverture d'un bureau annexe constitue un avantage ou une autorisation que le garde des sceaux, ministre de la justice ne peut accorder qu'à un nombre prédéfini et limité de personnes du fait de la procédure de nomination dans les offices créés dans une zone d'installation libre.

9. Il suit de là que la procédure d'ouverture d'un bureau annexe à un office de notaire relève de dispositions spéciales qui implique que les décisions d'acceptation soient prises de manière expresse. Elle n'entre pas, en conséquence, dans le champ du principe posé à l'article L. 231-1 du code des relations entre le public et l'administration, de sorte que le silence gardé pendant deux mois par le garde des sceaux, ministre de la justice, sur une demande d'ouverture d'un bureau annexe ne peut faire naître une décision implicite d'acceptation.

10. Il résulte de ce qui précède qu'en relevant que les dispositions de l'article 2-7 du décret du 26 novembre 1971 ne pouvaient être regardées comme des dispositions spéciales au sens de l'article L. 100-1 du code des relations entre le public et l'administration et ne permettaient pas, par suite, de déroger au principe " silence vaut acceptation " posé à l'article L. 231-1 du même code, la cour a entaché son arrêt d'erreur de droit.

11. Il résulte de tout ce qui précède que le garde des sceaux, ministre de la justice, est fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque.

12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

Sur le règlement au fond :

13. En premier lieu, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " (...) doivent être motivées les décisions qui (...) / 4° Retirent ou abrogent une décision créatrice de droits ". Selon l'article L. 121-1 du même code : " Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2 (...) sont soumises au respect d'une procédure contradictoire préalable ". Il résulte de ces dispositions que les décisions qui retirent une décision créatrice de droits doivent être précédées d'une procédure contradictoire préalable.

14. Ainsi qu'il a été dit au point 9, le silence gardé par le garde des sceaux, ministre de la justice, sur la demande du 14 juin 2016, reçue le 21 juin 2016, d'autorisation d'ouverture d'un bureau annexe et de suppression concomitante d'un autre bureau annexe n'a pas été de nature à faire naître une décision implicite d'acceptation. Dès lors, la décision du 29 novembre 2016 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a expressément rejeté la demande du 14 juin 2016, non plus que la décision implicite de rejet du recours gracieux formé contre cette décision, ne sauraient être regardées comme des décisions de retrait d'une décision créatrice de droits. Par suite, les requérants ne peuvent utilement soutenir que la décision du 29 novembre 2016 et la décision implicite de rejet du recours gracieux formé contre cette décision seraient irrégulières, faute d'avoir été précédées d'une procédure contradictoire préalable.

15. En deuxième lieu, aux termes du premier alinéa de l'article 2-5 du décret du 26 novembre 1971 précité, dans sa version alors applicable : " Le bureau du Conseil supérieur du notariat communique au garde des sceaux, ministre de la justice, dans les vingt jours suivant sa demande, toute information dont il dispose permettant d'apprécier la pertinence de tout projet de suppression d'un office de notaire, de transfert d'un office de notaire effectué dans les conditions prévues aux III et IV de l'article 2-6 du présent décret, d'ouverture ou de suppression de bureaux annexes ou de transformation d'un bureau annexe en office distinct ".

16. Ces dispositions n'imposent pas au garde des sceaux, ministre de la justice de saisir le Conseil supérieur du notariat de toute demande d'ouverture d'un bureau annexe mais se bornent à déterminer le délai dans lequel cette instance communique au garde des sceaux les informations dont elle dispose, lorsque ce dernier en fait la demande. Par suite, le moyen tiré de ce que les décisions attaquées seraient illégales, faute pour le garde des sceaux, ministre de la justice d'avoir sollicité le bureau du Conseil supérieur du notariat doit être écarté.

17. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que les communes de Sigean, Durban-Corbières et Leucate, qui se situent dans le département de l'Aude, appartiennent à la zone dite " d'installation libre " n° 207 de Narbonne dans laquelle l'arrêté du 16 septembre 2016 susvisé a recommandé la création de cinq offices et fixé un objectif de huit nominations de notaires titulaires ou associés en exercice d'une personne morale titulaire d'un office créé. Par la décision attaquée du 29 novembre 2016, le garde des sceaux, ministre de la justice a indiqué tenir compte de ces recommandations pour se prononcer sur l'ouverture de bureaux annexes, particulièrement dans les villes qui ne bénéficieraient pas d'une présence notariale suffisante. Ce faisant, le garde des sceaux a, à la date à laquelle il s'est prononcé, soit avant le terme du délai de six mois prévu au II de l'article 52 de la loi du 6 août 2015 précitée, et dans les conditions posées au point 7, tenu compte du fait que ni les besoins du public ni la situation géographique ni l'évolution démographique et économique ne nécessitaient l'ouverture d'un bureau annexe dans cette zone alors qu'au demeurant, il ne ressortait par ailleurs pas des pièces du dossier que l'ouverture d'un bureau annexe aurait été justifiée pour assurer la viabilité économique de l'office des requérants. Dans ces conditions, le garde des sceaux, ministre de la justice, qui a fait une exacte application des textes applicables, s'est livré à une appréciation qui n'est entachée ni d'inexactitude matérielle, ni d'erreur manifeste d'appréciation.

18. En quatrième et dernier lieu, le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que l'autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'elle déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que la différence de traitement qui en résulte soit, dans l'un comme l'autre cas, en rapport avec l'objet de la norme qui l'établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des différences de situation susceptibles de la justifier.

19. Si les requérants allèguent que la décision du 29 novembre 2016 du garde des sceaux a été prise en méconnaissance du principe d'égalité devant la loi, au motif que satisfaction a été donnée à d'autres demandes d'ouvertures de bureaux annexes, il ressort des pièces du dossier que les demandes satisfaites soit concernaient l'ouverture de bureaux annexes à l'intérieur de zones dans lesquelles aucune demande d'ouverture d'office n'avait été formulée, soit étaient fondées sur les dispositions de l'avant-dernier alinéa de l'article 10 du décret du 26 novembre 1971 précité aux termes desquelles : " Lorsqu'un office a été transféré ou a bénéficié de l'attribution de minutes d'un office supprimé, l'ouverture d'un bureau annexe peut être prescrite, dans les mêmes formes, dans le lieu où était établi l'office transféré ou supprimé ". Par suite, les bénéficiaires des décisions d'ouverture de bureaux annexes n'étaient pas placés dans la même situation que celle des requérants, de sorte que le moyen tiré de ce que la décision attaquée méconnaîtrait le principe d'égalité doit être écarté.

20. Il résulte de ce qui précède que M. Laffon et autres ne sont pas fondés à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté leur demande.

21. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille du 14 décembre 2021 est annulé.

Article 2 : La requête présentée par M. Laffon et autres devant la cour administrative d'appel de Marseille est rejetée.

Article 3 : Les conclusions de M. Laffon et autres présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée au garde des sceaux, ministre de la justice et à M. Jacques Laffon, premier dénommé pour l'ensemble des défendeurs.

Délibéré à l'issue de la séance du 20 septembre 2023 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, M. Jean-Philippe Mochon, présidents de chambre ; Mme Suzanne von Coester, Mme Fabienne Lambolez, M. Olivier Yeznikian, conseillers d'Etat et M. Cédric Fraisseix, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.

Rendu le 13 octobre 2023.

La présidente :

Signé : Mme Christine Maugüé

Le rapporteur :

Signé : M. Cédric Fraisseix

La secrétaire :

Signé : Mme Valérie Peyrisse


Synthèse
Formation : 6ème - 5ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 461407
Date de la décision : 13/10/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

ACTES LÉGISLATIFS ET ADMINISTRATIFS - DIFFÉRENTES CATÉGORIES D'ACTES - DÉCISIONS IMPLICITES - SILENCE GARDÉ SUR UNE DEMANDE D'OUVERTURE D'UN BUREAU ANNEXE À UN OFFICE DE NOTAIRE – DÉCISION D'ACCEPTATION – ABSENCE [RJ1].

01-01-08 La procédure d’ouverture d’un bureau annexe à un office de notaire doit tenir compte de la procédure d’instruction des demandes de création d’offices de notaire et, en tout état de cause, ne pas la remettre en cause, par ses effets, et constitue ainsi, comme cette dernière, une procédure spécifique, eu égard tant à la qualité d’officier public des notaires et aux prérogatives qui leur sont conférées qu’à la nécessité pour le nombre et la localisation de ces offices et bureaux annexes de correspondre aux besoins du service public notarial. En outre, l’ouverture d’un bureau annexe constitue un avantage ou une autorisation que le garde des sceaux, ministre de la justice ne peut accorder qu’à un nombre prédéfini et limité de personnes du fait de la procédure de nomination dans les offices créés dans une zone d’installation libre....Il suit de là que la procédure d’ouverture d’un bureau annexe à un office de notaire relève de dispositions spéciales qui implique que les décisions d’acceptation soient prises de manière expresse. Elle n’entre pas, en conséquence, dans le champ du principe posé à l’article L. 231-1 du code des relations entre le public et l’administration (CRPA), de sorte que le silence gardé pendant deux mois par le garde des sceaux, ministre de la justice, sur une demande d’ouverture d’un bureau annexe ne peut faire naître une décision implicite d’acceptation.

PROFESSIONS - CHARGES ET OFFICES - CONDITIONS D'EXERCICE DES PROFESSIONS - PROFESSIONS S'EXERÇANT DANS LE CADRE D'UNE CHARGE OU D'UN OFFICE - DEMANDE D’OUVERTURE D’UN BUREAU ANNEXE À UN OFFICE DE NOTAIRE – 1) APPRÉCIATION PAR LE GARDE DES SCEAUX – A) CRITÈRES [RJ2] – B) CAS D’UNE DEMANDE SURVENUE DANS LE UN DÉLAI DE SIX MOIS SUIVANT LA PUBLICATION DE LA CARTE DES ZONES D’INSTALLATION LIBRE DES NOTAIRES – OBLIGATION DE TENIR COMPTE DES RECOMMANDATIONS DE CETTE CARTE – EXISTENCE – 2) CONSÉQUENCE DU SILENCE GARDÉ PAR L’ADMINISTRATION – NAISSANCE D’UNE DÉCISION IMPLICITE D’ACCEPTATION (ART - L - 231-1 DU CRPA) – ABSENCE [RJ1].

55-03-05 1) a) Il appartient au garde des sceaux, ministre de la justice, dans l'exercice des pouvoirs qui lui sont conférés par les articles 2-1 et 10 du décret n° 71-942 du 26 novembre 1971, de se fonder, dans l'intérêt du service public, sur les besoins du public, la situation géographique et l'évolution démographique et économique pour décider l'ouverture d'un bureau annexe à un office de notaire existant, et ce, quelle que soit la zone où celle-ci est envisagée, et de tenir compte, pour cela, du nombre et de la localisation des offices existants ou à créer. Dans l’appréciation de ces intérêts, il peut également tenir compte des exigences liées à la viabilité d’un office de notaire dont le maintien apparaît nécessaire. Il lui appartient également de veiller à ce que, par ses effets, l’ouverture d’un bureau annexe ne remette pas en cause la création d’offices, particulièrement lorsque le nombre de demandes de création de ces offices est supérieur aux recommandations. En outre, il résulte des dispositions du II de l’article 52 de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 que dans les zones où l'implantation d'offices apparaît utile pour renforcer la proximité ou l'offre de services, si, dans un délai de six mois à compter de la publication de la carte fixant les zones dans lesquelles les notaires peuvent librement s’installer ainsi que le nombre d’offices à créer dans ces zones pour les deux années à venir, le garde des sceaux, ministre de la justice constate un nombre insuffisant de demandes de créations d'offices au regard des besoins identifiés, il s’assure de la satisfaction de ces derniers, notamment par la création de bureaux annexes à un office existant, après avoir lancé un appel à manifestation d'intérêt....b) Communes appartenant à une zone dite « d’installation libre » dans laquelle un arrêté du garde des sceaux, ministre de la justice et du ministre de l’économie et des finances, pris en application de l'article 52 de la loi du 6 août 2015, a recommandé la création d’offices et fixé un objectif de nominations de notaires titulaires ou associés en exercice d'une personne morale titulaire d'un office créé. ...En indiquant tenir compte de ces recommandations pour se prononcer sur l’ouverture de bureaux annexes, particulièrement dans les villes qui ne bénéficieraient pas d’une présence notariale suffisante, le garde des sceaux a, à la date à laquelle il s’est prononcé, soit avant le terme du délai de six mois prévu au II de l’article 52 de la loi du 6 août 2015, et dans les conditions mentionnées ci-dessus, tenu compte du fait que ni les besoins du public ni la situation géographique ni l’évolution démographique et économique ne nécessitaient l’ouverture d’un bureau annexe dans cette zone....2) La procédure d’ouverture d’un bureau annexe à un office de notaire doit tenir compte de la procédure d’instruction des demandes de création d’offices de notaire et, en tout état de cause, ne pas la remettre en cause, par ses effets, et constitue ainsi, comme cette dernière, une procédure spécifique, eu égard tant à la qualité d’officier public des notaires et aux prérogatives qui leur sont conférées qu’à la nécessité pour le nombre et la localisation de ces offices et bureaux annexes de correspondre aux besoins du service public notarial. En outre, l’ouverture d’un bureau annexe constitue un avantage ou une autorisation que le garde des sceaux, ministre de la justice ne peut accorder qu’à un nombre prédéfini et limité de personnes du fait de la procédure de nomination dans les offices créés dans une zone d’installation libre....Il suit de là que la procédure d’ouverture d’un bureau annexe à un office de notaire relève de dispositions spéciales qui implique que les décisions d’acceptation soient prises de manière expresse. Elle n’entre pas, en conséquence, dans le champ du principe posé à l’article L. 231-1 du code des relations entre le public et l’administration (CRPA), de sorte que le silence gardé pendant deux mois par le garde des sceaux, ministre de la justice, sur une demande d’ouverture d’un bureau annexe ne peut faire naître une décision implicite d’acceptation.


Références :

[RJ1]

Rappr., s’agissant de la délivrance d’un brevet d’invention, CE, 30 décembre 2015, Compagnie nationale des conseils en propriété industrielle (CNCPI) et autres, n°s 386805 386807, T. pp. 529-530....

[RJ2]

Rappr., dans l’état antérieur des textes, CE, 9 mai 2001, Brugeille, n° 215024, T. p. 1173 ;

s’agissant de la nature de la décision d’ouverture d’un bureau annexe, CE, 28 décembre 2018, M. Laffon, n° 409441, T. p. 658.


Publications
Proposition de citation : CE, 13 oct. 2023, n° 461407
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Cédric Fraisseix
Rapporteur public ?: M. Stéphane Hoynck
Avocat(s) : SARL MATUCHANSKY, POUPOT, VALDELIEVRE, RAMEIX

Origine de la décision
Date de l'import : 26/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:461407.20231013
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