Vu la procédure suivante :
Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 20 mars, 2 mai et 12 septembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... B... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 15 février 2023 accordant son extradition aux autorités américaines ;
2°) à titre subsidiaire, de saisir la Cour de justice de l'Union européenne des questions préjudicielles suivantes :
- Les articles 18 et 21 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et 4 du traité sur l'Union européenne doivent-ils être interprétés en ce sens que, lorsque les autorités d'un Etat membre dans lequel un citoyen de l'Union, ressortissant d'un autre Etat membre, s'est déplacé, se sont vu adresser une demande d'extradition par un Etat tiers en vertu d'un traité d'extradition et d'une convention d'extradition entre l'Union européenne et l'Etat tiers, elles doivent, non seulement informer l'Etat membre dont ce citoyen a la nationalité, mais également lui transmettre l'ensemble des pièces communiquées par l'Etat requérant au soutien de sa demande d'extradition et lui permettre de solliciter du pays requérant, par son intermédiaire, toute information complémentaire '
- Les articles 21 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, et 47 et 51 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne doivent-ils être interprétés en ce sens que l'Etat membre de nationalité, auquel l'Etat membre requis a transmis l'ensemble des éléments de droit et de fait communiqués par l'Etat tiers pour qu'il puisse, le cas échéant, émettre un mandat d'arrêt européen, doit rendre une décision formelle, dûment motivée et susceptible d'un recours juridictionnel au regard notamment des droits visés aux articles 4, 5, 7, 19, 24, 47 et 49 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, et 20 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, lorsque l'extradition serait de nature à violer ses droits '
- Dans le cas d'une réponse affirmative à la question précédente, l'article 47 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne doit-il être interprété en ce sens que l'Etat membre requis doit, en cas de recours juridictionnel exercé contre la décision formelle de refus ou d'émission d'un mandat d'arrêt européen de l'Etat membre de nationalité, surseoir à statuer dans l'attente d'une décision définitive '
- Les articles 18, 20 et 21 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, et l'article 17§2 de l'accord entre l'Union européenne et les Etats-Unis d'Amérique en matière d'extradition, doivent-ils être interprétés en ce sens que lorsque l'Etat membre requis n'est pas en mesure de s'assurer que les droits et libertés consacrés par le droit de l'Union, notamment par la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, seraient garantis en cas d'extradition ou que celle-ci aurait des conséquences manifestement disproportionnées, notamment au regard de la protection de la vie familiale et de l'intérêt supérieur de l'enfant, l'Etat membre requis doit user des moyens disponibles à l'article 17§2 de l'accord d'extradition en lançant une procédure de consultation afin de concilier l'absence d'impunité et les droits garantis au citoyen européen sur le territoire de l'Union européenne en lui permettant d'exercer les droits de la défense de façon effective depuis ce territoire dans le cadre des poursuites engagées contre lui sur le territoire de l'Etat requérant ' ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le traité sur l'Union européenne ;
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- la décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil du 13 juin 2002 relative au mandat d'arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres ;
- l'accord d'extradition entre l'Union européenne et les Etats-Unis d'Amérique signé le 25 juin 2003 ;
- le traité d'extradition entre la France et les Etats-Unis d'Amérique signé à Paris le 23 avril 1996 ;
- le code pénal ;
- le code de procédure pénale ;
- les arrêts de la Cour de justice de l'Union européenne des 6 septembre 2016, Petruhhin (C-182/15), et 17 décembre 2020, BY (C-398/19) ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Julien Eche, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Clément Malverti, rapporteur public,
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Piwnica et Molinié, avocat de M. B... ;
Considérant ce qui suit :
1. Par le décret attaqué, la Première ministre a accordé aux autorités américaines l'extradition de M. B..., de nationalité luxembourgeoise, aux fins de poursuites fondées sur un mandat d'arrêt en date du 24 septembre 2020 délivré par le tribunal fédéral du district sud de New York pour des faits qualifiés de " complot en vue de commettre une fraude par voie électronique " et " complot en vue de commettre un blanchiment ".
Sur le moyen tiré de la méconnaissance de l'obligation d'information des autorités luxembourgeoises :
2. Dans son arrêt du 6 septembre 2016, Petruhhin (C 182/15), la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que les articles 18 et 21 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne doivent être interprétés en ce sens que, lorsqu'un État membre dans lequel un citoyen de l'Union, ressortissant d'un autre État membre, s'est déplacé, se voit adresser une demande d'extradition par un État tiers avec lequel le premier État membre a conclu un accord d'extradition, il est tenu d'informer l'État membre dont ce citoyen a la nationalité et, le cas échéant, à la demande de ce dernier État membre, de lui remettre ce citoyen, conformément aux dispositions de la décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil, du 13 juin 2002, relative au mandat d'arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres, pourvu que cet État membre soit compétent, en vertu de son droit national, pour poursuivre cette personne pour des faits commis en dehors de son territoire national.
3. Par son arrêt du 17 décembre 2020, BY (C-398/19), la Cour a précisé que l'État membre requis satisfait à son obligation d'information en mettant les autorités compétentes de l'État membre dont la personne réclamée a la nationalité à même de réclamer cette personne dans le cadre d'un mandat d'arrêt européen et qu'à cet effet, conformément au principe de coopération loyale, inscrit à l'article 4 du Traité sur l'Union européenne, il incombe à l'État membre requis d'informer les autorités compétentes de l'État membre dont la personne réclamée a la nationalité non seulement de l'existence d'une demande d'extradition la visant, mais encore de l'ensemble des éléments de droit et de fait communiqués par l'État tiers requérant dans le cadre de cette demande d'extradition. Elle a ajouté qu'il incombe également à l'État membre requis de tenir ces autorités informées de tout changement de la situation dans laquelle se trouve la personne réclamée, pertinent aux fins de l'éventuelle émission contre elle d'un mandat d'arrêt européen.
4. Il ressort de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, telle que rappelée aux points 2 et 3, que l'Etat de nationalité peut être regardé comme ayant été mis à même de réclamer la personne recherchée dans le cadre d'un mandat d'arrêt européen alors même que la demande d'extradition n'a pas encore été formellement transmise à l'Etat membre requis.
5. Il ressort des pièces du dossier que les autorités luxembourgeoises ont été informées par courriel de l'interpellation de M. B... au titre d'une demande d'arrestation provisoire des Etats-Unis d'Amérique aux fins d'extradition et qu'il leur a été indiqué que l'intéressé avait été placé sous écrou extraditionnel pour l'exercice de poursuites pénales à raison d'un mandat d'arrêt délivré le 24 septembre 2020 par une juge américaine pour des faits commis entre 2014 et 2019, qualifiés de fraude électronique et blanchiment en lien avec la vente d'une crypto-monnaie. Ce même courriel décrivait les faits reprochés à M. B... et invitait les autorités luxembourgeoises, " en application de la jurisprudence Petruhhin de la Cour de justice de l'Union européenne ", à faire savoir si elles entendaient délivrer un mandat d'arrêt européen, demande à laquelle les autorités luxembourgeoises ont répondu négativement, sans demander d'informations complémentaires. Dès lors que les informations fournies précisaient suffisamment le cadre extraditionnel pour poursuites pénales dans lequel intervenait la demande, son objet et les éléments de droit et de fait communiqués par les Etats-Unis pour justifier de leur demande et alors même que ces informations ont été transmises au stade de l'arrestation provisoire, avant la présentation formelle de la demande d'extradition, les autorités luxembourgeoises doivent être regardées comme ayant été mises à même de réclamer leur ressortissant dans le cadre d'un mandat d'arrêt européen. Par suite et sans qu'il soit besoin de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle en l'absence de doute raisonnable quant à l'interprétation du droit de l'Union européenne, le moyen tiré de ce que les autorités françaises auraient manqué à leur obligation d'information à l'égard de l'Etat de nationalité de la personne réclamée doit être écarté.
Sur les autres moyens :
6. En premier lieu, aux termes de l'article 10 du traité d'extradition entre la France et les Etats-Unis d'Amérique : " 2. Sont produits à l'appui de chaque demande d'extradition : (...) c) Le texte des dispositions légales applicables à l'infraction à raison de laquelle l'extradition est réclamée ". Il ressort des pièces du dossier que le texte d'incrimination du complot était produit à l'appui de la demande d'extradition et que les éléments de définition de cette infraction étaient présentés dans une pièce annexée. Par suite, le moyen tiré de ce que l'extradition aurait été prononcée au vu d'une demande ne répondant pas aux exigences du c) du 2 de l'article 10 du traité d'extradition doit être écarté.
7. En deuxième lieu, aux termes de l'article 2 du traité d'extradition entre la France et les Etats-Unis d'Amérique : " 1. Donnent lieu à extradition les infractions punies selon les lois des deux Etats, d'une peine privative de liberté d'un maximum d'au moins un an ou d'une peine plus sévère. (...) / 2. Donnent également lieu à extradition les faits constitutifs d'une tentative ou de complicité d'infractions ou d'une participation à une association de malfaiteurs, telles que prévues au paragraphe 1er du présent article. / 3. Aux fins du présent article, une infraction donne lieu à extradition : / a) Que les législations des deux Etats contractants classent ou non l'infraction dans la même catégorie ou la décrivent ou non dans des termes identiques ". Il ressort des pièces du dossier qu'il est reproché à M. B... les faits de complots en vue de commettre une fraude électronique et un blanchiment. De tels faits sont punis en droit américain d'une peine d'emprisonnement de 20 ans et relèvent en droit français des incriminations d'escroquerie, de blanchiment d'argent et d'association de malfaiteur, prévues par les articles 313-1 et suivants, 324-1 et suivants et 450-1 du code pénal et punies chacune de cinq ans d'emprisonnement. Dès lors, M. B... n'est pas fondé à soutenir que le décret accordant son extradition aux autorités américaines aurait été pris en méconnaissance du principe de double incrimination énoncé à l'article 2 du traité d'extradition qui requiert que les faits soient incriminés dans les deux législations, sans exiger que leur qualification pénale soit nécessairement identique, et satisfassent à la condition relative aux peines encourues.
8. En troisième lieu, la seule circonstance que M. B... encourt une peine de longue durée ne permet pas de caractériser un traitement inhumain et dégradant. Par ailleurs, si l'intéressé déclare redouter son incarcération aux Etats-Unis eu égard aux conditions de détention dans ce pays et craindre d'être exposé à des traitements inhumains et dégradants, les pièces du dossier ne permettent pas de tenir pour établis les risques personnels qu'il allègue. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peut qu'être écarté.
9. En quatrième lieu, il ressort des pièces du dossier, notamment du complément d'information apporté aux autorités françaises par les autorités américaines, que l'accusé, lorsqu'il conclut dans l'Etat requérant un accord dans le cadre d'une procédure de " plaider coupable ", peut disposer de l'assistance d'un avocat et doit, sous le contrôle du juge, donner son accord de manière volontaire, libre et en parfaite connaissance des effets juridiques qui s'y attachent. Il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que la procédure de plaider coupable dans laquelle il pourrait le cas échant s'engager n'assurerait pas ainsi les garanties fondamentales de procédure et de protection des droits de la défense et méconnaîtrait ainsi l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
10. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à demander l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 15 février 2023 accordant son extradition aux autorités américaines. Ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761 1 du code de justice administrative ne peuvent, en conséquence, qu'être rejetées.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. A... B... et au garde des Sceaux, ministre de la justice.
Délibéré à l'issue de la séance du 22 septembre 2023 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Nicolas Boulouis, M. Olivier Japiot, présidents de chambre ; Mme Anne Courrèges, M. Géraud Sajust de Bergues, M. Gilles Pellissier, M. Jean-Yves Ollier, conseillers d'Etat, M. Jérôme Goldenberg, conseiller d'Etat en service extraordinaire et M. Julien Eche, maître des requêtes-rapporteur.
Rendu le 10 octobre 2023.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
Le rapporteur :
Signé : M. Julien Eche
La secrétaire :
Signé : Mme Eliane Evrard