La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

29/09/2023 | FRANCE | N°470908

France | France, Conseil d'État, 5ème - 6ème chambres réunies, 29 septembre 2023, 470908


Vu la procédure suivante :

Mme B... A... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Montpellier, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de la décision du 19 décembre 2022 par laquelle le directeur de la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de l'Hérault a conditionné le conventionnement de Mme C... comme infirmière à la déclaration par Mme A... de la cessation de son activité auprès du conseil départemental de l'ordre des infirmiers de l'Hérault, ainsi que la décision implicite de rejet du

13 décembre 2022 qui résulterait du silence gardé par le même conseil ...

Vu la procédure suivante :

Mme B... A... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Montpellier, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de la décision du 19 décembre 2022 par laquelle le directeur de la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de l'Hérault a conditionné le conventionnement de Mme C... comme infirmière à la déclaration par Mme A... de la cessation de son activité auprès du conseil départemental de l'ordre des infirmiers de l'Hérault, ainsi que la décision implicite de rejet du 13 décembre 2022 qui résulterait du silence gardé par le même conseil départemental après la transmission qu'elle lui a faite du contrat de cession de patientèle. Par une ordonnance n° 2206714 du 13 janvier 2023, le juge des référés du tribunal administratif a rejeté sa demande.

Par un pourvoi sommaire et deux autres mémoires, enregistrés les 30 janvier, 13 février et 7 août 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) de mettre à la charge solidaire de la CPAM de l'Hérault et du conseil départemental de l'Hérault de l'ordre des infirmiers la somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La requête a été communiquée à la CPAM de l'Hérault, au conseil départemental de l'ordre des infirmiers de l'Hérault et au conseil national de l'ordre des infirmiers qui n'ont pas produit de mémoire.

En application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, les parties ont été informées de ce que le Conseil d'Etat était susceptible de se fonder sur deux moyens d'ordre public relevés d'office, l'un tiré de ce que la juridiction administrative est incompétente pour connaître d'une décision par laquelle une caisse primaire d'assurance maladie a soumis, en application de la convention nationale, l'accès d'un professionnel au conventionnement au respect de certaines conditions, l'autre tiré de l'inexistence de la décision implicite de rejet qu'aurait opposé le conseil départemental de l'ordre des infirmiers de l'Hérault au contrat de cession de patientèle que lui avait transmis Mme A....

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- l'arrêté du 18 juillet 2007 portant approbation de la convention nationale destinée à régir les rapports entre les infirmières et les infirmiers libéraux et les organismes d'assurance maladie ;

- l'avenant n° 6 à cette convention, conclu le 29 mars 2019, entre, d'une part, l'Union nationale des caisses d'assurance maladie, et, d'autre part, la Fédération nationale des infirmiers et le Syndicat national des infirmières et infirmiers libéraux ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Hortense Naudascher, auditrice,

- les conclusions de M. Florian Roussel, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Melka-Prigent-Drusch, avocat de Mme A....

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de Montpellier que, par une décision du 19 décembre 2022, la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de l'Hérault, faisant application des prescriptions de l'avenant n° 6 à la convention nationale organisant les rapports entre les infirmiers libéraux et les caisses d'assurance maladie, a conditionné le conventionnement de Mme C... comme infirmière à la déclaration préalable par Mme A... de sa cessation effective d'activité auprès du conseil départemental de l'ordre des infirmiers de l'Hérault. Mme A... demande l'annulation de l'ordonnance du 13 janvier 2023 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa requête tendant à la suspension de l'exécution, d'une part, de cette décision du 19 décembre 2022 du directeur de la CPAM de l'Hérault et, d'autre part, de la décision implicite de rejet qu'aurait opposé le conseil départemental de l'ordre des infirmiers de l'Hérault au contrat de cession de patientèle que lui avait transmis Mme A....

2. D'une part, aux termes de l'article L. 142-1 du code de la sécurité sociale : " Il est institué une organisation du contentieux général de la sécurité sociale. / Cette organisation règle les différends auxquels donne lieu l'application des législations et réglementations de sécurité sociale et de mutualité sociale agricole ". L'article L. 162-12-12 du même code dispose que : " Les rapports entre les organismes d'assurance maladie et les infirmiers sont définis, dans le respect des règles déontologiques fixées par le code de la santé publique, par une convention nationale conclue pour une durée au plus égale à cinq ans entre une ou plusieurs organisations syndicales les plus représentatives des infirmiers et l'Union nationale des caisses d'assurance maladie. / Cette convention détermine notamment : / (...) 3° Les conditions, à remplir par les infirmiers pour être conventionnés et notamment celles relatives à la durée minimum d'expérience professionnelle acquise en équipe de soins généraux au sein d'un service organisé, aux sanctions prononcées le cas échéant à leur encontre pour des faits liés à l'exercice de leur profession et au suivi d'actions de formation, ainsi qu'à la zone d'exercice définies par l'agence régionale de santé en application de l'article L. 1434-4 du code de la santé publique ". Enfin, aux termes de l'article 3.1 de l'avenant n° 6 à la convention nationale organisant les rapports entre les infirmiers et l'assurance maladie : " Dans les zones " sur-dotées " définies ci-après, l'accès au conventionnement ne peut intervenir qu'au bénéfice d'un infirmier assurant la succession d'un confrère cessant son activité définitivement dans la zone considérée sauf cas de dérogations prévues à l'article 3.4.2 ".

3. Si les rapports entre les organismes de protection sociale, qui sont des personnes morales de droit privé, et les infirmiers sont en principe des rapports de droit privé, les litiges nés des décisions opposées par ces organismes aux infirmiers qui se rattachent à l'exercice des prérogatives de puissance publique dont ces organismes sont dotés en vue de l'accomplissement de leurs missions de service public relèvent de la compétence de la juridiction administrative.

4. La décision, prise en application des prescriptions citées ci-dessus de l'avenant n° 6 à la convention nationale organisant les rapports entre les infirmiers libéraux et les caisses d'assurance maladie, par laquelle la CPAM de l'Hérault a conditionné le conventionnement d'une infirmière à la cessation effective d'activité de Mme A..., ne se rattache pas à l'exercice de prérogatives de puissance publique. La contestation de cette décision constitue un différend résultant de l'application des législations et réglementations de sécurité sociale et de mutualité sociale agricole, au sens des dispositions citées au point 2 du code de la sécurité sociale. Elle est, en conséquence, manifestement insusceptible de se rattacher à un litige relevant de la compétence de la juridiction administrative. Par suite, l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Montpellier doit être annulée en tant qu'elle statue sur les conclusions de Mme A... tendant à la suspension de l'exécution de cette décision.

5. D'autre part, aux termes de l'article L. 4113-9 du code de la santé publique, applicable aux infirmières, " Les médecins, les chirurgiens-dentistes et les sages-femmes en exercice, ainsi que les personnes qui demandent leur inscription au tableau de l'ordre des médecins, des chirurgiens-dentistes ou des sages-femmes doivent communiquer au conseil départemental de l'ordre dont ils relèvent les contrats et avenants ayant pour objet l'exercice de leur profession (...). / La communication prévue ci-dessus doit être faite dans le mois suivant la conclusion du contrat ou de l'avenant, afin de permettre l'application des articles L. 4121-2 et L. 4127-1. / (...) Les dispositions contractuelles incompatibles avec les règles de la profession ou susceptibles de priver les contractants de leur indépendance professionnelle les rendent passibles des sanctions disciplinaires prévues à l'article L. 4124-6 ". Il résulte de ces dispositions que les contrats passés par les infirmiers ayant pour objet l'exercice de leur profession, tels que les contrats de cession de patientèle, doivent être communiqués au conseil départemental de l'ordre. Si le conseil départemental de l'ordre des infirmiers a le pouvoir de prononcer des sanctions disciplinaires à l'encontre d'un infirmier ayant conclu un contrat incompatible avec les règles de la profession ou susceptible de le priver de son indépendance professionnelle, aucune disposition ne prévoit que ces contrats doivent faire l'objet d'un avis ou d'un accord de ce conseil.

6. Si, ainsi qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de Montpellier, par un courriel du 13 octobre 2022, Mme A... a communiqué au conseil départemental de l'ordre des infirmiers de l'Hérault le contrat qu'elle avait conclu avec Mme C... pour la cession de sa patientèle, en application des dispositions de l'article L. 4113-9 du code de la santé publique, le silence gardé par ce conseil départemental n'a fait naître aucune décision. Par suite, les conclusions de Mme A..., tendant à la suspension de l'exécution d'une telle décision sont irrecevables. Ce motif, qui n'appelle l'appréciation d'aucune circonstance de fait et justifie le dispositif de l'ordonnance attaquée, doit être substitué à celui retenu par le juge des référés pour rejeter ces conclusions.

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire, dans la mesure de la cassation prononcée, au titre de la procédure de référé engagée par Mme A..., en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative

8. Ainsi qu'il a été dit ci-dessus, la demande de Mme A... tendant à la suspension de l'exécution de la décision par laquelle la CPAM de l'Hérault a conditionné le conventionnement de Mme C... à la cessation effective par Mme A... de son activité ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative. Elle ne peut, par suite, qu'être rejetée comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître.

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la CPAM de l'Hérault et du conseil départemental de l'ordre des infirmiers de l'Hérault, qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Montpellier du 13 janvier 2023 est annulée en tant qu'elle se prononce sur la demande de Mme A... tendant à la suspension de l'exécution de la décision du 19 décembre 2022 de la CPAM de l'Hérault.

Article 2 : La demande présentée par Mme A... devant le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier tendant à la suspension de l'exécution de la décision du 19 décembre 2022 de la CPAM de l'Hérault est rejetée comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître.

Article 3 : Le surplus des conclusions du pourvoi est rejeté.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mme B... A..., à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Hérault et au conseil départemental de l'ordre des infirmiers de l'Hérault.

Copie en sera adressée au conseil national de l'ordre des infirmiers.

Délibéré à l'issue de la séance du 13 septembre 2023 où siégeaient : M. Christophe Chantepy, président de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre ; M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre ; Mme Sophie-Caroline de Margerie, Mme Suzanne von Coester, Mme Fabienne Lambolez, conseillères d'Etat ; M. Olivier Yeznikian, conseiller d'Etat ; M. Christophe Barthélemy, conseiller d'Etat en service extraordinaire et Mme Hortense Naudascher, auditrice-rapporteure.

Rendu le 29 septembre 2023.

Le président :

Signé : M. Christophe Chantepy

La rapporteure :

Signé : Mme Hortense Naudascher

Le secrétaire :

Signé : M. Bernard Longieras


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

COMPÉTENCE - RÉPARTITION DES COMPÉTENCES ENTRE LES DEUX ORDRES DE JURIDICTION - COMPÉTENCE DÉTERMINÉE PAR UN CRITÈRE JURISPRUDENTIEL - PROBLÈMES PARTICULIERS POSÉS PAR CERTAINES CATÉGORIES DE SERVICES PUBLICS - SERVICE PUBLIC SOCIAL - DÉCISION PAR LAQUELLE UNE CPAM CONDITIONNE LE CONVENTIONNEMENT D’UNE INFIRMIÈRE À LA CESSATION EFFECTIVE D’ACTIVITÉ D’UNE AUTRE INFIRMIÈRE – CONTESTATION – CONTENTIEUX RELEVANT DE LA COMPÉTENCE DE LA JURIDICTION JUDICIAIRE [RJ1].

17-03-02-07-03 La décision, prise en application de prescriptions de l’avenant n° 6 à la convention nationale organisant les rapports entre les infirmiers libéraux et les caisses d’assurance maladie, par laquelle une caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) conditionne le conventionnement d’une infirmière à la cessation effective d’activité d’une autre infirmière, ne se rattache pas à l’exercice de prérogatives de puissance publique. La contestation de cette décision constitue un différend résultant de l’application des législations et réglementations de sécurité sociale et de mutualité sociale agricole, au sens de l’article L. 142-1 du code de la sécurité sociale (CSS). Elle est, en conséquence, manifestement insusceptible de se rattacher à un litige relevant de la compétence de la juridiction administrative.

PROCÉDURE - PROCÉDURES INSTITUÉES PAR LA LOI DU 30 JUIN 2000 - QUESTIONS COMMUNES - COMPÉTENCE - COMPÉTENCE DE LA JURIDICTION ADMINISTRATIVE – CHAMP – EXCLUSION – CONTESTATION D’UNE DÉCISION PAR LAQUELLE UNE CPAM CONDITIONNE LE CONVENTIONNEMENT D’UNE INFIRMIÈRE À LA CESSATION EFFECTIVE D’ACTIVITÉ D’UNE AUTRE INFIRMIÈRE [RJ1].

54-035-01-01 La décision, prise en application de prescriptions de l’avenant n° 6 à la convention nationale organisant les rapports entre les infirmiers libéraux et les caisses d’assurance maladie, par laquelle une caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) conditionne le conventionnement d’une infirmière à la cessation effective d’activité d’une autre infirmière, ne se rattache pas à l’exercice de prérogatives de puissance publique. La contestation de cette décision constitue un différend résultant de l’application des législations et réglementations de sécurité sociale et de mutualité sociale agricole, au sens de l’article L. 142-1 du code de la sécurité sociale (CSS). Elle est, en conséquence, manifestement insusceptible de se rattacher à un litige relevant de la compétence de la juridiction administrative.

SÉCURITÉ SOCIALE - RELATIONS AVEC LES PROFESSIONS ET LES ÉTABLISSEMENTS SANITAIRES - RELATIONS AVEC LES PROFESSIONS DE SANTÉ - DÉCISION PAR LAQUELLE UNE CPAM CONDITIONNE LE CONVENTIONNEMENT D’UNE INFIRMIÈRE À LA CESSATION EFFECTIVE D’ACTIVITÉ D’UNE AUTRE INFIRMIÈRE – CONTESTATION – CONTENTIEUX RELEVANT DE LA COMPÉTENCE DE LA JURIDICTION JUDICIAIRE [RJ1].

62-02-01-05 La décision, prise en application de prescriptions de l’avenant n° 6 à la convention nationale organisant les rapports entre les infirmiers libéraux et les caisses d’assurance maladie, par laquelle une caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) conditionne le conventionnement d’une infirmière à la cessation effective d’activité d’une autre infirmière, ne se rattache pas à l’exercice de prérogatives de puissance publique. La contestation de cette décision constitue un différend résultant de l’application des législations et réglementations de sécurité sociale et de mutualité sociale agricole, au sens de l’article L. 142-1 du code de la sécurité sociale (CSS). Elle est, en conséquence, manifestement insusceptible de se rattacher à un litige relevant de la compétence de la juridiction administrative.


Références :

[RJ1]

Rappr., s’agissant d’un refus opposé par une caisse primaire d'assurance maladie à une demande de conventionnement sollicitée par un médecin, Cass. civ. 2ème, 12 mars 2020, n° 17-22.436.


Publications
Proposition de citation: CE, 29 sep. 2023, n° 470908
Mentionné aux tables du recueil Lebon
RTFTélécharger au format RTF
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Hortense Naudascher
Rapporteur public ?: M. Florian Roussel
Avocat(s) : SCP MELKA-PRIGENT-DRUSCH

Origine de la décision
Formation : 5ème - 6ème chambres réunies
Date de la décision : 29/09/2023
Date de l'import : 08/10/2023

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 470908
Numéro NOR : CETATEXT000048132710 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2023-09-29;470908 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award