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19/07/2023 | FRANCE | N°463520

France | France, Conseil d'État, 5ème - 6ème chambres réunies, 19 juillet 2023, 463520


Vu la procédure suivante :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Pau de condamner l'Etat à lui verser la somme de 8 000 euros en réparation des préjudices résultant d'un retard de l'immatriculation définitive de son véhicule. Par une ordonnance n°2102919 du 28 février 2022, le président de la 2ème chambre du tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 26 avril et 25 juillet 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... demande au Conseil d'Etat :

1°)

d'annuler cette ordonnance ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa d...

Vu la procédure suivante :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Pau de condamner l'Etat à lui verser la somme de 8 000 euros en réparation des préjudices résultant d'un retard de l'immatriculation définitive de son véhicule. Par une ordonnance n°2102919 du 28 février 2022, le président de la 2ème chambre du tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 26 avril et 25 juillet 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa demande ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 355 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Flavie Le Tallec, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Florian Roussel, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Le Bret-Desaché, avocat de M. A....

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que M. A... a demandé au tribunal administratif de Pau de condamner l'Etat à lui verser la somme de 8 000 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait d'un retard dans l'immatriculation définitive de son véhicule par l'intermédiaire du système dématérialisé mis en œuvre par l'Agence nationale des titres sécurisés. Par une ordonnance du 28 février 2022, contre laquelle M. A... se pourvoit, le président de la 2ème chambre du tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande comme manifestement irrecevable sur le fondement du 4° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative.

2. En premier lieu, d'une part, aux termes de l'article R. 412-1 du code de justice administrative : " La requête doit, à peine d'irrecevabilité, être accompagnée, sauf impossibilité justifiée, de l'acte attaqué ou, dans le cas mentionné à l'article R. 421-2 [c'est-à-dire le cas où le silence gardé par l'autorité administrative sur une demande vaut décision de rejet], de la pièce justifiant de la date de dépôt de la réclamation ". En application de ces dispositions, la requête est irrecevable en l'absence de production soit de la décision attaquée ou d'un document en reprenant le contenu, soit de l'accusé de réception de la réclamation adressée à l'administration ou de toute autre pièce permettant d'établir une telle réception. A défaut de production de tels éléments à l'appui de la requête, cette irrecevabilité est susceptible d'être régularisée par la production en cours d'instruction de ces mêmes justificatifs, y compris le cas échéant après l'expiration du délai de recours contentieux.

3. D'autre part, en vertu des deux premiers alinéas de l'article R. 421-1 du code de justice administrative, la juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision et, lorsque la requête tend au paiement d'une somme d'argent, elle n'est recevable qu'après l'intervention de la décision prise par l'administration sur une demande préalablement formée devant elle. Il résulte de ces dispositions qu'en l'absence d'une décision de l'administration rejetant une demande formée devant elle par le requérant ou pour son compte, une requête tendant au versement d'une somme d'argent est irrecevable et peut être rejetée pour ce motif. Toutefois, l'intervention d'une telle décision en cours d'instance régularise la requête, alors même que l'administration aurait auparavant opposé une fin de non-recevoir fondée sur l'absence de décision.

4. En second lieu, aux termes de l'article R. 612-1 du code de justice administrative : " Lorsque des conclusions sont entachées d'une irrecevabilité susceptible d'être couverte après l'expiration du délai de recours, la juridiction ne peut les rejeter en relevant d'office cette irrecevabilité qu'après avoir invité leur auteur à les régulariser. / (...) La demande de régularisation mentionne que, à défaut de régularisation, les conclusions pourront être rejetées comme irrecevables dès l'expiration du délai imparti qui, sauf urgence, ne peut être inférieur à quinze jours. La demande de régularisation tient lieu de l'information prévue à l'article R. 611-7 ". D'autre part, aux termes de l'article R. 222-1 du même code : " Les présidents de tribunal administratif et de cour administrative d'appel, les premiers vice-présidents des tribunaux et des cours, le vice-président du tribunal administratif de Paris, les présidents de formation de jugement des tribunaux et des cours et les magistrats ayant une ancienneté minimale de deux ans et ayant atteint au moins le grade de premier conseiller désignés à cet effet par le président de leur juridiction peuvent, par ordonnance : (...) / 4° Rejeter les requêtes manifestement irrecevables, lorsque la juridiction n'est pas tenue d'inviter leur auteur à les régulariser ou qu'elles n'ont pas été régularisées à l'expiration du délai imparti par une demande en ce sens ; / (...) ". Les requêtes manifestement irrecevables qui peuvent être rejetées par ordonnance en application de ces dispositions sont celles dont l'irrecevabilité ne peut en aucun cas être couverte, celles qui ne peuvent être régularisées que jusqu'à l'expiration du délai de recours, si ce délai est expiré, et celles qui ont donné lieu à une invitation à régulariser, si le délai que la juridiction avait imparti au requérant à cette fin, en l'informant des conséquences qu'emporte un défaut de régularisation comme l'exige l'article R. 612-1 du code de justice administrative, est expiré. En revanche, elles n'ont ni pour objet ni pour effet de permettre un rejet par ordonnance lorsque, après que la requête a été mise à l'instruction, la juridiction s'est bornée à communiquer au requérant le mémoire par lequel une partie adverse a opposé à la requête une fin de non-recevoir tirée d'une irrecevabilité susceptible d'être encore régularisée, en lui indiquant le délai dans lequel il lui serait loisible de répondre. Il en va de même lorsque la juridiction s'est bornée à informer les parties, sur le fondement de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que la décision est susceptible d'être fondée sur un moyen relevé d'office et tiré d'une irrecevabilité susceptible d'être régularisée, sans mentionner la possibilité de régulariser la requête ni fixer un délai à cette fin.

5. Ces règles trouvent en particulier à s'appliquer lorsque, ni dans la requête, ni dans les pièces qui l'accompagnent, il n'est fait état de l'existence d'une décision, expresse ou implicite, de l'administration statuant sur une demande formée devant elle tendant au versement d'une somme d'argent. Dans un tel cas, le président de la juridiction ou l'un des magistrats mentionnés à l'article R. 222-1 du même code, peut rejeter cette requête comme manifestement irrecevable, sur le fondement du 4° de cet article, si, à la date de son ordonnance, le requérant, ayant été dûment invité, par la juridiction, selon les modalités prévues par le dernier alinéa de l'article R. 612-1 du code de justice administrative, à régulariser sa requête, en produisant la décision mentionnée au deuxième alinéa de l'article R. 421-1 du code de justice administrative, ou, à défaut, la pièce justifiant de la date du dépôt de la réclamation formée devant l'administration, en application de l'article R. 412-1 du même code, n'a pas, à l'expiration du délai ainsi imparti, satisfait à cette obligation.

6. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond qu'après avoir communiqué à M. A... le mémoire en défense par lequel le ministre de l'intérieur et des outre-mer soulevait une fin de non-recevoir tirée de ce qu'il n'avait pas produit, à l'appui de sa requête, la pièce justifiant de la réception de sa réclamation préalable indemnitaire puis avoir informé les parties, sur le fondement de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce qu'était susceptible d'être relevé d'office le moyen tiré de ce que le requérant ne justifiait pas que sa requête avait été précédée d'une demande préalable, l'auteur de l'ordonnance attaquée a rejeté la demande de M. A... en application du 4° de l'article R. 222-1. Il résulte de ce qui a été dit aux points précédents qu'en s'abstenant d'inviter, dans les conditions prévues par l'article R. 612-1 du code de justice administrative, le requérant à régulariser sa requête en justifiant de la date du dépôt de la réclamation préalable, l'auteur de l'ordonnance a entaché sa décision d'irrégularité.

7. Il résulte de tout ce qui précède que l'ordonnance attaquée doit être annulée.

8. Il y a lieu de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros demandée à ce titre par M. A....

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'ordonnance du président de la 2ème chambre du tribunal administratif de Pau est annulée.

Article 2 : L'affaire est renvoyée au tribunal administratif de Pau.

Article 3 : L'Etat versera à M. A... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. B... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Délibéré à l'issue de la séance du 26 juin 2023 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre ; M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre ; Mme Sophie-Caroline de Margerie, Mme Suzanne von Coester, Mme Fabienne Lambolez, conseillères d'Etat, M. Olivier Yeznikian, M. Cyril Roger-Lacan, conseillers d'Etat et Mme Flavie Le Tallec, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.

Rendu le 19 juillet 2023.

La présidente :

Signé : Mme Christine Maugüé

La rapporteure :

Signé : Mme Flavie Le Tallec

Le secrétaire :

Signé : M. Bernard Longieras


Synthèse
Formation : 5ème - 6ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 463520
Date de la décision : 19/07/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

PROCÉDURE - INTRODUCTION DE L'INSTANCE - LIAISON DE L'INSTANCE - DOSSIER NE FAISANT ÉTAT D’AUCUNE DÉCISION LIANT LE CONTENTIEUX DANS UN LITIGE TENDANT AU VERSEMENT D’UNE SOMME D’ARGENT – FACULTÉ DE REJETER LA REQUÊTE PAR ORDONNANCE COMME ÉTANT MANIFESTEMENT IRRECEVABLE (4° DE L'ART - R - 222-1 DU CJA) – CONDITIONS – 1) INVITATION À RÉGULARISER – 2) ABSENCE - À L’EXPIRATION DU DÉLAI IMPARTI - DE RESPECT DE L’OBLIGATION DE LIAISON DU CONTENTIEUX [RJ1].

54-01-02 Lorsque, ni dans la requête, ni dans les pièces qui l’accompagnent, il n’est fait état de l’existence d’une décision, expresse ou implicite, de l’administration statuant sur une demande formée devant elle tendant au versement d’une somme d’argent, le président de la juridiction ou l’un des magistrats mentionnés à l’article R. 222-1 du code de justice administrative (CJA), peut rejeter cette requête comme manifestement irrecevable, sur le fondement du 4° de cet article, si, à la date de son ordonnance, le requérant, 1) ayant été dûment invité, par la juridiction, selon les modalités prévues par le dernier alinéa de l’article R. 612-1 du CJA, à régulariser sa requête, en produisant la décision mentionnée au deuxième alinéa de l’article R. 421-1 du CJA, ou, à défaut, la pièce justifiant de la date du dépôt de la réclamation formée devant l’administration, en application de l’article R. 412-1 du même code, 2) n’a pas, à l’expiration du délai ainsi imparti, satisfait à cette obligation.

PROCÉDURE - POUVOIRS ET DEVOIRS DU JUGE - QUESTIONS GÉNÉRALES - DEVOIRS DU JUGE - REQUÊTES MANIFESTEMENT IRRECEVABLES POUVANT FAIRE L’OBJET D’UN REJET PAR ORDONNANCE (4° DE L'ART - R - 222-1 DU CJA) – CHAMP – 1) PRINCIPES GÉNÉRAUX [RJ2] – 2) INCLUSION – REQUÊTE ET PIÈCES NE FAISANT ÉTAT D’AUCUNE DÉCISION LIANT LE CONTENTIEUX DANS UN LITIGE TENDANT AU VERSEMENT D’UNE SOMME D’ARGENT – CONDITIONS – A) INVITATION À RÉGULARISER – B) ABSENCE - À L’EXPIRATION DU DÉLAI IMPARTI - DE RESPECT DE L’OBLIGATION DE LIAISON DU CONTENTIEUX [RJ1].

54-07-01-07 1) Les requêtes manifestement irrecevables qui peuvent être rejetées par ordonnance en application du 4° de l’article R. 222-1 du code de justice administrative (CJA) sont i) celles dont l’irrecevabilité ne peut en aucun cas être couverte, celles qui ne peuvent être régularisées que jusqu’à l’expiration du délai de recours, si ce délai est expiré, et celles qui ont donné lieu à une invitation à régulariser, si le délai que la juridiction avait imparti au requérant à cette fin, en l’informant des conséquences qu’emporte un défaut de régularisation comme l’exige l’article R. 612-1 du code de justice administrative, est expiré. ...En revanche, elles n’ont ni pour objet ni pour effet de permettre un rejet par ordonnance lorsque, après que la requête a été mise à l’instruction, la juridiction s’est bornée à communiquer au requérant le mémoire par lequel une partie adverse a opposé à la requête une fin de non-recevoir tirée d’une irrecevabilité susceptible d’être encore régularisée, en lui indiquant le délai dans lequel il lui serait loisible de répondre. ...Il en va de même lorsque la juridiction s’est bornée à informer les parties, sur le fondement de l’article R. 611-7 du CJA, que la décision est susceptible d’être fondée sur un moyen relevé d’office et tiré d’une irrecevabilité susceptible d’être régularisée, sans mentionner la possibilité de régulariser la requête ni fixer un délai à cette fin. ...2) Ces règles trouvent en particulier à s’appliquer lorsque, ni dans la requête, ni dans les pièces qui l’accompagnent, il n’est fait état de l’existence d’une décision, expresse ou implicite, de l’administration statuant sur une demande formée devant elle tendant au versement d’une somme d’argent. ...Dans un tel cas, le président de la juridiction ou l’un des magistrats mentionnés à l’article R. 222-1 du même code, peut rejeter cette requête comme manifestement irrecevable, sur le fondement du 4° de cet article, si, à la date de son ordonnance, le requérant, a) ayant été dûment invité, par la juridiction, selon les modalités prévues par le dernier alinéa de l’article R. 612-1 du CJA, à régulariser sa requête, en produisant la décision mentionnée au deuxième alinéa de l’article R. 421-1 du code de justice administrative, ou, à défaut, la pièce justifiant de la date du dépôt de la réclamation formée devant l’administration, en application de l’article R. 412-1 du même code, b) n’a pas, à l’expiration du délai ainsi imparti, satisfait à cette obligation.


Références :

[RJ2]

Cf. CE, 14 octobre 2015, M. et Mme Godrant, n° 374850, T. pp. 819-830 ;

CE, 13 juillet 2016, M. Delhaye, n° 388803, T. p. 887....

[RJ1]

Cf., sur les conditions de liaison du contentieux en cas de recours tendant au versement d’une somme d’argent, CE, Section, avis, 27 mars 2019, Consorts Rollet, n° 426472, p. 95.


Publications
Proposition de citation : CE, 19 jui. 2023, n° 463520
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Flavie Le Tallec
Rapporteur public ?: M. Florian Roussel
Avocat(s) : SCP LE BRET-DESACHE

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:463520.20230719
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