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12/04/2023 | FRANCE | N°449229

France | France, Conseil d'État, 4ème - 1ère chambres réunies, 12 avril 2023, 449229


Vu la procédure suivante :

La société Orange a demandé au tribunal administratif de Lyon, d'une part, d'annuler la décision du 20 mars 2017 par laquelle l'inspectrice du travail de la 10ème section du département du Rhône a refusé de l'autoriser à licencier M. B... A..., et, d'autre part, d'annuler la décision du 26 octobre 2017 par laquelle la ministre du travail, après avoir retiré sa décision implicite de rejet du recours hiérarchique formé le 18 mai 2017 et annulé la décision de l'inspectrice du travail du 20 mars 2017, a refusé d'autoriser le licenciement de M. A

.... Par un jugement n° 1709115 du 2 avril 2019, le tribunal administrat...

Vu la procédure suivante :

La société Orange a demandé au tribunal administratif de Lyon, d'une part, d'annuler la décision du 20 mars 2017 par laquelle l'inspectrice du travail de la 10ème section du département du Rhône a refusé de l'autoriser à licencier M. B... A..., et, d'autre part, d'annuler la décision du 26 octobre 2017 par laquelle la ministre du travail, après avoir retiré sa décision implicite de rejet du recours hiérarchique formé le 18 mai 2017 et annulé la décision de l'inspectrice du travail du 20 mars 2017, a refusé d'autoriser le licenciement de M. A.... Par un jugement n° 1709115 du 2 avril 2019, le tribunal administratif a, d'une part, constaté qu'il n'y avait plus lieu de statuer sur les conclusions de la demande tendant à l'annulation de la décision du 20 mars 2017 de l'inspectrice du travail, d'autre part, rejeté le surplus des conclusions de la demande de la société Orange.

Par un arrêt n° 19LY02192 du 3 décembre 2020, la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté l'appel formé par la société Orange contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les

1er février et 29 avril 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Orange demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Laurent Cabrera, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Jean-François de Montgolfier, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat de la société Orange et à la SCP Melka-Prigent-Drusch, avocat de

M. B... A... ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Orange a demandé à l'inspectrice du travail de la 10ème section du Rhône l'autorisation de licencier pour motif disciplinaire M. A..., salarié protégé, recruté par la société Orange en novembre 2006 au sein de l'agence Entreprise Rhône-Alpes-Auvergne et promu par avenant du 5 juin 2010 au poste d'ingénieur commercial service. Par une décision du 20 mars 2017, l'inspectrice du travail a refusé d'autoriser le licenciement sollicité. Saisie d'un recours hiérarchique par la société Orange, la ministre du travail, par une décision du 26 octobre 2017, après avoir retiré sa décision implicite de rejet du recours hiérarchique et annulé la décision de l'inspectrice du travail, a refusé d'autoriser le licenciement de M. A.... Par un jugement du 2 avril 2019, le tribunal administratif de Lyon a rejeté la demande de la société Orange tendant à l'annulation de cette décision. La société Orange se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 3 décembre 2020 par lequel la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté l'appel qu'elle avait formé contre ce jugement.

2. Le refus opposé par un salarié protégé à un changement de ses conditions de travail décidé par son employeur en vertu, soit des obligations souscrites dans le contrat de travail, soit de son pouvoir de direction, constitue, en principe, une faute. En cas d'un tel refus, l'employeur, s'il ne peut directement imposer au salarié ledit changement, doit, sauf à y renoncer, saisir l'inspecteur du travail d'une demande d'autorisation de licenciement à raison de la faute qui résulterait de ce refus. Après s'être assuré que la mesure envisagée ne constitue pas une modification du contrat de travail de l'intéressé, il appartient à l'autorité administrative, sous le contrôle du juge, d'apprécier si le refus du salarié constitue une faute d'une gravité suffisante pour justifier l'autorisation sollicitée, compte tenu de la nature du changement envisagé, de ses modalités de mise en œuvre et de ses effets, tant au regard de la situation personnelle du salarié, que des conditions d'exercice de son mandat. En tout état de cause, le changement des conditions de travail ne peut avoir pour objet de porter atteinte à l'exercice de ses fonctions représentatives.

3. Il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué que la cour administrative d'appel de Lyon a relevé, d'une part, que M. A... bénéficiait, en vertu de son contrat de travail, d'une rémunération fixe assortie d'une part variable dont les modalités de mise en œuvre relevaient de décisions de son employeur et que, d'autre part, le segment de clientèle qui lui était attribué n'était pas prévu par son contrat. Elle a ensuite constaté que, dans le cadre d'une réorganisation des services de vente mise en œuvre à compter du 31 décembre 2015, il avait été chargé du secteur des clients " moyen de marché ", alors que celui des clients " haut de marché " lui était antérieurement confié et que le " pay plan " permettant de déterminer la part variable de sa rémunération avait été modifié, se traduisant notamment par une diminution des coefficients et des marges produits. La cour a ensuite jugé que cette évolution des modalités de détermination de la part variable de la rémunération de M. A..., résultant de la modification du " pay plan " et du changement du segment de clientèle, emportait, par elle-même, une modification de ses conditions de travail et, partant, de son contrat, qu'il pouvait refuser sans commettre de faute. En statuant ainsi, sans avoir recherché s'il résulterait de ces changements une baisse de la rémunération du salarié, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit.

4. Par suite, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de son pourvoi, le société Orange est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.

5. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme que demande la société Orange au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la société Orange qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêt du 3 décembre 2020 de la cour administrative d'appel de Lyon est annulé.

Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Lyon.

Article 3 : Les conclusions présentées par la société Orange et par M. A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Orange, à M. B... A... et au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion.


Synthèse
Formation : 4ème - 1ère chambres réunies
Numéro d'arrêt : 449229
Date de la décision : 12/04/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-07-01-04-02 TRAVAIL ET EMPLOI. - LICENCIEMENTS. - AUTORISATION ADMINISTRATIVE - SALARIÉS PROTÉGÉS. - CONDITIONS DE FOND DE L'AUTORISATION OU DU REFUS D'AUTORISATION. - LICENCIEMENT POUR FAUTE. - FAUTE RÉSULTANT DU REFUS OPPOSÉ AU CHANGEMENT DES CONDITIONS DE TRAVAIL DÉCIDÉ PAR L’EMPLOYEUR EN VERTU DU CONTRAT DE TRAVAIL OU DE SON POUVOIR DE DIRECTION [RJ1] – ESPÈCE – MODIFICATION DU PORTEFEUILLE DE CLIENTÈLE D’UN SALARIÉ ENTRAÎNANT UNE ÉVOLUTION DES MODALITÉS DE DÉTERMINATION DE LA PART VARIABLE DE SA RÉMUNÉRATION – CRITÈRE D’APPRÉCIATION – INCIDENCE SUR LE NIVEAU DE LA RÉMUNÉRATION DU SALARIÉ [RJ2].

66-07-01-04-02 Employeur demandant l’annulation de la décision par laquelle le ministre du travail a refusé, au motif que celui-ci était en droit de refuser un changement unilatéral dans ses conditions de travail, d’autoriser le licenciement pour faute d’un salarié protégé....Salarié protégé dont la rémunération, prévue par son contrat de travail, comprend une rémunération fixe assortie d’une part variable. Modalités de mise en œuvre de cette part variable relevant de décisions de son employeur. Segment de clientèle attribué au salarié n’étant pas prévu par son contrat de travail. Employeur ayant modifié le portefeuille de clientèle attribué à ce salarié, dont il résulte une évolution des modalités de détermination de la part variable de sa rémunération. Cour administrative d’appel ayant jugé que cette évolution emportait, par elle-même, une modification des conditions de travail de l’intéressé et, partant, de son contrat, qu’il pouvait refuser sans commettre de faute....En statuant ainsi, sans avoir recherché s’il résulterait de ces changements une baisse de la rémunération du salarié, la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit.


Références :

[RJ1]

Cf. CE, 7 décembre 2009, Société Autogrill Côte France, n° 301563, T. p. 979....

[RJ2]

Rappr., lorsqu’est en cause la rémunération du salarié fixée dans le contrat, Cass. soc., 18 mai 2011, n° 09-69.175, Bull. 2011, V, n° 117 ;

Cass. soc., 25 janvier 2017, n° 15-21.352.

Rappr., s’agissant d’une modification d’une prime à la suite d’une modification unilatérale des objectifs, Cass. soc., 2 mars 2011, n° 08-44.977, Bull. 2011, V, n° 55.


Publications
Proposition de citation : CE, 12 avr. 2023, n° 449229
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Laurent Cabrera
Rapporteur public ?: M. Jean-François de Montgolfier
Avocat(s) : SCP CELICE, TEXIDOR, PERIER ; SCP MELKA-PRIGENT-DRUSCH

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:449229.20230412
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