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24/03/2023 | FRANCE | N°453493

France | France, Conseil d'État, 6ème chambre, 24 mars 2023, 453493


Vu la procédure suivante :

M. B... A... et Mme D... C... épouse A... ont demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler pour excès de pouvoir les arrêtés du 19 juin 2020 par lesquels la préfète de la Gironde a refusé de leur délivrer un titre de séjour, les a obligés à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans. Par un jugement n° 2002998, 2003002 du 18 novembre 2020, le tribunal administratif a annulé ces arrêtés et a enjoint à la préfète de la

Gironde de leur délivrer un titre de séjour temporaire portant la mention " v...

Vu la procédure suivante :

M. B... A... et Mme D... C... épouse A... ont demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler pour excès de pouvoir les arrêtés du 19 juin 2020 par lesquels la préfète de la Gironde a refusé de leur délivrer un titre de séjour, les a obligés à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans. Par un jugement n° 2002998, 2003002 du 18 novembre 2020, le tribunal administratif a annulé ces arrêtés et a enjoint à la préfète de la Gironde de leur délivrer un titre de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai de deux mois à compter de la notification du jugement.

Par un arrêt n° 20BX04140 du 31 mai 2021, la cour administrative d'appel de Bordeaux, faisant droit à l'appel de la préfète de la Gironde, a annulé ce jugement et rejeté les demandes présentées par M. et Mme A....

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 10 juin et 9 septembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. et Mme A... demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel de la préfète de la Gironde ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Nathalie Destais, conseillère d'Etat,

- les conclusions de M. Stéphane Hoynck, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, au Cabinet Rousseau, Tapie, avocat de M. et Mme A... ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier que M. B... A... et Mme D... C... épouse A..., nés en Turquie respectivement le 1er novembre 1986 et le 5 mai 1990, tous deux de nationalité turque et d'origine kurde, ont sollicité, le 28 mars 2018, leur admission au séjour en raison de leur état de santé sur le fondement du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par deux arrêtés du 19 juin 2020, la préfète de la Gironde a refusé de leur délivrer les titres de séjour sollicités au motif qu'ils ne remplissaient pas les conditions prévues et leur a fait obligation de quitter le territoire français, avec une interdiction de retour d'une durée de deux ans. Par un jugement du 18 novembre 2020, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé ces décisions au motif qu'elles étaient entachées d'une erreur manifeste d'appréciation de la situation des requérants. M. et Mme A... se pourvoient en cassation contre l'arrêt du 31 mai 2021 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux, faisant droit à l'appel de la préfète de la Gironde, a annulé ce jugement et rejeté leurs demandes.

2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...). / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention 'vie privée et familiale' est délivrée de plein droit : (...) / 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie (...) dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée. (...) ".

3. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que M. et Mme A... résident en France de manière continue depuis plus de dix ans, qu'ils s'y sont mariés, et que leurs enfants, nés en France en 2013, 2015 et 2017, un quatrième enfant étant né en 2021, postérieurement aux décisions litigieuses, y ont toujours vécu, y sont scolarisés et parfaitement intégrés. Il ressort également des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'excellente insertion de la famille est attestée par le maire de leur commune et par plusieurs dizaines de parents d'élèves, enseignants, voisins et amis, ce qui avait conduit la commission du titre de séjour des étrangers à émettre, le 11 mars 2020, un avis favorable à la délivrance d'un titre de séjour ; que M. A... disposait, à la date à laquelle ont été pris les arrêtés litigieux, d'une promesse d'embauche, transformée depuis en un contrat de travail à durée indéterminée à temps plein, conclu le 5 janvier 2021, dans une entreprise du secteur du bâtiment ; enfin que la famille entretient des relations très étroites avec les frères de M. A... qui bénéficient en France du statut de réfugié. Par suite, en estimant que les arrêtés du 19 juin 2020 ne portaient pas une atteinte disproportionnée au droit de M. et Mme A... au respect de leur vie privée et familiale, garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la cour administrative d'appel de Bordeaux a entaché son arrêt d'une inexacte qualification juridique des faits qui lui étaient soumis.

4. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, que M. et Mme A... sont fondés à demander l'annulation de l'arrêt attaqué.

5. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler, dans cette mesure, l'affaire au fond, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

6. Il résulte de ce qui est dit au point 3 quant à l'ancienneté et l'intensité des liens personnels et familiaux de M. et Mme A... en France et à leurs conditions d'existence et d'insertion dans la société française que la préfète de la Gironde n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Bordeaux a annulé ses arrêtés du 19 juin 2020 et lui a enjoint de leur délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ". Par suite, la requête de la préfète de la Gironde tendant à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Bordeaux doit être rejetée.

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros à verser à M. et Mme A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

[0]

D E C I D E :

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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 31 mai 2021 est annulé.

Article 2 : La requête présentée par la préfète de la Gironde devant la cour administrative d'appel de Bordeaux est rejetée.

Article 3 : L'Etat versera à M. et Mme A... la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. B... A... et Mme D... C... épouse A..., ainsi qu'au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Délibéré à l'issue de la séance du 16 février 2023 où siégeaient : M. Cyril Roger-Lacan, assesseur, présidant ; Mme Suzanne von Coester, conseillère d'Etat et Mme Nathalie Destais, conseillère d'Etat-rapporteure.

Rendu le 24 mars 2023.

Le président :

Signé : M. Cyril Roger-Lacan

La rapporteure :

Signé : Mme Nathalie Destais

La secrétaire :

Signé : Mme Marie-Adeline Allain


Synthèse
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 453493
Date de la décision : 24/03/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 24 mar. 2023, n° 453493
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Nathalie Destais
Rapporteur public ?: M. Stéphane Hoynck
Avocat(s) : CABINET ROUSSEAU, TAPIE

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:453493.20230324
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