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17/02/2023 | FRANCE | N°443710

France | France, Conseil d'État, 6ème - 5ème chambres réunies, 17 février 2023, 443710


Vu la procédure suivante :

M. et Mme A... et C... B... ont demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler la décision implicite née du rejet par le préfet du Vaucluse de leur demande indemnitaire et de condamner l'Etat à payer la somme de 40 020 € en réparation des troubles dans les conditions d'existence qu'ils estiment avoir subis, résultant de la carence du préfet, dans l'exercice de ses pouvoirs de police, à remédier aux nuisances sonores générées par l'exploitation d'un site par la société L'Européenne d'Embouteillage, de 1998 à 2006 inclus, dans la co

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Vu la procédure suivante :

M. et Mme A... et C... B... ont demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler la décision implicite née du rejet par le préfet du Vaucluse de leur demande indemnitaire et de condamner l'Etat à payer la somme de 40 020 € en réparation des troubles dans les conditions d'existence qu'ils estiment avoir subis, résultant de la carence du préfet, dans l'exercice de ses pouvoirs de police, à remédier aux nuisances sonores générées par l'exploitation d'un site par la société L'Européenne d'Embouteillage, de 1998 à 2006 inclus, dans la commune de Châteauneuf-de-Gadagne. Par une ordonnance n° 1510461 du 11 janvier 2016, le tribunal administratif de Marseille a transmis le dossier au tribunal administratif de Nîmes. Par un jugement n° 1600061 du 20 mars 2018, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté leur demande.

Par un arrêt n° 18MA02301 du 3 juillet 2020, la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté l'appel qu'ils ont formé contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 4 septembre et 4 décembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. et Mme B... demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à leurs conclusions de première instance et d'appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'environnement ;

- l'arrêté du 23 janvier 1997 du ministre de l'environnement relatif à la limitation des bruits émis dans l'environnement par les installations classées ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Catherine Moreau, conseillère d'Etat en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Stéphane Hoynck, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de M. et Mme B... ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un arrêté du 7 novembre 1997, le préfet du Vaucluse a autorisé, au titre de la législation sur les installations classées pour la protection de l'environnement, la société L'Européenne d'Embouteillage à exploiter une usine spécialisée dans la production, l'embouteillage et le stockage de boissons et d'eaux, plates et gazeuses, dans la commune de Châteauneuf-de-Gadagne. M. et Mme B..., propriétaires dans la commune, ont demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner l'Etat à leur verser la somme de 40 020 € en réparation des troubles dans les conditions d'existence qu'ils estiment avoir subis, résultant de la carence du préfet à remédier par l'exercice de ses pouvoirs de police aux nuisances sonores générées par l'exploitation d'un site par la société de 1998 à 2006. Par un jugement du 20 mars 2018, le tribunal administratif a rejeté leur demande. Par un arrêt du 3 juillet 2020 contre lequel ils se pourvoient en cassation, la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté l'appel qu'ils ont formé contre ce jugement.

2. D'une part, aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'environnement : " Sont soumis aux dispositions du présent titre les usines, ateliers, dépôts, chantiers et, d'une manière générale, les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, soit pour l'utilisation rationnelle de l'énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique. (...) ". Aux termes de l'article L. 512-1 du même code : " sont soumises à autorisation les installations qui présentent de graves dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés à l'article L. 511-1. (...) ". En vertu de l'article L. 514-5 du même code, dans sa rédaction alors applicable, les personnes chargées de l'inspection des installations classées peuvent visiter à tout moment les installations soumises à leur surveillance. Il résulte de ces dispositions qu'il appartient à l'Etat, dans l'exercice de ses pouvoirs de police en matière d'installations classées, d'assurer la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement par les installations soumises à autorisation en application de l'article L. 512-1 du même code et ce, en premier lieu, en assortissant l'autorisation délivrée à l'exploitant de prescriptions encadrant les conditions d'installation et d'exploitation de l'installation qui soient de nature à prévenir les risques susceptibles de survenir. Il lui appartient, ensuite, d'exercer sa mission de contrôle sur cette installation en veillant au respect des prescriptions imposées à l'exploitant et à leur adéquation à la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1. A cet égard, les services chargés de ce contrôle disposent des pouvoirs qui leur sont reconnus par l'article L. 514-5 afin de visiter les installations soumises à autorisation. Il leur appartient d'adapter la fréquence et la nature de leurs visites à la nature, à la dangerosité et à la taille de ces installations. Il leur revient de tenir compte, dans l'exercice de cette mission de contrôle, des indications dont ils disposent sur les facteurs de risques particuliers affectant les installations ou sur d'éventuels manquements commis par l'exploitant.

3. D'autre part, aux termes de l'article 3 de l'arrêté du 23 janvier 1997 du ministre de l'environnement relatif à la limitation des bruits émis dans l'environnement par les installations classées pour la protection de l'environnement : " (...) L'arrêté préfectoral d'autorisation fixe, pour chacune des périodes de la journée (diurne et nocturne), les niveaux de bruit à ne pas dépasser en limites de propriété de l'établissement, déterminés de manière à assurer le respect des valeurs d'émergence admissibles. Les valeurs fixées par l'arrêté d'autorisation ne peuvent excéder 70 dB(A) pour la période de jour et 60 db(A) pour la période de nuit, sauf si le bruit résiduel pour la période considérée est supérieur à cette limite. (...) ". L'article 9 de l'arrêté préfectoral d'autorisation du 7 novembre 1997 prévoit, en application de ces dispositions, que : " Les prescriptions de l'arrêté du 23 janvier 1997 relatif à la limitation des bruits émis dans l'environnement par les installations classées sont applicables. / Les dispositions du présent article sont applicables au bruit global émis par l'ensemble des activités exercées à l'intérieur de l'établissement. / Les émissions sonores ne doivent pas dépasser les niveaux de bruit admissibles en limite de propriété de l'établissement, fixés aux différentes périodes de la journée ci-après : / période diurne : 65 dBA, / période nocturne 55 dBA. / Dès la fin des aménagements faisant l'objet du présent arrêté, puis avec une périodicité triennale, l'exploitant fait réaliser, à ses frais, une mesure des niveaux d'émission sonore de son établissement par une personne ou un organisme qualifié et aux emplacements choisis après accord de l'inspection des installations classées ". Il résulte de ces dispositions que pour mesurer les niveaux sonores que l'installation autorisée ne doit pas dépasser, doivent être pris en compte les bruits en lien direct avec l'exploitation émis en limites de propriété, et pas uniquement les bruits émis à l'intérieur de l'établissement.

4. La cour a retenu dans les motifs de son arrêt, d'une part, que le bilan de fonctionnement de l'établissement effectué en 2007 par la société Norisko Environnement constatait trois points de dépassements sonores, l'un en 2001 et deux autres en 2004, et, d'autre part, que le rapport réalisé par la société Sérial, dans le cadre d'une expertise ordonnée par un jugement avant dire droit du 27 décembre 2006 du tribunal administratif de Marseille, faisait ressortir des nuisances sonores provoquées par le stationnement des poids lourds, moteurs au ralenti, à l'entrée du site en limite Est de la propriété. Pour écarter la carence fautive de l'Etat à ne pas être intervenu pour faire cesser la cause de ces nuisances, la cour s'est fondée sur les dispositions de l'article 9 de l'arrêté préfectoral du 7 novembre 1997 fixant des seuils limites d'émissions sonores, en relevant que celles-ci n'étaient applicables qu'au bruit global émis par l'ensemble des activités exercées à l'intérieur de l'établissement. En estimant que cet arrêté faisait obstacle à la prise en compte des nuisances sonores en cause, liées aux mouvements de camions vers l'installation, alors que ces nuisances trouvaient leur source à l'extérieur de l'établissement mais étaient en lien direct avec l'exploitation et mesurées au voisinage immédiat de l'installation, la cour a commis une erreur de droit.

5. Par suite, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, M. et Mme B... sont fondés à demander l'annulation de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille qu'ils attaquent.

6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros à verser à M. et Mme B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille du 3 juillet 2020 est annulé.

Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Marseille.

Article 3 : L'Etat versera à M. et Mme B... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. A... B... et Mme C... B... et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Délibéré à l'issue de la séance du 18 janvier 2023 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, M. Jean-Philippe Mochon, présidents de chambre ; Mme Suzanne von Coester, Mme Fabienne Lambolez, M. Olivier Yeznikian, M. Cyril Roger-Lacan, conseillers d'Etat ; Mme Catherine Moreau, conseillère d'Etat en service extraordinaire-rapporteure et M. Laurent Cabrera, conseiller d'Etat.

Rendu le 17 février 2023.

La présidente :

Signé : Mme Christine Maugüé

La rapporteure :

Signé : Mme Catherine Moreau

La secrétaire :

Signé : Mme Marie-Adeline Allain


Synthèse
Formation : 6ème - 5ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 443710
Date de la décision : 17/02/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 17 fév. 2023, n° 443710
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Catherine Moreau
Rapporteur public ?: M. Stéphane Hoynck
Avocat(s) : SCP FOUSSARD, FROGER

Origine de la décision
Date de l'import : 19/02/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:443710.20230217
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