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10/02/2023 | FRANCE | N°466854

France | France, Conseil d'État, 3ème - 8ème chambres réunies, 10 février 2023, 466854


Vu la procédure suivante :

La commune de Décines-Charpieu a demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner l'Etat à lui verser la somme de 21 120 000 euros en réparation du préjudice subi pour les années 2016 à 2019 du fait de la suppression par l'article 21 de la loi du 29 décembre 2014 de finances pour 2015 des première et troisième catégories de l'impôt sur les spectacles et de la mise en œuvre d'une compensation à laquelle elle n'est pas éligible, ainsi que la somme de 5 280 000 euros en réparation du préjudice subi pour chaque année postérieure à 2019 e

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Vu la procédure suivante :

La commune de Décines-Charpieu a demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner l'Etat à lui verser la somme de 21 120 000 euros en réparation du préjudice subi pour les années 2016 à 2019 du fait de la suppression par l'article 21 de la loi du 29 décembre 2014 de finances pour 2015 des première et troisième catégories de l'impôt sur les spectacles et de la mise en œuvre d'une compensation à laquelle elle n'est pas éligible, ainsi que la somme de 5 280 000 euros en réparation du préjudice subi pour chaque année postérieure à 2019 et d'assortir ces sommes des intérêts à compter du 31 décembre 2018, capitalisés à compter du 31 décembre 2019. Par un jugement n° 1903203 du 29 mai 2019, le tribunal administratif de Lyon a rejeté ses demandes.

Par un arrêt n° 20LY02009 du 23 juin 2022, la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté l'appel de la commune de Décines-Charpieu contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 22 août et 20 novembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la commune de Décines-Charpieu demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un mémoire distinct, enregistré le 20 novembre 2022, la commune de Décines-Charpieu demande au Conseil d'Etat, à l'appui de ce pourvoi, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article 21 de la loi du 29 décembre 2014 de finances pour 2015. Elle soutient que ces dispositions, applicables au litige, méconnaissent les principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques, garantis par les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789.

Par un mémoire en défense, enregistré le 9 décembre 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut à ce que la question de constitutionnalité ne soit pas renvoyée au Conseil constitutionnel. Il fait valoir que la question soulevée par la commune n'est ni nouvelle ni sérieuse.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution du 4 octobre 1958, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- la loi n° 2009-888 du 22 juillet 2009, notamment son article 28 ;

- la loi n° 2014-1654 du 29 décembre 2014 de finances pour 2015, notamment son article 21 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Aurélien Caron, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Melka-Prigent-Drusch, avocat de la commune de Décines-Charpieu ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. Aux termes du IV de l'article 21 de la loi du 29 décembre 2014 de finances pour 2015 : " IV.- Il est institué un prélèvement sur les recettes de l'Etat destiné à compenser les pertes de recettes pour les communes résultant de la suppression des première et troisième catégories de l'impôt sur les spectacles mentionnées à l'article 1560 du code général des impôts, dans sa rédaction en vigueur au 1er janvier 2014. La compensation est égale au produit de l'impôt en 2013 au titre de ces catégories ".

3. Il résulte des travaux préparatoires de la loi du 29 décembre 2014 de finances pour 2015 que le législateur a entendu, d'une part, mettre le droit français en conformité avec le droit de l'Union européenne en remplaçant l'assujettissement des droits d'entrée perçus par les organisateurs de réunions sportives à l'impôt sur les spectacles sportifs par leur assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée au taux réduit de 5,5 % et, d'autre part, rendre cette réforme neutre financièrement pour les seules communes qui bénéficiaient de ressources issues de cet impôt en 2013, année choisie comme année de référence pour le calcul de la compensation par l'Etat de la suppression de l'impôt sur les spectacles sportifs à compter du 1er janvier 2015.

4. En premier lieu, aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : " La loi (...) doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ". Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.

5. Les communes qui percevaient la taxe sur les spectacles en 2013 à raison d'équipements sportifs en fonctionnement et les communes sur le territoire desquelles de tels équipements étaient en construction durant cette même année sont placées dans des situations différentes. La différence de traitement entre les premières qui bénéficient de la compensation par l'Etat de la perte du produit de l'impôt sur les spectacles sportifs qu'elles percevaient en 2013 et les secondes qui n'en bénéficient pas est en rapport direct avec l'objet de la loi rappelé ci-dessus au point 3 qui l'établit. Par suite, le grief tiré de ce que le IV de l'article 21 de la loi du 29 décembre 2014 de finances pour 2015 méconnaîtrait le principe d'égalité devant la loi ne soulève pas une difficulté sérieuse.

6. En second lieu, aux termes de l'article 13 de cette Déclaration: " Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ". Le principe d'égalité devant les charges publiques ne fait pas obstacle à ce que des situations différentes fassent l'objet d'un traitement différent, sous réserve que le législateur se fonde sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose et qu'il ne fasse pas peser sur les contribuables une charge excessive au regard de leurs capacités contributives.

7. La responsabilité de l'Etat du fait des lois est susceptible d'être engagée sur le fondement de l'égalité des citoyens devant les charges publiques, pour assurer la réparation de préjudices nés de l'adoption d'une loi à la condition que cette loi n'ait pas exclu toute indemnisation et que le préjudice dont il est demandé réparation, revêtant un caractère grave et spécial, ne puisse, dès lors, être regardé comme une charge incombant normalement aux intéressés.

8. Si le législateur a exclu toute possibilité de compensation pour les communes qui n'entrent pas dans le cadre du dispositif prévu par les dispositions du IV de l'article 21 de la loi du 29 décembre 2014 de finances pour 2015 rappelées au point 2 ci-dessus, il n'a pas expressément exclu toute possibilité d'indemnisation de ces communes pour les éventuels préjudices causés par la suppression de cet impôt au titre de la responsabilité sans faute de l'Etat du fait des lois. Dès lors, et en tout état de cause, le grief tiré de ce que le IV de l'article 21 de la loi du 29 décembre 2014 de finances pour 2015, s'il devait être interprété comme excluant toute possibilité d'indemnisation sur le fondement de la responsabilité d'Etat du fait des lois, méconnaîtrait le principe d'égalité devant les charges publiques ne peut davantage être regardé comme sérieux.

10. Il résulte de ce qui précède que la question soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux. Il n'y a, dès lors, pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.

D E C I D E :

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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la commune de Décines-Charpieu.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la commune de Décines-Charpieu et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et à la Première ministre.

Délibéré à l'issue de la séance du 25 janvier 2023 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; M. Guillaume Goulard, M. Pierre Collin, présidents de chambre ; M. Stéphane Verclytte, M. Christian Fournier, M. Hervé Cassagnabère, M. Jonathan Bosredon, M. Pierre Boussaroque, conseillers d'Etat et M. Aurélien Caron, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 10 février 2023.

La présidente :

Signé : Mme Christine Maugüé

Le rapporteur :

Signé : M. Aurélien Caron

La secrétaire :

Signé : Mme Elsa Sarrazin


Synthèse
Formation : 3ème - 8ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 466854
Date de la décision : 10/02/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 10 fév. 2023, n° 466854
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Aurélien Caron
Rapporteur public ?: Mme Marie-Gabrielle Merloz
Avocat(s) : SCP MELKA-PRIGENT-DRUSCH

Origine de la décision
Date de l'import : 28/04/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:466854.20230210
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