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20/09/2022 | FRANCE | N°461642

France | France, Conseil d'État, 8ème - 3ème chambres réunies, 20 septembre 2022, 461642


Vu la procédure suivante :

La société anonyme (SA) SAP France a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge des retenues à la source auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2012 et 2013, ainsi que des majorations correspondantes. Par un jugement n° 1804946 du 7 novembre 2019, ce tribunal a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 20VE00043 du 17 décembre 2021, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé par la société SAP France contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complém

entaire, enregistrés les 17 février et 17 mai 2022 au secrétariat du contentieux du C...

Vu la procédure suivante :

La société anonyme (SA) SAP France a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge des retenues à la source auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2012 et 2013, ainsi que des majorations correspondantes. Par un jugement n° 1804946 du 7 novembre 2019, ce tribunal a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 20VE00043 du 17 décembre 2021, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé par la société SAP France contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 17 février et 17 mai 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société SAP France demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. François-René Burnod, auditeur,

- les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat de la société SAP France ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société SAP France est détenue à 98% par la société anonyme (SA) SAP France Holding, dont le capital est entièrement contrôlé par la société de droit allemand SAP AG. La société SAP France a conclu avec SAP AG le 17 décembre 2009 une convention de gestion de trésorerie centralisée, en vertu de laquelle elle déposait ses excédents de trésorerie auprès de la société allemande, lesquels étaient rémunérés sur la base d'un taux d'intérêt égal au taux de référence interbancaire Euro OverNight Index Average (EONIA) minoré de 0,15 points. Au cours des années 2012 et 2013, l'application de cette formule aboutissant du fait de l'évolution de l'EONIA à une rémunération négative, les parties à la convention de gestion de trésorerie ont convenu de fixer ce taux à 0%. A la suite d'une vérification de comptabilité de la société SAP France portant sur les exercices clos en 2012 et 2013, l'administration fiscale a remis en cause le caractère normal de cette rémunération nulle et a soumis à la retenue à la source prévue par l'article 119 bis 2° du code général des impôts les sommes qu'elle a regardées comme des bénéfices indirectement transférés à la société SAP AG. Par un jugement du 7 novembre 2019, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté la demande de la société SAP France tendant à la décharge de ces impositions pour un montant de 37 500 euros au titre de 2012 et 105 784 euros au titre de 2013, pénalités incluses. Cette société se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 17 décembre 2021 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté son appel.

2. Aux termes de l'article 109 du code général des impôts : " 1. Sont considérés comme revenus distribués: 1° Tous les bénéfices ou produits qui ne sont pas mis en réserve ou incorporés au capital ". Aux termes de l'article 110 du même code : " Pour l'application du 1° du 1 de l'article 109, les bénéfices s'entendent de ceux qui ont été retenus pour l'assiette de l'impôt sur les sociétés ". Aux termes du 2° de l'article 119 bis du même code : " Les produits visés aux articles 108 à 117 bis donnent lieu à l'application d'une retenue à la source dont le taux est fixé par l'article 187-1 lorsqu'ils bénéficient à des personnes qui n'ont pas leur domicile fiscal ou leur siège en France ". Il résulte de ces dispositions que dans le cas où l'existence d'un transfert de bénéfices est établie, le montant correspondant doit être considéré comme un revenu distribué, soumis à la retenue à la source dès lors que son bénéficiaire a son siège hors de France.

3. Aux termes de l'article 57 du même code : " Pour l'établissement de l'impôt sur le revenu dû par les entreprises qui sont sous la dépendance ou qui possèdent le contrôle d'entreprises situées hors de France, les bénéfices indirectement transférés à ces dernières, soit par voie de majoration ou de diminution des prix d'achat ou de vente, soit par tout autre moyen, sont incorporés aux résultats accusés par les comptabilités. Il est procédé de même à l'égard des entreprises qui sont sous la dépendance d'une entreprise ou d'un groupe possédant également le contrôle d'entreprises situées hors de France. / (...) A défaut d'éléments précis pour opérer les rectifications prévues aux premier, deuxième et troisième alinéas, les produits imposables sont déterminés par comparaison avec ceux des entreprises similaires exploitées normalement ". Il résulte de ces dispositions que, lorsqu'elle constate que les prix facturés par une entreprise établie en France à une entreprise étrangère qui lui est liée - ou ceux qui lui sont facturés par cette entreprise étrangère -, sont inférieurs - ou supérieurs - à ceux pratiqués par des entreprises similaires exploitées normalement, c'est-à-dire dépourvues de liens de dépendance, l'administration doit être regardée comme établissant l'existence d'un avantage qu'elle est en droit de réintégrer dans les résultats de l'entreprise française, sauf pour celle-ci à justifier que cet avantage a eu pour elle des contreparties au moins équivalentes. A défaut d'avoir procédé à une telle comparaison, le service n'est, en revanche, pas fondé à invoquer la présomption de transferts de bénéfices ainsi instituée mais doit, pour démontrer qu'une entreprise a consenti une libéralité en facturant des prestations à un prix insuffisant - ou en les payant à un prix excessif -, établir l'existence d'un écart injustifié entre le prix convenu et la valeur vénale du bien cédé ou du service rendu

4. Pour juger que la société SAP France avait consenti à la société SAP AG une libéralité en renonçant, au titre des années 2012 et 2013, à percevoir une rémunération en contrepartie du dépôt de ses excédents de trésorerie auprès de cette dernière, la cour administrative d'appel s'est fondée sur la circonstance que cette rémunération nulle était sans rapport avec celle à laquelle la société aurait pu prétendre si elle avait placé à cette date ses excédents de trésorerie auprès d'un établissement financier, sans que cette absence de rémunération trouve sa contrepartie dans la possibilité de financer des besoins de trésorerie, lesquels étaient inexistants au titre des années en cause. En jugeant cependant dépourvue d'incidence à cet égard la circonstance que le taux de rémunération des sommes ainsi déposées auprès de la société SAP AG résultait de l'application de la formule de taux prévue par la convention de gestion de trésorerie, que les parties ont au demeurant fait le choix de limiter à un résultat non négatif en cours d'exécution de cette convention, sans rechercher si la société SAP France avait agi conformément à son intérêt en la concluant en ces termes le 17 décembre 2009, ni quelles étaient les obligations qui en découlaient pour elle au cours des années en litige, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit.

5. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de son pourvoi, que la société SAP France est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros à verser à la société SAP France au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

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Article 1er : L'arrêt du 17 décembre 2021 de la cour administrative d'appel de Versailles est annulé.

Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Versailles.

Article 3 : L'Etat versera à la société SAP France une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société anonyme SAP France et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.


Synthèse
Formation : 8ème - 3ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 461642
Date de la décision : 20/09/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 20 sep. 2022, n° 461642
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. François-René Burnod
Rapporteur public ?: M. Romain Victor
Avocat(s) : SCP CELICE, TEXIDOR, PERIER

Origine de la décision
Date de l'import : 25/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2022:461642.20220920
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