Vu la procédure suivante :
Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et trois nouveaux mémoires enregistrés les 29 septembre 2020, 22 décembre 2020, 1er décembre 2021, 29 avril et 9 juin 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Syndicat indépendant des artistes interprètes (SIA-Unsa) et l'Union nationale des syndicats autonomes spectacle et communication (Unsa Spectacle et Communication) demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 10 juillet 2020 de la ministre du travail portant extension d'un accord relatif au regroupement des branches professionnelles des entreprises techniques au service de la création et de l'événement (n° 2717) et des mannequins adultes et mannequins enfants de moins de seize ans employés par les agences de mannequins (n° 2397) ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. A... de Nervaux, conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Frédéric Dieu, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat du Syndicat indépendant des artistes interprètes et de l'Union nationale des syndicats autonomes spectacle et communication et à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la Fédération française des agences de mannequins ;
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté du 10 juillet 2020 dont le Syndicat indépendant des artistes interprètes (SIA-Unsa) et l'Union nationale des syndicats autonomes Spectacle et communication (Unsa- Spectacle et Communication) demandent l'annulation pour excès de pouvoir, la ministre du travail a étendu, sous certaines réserves, l'accord signé le 8 février 2019 relatif au regroupement des branches professionnelles des entreprises techniques au service de la création et de l'événement et des mannequins adultes et mannequins enfants de moins de seize ans employés par les agences de mannequins.
2. La Fédération française des agences de mannequins justifie d'un intérêt suffisant pour intervenir au soutien de la requête. Par suite, son intervention est recevable.
3. En premier lieu, aux termes du I de l'article L. 2232-9 du code du travail : " Une commission paritaire permanente de négociation et d'interprétation est mise en place par accord ou convention dans chaque branche ". Aux termes de l'article L. 2261-19 du même code : " Pour pouvoir être étendus, la convention de branche ou l'accord professionnel ou interprofessionnel, leurs avenants ou annexes, doivent avoir été négociés et conclus au sein de la commission paritaire mentionnée à l'article L. 2232-9 du code du travail. / Cette commission est composée de représentants des organisations syndicales d'employeurs et de salariés représentatives dans le champ d'application considéré. / (...) ".
4. Si les syndicats requérants soutiennent que l'arrêté attaqué est entaché d'illégalité en ce qu'il procède à l'extension d'un accord négocié et conclu sans que l'ensemble des organisations syndicales représentatives n'aient été associées à toutes les réunions de négociation de cet accord, il ressort des pièces du dossier et n'est pas contesté que le projet de regroupement a été inscrit à l'ordre du jour, conformément aux dispositions citées ci-dessus de l'article L. 2261-19 du code du travail, des commissions paritaires permanentes de négociation et d'interprétation respectives de la branche des mannequins adultes et mannequins enfants de moins de seize ans employés par les agences de mannequin et de la branche des entreprises techniques au service de la création et de l'événement. Il ressort également des pièces du dossier que les syndicats requérants ont pu prendre connaissance en temps utile du projet de regroupement et exprimer en l'occurrence leur rejet de ce projet, notamment à l'occasion de la réunion du 28 novembre 2018 de la commission paritaire permanente de négociation et d'interprétation de la branche des mannequins adultes et mannequins enfants de moins de seize ans employés par les agences de mannequin. Si le SIA-Unsa n'a pas été convié, contrairement à un autre syndicat représentatif de la même branche, à la réunion du 9 janvier 2019 de la commission paritaire permanente de négociation et d'interprétation de la branche des entreprises techniques au service de la création et de l'événement, le SIA-Unsa, ainsi que l'ensemble des organisations syndicales représentatives dans les deux branches concernées par le regroupement, ont été conviés le 8 février 2019 à une réunion portant sur le projet d'accord de regroupement à l'issue de laquelle l'accord a été signé. Par suite, les requérants, qui ne peuvent utilement invoquer les dispositions de l'article L. 2261-34 du code du travail qui ne sont pas relatives aux conditions de négociation d'un accord de regroupement de branches, ne sont pas fondés à soutenir que l'arrêté qu'ils attaquent aurait été pris en méconnaissance des dispositions de l'article L. 2261-19 du code du travail.
5. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que les organisations syndicales représentatives de la branche des mannequins adultes et mannequins enfants de moins de seize ans employés par les agences de mannequin étaient informées de la négociation puis de la signature, le 4 décembre 2018, d'un accord relatif au regroupement de la convention collective des entreprises techniques au service de la création et de l'événement et de la convention collective des propriétaires exploitants de chapiteaux. Par suite, le moyen tiré de ce que la procédure de négociation de l'accord de rapprochement entre les branches professionnelles des entreprises techniques au service de la création et de l'événement et des mannequins adultes et mannequins enfants de moins de seize ans employés par les agences de mannequin aurait été irrégulière en ce que l'information de ce regroupement aurait été dissimulée aux organisations syndicales et patronales de la branche des mannequins ne peut, en tout état de cause, qu'être écarté.
6. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 2261-15 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige : " Les stipulations d'une convention de branche ou d'un accord professionnel ou interprofessionnel (...) peuvent être rendues obligatoires pour tous les salariés et employeurs compris dans le champ d'application de cette convention ou de cet accord, par arrêté du ministre chargé du travail, après avis motivé de la Commission nationale de la négociation collective ". Aux termes de son article L. 2261-25 : " Le ministre chargé du travail peut exclure de l'extension, après avis motivé de la Commission nationale de la négociation collective, les clauses qui seraient en contradiction avec des dispositions légales. Il peut également refuser, pour des motifs d'intérêt général, notamment pour atteinte excessive à la libre concurrence ou au regard des objectifs de la politique de l'emploi, l'extension d'un accord collectif. / Il peut également exclure les clauses pouvant être distraites de la convention ou de l'accord sans en modifier l'économie, mais ne répondant pas à la situation de la branche ou des branches dans le champ d'application considéré. /Il peut, dans les mêmes conditions, étendre, sous réserve de l'application des dispositions légales, les clauses incomplètes au regard de ces dispositions. /Il peut, dans les mêmes conditions, étendre les clauses appelant des stipulations complémentaires de la convention ou de l'accord, en subordonnant, sauf dispositions législatives contraires, leur entrée en vigueur à l'existence d'une convention d'entreprise prévoyant ces stipulations ".
7. Il résulte de ces dispositions que le ministre chargé du travail, saisi d'une demande tendant à ce qu'il étende un accord collectif, doit s'assurer, conformément aux dispositions de l'article L. 2261-25 du code du travail, que cet accord ne comporte pas de clauses qui seraient contraires aux textes législatifs et réglementaires ou qui ne répondraient pas à la situation de la branche ou des branches dans le champ d'application de l'accord. Dans le cas où l'accord satisfait à ces exigences, le ministre n'est pas pour autant tenu de procéder à l'extension qui lui est demandée. Le premier alinéa de l'article L. 2261-25 du code du travail lui attribue à cet égard un pouvoir d'appréciation lui permettant de refuser cette extension, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, pour des motifs d'intérêt général.
8. Si l'article L. 2261-32 du code du travail conditionne l'exercice par le ministre du travail de son pouvoir de fusion de branches professionnelles à l'existence de conditions sociales et économiques analogues entre les branches concernées, l'extension, sur le fondement des articles L. 2261-15 et L. 2261-25 du code du travail, d'un accord collectif ayant pour objet le rapprochement de branches professionnelles n'est pas subordonnée au respect d'une telle condition. Il appartient au ministre chargé du travail, saisi d'une demande d'extension d'un tel accord, d'apprécier, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si des motifs d'intérêt général sont de nature à s'opposer à l'extension, alors même que la restructuration des branches répond, en principe et par elle-même, à des considérations d'intérêt général.
9. Il ressort des pièces du dossier que l'accord du 8 février 2019 a été signé par l'ensemble des organisations syndicales représentatives des deux branches concernées, à l'exception de l'Unsa et qu'à la suite de l'avis relatif à l'extension de cet accord paru au Journal officiel de la République française du 20 août 2019, seule l'Unsa-Spectacle et Communication a fait part de son opposition. En outre, il ressort des pièces du dossier que les deux branches en cause, qui, prises ensemble, couvrent environ 20 000 salariés, se caractérisent par des conditions sociales et économiques qui, par-delà leurs spécificités, notamment l'emploi de mineurs pour celle du mannequinat, ne sont pas dénuées de points de convergence. Elles regroupent ainsi des entreprises, à l'activité fluctuante, qui ont la qualité de prestataires pour d'autres entreprises clientes et qui recourent au travail intermittent. Elles relèvent, en outre, de la même institution de prévoyance et du même opérateur de compétences en matière de formation professionnelle. Dans ces conditions, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que des considérations d'intérêt général tenant notamment à l'hétérogénéité des conditions sociales et économiques des deux branches auraient dû conduire la ministre du travail à refuser de procéder à l'extension de l'accord collectif de rapprochement entre les deux branches en cause.
10. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 2261-33 du même code : " En cas de fusion des champs d'application de plusieurs conventions collectives en application du I de l'article L. 2261-32 ou en cas de conclusion d'un accord collectif regroupant le champ de plusieurs conventions existantes, les stipulations conventionnelles applicables avant la fusion ou le regroupement, lorsqu'elles régissent des situations équivalentes, sont remplacées par des stipulations communes, dans un délai de cinq ans à compter de la date d'effet de la fusion ou du regroupement. Pendant ce délai, la branche issue du regroupement ou de la fusion peut maintenir plusieurs conventions collectives. / Eu égard à l'intérêt général attaché à la restructuration des branches professionnelles, les différences temporaires de traitement entre salariés résultant de la fusion ou du regroupement ne peuvent être utilement invoquées pendant le délai mentionné au premier alinéa du présent article. / A défaut d'accord conclu dans ce délai, les stipulations de la convention collective de la branche de rattachement s'appliquent ".
11. Eu égard à l'objet de l'accord étendu par l'arrêté attaqué, qui se borne à prévoir le regroupement des deux branches professionnelles concernées et à définir le champ d'application de la future convention commune ainsi que la méthode de négociation de celle-ci, sans se substituer aux stipulations conventionnelles applicables avant que ne soit décidé ce regroupement, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que la ministre du travail aurait dû formuler dans son arrêté une réserve permettant de préserver les dispositions d'ordre public et les stipulations en vigueur relatives au travail des enfants mannequins et à la protection de la santé des mannequins.
12. En dernier lieu, les requérants ne peuvent utilement exciper de l'illégalité de l'arrêté du 10 juillet 2020 par lequel la ministre du travail a étendu l'accord de rapprochement conclu entre la branche des entreprises techniques au service de la création et de l'événement et celle des propriétaires exploitants de chapiteaux, dès lors qu'il ne constitue pas la base légale de l'arrêté attaqué et que ce dernier n'a pas été pris pour l'application du premier.
13. Il résulte de tout ce qui précède que la requête du syndicat indépendant des artistes interprètes et de l'Union nationale des syndicats autonomes Spectacle et Communication doit être rejetée, y compris en ce qu'elle comporte des conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : L'intervention de la Fédération française des agences de mannequins est admise.
Article 2 : La requête du syndicat indépendant des artistes interprètes et l'Union nationale des syndicats autonomes - Spectacle et Communication est rejetée.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au Syndicat indépendant des artistes interprètes, à l'Union nationale des syndicats autonomes - Spectacle et Communication, au Syndicat des prestataires de l'audiovisuel, scénique et événementiel, à la Fédération des industries du cinéma audiovisuel multimédia, au syndicat national des agences de mannequins, à la Confédération générale du travail (CGT), à la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC), à la Confédération française démocratique du travail (CFDT), la Confédération française de l'encadrement - Confédération générale des cadres (CFE-CGC), à la Fédération française des agences de mannequins et au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion.
Délibéré à l'issue de la séance du 15 juin 2022 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; Mme Carine Soulay, Mme Françoise Tomé, Mme Sophie-Justine Lieber, M. Damien Botteghi, Mme Carine Chevrier, conseillers d'Etat et M. Alban de Nervaux, conseiller d'Etat-rapporteur
Rendu le 5 juillet 2022.
Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
Le rapporteur :
Signé : M. Alban de Nervaux
La secrétaire :
Signé : Mme Sylvie Alleil