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19/11/2021 | FRANCE | N°442688

France | France, Conseil d'État, 10ème chambre, 19 novembre 2021, 442688


Vu les procédures suivantes :

1° La société Le Coin du Feu a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler la délibération du 9 décembre 2016 par laquelle le conseil municipal de Ruvigny a approuvé la carte communale et l'arrêté du 17 janvier 2017 par lequel le préfet de l'Aube a approuvé ce document. Par deux jugements nos 1700131 et 1700536 du 20 décembre 2018, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté ces demandes.

Par un arrêt n° 19NC00340, 19NC00341, 19NC00342 du 11 juin 2020, la cour administrative d'appel de Nancy a

rejeté l'appel formé par la société Le Coin du Feu contre ces jugements.

Sou...

Vu les procédures suivantes :

1° La société Le Coin du Feu a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler la délibération du 9 décembre 2016 par laquelle le conseil municipal de Ruvigny a approuvé la carte communale et l'arrêté du 17 janvier 2017 par lequel le préfet de l'Aube a approuvé ce document. Par deux jugements nos 1700131 et 1700536 du 20 décembre 2018, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté ces demandes.

Par un arrêt n° 19NC00340, 19NC00341, 19NC00342 du 11 juin 2020, la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté l'appel formé par la société Le Coin du Feu contre ces jugements.

Sous le numéro 442688, par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique enregistrés les 11 août et 12 novembre 2020 et le 16 juin 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Le Coin du Feu demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge solidaire de l'Etat et de la commune de Ruvigny la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° La société Le Coin du Feu a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne de condamner solidairement l'Etat et la commune de Ruvigny (Aube) à lui verser la somme de 817 026,29 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de l'adoption de la carte communale classant en zone inconstructible la parcelle n° ZA 75. Par un jugement n° 1700977 du 20 décembre 2018, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 19NC00343 du 11 juin 2020, la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté l'appel formé par la société Le Coin du Feu contre ce jugement.

Sous le n° 442689, par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique enregistrés les 11 août et 12 novembre 2020, et le 16 juin 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Le Coin du Feu demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge solidaire de l'Etat et de la commune de Ruvigny la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'environnement ;

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. David Moreau, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Arnaud Skzryerbak, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la société Le Coin du Feu et à la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin, avocat de la commune de Ruvigny ;

Considérant ce qui suit :

1. Il y a lieu de joindre les deux pourvois visés ci-dessus pour statuer par une même décision.

Sur le pourvoi n° 442688 :

2. Il ressort des pièces des dossiers soumis aux juges du fond que, par une délibération du 19 juin 2015, le conseil municipal de Ruvigny a prescrit l'élaboration d'une carte communale destinée à se substituer au plan d'occupation des sols qui deviendrait caduc le 1er janvier 2016. Par une délibération du 9 décembre 2016, le conseil municipal a adopté cette carte communale, que le préfet de l'Aube a approuvée par un arrêté du 17 janvier 2017. La société Le Coin du Feu, propriétaire d'une parcelle cadastrée n° ZA 75 dans cette commune, a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, par deux requêtes distinctes, l'annulation de cette délibération et de cet arrêté. Par deux jugements du 20 décembre 2018, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté les requêtes de la société. La société Le Coin du Feu se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 11 juin 2020 par lequel la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté son appel formé contre ces jugements.

3. En premier lieu, la cour administrative d'appel de Nancy a écarté le moyen tiré de ce que le tribunal avait omis de prendre en compte la note en délibéré que la société Le Coin du Feu avait produite dans chacune des deux instances introduites devant lui en énonçant que " le jugement du 7 décembre 2017 qui s'est borné à viser les notes en délibéré sans les analyser, n'était pas irrégulier à cet égard ". La mention de la date du 7 décembre 2017, au lieu de celle du 20 décembre 2018, et d'un seul jugement, dans une partie de son arrêt consacré à la " régularité des jugements " qui mentionne " les notes en délibéré " de la société, procède de pures erreurs matérielles sans incidence sur la régularité de sa décision. Par suite, la société n'est pas fondée à soutenir que cet arrêt serait insuffisamment motivé faute de se prononcer sur la régularité des deux jugements du 20 décembre 2018.

4. En deuxième lieu, il ressort des écritures produites par la société Le Coin du Feu au cours de l'instruction devant le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne que, si celle-ci avait relevé qu'aucun " porter à connaissance " du préfet de l'Aube n'avait été tenu à la disposition du public pendant toute la durée de l'élaboration de la carte communale, cette phrase figurait dans une partie de son mémoire introductif d'instance intitulée " Sur le caractère incomplet du dossier d'enquête publique " et à l'appui du moyen tiré de ce que le " porter à connaissance " ne figurait pas dans ce dossier. Par suite, la cour administrative d'appel de Nancy ne s'est pas méprise sur la portée de ces écritures en jugeant que la société n'avait pas soulevé avant la clôture de l'instruction devant le tribunal administratif le moyen tiré de ce que, indépendamment de la composition du dossier d'enquête publique, la commune de Ruvigny avait omis de tenir le " porter à connaissance " à la disposition du public en mairie. Si la cour s'est méprise en relevant que ce dernier moyen avait été soulevé dans les notes en délibéré produites devant le tribunal, ce motif présente un caractère surabondant et ne peut donc être utilement critiqué en cassation.

5. En troisième lieu, la cour n'a commis aucune erreur de droit en jugeant que le tribunal administratif n'était pas tenu de rouvrir l'instruction dès lors que les notes en délibéré produites par la société ne comportaient aucun élément susceptible d'exercer une influence sur le jugement de l'affaire et dont elle n'était pas en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction.

6. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 132-2 du code de l'urbanisme, qui reprend en substance les dispositions de l'article L. 121-2 du même code : " L'autorité administrative compétente de l'Etat porte à la connaissance des communes ou de leurs groupements compétents : / 1° Le cadre législatif et réglementaire à respecter ; / 2° Les projets des collectivités territoriales et de l'Etat en cours d'élaboration ou existants. / L'autorité administrative compétente de l'Etat leur transmet à titre d'information l'ensemble des études techniques dont elle dispose et qui sont nécessaires à l'exercice de leur compétence en matière d'urbanisme. / Tout retard ou omission dans la transmission de ces informations est sans effet sur les procédures engagées par les communes ou leurs groupements ". L'article R. 132-1 du même code, qui a succédé à l'article R. 121-1, dispose : " Pour l'application de l'article L. 132-2, le préfet de département porte à la connaissance de la commune, de l'établissement public de coopération intercommunale ou du syndicat mixte qui a décidé d'élaborer ou de réviser un schéma de cohérence territoriale, un plan local d'urbanisme ou une carte communale : / 1° les dispositions législatives et réglementaires applicables au territoire concerné et notamment les directives territoriales d'aménagement et de développement durables, les dispositions relatives au littoral et aux zones de montagne des chapitres Ier et II du titre II du présent livre, les servitudes d'utilité publique, le schéma régional de cohérence écologique, le plan régional de l'agriculture durable, le plan pluriannuel régional de développement forestier et les dispositions du plan de gestion du ou des biens inscrits au patrimoine mondial ; / 2° Les projets des collectivités territoriales et de l'Etat et notamment les projets d'intérêt général et les opérations d'intérêt national ; / 3° Les études techniques nécessaires à l'exercice par les collectivités territoriales de leur compétence en matière d'urbanisme dont dispose l'Etat, notamment les études en matière de prévention des risques et de protection de l'environnement ". Selon les dispositions de l'article R. 163-2 de ce code, qui reprennent les dispositions de l'article R. 124-4 : " (...) Le préfet, à la demande du maire (...), transmet les dispositions et documents mentionnés à l'article L. 132-2. / Il peut procéder à cette transmission de sa propre initiative ". Il résulte de ces dispositions relatives au " porter à connaissance " du préfet que ce dernier est tenu, à la demande du maire ou, à défaut, de sa propre initiative, de transmettre à la commune qui envisage d'élaborer un document d'urbanisme, telle qu'une carte communale, les informations qu'elles mentionnent.

7. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à la suite de la délibération du conseil municipal de Ruvigny du 18 décembre 2014 prescrivant la révision du plan d'occupation des sols en plan local d'urbanisme, projet finalement abandonné par la commune au profit de l'élaboration d'une carte communale, le préfet de l'Aube a transmis à la commune un " porter à connaissance " par un courrier en date du 25 février 2015. Il n'a en revanche pas procédé à un nouveau " porter à connaissance " à la suite de la délibération du conseil municipal du 19 juin 2015 prescrivant l'élaboration de la carte communale. D'une part, il résulte des dispositions mentionnées au point 6 que la teneur des informations que le préfet est tenu de transmettre à la commune au titre du " porter à connaissance " ne diffère pas selon la nature du document d'urbanisme que cette dernière a entrepris d'élaborer ou de réviser. D'autre part, la société requérante, qui admettait devant la cour administrative d'appel que le courrier du 25 février 2015 pouvait s'analyser comme un " porter à connaissance ", n'a pas soutenu que des changements de circonstances de droit ou de fait auraient imposé au préfet de l'Aube de procéder à un nouveau " porter à connaissance " ou de compléter les informations qu'il avait transmises à ce titre à la commune, dans le cadre de l'élaboration de la carte communale prescrite le 19 juin suivant. Par suite, la société n'est, en tout état de cause, pas fondée à soutenir que la cour aurait dénaturé le courrier du 25 février 2015 en jugeant qu'il tenait lieu de " porter à connaissance " en vue de l'élaboration de la carte communale litigieuse.

8. En cinquième lieu, aux termes de l'article L. 163-5 du code de l'urbanisme : " La carte communale est soumise à enquête publique réalisée conformément au chapitre III du titre II du livre Ier du code de l'environnement ". L'article R. 123-8 du code de l'environnement prévoit que : " Le dossier soumis à l'enquête publique comprend les pièces et avis exigés par les législations et réglementations applicables au projet, plan ou programme. / Le dossier comprend au moins : / (...) 3° La mention des textes qui régissent l'enquête publique en cause et l'indication de la façon dont cette enquête s'insère dans la procédure administrative relative au projet, plan ou programme considéré, ainsi que la ou les décisions pouvant être adoptées au terme de l'enquête et les autorités compétentes pour prendre la décision d'autorisation ou d'approbation (...) ". La méconnaissance des dispositions qui régissent la procédure d'enquête publique n'entraîne l'illégalité de la décision prise que si l'irrégularité commise a pu avoir pour effet de nuire à l'information de l'ensemble des personnes intéressées par l'opération ou si elle a été de nature à exercer une influence sur les résultats de l'enquête.

9. Pour écarter le moyen tiré de ce que la procédure d'élaboration de la carte communale de Ruvigny était entachée d'irrégularité au motif que le dossier d'enquête publique ne comportait pas les informations énoncées au 3° de l'article R. 123-8 du code de l'environnement, la cour s'est notamment fondée sur la circonstance que l'arrêté du 23 août 2006 prescrivant l'enquête publique, affiché à la mairie de Ruvigny, comportait ces informations, et en a déduit que cette lacune du dossier d'enquête publique n'avait pas affecté le sens de l'enquête. En statuant ainsi, la cour, qui, au regard des motifs de son arrêt, a implicitement mais nécessairement estimé que l'irrégularité ainsi relevée n'avait pu avoir pour effet de nuire à l'information de l'ensemble des personnes intéressées, n'a ni dénaturé les pièces qui lui étaient soumises ni, en tout état de cause, commis d'erreur de droit.

10. En sixième et dernier lieu, aux termes de l'article L. 161-1 du code de l'urbanisme : " La carte communale comprend un rapport de présentation et un ou plusieurs documents graphiques. / Elle comporte en annexe les servitudes d'utilité publique affectant l'utilisation du sol et figurant sur une liste dressée par décret en Conseil d'Etat ". L'article R. 161-2 du même code dispose : " Le rapport de présentation :/ 1° Analyse l'état initial de l'environnement et expose les prévisions de développement, notamment en matière économique et démographique ;/ 2° Explique les choix retenus, notamment au regard des objectifs et des principes définis aux articles L. 101-1 et L. 101-2, pour la délimitation des secteurs où les constructions sont autorisées et justifie, en cas de révision, les changements apportés, le cas échéant, à ces délimitations ;/ 3° Evalue les incidences des choix de la carte communale sur l'environnement et expose la manière dont la carte prend en compte le souci de sa préservation et de sa mise en valeur ". L'article R. 161-4 prévoit : " Le ou les documents graphiques délimitent les secteurs où les constructions sont autorisées et ceux où les constructions ne sont pas autorisées, à l'exception de l'adaptation, la réfection ou l'extension des constructions existantes ou des constructions et installations nécessaires à des équipements collectifs, à l'exploitation agricole ou forestière et à la mise en valeur des ressources naturelles./ Ils peuvent préciser qu'un secteur est réservé à l'implantation d'activités, notamment celles qui sont incompatibles avec le voisinage des zones habitées./ Ils délimitent, s'il y a lieu, les secteurs dans lesquels la reconstruction à l'identique d'un bâtiment détruit par un sinistre n'est pas autorisée./ Dans les territoires couverts par la carte communale, les autorisations d'occuper et d'utiliser le sol sont instruites et délivrées sur le fondement des règles générales de l'urbanisme définies au chapitre Ier du titre Ier du livre Ier et des autres dispositions législatives et réglementaires applicables ". Il résulte de ces dispositions que pour apprécier la cohérence au sein de la carte communale, entre le rapport de présentation et le ou les documents graphiques, il appartient au juge administratif de rechercher, dans le cadre d'une analyse globale le conduisant à se placer à l'échelle du territoire couvert par le document d'urbanisme, si le ou les documents graphiques ne contrarient pas les objectifs que les auteurs du document ont définis dans le rapport de présentation, compte tenu de leur degré de précision. Par suite, l'inadéquation d'un document graphique à un objectif du rapport de présentation ne suffit pas nécessairement, compte tenu de l'existence d'autres objectifs énoncés au sein de ce rapport, à caractériser une incohérence entre le document et ce rapport.

11. Pour écarter le moyen tiré de l'incohérence entre la délimitation des zones constructibles C et Cx par le document graphique de la carte communale et les objectifs de consommation économe de l'espace, de la protection des espaces naturels et agricoles et de la prise en compte des risques naturels figurant dans le rapport de présentation de ce document, la cour a procédé à une analyse globale de ce dernier, à l'échelle du territoire communal, en tenant compte de l'ensemble des objectifs poursuivis par les auteurs du document, notamment la définition claire de l'affectation des sols en vue de permettre un développement harmonieux de la commune, un développement raisonné de l'urbanisation future et l'accueil de nouvelles familles dans l'espace urbanisable, des superficies en cause, des parcelles antérieurement constructibles classées en secteur inconstructible et de la réalité des risques auxquelles les parcelles classées en zone Cx étaient exposées. Il résulte de ce qui a été dit au point 10 qu'en statuant ainsi, elle n'a pas commis d'erreur de droit.

12. Il résulte de tout ce qui précède que la société requérante n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque. Ses conclusions doivent par suite être rejetées, y compris celles tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de la société Le Coin du Feu la somme que la commune de Ruvigny réclame au même titre.

Sur le pourvoi n°442689 :

13. Aux termes de l'article L. 105-1 du code de l'urbanisme : " N'ouvrent droit à aucune indemnité les servitudes instituées par application du présent code en matière de voirie, d'hygiène et d'esthétique ou pour d'autres objets et concernant, notamment, l'utilisation du sol, la hauteur des constructions, la proportion des surfaces bâties et non bâties dans chaque propriété, l'interdiction de construire dans certaines zones et en bordure de certaines voies, la répartition des immeubles entre diverses zones./ Toutefois, une indemnité est due s'il résulte de ces servitudes une atteinte à des droits acquis ou une modification à l'état antérieur des lieux déterminant un dommage direct, matériel et certain. Cette indemnité, à défaut d'accord amiable, est fixée par le tribunal administratif, qui tient compte de la plus-value donnée aux immeubles par la réalisation du plan local d'urbanisme approuvé ou du document en tenant lieu ". Ces dispositions instituent un régime spécial d'indemnisation exclusif de l'application du régime de droit commun de la responsabilité sans faute de l'administration pour rupture de l'égalité devant les charges publiques. Elles ne font toutefois pas obstacle à ce que le propriétaire dont le bien est frappé d'une servitude prétende à une indemnisation dans le cas exceptionnel où il résulte de l'ensemble des conditions et circonstances dans lesquelles la servitude a été instituée et mise en œuvre, ainsi que de son contenu, que ce propriétaire supporte une charge spéciale et exorbitante, hors de proportion avec l'objectif d'intérêt général poursuivi.

14. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Le Coin du Feu a acquis le 19 mars 2009 une parcelle cadastrée n° ZA 75 située dans la commune de Ruvigny, en vue de la réalisation d'un lotissement. Elle a obtenu le 14 octobre suivant le transfert du permis d'aménager qui avait été délivré le 7 novembre 2008 au précédent propriétaire pour la réalisation d'un lotissement de dix-neuf lots. Elle en a toutefois demandé et obtenu le retrait en 2011 au motif qu'elle ne pourrait réaliser ce lotissement dans des conditions financièrement avantageuses et que la règle du plan d'occupation des sols de la commune subordonnant la constructibilité des parcelles à une surface minimale s'opposait à la réalisation d'un lotissement comprenant un nombre supérieur de lots, de plus petite taille, plus rentable. Le plan d'occupation des sols est devenu caduc le 1er janvier 2016. La carte communale de la commune de Ruvigny, adoptée par la commune et approuvée par le préfet de l'Aube dans les conditions rappelées au point 2, ayant classé la parcelle n° ZA 75 en zone inconstructible, la société a demandé réparation des préjudices en résultant, notamment le coût d'acquisition du terrain, en arguant de ce que la carte communale compromettait définitivement l'opération de lotissement qu'elle souhaitait réaliser sur ce terrain.

15. Pour juger que la société ne justifiait pas avoir supporté une charge spéciale et exorbitante, hors de proportion avec l'objectif d'intérêt général poursuivi par les auteurs de la carte communale, la cour administrative d'appel de Nancy s'est fondée sur ce qu'elle n'établissait pas que l'impossibilité de réaliser l'opération immobilière envisagée aurait diminué la valeur vénale du terrain, alors qu'elle avait antérieurement renoncé, en 2011, à mettre en œuvre le permis d'aménager dont elle bénéficiait, pour des raisons économiques. En statuant ainsi, sans rechercher si et dans quelle mesure, au regard des possibilités de construction préexistantes à l'entrée en vigueur de la carte communale dont se prévalait la société, compte tenu de la caducité du plan d'occupation des sols au 1er janvier 2016 et de la règle de surface minimale de constructibilité qu'il prévoyait, le classement de la parcelle n° ZA 75 en zone inconstructible par la carte communale avait eu pour effet d'en réduire la valeur vénale, la cour administrative d'appel de Nancy a entaché d'erreur de droit son arrêt. La société Le Coin du Feu est fondée à en demander l'annulation pour ce motif.

16. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux demandes présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative par la société Le Coin du Feu. Les dispositions de cet article font obstacle aux conclusions présentées au même titre par la commune de Ruvigny.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le pourvoi n° 442688 est rejeté.

Article 2 : L'arrêt n° 19NC00343 du 11 juin 2020 de la cour administrative d'appel de Nancy est annulé.

Article 3 : L'affaire n° 442689 est renvoyée à la cour administrative d'appel de Nancy.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la société Le Coin du Feu est rejeté.

Article 5 : Les conclusions présentées par la commune de Ruvigny au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 6 : La présente décision sera notifiée à la société Le Coin du Feu, à la commune de Ruvigny et à la ministre de la transition écologique.

Délibéré à l'issue de la séance du 21 octobre 2021 où siégeaient : M. Bertrand Dacosta, président de chambre, présidant ; Mme Nathalie Escaut, conseillère d'Etat et M. David Moreau, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 19 novembre 2021.

Le président :

Signé : M. Bertrand Dacosta

Le rapporteur :

Signé : M. David Moreau

La secrétaire :

Signé : Mme A... B...


Synthèse
Formation : 10ème chambre
Numéro d'arrêt : 442688
Date de la décision : 19/11/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 19 nov. 2021, n° 442688
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. David Moreau
Rapporteur public ?: M. Arnaud Skzryerbak
Avocat(s) : SCP PIWNICA, MOLINIE ; SCP NICOLAY, DE LANOUVELLE, HANNOTIN

Origine de la décision
Date de l'import : 23/11/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2021:442688.20211119
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