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11/06/2020 | FRANCE | N°19NC00340-19NC00341-19NC00342

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 1ère chambre, 11 juin 2020, 19NC00340-19NC00341-19NC00342


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... E... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, sous le n° 1701390, d'annuler l'arrêté préfectoral du 17 janvier 2017 par lequel le préfet de l'Aube a approuvé la carte communale de Ruvigny, ensemble la décision implicite rejetant le recours gracieux qu'il a formé le 15 mars 2017.

Par un jugement no 1701390, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande.

La SA Le Coin du Feu a également demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Cha

mpagne, sous les n°s 1700131 et 1700536, d'annuler respectivement la délibération du 9 dé...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... E... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, sous le n° 1701390, d'annuler l'arrêté préfectoral du 17 janvier 2017 par lequel le préfet de l'Aube a approuvé la carte communale de Ruvigny, ensemble la décision implicite rejetant le recours gracieux qu'il a formé le 15 mars 2017.

Par un jugement no 1701390, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande.

La SA Le Coin du Feu a également demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, sous les n°s 1700131 et 1700536, d'annuler respectivement la délibération du 9 décembre 2016 par laquelle le conseil municipal de Ruvigny a approuvé la carte communale et l'arrêté du 17 janvier 2017 par lequel le préfet de l'Aube a approuvé ce document.

Par deux jugements no 1700131 et 1700536 du 20 décembre 2018, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté ces demandes.

Procédure devant la cour :

I. Par une requête et des mémoires, enregistrés sous le n° 19NC00340, le 1er février 2019, le 4 avril 2019 et le 16 septembre 2019, M. E..., représenté par Me D..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1701390 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 20 décembre 2018 ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, l'arrêté préfectoral du 17 janvier 2017 et la décision implicite rejetant le recours gracieux qu'il a formé le 15 mars 2017 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- les premiers juges ont omis de statuer sur le moyen tiré de l'absence de communication au public du porter à connaissance transmis par le préfet de l'Aube ;

- le dossier d'enquête publique ne comporte pas l'indication de la procédure administrative suivie et des décisions à intervenir ;

- le préfet de l'Aube n'a pas transmis de porter à connaissance à la commune de Ruvigny et celle-ci ne l'a pas communiqué aux tiers ;

- le commissaire enquêteur n'a pas suffisamment motivé son avis ni répondu aux observations formulées lors de l'enquête publique ;

- la délimitation de la zone C par le document graphique est incohérente au regard des objectifs de consommation économe de l'espace, de protection des espaces naturels et agricoles formulés par le rapport de présentation ;

- la délimitation de la zone Cx par le document graphique est incohérente au regard de l'objectif de prise en compte des risques formulé par le rapport de présentation, en ce qui concerne la sécurité des usagers de la route et le retrait-gonflement des sols ;

- en excluant la parcelle n° ZA 124 de la zone constructible, la commune et le préfet de l'Aube ont entaché la carte communale d'erreur manifeste d'appréciation.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 3 juin 2019 et le 18 octobre 2019, la commune de Ruvigny, représentée par Me B..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 1 500 euros soit mise à la charge de M. E... en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 12 mai 2020, le ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales conclut au rejet de la requête.

Il s'en rapporte aux observations formulées par le préfet de l'Aube en première instance.

II. Par une requête et un mémoire, enregistrés sous le n° 19NC00341, le 1er février 2019 et le 16 septembre 2019, la SA Le Coin du feu, représentée par Me D..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement no 1700131 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 20 décembre 2018 ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, la délibération du conseil municipal de Ruvigny du 9 décembre 2016 ;

3°) d'enjoindre à la commune de Ruvigny de classer la parcelle ZA 75 en zone C ;

4°) de mettre à la charge de la commune de Ruvigny la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les premiers juges ont omis de statuer sur le moyen tiré de l'absence de communication au public du porter à connaissance transmis par le préfet de l'Aube ;

- le dossier d'enquête publique ne comporte pas l'indication de la procédure administrative suivie et des décisions à intervenir ;

- le préfet de l'Aube n'a pas transmis de porter à connaissance à la commune de Ruvigny et celle-ci ne l'a pas communiqué aux tiers ;

- le commissaire enquêteur n'a pas suffisamment motivé son avis ni répondu aux observations formulées lors de l'enquête publique ;

- la délimitation de la zone C par le document graphique est incohérente au regard des objectifs de consommation économe de l'espace, de protection des espaces naturels et agricoles formulés par le rapport de présentation ;

-la délimitation de la zone Cx par le document graphique est incohérente au regard de l'objectif de prise en compte des risques formulé par le rapport de présentation, en ce qui concerne la sécurité des usagers de la route et le retrait-gonflement des sols ;

- en excluant la parcelle n° ZA 124 de la zone constructible, la commune et le préfet de l'Aube ont entaché la carte communale d'erreur manifeste d'appréciation.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 3 juin 2019 et le 18 octobre 2019, la commune de Ruvigny, représentée par Me B..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 1 500 euros soit mise à la charge de la SA Le Coin du Feu en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens ne sont pas fondés.

III. Par une requête et un mémoire, enregistrés sous le n° 19NC00342, le 1er février 2019 et le 16 septembre 2019, la SA Le Coin du Feu, représentée par Me D..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1700536 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 20 décembre 2018 ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, l'arrêté préfectoral du 17 janvier 2017 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les premiers juges ont omis de statuer sur le moyen tiré de l'absence de communication au public du porter à connaissance transmis par le préfet de l'Aube ;

- le dossier d'enquête publique ne comporte pas l'indication de la procédure administrative suivie et des décisions à intervenir ;

- le préfet de l'Aube n'a pas transmis de porter à connaissance à la commune de Ruvigny et celle-ci ne l'a pas communiqué aux tiers ;

- le commissaire enquêteur n'a pas suffisamment motivé son avis ni répondu aux observations formulées lors de l'enquête publique ;

- la délimitation de la zone C par le document graphique est incohérente au regard des objectifs de consommation économe de l'espace, de protection des espaces naturels et agricoles formulés par le rapport de présentation ;

- la délimitation de la zone Cx par le document graphique est incohérente au regard de l'objectif de prise en compte des risques formulé par le rapport de présentation, en ce qui concerne la sécurité des usagers de la route et le retrait-gonflement des sols ;

- en excluant la parcelle n° ZA 124 de la zone constructible, la commune et le préfet de l'Aube ont entaché la carte communale d'erreur manifeste d'appréciation.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 3 juin 2019 et le 18 octobre 2019, la commune de Ruvigny, représentée par Me B..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 1 500 euros soit mise à la charge de la SA Le Coin du Feu en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 12 mai 2020, le ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales conclut au rejet de la requête.

Il s'en rapporte aux observations formulées par le préfet de l'Aube en première instance.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- le code de l'urbanisme ;

- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Dietenhoeffer, premier conseiller,

- les conclusions de Mme Kohler, rapporteur public,

- et les observations de M. C..., directeur général de la SA Le Coin du Feu.

Considérant ce qui suit :

1. Par une délibération du 19 juin 2015, le conseil municipal de Ruvigny a prescrit l'élaboration d'une carte communale, en remplacement du plan d'occupation des sols. Par une délibération 9 décembre 2016, le conseil municipal a approuvé la carte communale. Le préfet de l'Aube a approuvé le document par arrêté du 17 janvier 2017. M. E..., propriétaire de la parcelle cadastrée ZA 124, qui avait formé un recours gracieux contre cet arrêté, implicitement rejeté le 16 mai 2017, en a demandé l'annulation, ainsi que celle de cette décision implicite de rejet, au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne. Par ailleurs, la SA Le Coin du Feu, propriétaire de la parcelle cadastrée ZA 75, a demandé à ce tribunal l'annulation du même arrêté ainsi que celle de la délibération du conseil municipal du 9 décembre 2016. Par trois requêtes qu'il y a lieu de joindre, M. E... et la SA Le Coin du Feu relèvent appel des jugements du 20 décembre 2018 par lesquels le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a refusé de faire droit à ces demandes.

Sur la régularité des jugements :

2. Il résulte des dispositions des articles R. 613-1 et suivants du code de justice administrative que l'instruction écrite est normalement close dans les conditions fixées par l'article R. 613-1 ou bien, à défaut d'ordonnance de clôture, dans les conditions fixées par l'article R. 613-2. Toutefois, lorsque, postérieurement à cette clôture, le juge est saisi d'un mémoire émanant de l'une des parties à l'instance, il lui appartient, dans tous les cas, de prendre connaissance de ce mémoire avant de rendre sa décision, ainsi que de le viser sans l'analyser. S'il a toujours la faculté, dans l'intérêt d'une bonne justice, d'en tenir compte, après l'avoir visé et, cette fois, analysé, il n'est tenu de le faire, à peine d'irrégularité de sa décision, que si ce mémoire contient soit l'exposé d'une circonstance de fait dont la partie qui l'invoque n'était pas en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction écrite et que le juge ne pourrait ignorer sans fonder sa décision sur des faits matériellement inexacts, soit d'une circonstance de droit nouvelle ou que le juge devrait relever d'office.

3. En l'espèce, il ressort des pièces de chacun des trois dossiers de première instance que le moyen tiré de l'absence de mise à disposition du public du porter à connaissance du préfet de l'Aube a été soulevé, pour la première fois, dans des notes en délibéré enregistrées le 7 décembre 2018, le lendemain de l'audience publique. Dès lors que ce moyen nouveau n'était pas d'ordre public et ne correspondait à aucun des cas mentionnés au point 2 ci-dessus, le tribunal n'était pas tenu de rouvrir l'instruction ni de répondre à ce moyen. Il en résulte que, contrairement à ce que soutiennent les appelants, le jugement du 7 décembre 2017 qui s'est borné à viser les notes en délibéré sans les analyser, n'est pas irrégulier à cet égard.

Sur le bien-fondé des jugements :

En ce qui concerne la légalité externe :

4. En premier lieu, aux termes de l'article L. 163-5 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction applicable en l'espèce : " La carte communale est soumise à enquête publique réalisée conformément au chapitre III du titre II du livre Ier du code de l'environnement ". En outre, aux termes de l'article R. 123-8 du code de l'environnement : " Le dossier soumis à l'enquête publique comprend les pièces et avis exigés par les législations et réglementations applicables au projet, plan ou programme. / Le dossier comprend au moins : / (...) 3° La mention des textes qui régissent l'enquête publique en cause et l'indication de la façon dont cette enquête s'insère dans la procédure administrative relative au projet, plan ou programme considéré, ainsi que la ou les décisions pouvant être adoptées au terme de l'enquête et les autorités compétentes pour prendre la décision d'autorisation ou d'approbation (...) ".

5. En l'espèce, si la commune de Ruvigny établit que le rapport de présentation de la carte communale en litige dont le préambule rappelait les objectifs et les principes applicables, ainsi que la composition du document, figurait au dossier d'enquête publique, elle ne justifie pas de ce que ce dossier comportait les informations énoncées au 3° de l'article R. 123-8 du code de l'environnement et en particulier la mention des décisions susceptibles d'être adoptées et de l'autorité compétente pour les approuver.

6. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que l'arrêté du 23 août 2006 prescrivant l'enquête publique, dont il n'est pas contesté qu'il comporte la mention des décisions susceptibles d'être prises à l'issue de l'enquête et de la personne responsable du projet, a été affiché à la mairie de Ruvigny et que le commissaire enquêteur a pris connaissance de cet arrêté. Dans ces conditions, et contrairement à ce que soutiennent M. E... et la SA Le Coin du Feu, dont les observations figurent parmi les treize recueillies lors de l'enquête, le vice entachant le dossier d'enquête publique ne peut être regardé comme les ayant privés d'une garantie ou comme ayant exercé une influence sur le sens de l'enquête et, partant, de la délibération et de l'arrêté en litige. Il en résulte que le moyen tiré de la composition irrégulière du dossier d'enquête publique doit être écarté.

7. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 121-2 du code l'urbanisme., dans sa version applicable en l'espèce : " (...) Le préfet porte à la connaissance des communes ou de leurs groupements compétents le cadre législatif et réglementaire à respecter, ainsi que les projets des collectivités territoriales et de l'Etat en cours d'élaboration ou existants. Tout retard ou omission dans la transmission de ces informations est sans effet sur les procédures engagées par les communes ou leurs groupements. / Le préfet leur transmet à titre d'information l'ensemble des études techniques nécessaires à l'exercice de leur compétence en matière d'urbanisme dont il dispose. / Les porters à connaissance sont tenus à la disposition du public par les communes ou leurs groupements compétents. En outre, tout ou partie de ces pièces peut être annexé au dossier d'enquête publique. (...) ". Aux termes du I de l'article R. 121-1 du même code : " Pour l'application de l'article L. 121-2, le préfet porte à la connaissance de la commune, de l'établissement public de coopération intercommunale ou du syndicat mixte qui a décidé d'élaborer ou de réviser un schéma de cohérence territoriale, un plan local d'urbanisme ou une carte communale les dispositions législatives et réglementaires applicables au territoire concerné ".

8. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que le préfet de l'Aube a notifié à la commune de Ruvigny un courrier du 25 février 2015 indiquant les textes applicables au projet de carte communale. Il n'est pas utilement contesté que ce porter à connaissance a été mis à la disposition du public dans le cadre de l'enquête publique. Par suite, et alors qu'il n'est pas établi ni même allégué qu'il n'aurait pu être consulté par des personnes ayant souhaité y avoir accès, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées de l'article L. 121-2 du code de l'urbanisme doit être écarté.

9. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 123-1 du code de l'environnement, dans sa version applicable en l'espèce : " L'enquête publique a pour objet d'assurer l'information et la participation du public ainsi que la prise en compte des intérêts des tiers lors de l'élaboration des décisions susceptibles d'affecter l'environnement mentionnées à l'article L. 123-2. Les observations et propositions recueillies au cours de l'enquête sont prises en considération par le maître d'ouvrage et par l'autorité compétente pour prendre la décision ". En outre, selon l'article L. 123-15 du même code : " Le commissaire enquêteur ou la commission d'enquête rend son rapport et ses conclusions motivées dans un délai de trente jours à compter de la fin de l'enquête. (...). Le rapport doit faire état des contre-propositions qui ont été produites durant l'enquête ainsi que des réponses éventuelles du maître d'ouvrage. Le rapport et les conclusions motivées sont rendus publics. (...) ". Il résulte de ces dispositions qu'il appartient au commissaire enquêteur de faire apparaître les avantages et inconvénients du projet et d'indiquer, au moins sommairement, par un avis personnel, les raisons qui ont emporté un éventuel avis favorable. Par ailleurs, le commissaire enquêteur, qui n'est pas tenu de répondre à toutes les observations recueillies lors de l'enquête, doit tenir compte de l'importance de celles-ci pour rendre son avis motivé.

10. D'une part, il ressort du rapport d'enquête publique que treize observations ont été formulées et que le commissaire enquêteur a apporté une réponse à chacune de ces observations à l'exception des observations n° 3, 7 à 10 et 13, qui concernaient toutes le même secteur et ont fait l'objet d'une réponse conjointe. Les requérants ne sont, par suite, pas fondés à soutenir que le commissaire enquêteur aurait insuffisamment répondu aux observations formulées.

11. D'autre part, après avoir rappelé l'objectif de croissance démographique que se proposait d'atteindre la commune de Ruvigny, le commissaire enquêteur a indiqué que les limites de la zone constructible ont été fixées en fonction de cet objectif et dans le respect du principe d'utilisation économe du foncier en privilégiant les dents creuses situées à l'intérieur de l'enveloppe du bâti existant. Il a en outre relevé que le principe d'urbanisation retenu était simple et respectait les objectifs énoncés par le code de l'urbanisme. En conséquence, compte tenu de l'objet de la carte communale, limité à la définition des différentes zones constructibles, le commissaire enquêteur a suffisamment motivé son avis.

En ce qui concerne la légalité interne :

12. Aux termes de l'article L. 161-1 du code de l'urbanisme : " La carte communale comprend un rapport de présentation et un ou plusieurs documents graphiques. / Elle comporte en annexe les servitudes d'utilité publique affectant l'utilisation du sol et figurant sur une liste dressée par décret en Conseil d'Etat ". En outre, aux termes de l'article L. 161-4 du même code : " La carte communale délimite les secteurs où les constructions sont autorisées et les secteurs où les constructions ne sont pas admises, à l'exception de l'adaptation, du changement de destination, de la réfection ou de l'extension des constructions existantes ou des constructions et installations nécessaires à des équipements collectifs dès lors qu'elles ne sont pas incompatibles avec l'exercice d'une activité agricole, pastorale ou forestière sur le terrain sur lequel elles sont implantées et qu'elles ne portent pas atteinte à la sauvegarde des espaces naturels et des paysages, à l'exploitation agricole ou forestière et à la mise en valeur des ressources naturelles ".

13. Pour apprécier la cohérence au sein de la carte communale, entre le règlement et le document graphique, il appartient au juge administratif de rechercher, dans le cadre d'une analyse globale le conduisant à se placer à l'échelle du territoire couvert par le document d'urbanisme, si le document graphique ne contrarie pas les objectifs que les auteurs du document ont définis dans le rapport de présentation, compte tenu de leur degré de précision. Par suite, l'inadéquation du document graphique à un objectif du rapport de présentation ne suffit pas nécessairement, compte tenu de l'existence d'autres objectifs énoncés au sein de ce rapport, à caractériser une incohérence entre le document et ce rapport.

S'agissant de la zone C :

14. Selon le rapport de présentation de la carte communale, figurent notamment parmi les objectifs que se sont fixés les auteurs de ce document la définition claire de l'affectation des sols pour permettre un développement harmonieux de la commune avec une approche économe en terme de consommation d'espace, le développement raisonné de l'urbanisation future, l'accueil de nouvelles familles dans l'espace urbanisable, la protection du cadre de vie et des espaces naturels et agricoles.

15. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que la zone C, constructible, a été définie en tenant compte de l'enveloppe urbanisée de la commune et en vue d'accueillir quatre-vingt-seize nouveaux habitants avant 2030. A cet effet, la commune a souhaité limiter l'extension urbaine et privilégier l'ouverture à l'urbanisation des parcelles formant des dents creuses dans l'enveloppe urbaine, conformément à la justification des choix retenus figurant dans le rapport de présentation.

16. En outre, parmi les parcelles nouvellement ouvertes à l'urbanisation, seules celles cadastrées n° AD40 et n° AC82 accueillaient encore une activité agricole à la date d'adoption de la carte communale. Par ailleurs, la surface des parcelles dépourvues de construction ouvertes à l'urbanisation n'excède pas 2,98 ha, soit une proportion limitée de la superficie du territoire communal, évaluée à 420 ha. Enfin, certaines parcelles antérieurement constructibles ont été classées en zone naturelle ou agricole par suite de l'adoption de la carte communale.

17. Il résulte de ce qui précède que, contrairement à ce que soutiennent les requérants, la délimitation de la zone C par le document graphique de la carte communale n'est pas incompatible avec les objectifs définis par le rapport de présentation, et en particulier celui de limitation de la consommation de l'espace et de protection des espaces naturels et agricoles.

18. En second lieu, il ressort également des pièces du dossier que le territoire de la commune de Ruvigny se caractérise par un mitage important et la proximité des zones naturelles et agricoles. Dans ces conditions, l'ouverture à l'urbanisation de parcelles situées au sein de l'enveloppe déjà urbanisée ne peut être regardée comme incompatible avec l'objectif de protection du cadre de vie, alors même que les prescriptions du règlement national d'urbanisme relatives notamment à l'insertion paysagère des constructions auront vocation à s'appliquer aux parcelles concernées.

S'agissant de la zone Cx :

19. Le rapport de présentation de la carte communale mentionne également, outre les objectifs énoncés au point 14, celui de la prise en compte des risques dans l'aménagement du territoire communal.

20. D'une part, en se bornant à faire valoir que les accotements de rue de la Grève, de la rue de la Barse et de la rue des Charmottes ne sont pas viabilisés et que ces rues sont étroites, les requérants n'établissent ni la réalité ni l'intensité du risque pour la sécurité routière auquel seraient exposés les usagers, alors qu'il n'est pas établi, au demeurant, que le classement en zone Cx, accueillant des activités économiques, de la parcelle cadastrée n° AC63 aura nécessairement pour effet une augmentation du trafic routier.

21. D'autre part, il ressort de la cartographie de l'aléa retrait-gonflement des sols argileux dans le département de l'Aube que seule l'extrémité sud-est de la parcelle en cause est située en zone d'aléa fort. En outre, il n'est pas établi que les modalités de construction des bâtiments à usage d'activité économique, dont l'occupation est par nature intermittente, ne pourront tenir compte de ce risque. Dès lors, le classement de cette parcelle en zone Cx n'est pas non plus incompatible avec l'objectif de prise en compte des risques.

S'agissant du classement des parcelles cadastrées n° ZA 124 et n° ZA 75 :

22. Il appartient aux auteurs du document d'urbanisme que constitue la carte communale de déterminer les partis d'aménagement à retenir pour le territoire concerné par ce document, en tenant compte de la situation existante et des perspectives d'avenir, et de fixer en conséquence le zonage déterminant la constructibilité des terrains. Aucune disposition législative alors en vigueur ne faisait obstacle à ce que puisse être légalement décidé le classement en zone naturelle d'un secteur que les auteurs du document d'urbanisme entendent soustraire, pour l'avenir, à l'urbanisation, sous réserve que l'appréciation à laquelle ils se livrent ne repose pas sur des faits matériellement inexacts ou ne soit pas entachée d'erreur manifeste. Par suite, la seule circonstance qu'un terrain a pu, dans le passé, être regardé comme inclus dans les parties urbanisées d'une commune au sens des dispositions de l'article L. 111-1-2 ne fait pas obstacle à ce que ce terrain puisse être classé pour l'avenir en zone inconstructible par la carte communale.

23. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que la parcelle n° ZA 124, appartenant à M. E..., se trouve en périphérie de l'enveloppe urbaine située à l'ouest, et qu'elle est bordée à l'ouest et à l'est par des terrains à usage agricole. En outre, la commune de Ruvigny soutient, sans être sérieusement contredite, que cette parcelle n'est pas desservie par les réseaux et ne dispose pas d'un accès direct à la voirie. Il est établi par ailleurs qu'une partie au moins du terrain présente un aléa fort en ce qui concerne le risque de retrait-gonflement des argiles. Dès lors, quand bien même cette parcelle était antérieurement classée en zone d'urbanisation future, la commune de Ruvigny a pu, sans entacher son appréciation d'erreur manifeste, modifier ce classement pour la rendre inconstructible.

24. En second lieu, il ressort des pièces du dossier que la parcelle n° ZA 75, appartenant à la SA Le Coin du Feu, se situe également à la périphérie de l'enveloppe urbaine. Par ailleurs, cette parcelle ne constitue pas une dent creuse, dès lors que seules ses parties sud et est sont bordées par des constructions. En outre, il ressort des pièces du dossier que la seule voie susceptible de desservir cette parcelle d'une contenance importante présente une largeur de 2,5 mètres. Dans ces conditions, compte tenu du parti d'aménagement retenu, consistant à satisfaire le besoin d'urbanisation future par le comblement de dents creuses, le classement de cette parcelle en zone inconstructible n'est pas entaché d'erreur manifeste d'appréciation.

25. Il résulte de tout ce qui précède que M. E... et la SA Le Coin du Feu ne sont pas fondés à soutenir, chacun en ce qui les concerne, que c'est à tort que le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté leurs conclusions tendant à l'annulation de la délibération du 9 décembre 2016, de l'arrêté préfectoral du 17 janvier 2017 et de la décision implicite de rejet du recours gracieux formé par M. E....

Sur les frais liés aux instances :

26. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat et de la commune de Ruvigny, qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes, le versement des sommes que M. E... et la SA Le Coin du Feu demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. E... et de la SA Le Coin du Feu le versement à la commune de Ruvigny d'une sommes de 1 500 euros chacun au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : Les requêtes présentées par M. E... et la SA Le Coin du Feu sont rejetées.

Article 2 : M. E... et la SA Le Coin du Feu verseront chacun à la commune de Ruvigny la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. E..., à la SA Le Coin du Feu, au ministre de l'intérieur et à la commune de Ruvigny.

Copie en sera adressée au préfet de l'Aube.

N° 19NC00340, 19NC00341, 19NC00342 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 19NC00340-19NC00341-19NC00342
Date de la décision : 11/06/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

68-01 Urbanisme et aménagement du territoire. Plans d'aménagement et d'urbanisme.


Composition du Tribunal
Président : M. KOLBERT
Rapporteur ?: M. Jérôme DIETENHOEFFER
Rapporteur public ?: Mme KOHLER
Avocat(s) : SCP CHOFFRUT-BRENER

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2020-06-11;19nc00340.19nc00341.19nc00342 ?
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