Vu la procédure suivante :
M. F... O... K... a demandé à la Cour nationale du droit d'asile, d'une part, d'annuler la décision du 30 mai 2018 par laquelle l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a mis fin au statut de réfugié qui lui avait été reconnu par décision de la Cour du 19 juin 2009, d'autre part, à ce qu'il soit maintenu dans son statut de réfugié.
Par une décision n° 18027513 du 6 février 2020, la Cour nationale du droit d'asile a, d'une part, annulé la décision du 30 mai 2018 de l'OFPRA, d'autre part, exclu M. K... du statut de réfugié en application du c) de la section F de l'article 1er de la convention de Genève.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat les 1er avril et 30 juin 2020, M. K... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cette décision ;
2°) en tant que de besoin, de surseoir à statuer et renvoyer à la Cour de justice de l'Union européenne des questions préjudicielles relatives aux dispositions de l'article 14 paragraphes 2, 3, 4 et 6 de la directive n° 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 et de l'article 45 de la directive n° 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés et le protocole signé à New-York le 31 janvier 1967 ;
- la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 ;
- la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- l'arrêt C-391/16, C77/17 et C-78/17 du 14 mai 2019 de la Cour de justice de l'Union européenne ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Sophie-Caroline de Margerie, conseillère d'Etat,
- les conclusions de M. Philippe Ranquet, rapporteur public,
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano, avocat de M. K..., et à la SCP Foussard, Froger, avocat de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis à la Cour nationale du droit d'asile que M. K..., de nationalité russe et d'origine tchétchène, s'est vu reconnaître la qualité de réfugié par une décision de la Cour nationale du droit d'asile du 19 juin 2009. M. K... a été condamné par le tribunal correctionnel de Paris, puis par la cour d'appel de Paris, par un arrêt devenu définitif du 27 novembre 2013, à une peine de cinq ans d'emprisonnement dont un an avec sursis et mise à l'épreuve pendant trois ans pour participation à association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte de terrorisme commis courant 2009 et jusqu'au 5 juillet 2010 au Mans, dans le département de la Sarthe, en Turquie et en Russie. Par une décision du 30 mai 2018, prise sur le fondement du 2° de l'article L. 711-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a mis fin au statut de réfugié de M. K..., au motif qu'il a été condamné en dernier ressort en France pour un délit constituant un acte de terrorisme et que sa présence en France constituait une menace grave pour la société. Saisie par M. K..., la Cour nationale du droit d'asile a dénié à l'intéressé la qualité de réfugié en application du c) du F de l'article 1er de la convention de Genève et a annulé, par une décision du 6 février 2020 contre laquelle M. K... se pourvoit en cassation, la décision du 30 mai 2018 de l'OFPRA.
2. En premier lieu, le 2° du A de l'article 1er de la convention de Genève du 28 juillet 1951 stipule que doit être considérée comme réfugiée toute personne qui : " craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut, ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ". Aux termes du F de cet article : " Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser : (...) c) qu'elles se sont rendues coupables d'agissements contraires aux buts et aux principes des Nations unies ". Aux termes de l'article L. 711-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, devenu l'article L. 511-8, dans sa rédaction alors applicable : " L'office met également fin à tout moment, de sa propre initiative ou à la demande de l'autorité administrative, au statut de réfugié lorsque [...] / 3° Le réfugié doit, compte tenu de circonstances intervenues après la reconnaissance de cette qualité, en être exclu en application des sections D, E ou F de l'article 1er de la convention de Genève, du 28 juillet 1951 (...) ". Enfin, aux termes de l'article L. 711-6 du même code, devenu l'article L. 511-7, dans sa rédaction alors applicable : " Le statut de réfugié est refusé ou il est mis fin à ce statut lorsque : (...) 2° La personne concernée a été condamnée en dernier ressort en France, dans un Etat membre de l'Union européenne ou dans un Etat tiers figurant sur la liste, fixée par décret en Conseil d'Etat, des Etats dont la France reconnaît les législations et juridictions pénales au vu de l'application du droit dans le cadre d'un régime démocratique et des circonstances politiques générales, soit pour un crime, soit pour un délit constituant un acte de terrorisme ou puni de dix ans d'emprisonnement, et sa présence constitue une menace grave pour la société ".
3. Dès lors que la possibilité de refuser le statut de réfugié ou d'y mettre fin, en application de l'article L. 711-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, est sans incidence sur le fait que l'intéressé a ou conserve la qualité de réfugié, il n'appartient pas à la Cour nationale du droit d'asile, lorsqu'elle est seulement saisie d'un recours dirigé contre une décision mettant fin au statut de réfugié prise sur le fondement dudit article L. 711-6 sans que l'OFPRA ne remette en cause devant elle la qualité de réfugié de l'intéressé, de vérifier d'office que ce dernier remplit les conditions prévues aux articles 1er de la convention de Genève et L. 711-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il en va autrement lorsque, dans le cadre d'un recours dirigé contre la décision mettant fin au statut de réfugié d'un demandeur d'asile, la cour est saisie par l'OFPRA, en cours d'instance, de conclusions visant à ce que soit remise en cause la qualité de réfugié de l'intéressé.
4. Il ressort des énonciations de la décision juridictionnelle attaquée que, dans le cadre du recours dirigé contre la décision mettant fin au statut de réfugié du requérant, prise sur le fondement de l'article L. 711-6 précité, l'OFPRA a présenté des conclusions tendant à ce que la cour fasse application à ce dernier de la clause d'exclusion prévue par le c) du F de l'article 1er de la convention de Genève. En statuant sur ces conclusions, ce qui impliquait de déterminer si M. K... remplissait les conditions prévues aux articles 1er de la convention de Genève et L. 711-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la Cour nationale du droit d'asile, qui ne s'est ainsi pas prononcée sur des conclusions soulevant un litige distinct de celui dont elle était saisie par M. K..., n'a ni méconnu son office ni entaché sa décision d'erreur de droit.
5. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 724-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, devenu l'article L. 561-1, dans sa rédaction alors applicable, qui assure la transposition de l'article 45 de la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale : " Lorsque l'Office français de protection des réfugiés et apatrides envisage de mettre fin au statut de réfugié en application des articles L. 711-4 ou L. 711-6 ou au bénéfice de la protection subsidiaire en application de l'article L. 712-3, il en informe par écrit la personne concernée, ainsi que des motifs de l'engagement de cette procédure ". L'article L. 724-2 du même code, devenu l'article L. 561-2, dans sa rédaction alors applicable, dispose que : " La personne concernée est mise à même de présenter par écrit ses observations sur les motifs de nature à faire obstacle à la fin du statut de réfugié ou du bénéfice de la protection subsidiaire. Si l'office estime toutefois nécessaire de procéder à un entretien personnel, celui-ci se déroule dans les conditions prévues à l'article L. 723-6 ". Ainsi qu'il a été dit au point 3, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides avait invoqué dans son mémoire en défense la clause d'exclusion à l'encontre du requérant, qui a par suite été mis à même de s'en expliquer dans le cadre de la procédure écrite et orale devant la Cour. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure suivie devant la cour ne peut qu'être écarté.
6. En troisième lieu, si les dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 711-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors applicable, qui est issu de la loi du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d'asile, reconnaissent à l'OFPRA le pouvoir de mettre fin au statut de réfugié lorsque la personne qui a bénéficié de ce statut doit en être exclue en application des sections D, E ou F de l'article 1er de la convention de Genève du 28 juillet 1951, ces dispositions se bornent à tirer les conséquences de ce que l'intéressé ne remplit plus les conditions pour bénéficier de la protection conventionnelle. Il s'ensuit que les décisions tant administratives que juridictionnelles prises sur le fondement de cet article ne constituent pas une sanction ayant le caractère de punition. Dès lors, il ne saurait être utilement soutenu que la Cour aurait aggravé sa situation sur le seul recours du requérant et commis une erreur de droit en faisant application de ces dispositions.
7. En dernier lieu, les actes terroristes ayant une ampleur internationale en termes de gravité, d'impact international et d'implications pour la paix et la sécurité internationales peuvent être assimilés à des agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies au sens du c) du F de l'article 1er de la convention de Genève. Il en va de même des actions de soutien d'une gravité suffisante à une organisation qui commet, prépare ou incite à la commission de tels actes.
8. Il ressort des énonciations non contestées de la décision attaquée que, pour prononcer à l'encontre de M. K... la condamnation mentionnée au point 1, le juge pénal a établi que ce dernier avait entretenu " de nombreux rapports avec les responsables ou membres actifs " de " l'Emirat du Caucase ", classée comme organisation terroriste par l'Organisation des Nations-Unies, qu'il avait financé " en toute connaissance de cause " deux voyages d'un membre de cette organisation dont l'un était destiné à commettre un attentat à Moscou, projet pour lequel cette personne a été condamnée en Russie à dix-sept ans d'emprisonnement, enfin qu'il s'était rendu personnellement en Biélorussie et en Turquie sans fournir d'explications crédibles sur ces déplacements. En prenant en considération ces constatations et la condamnation prononcée par le juge pénal, l'aide matérielle apportée par le requérant en vue de la commission d'un attentat ainsi que sa connaissance des actions répréhensibles de l'organisation " Emirat du Caucase ", pour juger que les agissements de M. K... étaient contraires aux buts et principes des Nations Unies, la Cour n'a pas entaché sa décision d'inexacte qualification juridique des faits. En estimant qu'était sans incidence sur la gravité de ces agissements la circonstance que M. K... ne comptait pas parmi les dirigeants de l'organisation et en ne mentionnant pas le montant de sa contribution financière directe à l'organisation, la Cour n'a pas commis d'erreur de droit, ni insuffisamment motivé sa décision.
9. Il résulte de tout ce qui précède que M. K... n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision qu'il attaque. Ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, dès lors, qu'être rejetées.
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de M. K... est rejeté.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. F... O... K... et à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA).
Délibéré à l'issue de la séance du 18 octobre 2021 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. G... J..., M. Olivier Japiot, présidents de chambre ; M. H... M..., Mme A... L..., M. C... E... M. D... N..., M. Jean-Yves Ollier, conseillers d'Etat et Mme Sophie-Caroline de Margerie, conseillère d'Etat-rapporteure.
Rendu le 9 novembre 2021.
Le Président :
Signé : M. Rémy Schwartz
La rapporteure :
Signé : Mme Sophie-Caroline de Margerie
La secrétaire :
Signé : Mme I... B...