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29/09/2021 | FRANCE | N°432627

France | France, Conseil d'État, 5ème - 6ème chambres réunies, 29 septembre 2021, 432627


Vu la procédure suivante :

La caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de Roubaix-Tourcoing a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner l'établissement public de santé mentale (EPSM) de Lille-Métropole à lui verser une somme de 1 352 146,07 euros en remboursement des frais exposés pour la prise en charge des préjudices subis par M. C... D... à la suite de l'agression dont il a été victime le 22 novembre 2009. Par un jugement n° 1205347 du 9 mars 2015, le tribunal administratif de Lille a condamné l'EPSM à verser à la CPAM de Roubaix-Tourcoing une somme de

1 143 147,88 euros ainsi qu'à lui rembourser les frais médicaux et d...

Vu la procédure suivante :

La caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de Roubaix-Tourcoing a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner l'établissement public de santé mentale (EPSM) de Lille-Métropole à lui verser une somme de 1 352 146,07 euros en remboursement des frais exposés pour la prise en charge des préjudices subis par M. C... D... à la suite de l'agression dont il a été victime le 22 novembre 2009. Par un jugement n° 1205347 du 9 mars 2015, le tribunal administratif de Lille a condamné l'EPSM à verser à la CPAM de Roubaix-Tourcoing une somme de 1 143 147,88 euros ainsi qu'à lui rembourser les frais médicaux et de transport futurs.

Le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions (FGTI) a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner l'EPSM de Lille-Métropole à lui verser une somme de 1 040 329,13 euros, ou de 770 214,61 euros à parfaire au regard du montant des rentes versées, en remboursement des frais exposés pour la prise en charge des préjudices subis par M. D... à la suite de la même agression. Par un jugement n°1300047 du 13 juillet 2016, le tribunal administratif de Lille a condamné l'ESPM de Lille-Métropole à verser au FGTI une somme de 551 545,06 euros, les frais futurs d'ambulance dans la limite d'un montant annuel de 12 686,96 euros et une rente correspondant aux frais d'assistance à tierce personne sur la base d'un taux horaire de 14,26 euros.

Par un arrêt n° 15DA00767, 16DA01638 du 14 mai 2019, la cour administrative d'appel de Douai a, sur appels de l'EPSM de Lille-Métropole et appels incidents du FGTI et de la CPAM de Roubaix-Tourcoing, porté la somme que l'EPSM de Lille-Métropole est condamné à verser à la CPAM à 1 592 260,69 euros et rejeté le surplus des conclusions des parties.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 15 juillet et 15 octobre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'EPSM de Lille-Métropole demande au Conseil d'Etat d'annuler cet arrêt.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Alain Seban, conseiller d'Etat,

- les conclusions de Mme Cécile Barrois de Sarigny, rapporteure publique.

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à Me Le Prado, avocat de l'établissement public de santé mentale de Lille-Métropole et à la SCP Boré, Salve de Bruneton, Mégret, avocat du Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, le 22 novembre 2009, M. A..., hospitalisé à l'établissement public de santé mentale (EPSM) de Lille-Métropole, a violemment agressé un autre patient, M. D.... A la suite de cette agression, ce dernier est demeuré dans un état végétatif jusqu'à son décès, survenu en 2017. M. A... ayant été déclaré pénalement irresponsable en raison de l'abolition de son discernement au moment des faits, la commission d'indemnisation des victimes d'infractions a mis à la charge du Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions (FGTI) diverses sommes à verser à la victime et à ses ayants droit. Par deux jugements des 9 mars 2015 et 3 juillet 2016, le tribunal administratif de Lille a condamné l'EPSM de Lille-Métropole à verser à la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de Roubaix-Tourcoing une somme de 1 143 147,88 euros ainsi qu'à l'indemniser des frais médicaux et de transport futurs. Le tribunal a également condamné l'EPSM de Lille-Métropole à verser au FGTI une somme de 551 545,06 euros ainsi qu'à l'indemniser des frais de sortie futurs et des frais d'assistance par une tierce personne. Par un arrêt du 14 mai 2019, la cour administrative d'appel de Douai a, sur appel de l'établissement de santé et appels incidents de la CPAM de Roubaix-Tourcoing et du FGTI, confirmé la condamnation prononcée au profit du FGTI et porté à 1 592 260,69 euros la somme que l'EPSM de Lille-Métropole est condamné à verser à la CPAM de Roubaix-Tourcoing. L'EPSM de Lille-Métropole se pourvoit en cassation contre cet arrêt.

2. Il ressort également des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. A... s'était vu diagnostiquer en 2002, alors qu'il était âgé de 16 ans, une schizophrénie hébéphréno-catatonique générant des conduites agressives. Après une première hospitalisation suivie d'une rechute, il avait été à nouveau hospitalisé au début de l'année 2009 au service de psychiatrie générale du centre hospitalier de Tourcoing, relevant de l'EPSM de Lille-Métropole. Son état de santé s'étant cependant amélioré à partir de septembre 2009, il avait bénéficié de permissions de sortie dans sa famille. Sa violente altercation, le 22 novembre 2009, avec M. D..., s'est ainsi déroulée au retour d'un séjour dans sa famille, alors qu'il se trouvait en salle de détente avec plusieurs autres patients, hors de la présence du personnel soignant.

3. Pour établir l'existence d'une faute dans l'organisation du service hospitalier au titre du défaut de surveillance d'un patient atteint d'une pathologie psychiatrique, le juge doit notamment tenir compte, lorsque l'état de santé de ce patient fait courir le risque qu'il commette un acte agressif à son égard ou à l'égard d'autrui, non seulement de la pathologie en cause et du caractère effectivement prévisible d'un tel passage à l'acte, mais également du régime d'hospitalisation, libre ou sous contrainte, ainsi que des mesures que devait prendre le service, compte tenu de ses caractéristiques et des moyens dont il disposait.

4. Il résulte des termes mêmes de l'arrêt attaqué que, pour juger que les conditions dans lesquelles était survenue l'agression de M. D... par M. A... révélaient une faute dans l'organisation du service hospitalier, la cour administrative d'appel s'est fondée, d'une part, sur le fait que M. A... était atteint d'une pathologie l'exposant à des accès de violence et que de tels actes s'étaient produits à plusieurs reprises au cours des sept mois précédents et, d'autre part, sur la circonstance, soulignée dans un rapport d'expert produit par le FGTI, que les troubles comportementaux dont souffraient respectivement M. D... et M. A... présentaient une incompatibilité spécifique, qui faisait courir un risque de principe que des violences surviennent en cas de mise en présence de ces deux patients.

5. Toutefois, en se fondant sur ces seuls éléments pour caractériser l'existence d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'EPSM de Lille-Métropole, alors qu'il ressortait également des pièces du dossier qui lui était soumis, d'une part que le comportement de M. A... s'était, à la date des faits, stabilisé depuis plus de deux mois, ses permissions de sortie n'ayant donné lieu à aucun incident et que, d'autre part, la décision de ne pas confiner l'intéressé dans sa chambre à son retour de permission avait été prise, après administration d'un traitement et placement préalable en observation, dans le respect d'un protocole médical prévu pour sa pathologie et propre à une unité de soin intensifs dont la petite taille et l'organisation permettent une intervention rapide en cas de difficulté, le personnel de l'hôpital étant d'ailleurs intervenu très rapidement après l'agression, la cour administrative d'appel a inexactement qualifié les faits de l'espèce.

6. Il résulte de ce qui précède que l'EPSM de Lille-Métropole est fondé à demander, pour ce motif, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de son pourvoi, l'annulation de l'arrêt qu'il attaque.

7. Il y a lieu, pour le Conseil d'Etat, de faire application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative et de régler l'affaire au fond, en statuant sur les appels formés par l'EPSM de Lille-Métropole contre les jugements des 9 mars 2015 et 13 juillet 2016 du tribunal administratif de Lille et sur les appels incidents de la CPAM de Roubaix-Tourcoing et du FGTI dirigés contre les mêmes jugements.

8. Il ressort des pièces du dossier qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus, aucun manquement fautif ne peut être reproché à l'EPSM de Lille-Métropole dans la prise en charge et la surveillance de M. A.... Cet établissement est, par suite, fondé à soutenir que c'est à tort que, par les jugements attaqués, le tribunal administratif de Lille l'a, sur ce fondement, condamné à indemniser la CPAM de Roubaix-Tourcoing et le FGTI.

9. Par voie de conséquence, les appels incidents du FGTI et de la CPAM de Roubaix-Tourcoing, ne peuvent, pour le même motif, qu'être rejetés.

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soient mises à la charge de l'EPSM de Lille-Métropole, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, les sommes que demande à ce titre, en appel et en cassation, la CPAM de Roubaix-Tourcoing et, en appel, le FGTI.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Douai du 14 mai 2019 est annulé.

Article 2 : Les jugements du 9 mars 2015 et du 13 juillet 2016 du tribunal administratif de Lille sont annulés.

Article 3 : Les demandes présentées par la CPAM de Roubaix-Tourcoing et le FGTI devant le tribunal administratif de Lille et les appels incidents présentés par eux devant la cour administrative d'appel de Douai sont rejetées.

Article 4 : Les conclusions de la CPAM de Roubaix-Tourcoing et du FGTI présentées, en appel et en cassation, au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative, sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à l'établissement public de santé mentale de Lille-Métropole, à la caisse primaire d'assurance maladie de Roubaix-Tourcoing et au Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions.

Copie en sera adressée au ministre des solidarités et de la santé.


Synthèse
Formation : 5ème - 6ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 432627
Date de la décision : 29/09/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01-01-01-02-05 RESPONSABILITÉ DE LA PUISSANCE PUBLIQUE. - RESPONSABILITÉ EN RAISON DES DIFFÉRENTES ACTIVITÉS DES SERVICES PUBLICS. - SERVICE PUBLIC DE SANTÉ. - ÉTABLISSEMENTS PUBLICS D'HOSPITALISATION. - RESPONSABILITÉ POUR FAUTE SIMPLE : ORGANISATION ET FONCTIONNEMENT DU SERVICE HOSPITALIER. - ABSENCE DE FAUTE. - SURVEILLANCE. - DÉFAUT DE SURVEILLANCE D'UN PATIENT ATTEINT D'UNE PATHOLOGIE PSYCHIATRIQUE [RJ1] - 1) ELÉMENTS DONT LE JUGE DOIT TENIR COMPTE POUR ÉTABLIR L'EXISTENCE D'UNE FAUTE [RJ2] - 2) ESPÈCE.

60-02-01-01-01-02-05 1) Pour établir l'existence d'une faute dans l'organisation du service hospitalier au titre du défaut de surveillance d'un patient atteint d'une pathologie psychiatrique, le juge doit notamment tenir compte, lorsque l'état de santé de ce patient fait courir le risque qu'il commette un acte agressif à son égard ou à l'égard d'autrui, non seulement de la pathologie en cause et du caractère effectivement prévisible d'un tel passage à l'acte, mais également du régime d'hospitalisation, libre ou sous contrainte, ainsi que des mesures que devait prendre le service, compte tenu de ses caractéristiques et des moyens dont il disposait.......2) Patient atteint d'une pathologie psychiatrique ayant agressé un autre patient. Patient atteint d'une pathologie l'exposant à des accès de violence, de tels actes s'étant produits à plusieurs reprises au cours des sept mois précédents. Troubles comportementaux dont souffraient les deux patients présentant une incompatibilité spécifique, faisant courir un risque de principe que des violences surviennent en cas de mise en présence de ces deux patients.......D'une part, le comportement du patient ayant commis l'agression s'était, à la date des faits, stabilisé depuis plus de deux mois, ses permissions de sortie n'ayant donné lieu à aucun incident. D'autre part, la décision de ne pas confiner l'intéressé dans sa chambre à son retour de permission avait été prise, après administration d'un traitement et placement préalable en observation, dans le respect d'un protocole médical prévu pour sa pathologie et propre à une unité de soins intensifs dont la petite taille et l'organisation permettent une intervention rapide en cas de difficulté, le personnel de l'hôpital étant d'ailleurs intervenu très rapidement après l'agression.......Dans ces conditions, aucun manquement fautif ne peut être reproché à l'établissement public hospitalier dans la prise en charge et la surveillance du patient ayant commis l'agression.


Références :

[RJ1]

Cf., sur l'application d'un régime de faute simple, CE, Section, 5 janvier 1966, Hawezack, n° 58623, p. 6....

[RJ2]

Cf., sur la prise en compte du régime d'hospitalisation, CE, 12 mars 2012, Caisse primaire d'assurance maladie du Puy-de-Dôme et Mlle Lachin, n°s 342774 342898, T. pp. 953-984.


Publications
Proposition de citation : CE, 29 sep. 2021, n° 432627
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Alain Seban
Rapporteur public ?: Mme Cécile Barrois de Sarigny
Avocat(s) : SCP BORE, SALVE DE BRUNETON, MEGRET ; LE PRADO

Origine de la décision
Date de l'import : 05/10/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2021:432627.20210929
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