Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
I. La caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de Roubaix-Tourcoing a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner l'établissement public de santé mentale (EPSM) de Lille-Métropole à lui verser une somme totale de 1 352 146,07 euros en remboursement des frais exposés pour la prise en charge des préjudices subis par M. F...O...à la suite de l'agression dont il a été victime le 22 novembre 2009.
Par un jugement n° 1205347 du 9 mars 2015, le tribunal administratif de Lille a condamné l'EPSM à verser à la CPAM de Roubaix-Tourcoing une somme de 1 143 147,88 euros et a posé le principe du remboursement des frais médicaux et de transport futurs.
II. Le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions (FGTI) a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner l'EPSM de Lille-Métropole à lui verser une somme de 1 040 329,13 euros avec intérêt de droit, ou de 770 214,61 euros avec intérêt de droit à parfaire au regard du montant des rentes pour retour à domicile/assistance tierce personne qui seront versées jusqu'au jour de la décision à intervenir et à lui rembourser le montant de la rente pour retour à domicile/assistance tierce personne évaluée à 17 956,16 euros par an et revalorisée chaque année, en remboursement des frais exposés pour la prise en charge des préjudices subis par M. O...à la suite de l'agression dont il a été victime le 22 novembre 2009.
Par un jugement n° 1300047 du 13 juillet 2016, le tribunal administratif de Lille a condamné l'ESPM de Lille-Métropole à verser au FGTI une somme de 551 545,06 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 7 novembre 2012, les frais futurs correspondant aux frais d'ambulance exposés par M. O...dans la limite d'un montant annuel de 12 686,96 euros et une rente correspondant aux frais d'assistance à tierce personne de M. O...à compter du jugement, à chaque trimestre échu, déterminée sur la base d'un taux horaire de 14,26 euros.
Procédure devant la cour :
I. Par une requête sommaire, un mémoire ampliatif, des mémoires en réplique et un mémoire récapitulatif, enregistrés sous le n° 15DA00767, les 11 mai 2015, 26 juin 2015, 9 octobre 2015, 14 octobre 2016, 17 novembre 2016, 22 septembre 2017, 8 décembre 2017 et 25 mars 2019, l'EPSM de Lille-Métropole, représenté par Me B...L..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Lille du 9 mars 2015 ;
2°) de rejeter les conclusions indemnitaires présentées en première instance par la CPAM de Roubaix-Tourcoing.
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II. Par une requête sommaire, un mémoire ampliatif et un mémoire en réplique enregistrés sous le n° 16DA01638, les 13 septembre 2016, 3 février 2017 et 22 septembre 2017, l'EPSM de Lille-Métropole, représenté par Me B...L..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Lille du 13 juillet 2016 ;
2°) de rejeter les conclusions indemnitaires présentées en première instance par le FGTI.
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Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Julien Sorin, président-assesseur,
- les conclusions de Mme Anne-Marie Leguin, rapporteur public,
- et les observations de Me D...J..., représentant l'EPSM de Lille-Métropole, et de Me I...G..., représentant le FGTI.
Considérant ce qui suit :
1. Le 22 novembre 2009, alors qu'il rentrait d'une permission de cinq jours auprès de sa famille, M.E..., patient hospitalisé depuis le 20 février 2009 pour une schizophrénie hébéphréno-catatonique sévère au service de psychiatrie générale du centre hospitalier de Tourcoing, qui relève de l'établissement public de santé mentale (EPSM) de Lille-Métropole, a violemment agressé un autre patient hospitalisé au sein de la même structure, M. F...O.respectivement à leur charge, n'est par suite pas fondé à soutenir qu'il aurait été condamné deux fois à indemniser le même préjudice Malgré les soins immédiatement prodigués, M. O...a présenté un état végétatif quasi non-réactionnel avec tétraparésie spastique jusqu'à la date de son décès le 3 mai 2017. La commission d'indemnisation des victimes d'infractions, saisie à la suite du classement sans suite de la plainte déposée contre M. E...en raison de son irresponsabilité pénale, a ordonné une expertise dont le rapport a été remis le 10 septembre 2012. Le 13 mai 2015, la commission d'indemnisation des victimes d'infractions a mis à la charge du FGTI une somme totale de 580 479,02 euros au profit de M. O...et diverses sommes au profit de ses ayants droit. Par deux requêtes distinctes, le FGTI et la CPAM de Roubaix-Tourcoing ont saisi le tribunal administratif de Lille de demandes tendant au remboursement par l'EPSM des frais exposés au profit des consortsO.respectivement à leur charge, n'est par suite pas fondé à soutenir qu'il aurait été condamné deux fois à indemniser le même préjudice Par un jugement du 9 mars 2015, le tribunal a condamné l'EPSM à verser à la CPAM de Roubaix-Tourcoing une somme de 1 143 147,88 euros et a posé le principe du remboursement des frais médicaux et de transport futurs. Par un jugement du 13 juillet 2016, le tribunal a condamné l'EPSM à verser au FGTI une somme de 551 545,06 euros et a posé le principe du remboursement des frais futurs de sorties de M. O...et des frais liés à l'assistance par une tierce personne. L'EPSM interjette régulièrement appel de ces jugements. Le FGTI et la CPAM de Roubaix-Tourcoing interjettent appel incident en tant qu'il n'a pas été fait droit à la totalité de leurs conclusions de première instance.
2. Les requêtes susvisées n° 15DA00767 et n° 16DA01638, introduites par l'EPSM, présentent à juger des questions semblables et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.
Sur le bien-fondé des jugements attaqués :
En ce qui concerne la responsabilité de l'EPSM de Lille-Métropole :
3. Il résulte de l'instruction qu'hospitalisé à compter du 20 février 2009, M.E..., qui souffre depuis 2002 d'une schizophrénie hébéphréno-catatonique générant, selon le rapport d'expertise demandé par le Procureur de la République dans le cadre de l'action intentée contre M. E...par M. O...et remis par le Dr H...le 30 novembre 2009, " des conduites hétéro-agressives de caractère immotivé et impulsif associées à un ressenti persécutif plus ou moins important ", a rapidement adopté un comportement particulièrement violent caractérisé, entre les mois d'avril et septembre 2009, par une quinzaine de " passages à l'acte hétéro-agressifs centrés tout autant sur le personnel soignant que sur les autres patients ". L'administration d'un traitement médicamenteux adapté a conduit à une amélioration de son comportement entre les mois de septembre et novembre 2009. Il a ainsi pu bénéficier d'autorisations de sortie ponctuelles, pouvant s'étendre sur quelques jours afin de rendre visite à sa famille. Au retour d'une sortie qui s'était déroulée du 17 au 22 novembre 2009, alors qu'il ne présentait aucun signe apparent de violence et que l'infirmière l'ayant accueilli lui avait administré son traitement et installé une heure dans sa chambre, conformément au protocole applicable, il a été autorisé à se rendre à la salle de télévision, où se trouvait M.O.respectivement à leur charge, n'est par suite pas fondé à soutenir qu'il aurait été condamné deux fois à indemniser le même préjudice Les deux patients ont été laissés sans surveillance. M. E...a alors violemment agressé M.O.respectivement à leur charge, n'est par suite pas fondé à soutenir qu'il aurait été condamné deux fois à indemniser le même préjudice Alertée par les cris d'un patient, l'équipe médicale est rapidement intervenue mais n'a pu empêcher, malgré les soins immédiatement prodigués, les graves séquelles dont M. O...restera atteint jusqu'à son décès le 3 mai 2017.
4. Si, pour écarter toute faute imputable à un défaut d'organisation du service, l'EPSM de Lille-Métropole soutient qu'avant l'agression, M. E...était calme, avait pris son traitement et que depuis deux mois, son comportement ne laissait présager aucun passage à l'acte, il ne résulte pas de l'instruction que cette accalmie relative pouvait permettre d'exclure tout comportement violent alors, d'une part, que la pathologie dont il souffre l'expose à des accès impulsifs et imprévisibles de violence, et, d'autre part, qu'il avait, deux mois auparavant, agressé à quinze reprises, sur une période de sept mois, des membres du personnel et d'autres patients de l'unité où il était hospitalisé. Par ailleurs, il résulte des conclusions, non contestées par l'EPSM, du rapport rédigé le 29 août 2012 par le DrC..., expert psychiatre auprès du FGTI, que les pathologies mentales respectives de M. E...et de M. O...étaient foncièrement incompatibles et fortement susceptibles, mises en présence, de générer un affrontement violent. Les personnes atteintes de la pathologie dont souffrait M. O...sont ainsi décrites comme " volubile sinon logorrhéique, volontiers euphorique, interpellant individuellement tous ceux qui sont dans son champ de vision, lançant des commentaires parfois criant de vérité sur chacun, s'approchant de l'autre jusqu'à le toucher ", alors que la pathologie dont souffre M. E... le place en situation de " rupture de contact avec les autres, totalement mutique, évitant le contact avec tous, emmuré dans sa folie, catatonique ". Ce psychiatre en déduit que " ces deux patients ne pouvaient pas cohabiter ", l'un ayant une forte propension à s'approcher " de l'espace à l'intérieur duquel l'autre ne tolère pas l'intrusion ". Il résulte d'ailleurs des procès-verbaux d'audition de M.A..., infirmier, et de MmeK..., infirmière, qui ont pris en charge M. E...immédiatement après l'agression et ont pu s'entretenir avec lui, que celle-ci aurait été motivée par une réaction au comportement de M. O...qui aurait " tapoté le haut de la tête " de M.E..., lequel aurait interprété ce geste comme une intrusion dans son espace intérieur. Dans ces conditions, l'absence de surveillance de deux patients souffrant de pathologies incompatibles dans un contexte ne permettant pas d'exclure, notamment de la part de M.E..., tout accès de violence, révèle un défaut dans l'organisation du service constitutif d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'EPSM de Lille-Métropole à l'égard des consorts O...et de personnes subrogées dans leurs droits.
En ce qui concerne les débours exposés par la CPAM de Roubaix-Tourcoing :
5. Contrairement à ce que soutient l'EPSM de Lille-Métropole, la CPAM de Roubaix-Tourcoing pouvait augmenter en appel ses prétentions, à mesure des frais exposés au profit de M. O...à la suite du jugement du 9 mars 2015 litigieux.
6. Si l'EPSM de Lille-Métropole soutient par ailleurs que, par les jugements litigieux, les premiers juges l'ont condamné à indemniser M. O...et la CPAM de Roubaix-Tourcoing pour les mêmes frais de transports futurs, il résulte de la décision de la commission d'indemnisation des victimes d'infraction du 13 mai 2015 que le montant mis à la charge du FGTI au profit de M.O..., et repris par le jugement du tribunal administratif de Lille du 13 juillet 2016, a été calculé " avec prise en considération de la prise en charge par les organismes sociaux de frais d'ambulance ". L'EPSM de Lille-Métropole, qui a ainsi été condamné à verser à la CPAM de Roubaix-Tourcoing et à M. O...des frais de transports à hauteur des sommes demeurant.respectivement à leur charge, n'est par suite pas fondé à soutenir qu'il aurait été condamné deux fois à indemniser le même préjudice
7. En l'absence de contestation de l'attestation d'imputabilité établie le 31 octobre 2017, il y a lieu de condamner l'EPSM de Lille-Métropole à verser à la CPAM de Roubaix-Tourcoing la somme de 1 592 260,69 euros. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 5 juillet 2012 pour la somme de 340 229,20 euros, du 19 juin 2013 pour la somme de 65 663,92 euros, du 29 décembre 2016 pour la somme de 1 090 985,37 euros et du 31 octobre 2017 pour la somme de 95 382,20 euros. Il y a lieu de faire droit à la demande de capitalisation des intérêts, respectivement, à compter du 5 juillet 2013, 19 juin 2014, 29 décembre 2017 et 31 octobre 2018, dates auxquelles était due, pour la première fois, une année d'intérêts, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de ces dates.
En ce qui concerne les débours exposés par le FGTI :
8. S'agissant du déficit fonctionnel temporaire, les premiers juges ont procédé à une juste évaluation du préjudice subi à ce titre en le fixant à la somme de 9 850 euros.
9. Il y a également lieu de confirmer le jugement attaqué en ce qu'il a accordé une somme de 30 000 euros en indemnisation du pretium doloris, fixé par l'expert à 6,5 sur une échelle de 7.
10. Contrairement à ce que soutient le FGTI, les premiers juges ont justement évalué le montant des préjudices esthétiques temporaire et permanent de M. O...en les fixant aux sommes respectives de 4 000 et 30 000 euros.
11. S'agissant du déficit fonctionnel permanent, fixé par l'expert à 95 %, il ne résulte pas de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, qu'il conviendrait de tenir compte de l'état antérieur de M.O..., qui était sans rapport avec la nature et la gravité du dommage subi. Les premiers juges ont par suite procédé à une juste évaluation du montant du préjudice subi à ce titre en accordant à M. O...une somme de 240 000 euros.
12. S'agissant enfin des préjudices subis par les proches de M.O..., les premiers juges ont fait une juste évaluation de leur montant en accordant à son épouse une somme de 25 000 euros, à ses trois fils majeurs vivant hors du foyer familial une somme, chacun, de 6 500 euros, à son beau-père, une somme de 4 000 euros et à ses trois belles-filles, chacune, une somme de 1 000 euros.
13. Il résulte de ce qui précède que l'EPSM de Lille-Métropole et le FGTI ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 13 juillet 2016, le tribunal administratif de Lille a condamné le premier à verser au second une somme de 551 545,06 euros. La CPAM de Roubaix-Tourcoing est en revanche fondée à demander que la somme mise à la charge de l'EPSM de Lille-Métropole par le jugement du 9 mars 2015 soit portée à 1 592 260,69 euros. L'EPSM de Lille-Métropole versera à la CPAM de Roubaix-Tourcoing une somme de 1 080 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue à l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale. Il y a enfin lieu de mettre à la charge de l'EPSM de Lille-Métropole une somme de 1 500 euros au titre des frais respectivement exposés par la CPAM de Roubaix-Tourcoing et par le FGTI et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : Les requêtes de l'EPSM de Lille-Métropole sont rejetées.
Article 2 : Les conclusions d'appel incident du FGTI sont rejetées.
Article 3 : La somme que l'EPSM de Lille-Métropole a été condamné en première instance à verser à la CPAM de Roubaix-Tourcoing est portée à 1 592 260,69 euros. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 5 juillet 2012 pour la somme de 340 229,20 euros, du 19 juin 2013 pour la somme de 65 663,92 euros, du 29 décembre 2016 pour la somme de 1 090 985,37 euros et du 31 octobre 2017 pour la somme de 95 382,20 euros. Les intérêts échus aux dates respectives du 5 juillet 2013, 19 juin 2014, 29 décembre 2017 et 31 octobre 2018, puis à chaque échéance annuelle à compter de ces dates, seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 4 : L'EPSM de Lille-Métropole versera à la CPAM de Roubaix-Tourcoing une somme de 1 080 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue à l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale.
Article 5 : Le jugement du 9 mars 2015 du tribunal administratif de Lille est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 6 : L'EPSM de Lille-Métropole versera à la CPAM de Roubaix-Tourcoing et au FGTI, pris séparément, une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à l'établissement public de santé mentale de Lille-Métropole, à la caisse primaire d'assurance maladie de Roubaix-Tourcoing, au fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions et à Mme M...N..., en sa qualité d'ayant droit de M. F...O.respectivement à leur charge, n'est par suite pas fondé à soutenir qu'il aurait été condamné deux fois à indemniser le même préjudice
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N°15DA00767,16DA01638