Vu la procédure suivante :
Par un mémoire distinct, enregistré le 30 avril 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, la société Air France demande au Conseil d'Etat, à l'appui de son pourvoi contre l'arrêt n° 19PA01412 du 5 février 2021 de la cour administrative d'appel de Paris, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article L. 213-4 et du 1° de l'article L. 625-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- le règlement (CE) n° 859/2008 de la Commission du 20 août 2008 ;
- la directive 2001/51/CE du Conseil du 28 juin 2001 ;
- la convention d'application de l'accord de Schengen, notamment le premier paragraphe de son article 26 ;
- le protocole intégrant l'acquis de Schengen dans le cadre de l'Union européenne, annexé au traité sur l'Union européenne et au traité instituant la Communauté européenne ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Fabio Gennari, auditeur,
- les conclusions de Mme Sophie Roussel, rapporteure publique,
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano, avocat de la société Air France ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé, y compris pour la première fois en cassation, à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.
2. Par une décision du 23 mai 2017, le ministre de l'intérieur a infligé à la société Air France, sur le fondement de l'article L. 625-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, une amende de 15 000 euros pour avoir manqué à son obligation de réacheminer un passager de nationalité indéterminée qu'elle avait débarqué sur le territoire français le 16 janvier 2017 en provenance de Téhéran, alors que ce passager avait fait l'objet d'une décision de refus d'entrée sur le territoire français. Par une décision du 27 octobre 2017, le ministre de l'intérieur a infligé à la société Air France, sur le même fondement, une amende de 20 000 euros pour n'avoir pas réacheminé un passager de nationalité algérienne qu'elle avait débarqué sur le territoire français le 5 avril 2017 en provenance d'Alger, alors que ce passager avait également fait l'objet d'une décision de refus d'entrée sur le territoire français. La société Air France demande que soit renvoyée au Conseil constitutionnel, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958, la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article L. 213-4 et du 1° de l'article L. 625-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
3. Aux termes de l'article L. 213-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dont les dispositions sont désormais reprises à l'article L. 333-3 du même code : " Lorsque l'entrée en France est refusée à un étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne, l'entreprise de transport aérien ou maritime qui l'a acheminé est tenue de ramener sans délai, à la requête des autorités chargées du contrôle des personnes à la frontière, cet étranger au point où il a commencé à utiliser le moyen de transport de cette entreprise, ou, en cas d'impossibilité, dans l'Etat qui a délivré le document de voyage avec lequel il a voyagé ou en tout autre lieu où il peut être admis. " Ces dispositions ont été prises notamment pour la mise en œuvre des stipulations de l'article 26 de la convention d'application de l'accord de Schengen et de la directive 2001/51/CE.
4. Aux termes de l'article L. 625-7 du même code, dont les dispositions sont désormais reprises à l'article L. 821-10 : " Est punie d'une amende d'un montant maximal de 30 000 € : / 1° L'entreprise de transport aérien ou maritime qui ne respecte pas les obligations fixées aux articles L. 213-4 à L. 213-6 ; (...) ".
5. En premier lieu, les amendes infligées à la société Air France l'ont été sur le fondement de ces dispositions, ainsi applicables au litige.
6. En deuxième lieu, ces dispositions n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.
7. En troisième lieu, le moyen soulevé par la société Air France, tiré de ce que les dispositions qu'elle critique portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, notamment aux droits garantis par l'article 12 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 et au principe d'égalité devant les charges publiques, soulève une question qui présente un caractère sérieux.
8. Il y a lieu, dès lors, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée.
D E C I D E :
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Article 1er : La question de la conformité à la Constitution de l'article L. 213-4 et du 1° de l'article L. 625-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile est renvoyée au Conseil constitutionnel.
Article 2 : Il est sursis à statuer sur le pourvoi de la société Air France jusqu'à ce que le Conseil constitutionnel ait tranché la question de constitutionnalité ainsi soulevée.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société Air France et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et au Premier ministre.