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18/12/2020 | FRANCE | N°420569

France | France, Conseil d'État, 5ème - 6ème chambres réunies, 18 décembre 2020, 420569


Vu la procédure suivante :

M. A... C... et Mme D... C... ont demandé au tribunal administratif de Toulon, d'une part, de condamner solidairement la commune de Six-Fours-les-Plages et l'Etat à leur verser la somme de 1 182 652, 64 euros en vue de la remise en état naturel d'un terrain dont ils sont propriétaires sur le territoire de cette commune et sur lequel ont été effectués des dépôts illicites de déchets et, d'autre part, d'enjoindre à ces mêmes autorités de mettre en oeuvre les mesures propres à empêcher de tels dépôts et d'engager des poursuites contre leurs aute

urs lorsque ceux-ci sont identifiés. Par un jugement n° 1101062 du 6 dé...

Vu la procédure suivante :

M. A... C... et Mme D... C... ont demandé au tribunal administratif de Toulon, d'une part, de condamner solidairement la commune de Six-Fours-les-Plages et l'Etat à leur verser la somme de 1 182 652, 64 euros en vue de la remise en état naturel d'un terrain dont ils sont propriétaires sur le territoire de cette commune et sur lequel ont été effectués des dépôts illicites de déchets et, d'autre part, d'enjoindre à ces mêmes autorités de mettre en oeuvre les mesures propres à empêcher de tels dépôts et d'engager des poursuites contre leurs auteurs lorsque ceux-ci sont identifiés. Par un jugement n° 1101062 du 6 décembre 2013, le tribunal administratif a rejeté leur demande.

Par un arrêt n° 14MA00600 du 15 décembre 2015, la cour administrative d'appel de Marseille a annulé ce jugement pour irrégularité puis, statuant après évocation, rejeté la demande de M. et Mme C....

Par une décision n° 397031 du 13 octobre 2017, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a annulé l'article 2 de cet arrêt et renvoyé l'affaire à la cour administrative d'appel de Marseille dans la limite de la cassation prononcée.

Par un arrêt n° 17MA04122 du 13 mars 2018, la cour administrative d'appel de Marseille a, d'une part, enjoint au maire de la commune de Six-Fours-les-Plages de faire usage, dans un délai de deux mois, des pouvoirs de police qu'il tient de l'article L. 541-3 du code de l'environnement à l'égard du producteur ou du détenteur des déchets présents sur la parcelle appartenant à M. et Mme C... et au préfet du Var, dans l'hypothèse où il constaterait une carence de l'autorité municipale dans l'exercice de ce pouvoir de police, de prendre, les mesures nécessaires au respect de la réglementation relative aux déchets dans un délai de quatre mois et, d'autre part, diligenté une expertise aux fins d'évaluer le coût de la remise en état de la propriété incluant l'enlèvement des déchets et le reboisement éventuel ainsi que le préjudice de jouissance de propriété et le préjudice moral des époux C... résultant de la présence de ces déchets.

1° Sous le numéro 420569, par un pourvoi sommaire et deux mémoires complémentaires, enregistrés les 14 mai et 14 août 2018 et le 23 juillet 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la commune de Six-Fours-les-Plages demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter la demande des époux C... ;

3°) de mettre à la charge des époux C... la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° Sous le numéro 420584, par un pourvoi, enregistré le 14 mai 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire demande au Conseil d'Etat d'annuler cet arrêt.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- la directive 2006/12/CE du 5 avril 2006 ;

- le code de l'urbanisme ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de l'environnement ;

- la loi n° 2003-699 du 30 juillet 2003 ;

- l'ordonnance n° 2010-1579 du 17 décembre 2010 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Florian Roussel, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Cécile Barrois de Sarigny, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois, Sebagh, avocat de la Commune de Six-Fours-Les-Plages et à la SCP Buk Lament-Robillot, avocat de M. et Mme A... C... et autre.

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. et Mme C... ont acquis en 1988 un terrain boisé de trois hectares, situé sur le territoire de la commune de Six-Fours-les-Plages (Var), dans le site classé du Cap Sicié. Depuis, des dépôts illicites de déchets en quantité très importante, principalement des matériaux de construction, ont été constatés sur cette parcelle. S'estimant victimes d'une carence du maire et du préfet dans l'exercice de leurs pouvoirs de police, M. et Mme C... ont recherché la responsabilité de la commune et celle de l'Etat devant le tribunal administratif de Toulon. Le tribunal a rejeté leur demande par un jugement du 6 décembre 2013, dont ils ont relevé appel. Par un arrêt du 15 décembre 2015, la cour administrative d'appel de Marseille a annulé ce jugement pour irrégularité, puis, après évocation, rejeté la demande de première instance. Par une décision du 13 octobre 2017, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a, sur pourvoi de M. et Mme C..., annulé cet arrêt en tant qu'il rejette leur demande devant le tribunal administratif et renvoyé l'affaire à la cour dans cette mesure. Par un nouvel arrêt du 13 mars 2018, la cour a enjoint au maire de Six-Fours-les-Plages de faire usage, dans un délai de deux mois, des pouvoirs de police qu'il tient de l'article L. 541-3 du code de l'environnement à l'égard du producteur ou du détenteur des déchets présents sur la parcelle appartenant à M. et Mme C... et au préfet du Var, dans l'hypothèse où il constaterait une carence de l'autorité municipale dans l'exercice de ce pouvoir de police, de prendre les mesures nécessaires au respect de la réglementation relative aux déchets dans un délai de quatre mois. Elle a, par le même arrêt, ordonné une expertise pour évaluer le coût de la remise en état de la propriété, y compris l'enlèvement des déchets et le reboisement éventuel, ainsi que le préjudice de jouissance de propriété et le préjudice moral de M. et Mme C.... Par deux pourvois qu'il y a lieu de joindre pour statuer par une seule décision, la commune de Six-Fours-les-Plages et le ministre de la transition écologique et solidaire demandent l'annulation de cet arrêt.

2. Aux termes de l'article L. 541-2 du code de l'environnement, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 17 décembre 2010 portant dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dans le domaine des déchets : " Toute personne qui produit ou détient des déchets dans des conditions de nature à produire des effets nocifs sur le sol, la flore et la faune, à dégrader les sites ou les paysages, à polluer l'air ou les eaux, à engendrer des bruits et des odeurs et, d'une façon générale, à porter atteinte à la santé de l'homme et à l'environnement, est tenue d'en assurer ou d'en faire assurer l'élimination conformément aux dispositions du présent chapitre, dans des conditions propres à éviter lesdits effets. (...) ". Aux termes de l'article L. 541-3 de ce code, dans cette même rédaction : " En cas de pollution des sols, de risque de pollution des sols, ou au cas où des déchets sont abandonnés, déposés ou traités contrairement aux prescriptions du présent chapitre et des règlements pris pour leur application, l'autorité titulaire du pouvoir de police peut, après mise en demeure, assurer d'office l'exécution des travaux nécessaires aux frais du responsable (...) ".

3. L'article L. 541-1-1 du code de l'environnement, créé par l'ordonnance du 17 décembre 2010, définit le producteur de déchets comme " toute personne dont l'activité produit des déchets (producteur initial de déchets) ou toute personne qui effectue des opérations de traitement des déchets conduisant à un changement de la nature ou de la composition de ces déchets (producteur subséquent de déchets) " et le détenteur des déchets comme le " producteur des déchets ou toute autre personne qui se trouve en possession des déchets ". Aux termes de l'article L. 541-2 de ce code, dans sa rédaction issue de cette même ordonnance : " Tout producteur ou détenteur de déchets est tenu d'en assurer ou d'en faire assurer la gestion, conformément aux dispositions du présent chapitre./ Tout producteur ou détenteur de déchets est responsable de la gestion de ces déchets jusqu'à leur élimination ou valorisation finale, même lorsque le déchet est transféré à des fins de traitement à un tiers./ Tout producteur ou détenteur de déchets s'assure que la personne à qui il les remet est autorisée à les prendre en charge ". Aux termes de l'article L. 541-3 de ce code, dans cette même rédaction : " I. - Lorsque des déchets sont abandonnés, déposés ou gérés contrairement aux prescriptions du présent chapitre et des règlements pris pour leur application, l'autorité titulaire du pouvoir de police compétente avise le producteur ou détenteur de déchets des faits qui lui sont reprochés ainsi que des sanctions qu'il encourt et, après l'avoir informé de la possibilité de présenter ses observations, écrites ou orales, dans un délai d'un mois, le cas échéant assisté par un conseil ou représenté par un mandataire de son choix, peut le mettre en demeure d'effectuer les opérations nécessaires au respect de cette réglementation dans un délai déterminé./ Au terme de cette procédure, si la personne concernée n'a pas obtempéré à cette injonction dans le délai imparti par la mise en demeure, l'autorité titulaire du pouvoir de police compétente peut, par une décision motivée qui indique les voies et délais de recours : / 1° L'obliger à consigner entre les mains d'un comptable public une somme correspondant au montant des mesures prescrites, laquelle est restituée au fur et à mesure de l'exécution de ces mesures. (...)/ 2° Faire procéder d'office, en lieu et place de la personne mise en demeure et à ses frais, à l'exécution des mesures prescrites. (...) ; / 4° Ordonner le versement d'une astreinte journalière au plus égale à 1500 € courant à compter d'une date fixée par la décision jusqu'à ce qu'il ait été satisfait aux mesures prescrites par la mise en demeure. (...) ; / 5° Ordonner le paiement d'une amende au plus égale à 150 000 €. (...)./ L'exécution des travaux ordonnés d'office peut être confiée par le ministre chargé de l'environnement à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie ou à un autre établissement public compétent. Les sommes consignées leur sont alors reversées à leur demande./ II.-En cas d'urgence, l'autorité titulaire du pouvoir de police compétente fixe les mesures nécessaires pour prévenir les dangers graves et imminents pour la santé, la sécurité publique ou l'environnement./ III.-Est réputé abandon tout acte tendant, sous le couvert d'une cession à titre gratuit ou onéreux, à soustraire son auteur aux prescriptions du présent chapitre et des règlements pris pour son application./ V.- Si le producteur ou le détenteur des déchets ne peut être identifié ou s'il est insolvable, l'Etat peut, avec le concours financier éventuel des collectivités territoriales, confier la gestion des déchets et la remise en état du site pollué par ces déchets à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie ou à un autre établissement public compétent ".

4. Sont responsables des déchets au sens de ces dispositions, interprétées à la lumière des dispositions des articles 1er, 8 et 17 de la directive du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2006 relative aux déchets, les seuls producteurs ou autres détenteurs des déchets. En l'absence de tout producteur ou de tout autre détenteur connu, le propriétaire du terrain sur lequel ont été déposés des déchets peut être regardé comme leur détenteur au sens de l'article L. 541-2 du code de l'environnement, notamment s'il a fait preuve de négligence à l'égard d'abandons sur son terrain.

5. Pour juger que le refus du maire de Six-Fours-les-Plages et du préfet du Var d'exercer leurs pouvoirs en matière de police des déchets, afin de faire cesser les dépôts illicites de déchets sur la parcelle de M. et Mme C... à compter du 1er janvier 2006, était illégal et en déduire que la commune et l'Etat devaient être condamnés à réparer les préjudices résultant de cette carence pour les intéressés, la cour a estimé que les producteurs de l'ensemble des déchets déposés étaient connus. En statuant ainsi, alors qu'il ressortait de ses propres constatations que seules avaient pu être identifiées les entreprises responsables du dépôt des débris d'une passerelle en 2004 et du dépôt de déchets de chantier en mars 2009, la cour a dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis. Par suite, son arrêt doit être annulé.

6. Aux termes du second alinéa de l'article L. 821-2 du code de justice administrative : " Lorsque l'affaire fait l'objet d'un second pourvoi en cassation, le Conseil d'Etat statue définitivement sur cette affaire ". Le Conseil d'Etat étant saisi, en l'espèce, d'un second pourvoi en cassation, il lui incombe de régler l'affaire au fond en statuant, compte tenu de ce qui a été dit au point 1, sur la demande présentée par M. et Mme C... devant le tribunal administratif de Marseille.

Sur la responsabilité de la commune :

En ce qui concerne la responsabilité de la commune en sa qualité de productrice d'une partie des déchets :

7. Il résulte de l'instruction que les débris de passerelle retrouvés sur la parcelle de M. et Mme C... sont ceux d'un ouvrage dont la commune était propriétaire et qui a été démoli en 2004. M. et Mme C... sont ainsi fondés à soutenir que la commune de Six-Fours-les-Plages, propriétaire de l'ouvrage, a la qualité de productrice de ces déchets et qu'elle est donc responsable de leur élimination, en application des dispositions, citées ci-dessus, de l'article L. 541-2 du code de l'environnement. En refusant de prendre en charge leur retrait du site et leur traitement dans des conditions conformes à la réglementation, le maire a ainsi commis une faute de nature à engager la responsabilité de la commune.

En ce qui concerne les fautes reprochées au maire dans la mise en oeuvre de ses pouvoirs de police des déchets :

8. Il résulte des dispositions citées ci-dessus de l'article L. 541-3 du code de l'environnement que l'autorité titulaire du pouvoir de police des déchets, lorsqu'elle constate que des déchets sont abandonnés, déposés ou gérés contrairement aux prescriptions législatives et réglementaires applicables, est tenue de prendre les mesures prévues par cet article à l'égard du producteur ou du détenteur de ces déchets. Dans l'hypothèse où aucun producteur ou détenteur n'est immédiatement connu, il lui appartient d'abord de faire les diligences nécessaires pour identifier le producteur ou le détenteur des déchets.

9. Il résulte de l'instruction que M. et Mme C... ont, dès 1990 et à de multiples reprises, porté plainte en raison du dépôt de déchets sur leur parcelle et ont, ainsi qu'il a été dit, adressé, à compter de 2005, aux services de la commune et à ceux de l'Etat, des signalements précis sur ces faits, de nature à permettre l'identification de certains de leurs auteurs. Ils ont en outre, afin de mettre fin à l'intrusion de poids-lourds sur leur terrain, installé une chaîne, qui a été arrachée. S'il résulte également de l'instruction que M. et Mme C... ont, avant 1995, aménagé une voie d'accès qui a pu être utilisée par les camions pour le dépôt de déchets, une telle circonstance, dont il ne résulte pas de l'instruction qu'elle ait eu pour objet de faciliter le dépôt de déchets, n'est pas, eu égard également à son ancienneté et aux multiples diligences entreprises ensuite par M. et Mme C..., de nature à caractériser une négligence permettant de les regarder comme détenteurs des déchets au sens des dispositions citées ci-dessus de l'article L. 541-2 du code de l'environnement.

10. Il résulte également de l'instruction que, compte tenu des signalements précis adressés au maire de Six-Fours-les-Plages en 2005 par plusieurs riverains, parmi lesquels M. et Mme C..., ainsi que par une association de défense de l'environnement, qui faisaient état de dépôts massifs de déchets sur le terrain en cause ainsi que sur les parcelles voisines, il appartenait au maire de faire usage, au plus tard dès le début de l'année 2006, des pouvoirs de police qui lui sont dévolus par les dispositions citées ci-dessus de l'article L. 541-3 du code de l'environnement en s'efforçant d'abord, ainsi qu'il a été dit au point 8, d'identifier les auteurs de ces dépôts. Le maire n'ayant accompli aucune diligence, les requérants sont fondés à soutenir qu'il a commis un manquement fautif dans l'exercice de ses pouvoirs de police des déchets, de nature à engager la responsabilité de la commune postérieurement au 1er janvier 2006.

11. Enfin, contrairement à ce que soutient la commune de Six-Fours-les-Plages, il ne résulte pas de l'instruction que les requérants auraient commis une faute de nature à exonérer la commune de la responsabilité qui lui incombe en vertu de ce qui a été dit au point précédent.

En ce qui concerne les fautes reprochées au maire dans la mise en oeuvre d'autres pouvoirs de police :

12. Aux termes de l'article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales : " La police municipale a pour objet d'assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publique. Elle comprend notamment : (...) 4°) le soin de prévenir par des précautions convenables (...) les accidents et les fléaux calamiteux ainsi que les pollutions de toute nature, tels que les incendies (...) ". Aux termes de l'article L. 2214-4 du même code, " En cas de danger grave ou imminent, tels que les accidents naturels prévus au 5° de l'article L. 2212-2, le maire prescrit l'exécution des mesures de sûreté exigées par les circonstances ".

13. Si les requérants font également valoir que le maire de Six-Fours-les-Plages a commis des fautes en s'abstenant de faire usage des pouvoirs de police qu'il tient des articles L. 2212-2 et L. 2214-4 du code général des collectivités territoriales ainsi que d'autres législations relatives à la protection de la nature, il ne résulte pas de l'instruction que les conséquences dommageables de ces manquements, à les supposer établis, seraient différentes de celles qui résultent des fautes relevées aux points 7 à 11 ci-dessus.

Sur la responsabilité de l'Etat :

En ce qui concerne les fautes reprochées à l'Etat au titre de la police des déchets :

14. Il résulte des dispositions de l'article L. 541-3 du code de l'environnement citées ci-dessus, dans leur rédaction alors en vigueur, qu'en cas de carence de l'autorité municipale dans l'exercice des pouvoirs de police qui lui sont conférés au titre de la police des déchets, le préfet doit se substituer à celle-ci pour prendre les mesures propres à prévenir toute atteinte à la santé de l'homme et à l'environnement.

15. Il résulte de l'instruction que le préfet du Var, qui avait reçu dès 2005 des signalements précis sur l'activité de dépôt illicite sur le site du Cap Sicié, n'a accompli aucune diligence avant mars 2009, en dépit de l'inertie des autorités communales, dont il avait également connaissance dès le début de l'année 2006, du caractère massif des dépôts constatés sur ce site classé Natura 2000 et de leurs conséquences dommageables. Par suite, les requérants sont fondés à soutenir que l'Etat a commis une faute lourde, de nature à engager sa responsabilité à leur égard. Compte tenu de la date à laquelle le préfet du Var a été informé de ce que la commune de Six-Fours-les-Plages n'entendait pas intervenir, la responsabilité de l'Etat doit être regardée comme engagée postérieurement au 1er janvier 2006.

16. En revanche, contrairement à ce que soutient l'Etat en défense, il ne résulte pas de l'instruction que les requérants auraient commis une faute de nature à l'exonérer, même partiellement, de sa responsabilité.

En ce qui concerne les fautes reprochées à l'Etat dans la mise en oeuvre d'autres pouvoirs de police :

17. En premier lieu, si les requérants font valoir que le préfet a commis une faute lourde en s'abstenant de se substituer au maire de Six-Fours-les-Plages dans l'exercice des pouvoirs de police générale dévolus à ce dernier par les articles L. 2212-2 et L. 2214-4 du code général des collectivités territoriales, il ne résulte pas, en tout état de cause, de l'instruction que les conséquences dommageables de ce manquement, à le supposer établi, seraient différentes de celles qui résultent de la faute relevée au point 15 ci-dessus.

18. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 322-1-1 du code forestier, applicable aux faits de l'espèce : " Le représentant de l'Etat dans le département peut, indépendamment des pouvoirs du maire et de ceux qu'il tient lui-même du code général des collectivités territoriales, édicter toutes mesures de nature à assurer la prévention des incendies de forêt, à faciliter la lutte contre ces incendies et à en limiter les conséquences ". Contrairement à ce que soutiennent les requérants, il ne résulte pas de l'instruction que les déchets présents sur la parcelle litigieuse auraient présenté un risque d'incendie, dont le préfet du Var aurait eu connaissance et qui aurait dû le conduire à faire procéder à leur enlèvement sur le fondement de ces dispositions.

19. En troisième lieu, les déchets ayant été déposés de façon illicite sur la parcelle des époux C..., ces derniers ne sont, en tout état de cause, pas fondés à soutenir que le préfet aurait méconnu l'article L. 414-5 du code de l'environnement relatif à l'évaluation des incidences Natura 2000 en s'abstenant de faire précéder ces dépôts d'une évaluation préalable.

21. Enfin, si les requérants soutiennent que l'Etat aurait commis des manquements fautifs en s'abstenant de mettre en oeuvre les pouvoirs qu'il tient des articles L. 162-11 à L. 162-16 du code de l'environnement relatifs aux dommages à l'environnement, des dispositions du titre 1er du livre V du même code relatives à la police des installations classées ou d'autres législations relatives à la protection de la nature, ces moyens ne sont pas assortis des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé.

22. Il résulte de ce qui précède que M. et Mme C... sont fondés à soutenir que la responsabilité de l'Etat est engagée à leur égard à raison de la faute lourde commise par le préfet du Var dans l'exercice de ses pouvoirs de police des déchets postérieurement au 1er janvier 2006.

Sur le partage de responsabilité entre la commune et l'Etat :

23. Eu égard à la gravité des manquements commis respectivement par le maire de Six-Fours-les-Plages et par le préfet du Var dans l'exercice de leurs pouvoirs de police des déchets, il y a lieu de retenir que la commune et l'Etat supporteront respectivement 70 % et 30 % de la réparation des préjudices subis par M. et Mme C..., à l'exception de ceux qui résultent du dépôt des débris d'une passerelle en 2004, qui doivent être pris en charge intégralement par la commune en sa qualité de productrice de ces déchets.

Sur l'évaluation du préjudice :

24. L'état du dossier ne permettant pas de déterminer le montant des préjudices dont la réparation est demandée, il y a lieu, avant de se prononcer sur les conclusions indemnitaires des requérants, de décider, avant-dire droit, que le rapport remis le 11 mars 2019 au greffe de la cour administrative d'appel de Marseille par M. B..., en exécution de la mission d'expertise qu'elle avait ordonnée, sera soumis au débat contradictoire entre les parties.

Sur les conclusions aux fins d'injonction :

25. L'état du dossier ne permettant d'apprécier ni l'état actuel de la parcelle litigieuse, ni le coût d'une éventuelle remise en état, ni les initiatives éventuellement prises par la commune et les services de l'Etat, au titre des pouvoirs de police des déchets du maire et du préfet et, en ce qui concerne la commune, en sa qualité de productrice de certains des déchets en cause, il y a lieu, avant de se prononcer sur les demandes d'injonction des requérants, d'ordonner, avant-dire droit, aux parties d'apporter, dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision, tous éléments d'appréciation utiles sur ces différents points.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêt de la cour administrative de Marseille du 13 mars 2018 est annulé.

Article 2 : Il sera, avant de statuer sur la demande de M. et Mme C..., procédé aux mesures d'instruction mentionnées aux points 24 et 25.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la commune de Six-Fours-les-Plages, à M. A... C..., à Mme D... C... et à la ministre de la transition écologique et solidaire.


Synthèse
Formation : 5ème - 6ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 420569
Date de la décision : 18/12/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 18 déc. 2020, n° 420569
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Florian Roussel
Rapporteur public ?: Mme Cécile Barrois de Sarigny
Avocat(s) : SCP BAUER-VIOLAS, FESCHOTTE-DESBOIS, SEBAGH ; SCP BUK LAMENT - ROBILLOT

Origine de la décision
Date de l'import : 22/12/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2020:420569.20201218
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