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29/05/2020 | FRANCE | N°422294

France | France, Conseil d'État, 4ème - 1ère chambres réunies, 29 mai 2020, 422294


Vu la procédure suivante :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif d'Amiens d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 19 janvier 2011 par laquelle la présidente de la communauté d'agglomération du Beauvaisis a refusé de proposer son inscription sur la liste d'aptitude pour intégrer, par voie de promotion interne, le cadre d'emplois des assistants territoriaux de conservation du patrimoine. Par un jugement n° 1100853 du 4 juillet 2013, le tribunal administratif a rejeté sa demande.

Par une décision n° 372243 du 29 décembre 2014, le Conseil d'Etat, sta

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Vu la procédure suivante :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif d'Amiens d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 19 janvier 2011 par laquelle la présidente de la communauté d'agglomération du Beauvaisis a refusé de proposer son inscription sur la liste d'aptitude pour intégrer, par voie de promotion interne, le cadre d'emplois des assistants territoriaux de conservation du patrimoine. Par un jugement n° 1100853 du 4 juillet 2013, le tribunal administratif a rejeté sa demande.

Par une décision n° 372243 du 29 décembre 2014, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a, sur pourvoi de Mme A..., annulé ce jugement et renvoyé l'affaire au tribunal administratif d'Amiens.

Par un jugement n° 1500259 du 3 juillet 2015, le tribunal administratif d'Amiens, statuant sur renvoi du Conseil d'Etat, a rejeté la demande de Mme A....

Par un arrêt n° 15DA01480 du 15 mai 2018, la cour administrative d'appel de Douai a rejeté l'appel formé par Mme A... contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 17 juillet 2018, 17 octobre 2018, 23 septembre 2019 et 3 janvier 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de la communauté d'agglomération du Beauvaisis la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;

- la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 ;

- le décret n° 95-33 du 10 janvier 1995 ;

- le décret n° 2013-730 du 13 août 2013 ;

- le code de justice administrative et l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 modifiée ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Eric Thiers, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Frédéric Dieu, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Thouvenin, Coudray, Grévy, avocat de Mme A... et à la SCP Gaschignard, avocat de la communauté d'agglomération du Beauvaisis ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme A..., adjointe territoriale du patrimoine principale de première classe affectée à la médiathèque de la communauté d'agglomération du Beauvaisis, a demandé à être promue, par la voie interne, dans le cadre d'emplois des assistants territoriaux de conservation du patrimoine et des bibliothèques. Par une décision du 19 janvier 2011, la présidente de la communauté d'agglomération a rejeté sa demande. Par une décision du 29 décembre 2014, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a annulé le jugement du tribunal administratif d'Amiens du 4 juillet 2013 rejetant sa demande tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de cette décision. Par un jugement du 3 juillet 2015, le tribunal administratif d'Amiens, statuant sur renvoi du Conseil d'Etat, a de nouveau rejeté la demande de Mme A.... Celle-ci se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 15 mai 2018 par lequel la cour administrative d'appel de Douai a rejeté son appel formé contre le jugement du 3 juillet 2015.

2. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 821-2 du code de justice administrative : " S'il prononce l'annulation d'une décision d'une juridiction administrative statuant en dernier ressort, le Conseil d'Etat peut (...) renvoyer l'affaire devant la même juridiction statuant, sauf impossibilité tenant à la nature de la juridiction, dans une autre formation (...) ". Il résulte de ces dispositions que la formation de jugement de la juridiction appelée à délibérer à nouveau sur une affaire à la suite d'une annulation par le Conseil d'Etat de la décision précédemment prise ne peut comprendre aucun magistrat ayant participé au délibéré de cette décision, sauf impossibilité structurelle pour cette juridiction de statuer dans une formation de jugement ne comprenant aucun membre ayant déjà participé au jugement de l'affaire.

3. Il ressort des mentions du jugement attaqué devant la cour administrative d'appel de Douai que la formation de jugement du tribunal administratif d'Amiens qui a délibéré à nouveau sur la demande de Mme A..., à la suite de la décision du Conseil d'Etat du 29 décembre 2014, comprenait un magistrat qui avait participé au délibéré du jugement du 4 juillet 2013, alors qu'il n'existait pas d'impossibilité structurelle de statuer sur l'affaire dans une autre formation de jugement. Par suite, Mme A... est fondée à soutenir que le jugement du 3 juillet 2015 a été rendu au terme d'une procédure irrégulière et qu'en s'abstenant de relever d'office ce moyen, qui est d'ordre public, la cour administrative d'appel de Douai a entaché son arrêt d'erreur de droit. Le motif retenu suffisant à entraîner l'annulation de cet arrêt, il n'est pas nécessaire d'examiner les autres moyens du pourvoi de Mme A....

4. Aux termes du second alinéa de l'article L. 821-2 du code de justice administrative : " Lorsque l'affaire fait l'objet d'un second pourvoi en cassation, le Conseil d'Etat statue définitivement sur cette affaire ". Il y a lieu, par suite, de régler l'affaire au fond.

5. Il résulte de ce qui est dit au point 3 que le jugement du tribunal administratif d'Amiens du 3 juillet 2015 est irrégulier et doit, par suite, être annulé, sans qu'il soit besoin d'examiner les moyens de la requête d'appel de Mme A.... Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par Mme A... devant le tribunal administratif d'Amiens.

6. Aux termes de l'article 39 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, dans sa rédaction alors en vigueur : " En vue de favoriser la promotion interne, les statuts particuliers fixent une proportion de postes susceptibles d'être proposés au personnel appartenant déjà à l'administration (...), non seulement par voie de concours, selon les modalités définies au 2° de l'article 36, mais aussi par la nomination de fonctionnaires (...), suivant l'une des modalités ci-après : (...) / 2° Inscription sur une liste d'aptitude établie après avis de la commission administrative paritaire compétente, par appréciation de la valeur professionnelle et des acquis de l'expérience professionnelle des agents. / (...) Sous réserve des dispositions de la deuxième phrase du premier alinéa de l'article 28, les listes d'aptitude sont établies par l'autorité territoriale pour les collectivités non affiliées à un centre et par le centre pour les fonctionnaires des cadres d'emploi, emplois ou corps relevant de sa compétence, sur proposition de l'autorité territoriale. / Le nombre d'agents inscrits sur une liste d'aptitude ne peut être supérieur au nombre d'emplois pouvant être effectivement pourvus. Les listes d'aptitude ont une valeur nationale ". Aux termes de l'article 3 du décret du 10 janvier 1995 portant statut particulier du cadre d'emplois des assistants territoriaux de conservation du patrimoine et des bibliothèques, alors en vigueur : " Le recrutement en qualité d'assistant territorial de conservation de 2e classe intervient après inscription sur les listes d'aptitude établies : / 1° En application des dispositions de l'article 36 de la loi du 26 janvier 1984 susvisée ; / 2° En application des dispositions du 2° de l'article 39 de ladite loi ". Aux termes de l'article 5 du même décret, alors en vigueur : " Peuvent être inscrits sur la liste d'aptitude prévue au 2° de l'article 3 ci-dessus, correspondant à la spécialité dans laquelle ils ont fait acte de candidature, les fonctionnaires territoriaux qui, âgés de quarante ans au moins, justifient de dix ans de services effectifs en position d'activité ou de détachement dans un emploi d'une collectivité territoriale, dont cinq au moins en qualité de fonctionnaire territorial d'un cadre d'emplois à caractère culturel ou d'un emploi de catégorie C de même nature (...) ". Enfin, aux termes de l'article 6 du même décret, alors en vigueur : " Les fonctionnaires territoriaux mentionnés à l'article 5 ci-dessus peuvent être recrutés en qualité d'assistants de conservation stagiaires à raison d'un recrutement au titre de la promotion interne pour trois recrutements intervenus dans la collectivité ou l'établissement ou l'ensemble des collectivités et établissements affiliés à un centre de gestion, de candidats admis à l'un des concours mentionnés à l'article 4 ou de fonctionnaires du cadre d'emplois, à l'exclusion des nominations intervenues à la suite d'une mutation à l'intérieur de la collectivité et des établissements en relevant ".

7. Le deuxième alinéa de l'article 6 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires dispose que : " Aucune distinction, directe ou indirecte, ne peut être faite entre les fonctionnaires en raison de leurs opinions (...) syndicales (...) ". Aux termes de l'article 1er de la loi du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations : " Constitue une discrimination directe la situation dans laquelle, sur le fondement de (...) ses convictions, (...) une personne est traitée de manière moins favorable qu'une autre ne l'est, ne l'a été ou ne l'aura été dans une situation comparable./ Constitue une discrimination indirecte une disposition, un critère ou une pratique neutre en apparence, mais susceptible d'entraîner, pour l'un des motifs mentionnés au premier alinéa, un désavantage particulier pour des personnes par rapport à d'autres personnes, à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un but légitime et que les moyens pour réaliser ce but ne soient nécessaires et appropriés (...) ". Enfin, aux termes de l'article 4 de cette même loi : " Toute personne qui s'estime victime d'une discrimination directe ou indirecte présente devant la juridiction compétente les faits qui permettent d'en présumer l'existence. Au vu de ces éléments, il appartient à la partie défenderesse de prouver que la mesure en cause est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination (...) ".

8. Il appartient au juge administratif, dans la conduite de la procédure inquisitoire, de demander aux parties de lui fournir tous les éléments d'appréciation de nature à établir sa conviction. Cette responsabilité doit, dès lors qu'il est soutenu qu'une mesure ou une pratique a pu être empreinte de discrimination, s'exercer en tenant compte des difficultés propres à l'administration de la preuve en ce domaine et des exigences qui s'attachent aux principes à valeur constitutionnelle des droits de la défense et de l'égalité de traitement des personnes. S'il appartient au requérant qui s'estime lésé par une telle mesure de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer une atteinte à ce dernier principe, il incombe au défendeur de produire tous ceux permettant d'établir que la décision attaquée repose sur des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. La conviction du juge se détermine au vu de ces échanges contradictoires. En cas de doute, il lui appartient de compléter ces échanges en ordonnant toute mesure d'instruction utile.

9. Il ressort des pièces du dossier que Mme A..., qui appartient au cadre d'emplois des adjoints territoriaux de conservation du patrimoine, relevant de la catégorie C, remplit depuis 1998 les conditions d'âge et de services effectifs auxquelles les dispositions, citées au point 6, de l'article 5 du décret du 10 janvier 1995 subordonnent l'inscription sur la liste d'aptitude permettant d'accéder par voie de promotion interne au cadre d'emplois des assistants territoriaux de conservation du patrimoine, relevant de la catégorie B. Alors que Mme A... a, chaque année depuis cette date, demandé à être inscrite sur cette liste d'aptitude, ses demandes ont été constamment rejetées par la communauté d'agglomération du Beauvaisis, en dernier lieu par la décision attaquée du 19 janvier 2011. Mme A..., qui est secrétaire générale du syndicat CGT des agents des collectivités territoriales du Beauvaisis, soutient que ces refus sont motivés par son engagement syndical et revêtent, par suite, un caractère discriminatoire.

10. Il ressort des pièces du dossier qu'en 2001 puis en 2007, deux collègues de Mme A..., adjoints territoriaux du patrimoine, ont été inscrits sur cette liste et promus, alors que leur ancienneté était moindre que celle de la requérante. Par ailleurs, Mme A..., qui a obtenu à plusieurs reprises un avis de son chef de service favorable à cette promotion, s'est vu confier, au sein de la médiathèque où elle exerçait, des missions de gestion des collections dévolues en principe aux assistants de conservation du patrimoine et des bibliothèques. En outre, par un jugement du 8 juillet 2008 devenu définitif, le tribunal administratif d'Amiens a annulé la décision du 15 juin 2007 par laquelle le directeur général des services de la communauté d'agglomération du Beauvaisis avait affecté Mme A... à l'une des annexes de la médiathèque, au motif que ce changement d'affectation présentait le caractère d'une sanction déguisée. Enfin, Mme A... a connu, pendant cette période, une progression de son avancement indiciaire moindre que celle de plusieurs de ses collègues. L'ensemble de ces éléments est susceptible de faire présumer que le refus de proposer l'inscription de Mme A... sur la liste d'aptitude est fondé sur une discrimination liée à l'engagement syndical de l'intéressée.

11. Il ressort toutefois également des pièces du dossier, notamment des éléments produits en défense par la communauté d'agglomération du Beauvaisis, que, compte tenu du faible effectif global des services culturels de cet établissement public, il n'a pu être procédé entre 1998 et 2011 qu'à deux intégrations, par voie de promotion interne, dans le cadre d'emplois des assistants territoriaux de conservation du patrimoine et des bibliothèques. En outre, s'ils disposaient d'une ancienneté un peu inférieure à celle de Mme A..., les agents ainsi promus en 2001 et en 2007 avaient obtenu une notation et une évaluation professionnelle plus favorables que celles de la requérante. Enfin, l'agent promu en 2001 avait notamment exercé l'intérim du poste de chef de la section jeunesse de la médiathèque. Dans ces conditions, et alors d'ailleurs que la communauté d'agglomération du Beauvaisis a, postérieurement à la décision attaquée, proposé au centre de gestion de la fonction publique territoriale de l'Oise d'inscrire sur la liste d'aptitude au titre de l'année 2011 un agent exerçant également des fonctions syndicales, l'administration justifie par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination à raison de l'engagement syndical de Mme A... sa décision de ne pas inscrire cette dernière sur la liste d'aptitude.

12. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur les fins de non-recevoir opposées par la communauté d'agglomération du Beauvaisis, que la requête de Mme A... doit être rejetée, y compris ses conclusions à fin d'injonction et ses conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme A... la somme demandée par la communauté d'agglomération du Beauvaisis au titre de ce même article.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Douai du 12 avril 2018 est annulé.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif d'Amiens du 3 juillet 2015 est annulé.

Article 3 : La demande de Mme A... devant le tribunal administratif d'Amiens et le surplus des conclusions de sa requête d'appel et de son pourvoi sont rejetés.

Article 4 : Les conclusions de la communauté d'agglomération du Beauvaisis présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à Mme B... A... et à la communauté d'agglomération du Beauvaisis.


Synthèse
Formation : 4ème - 1ère chambres réunies
Numéro d'arrêt : 422294
Date de la décision : 29/05/2020
Type d'affaire : Administrative

Publications
Proposition de citation : CE, 29 mai. 2020, n° 422294
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Eric Thiers
Rapporteur public ?: M. Frédéric Dieu
Avocat(s) : SCP THOUVENIN, COUDRAY, GREVY ; SCP GASCHIGNARD

Origine de la décision
Date de l'import : 02/06/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2020:422294.20200529
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