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02/12/2019 | FRANCE | N°400837

France | France, Conseil d'État, 3ème - 8ème chambres réunies, 02 décembre 2019, 400837


Vu la procédure suivante :

Par une décision du 20 février 2018, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux sur le pourvoi présenté par la société Regards Photographiques tendant à l'annulation de l'arrêt n° 15NT00073 du 21 avril 2016 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes a confirmé le jugement du tribunal administratif d'Orléans rejetant sa demande tendant à la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période du 1er février 2009 au 31 janvier 2012 ainsi que des pénalités correspondantes, a sursis à statuer jusqu

'à ce que la Cour de justice de l'Union européenne se soit prononcée sur l...

Vu la procédure suivante :

Par une décision du 20 février 2018, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux sur le pourvoi présenté par la société Regards Photographiques tendant à l'annulation de l'arrêt n° 15NT00073 du 21 avril 2016 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes a confirmé le jugement du tribunal administratif d'Orléans rejetant sa demande tendant à la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période du 1er février 2009 au 31 janvier 2012 ainsi que des pénalités correspondantes, a sursis à statuer jusqu'à ce que la Cour de justice de l'Union européenne se soit prononcée sur les questions suivantes :

1°) Les dispositions des articles 103 et 311 de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 ainsi que du point 7 de la partie A de son annexe IX doivent-elles être interprétées en ce sens qu'elles imposent seulement que des photographies soient prises par leur auteur, tirées par lui ou sous son contrôle, signées et numérotées dans la limite de trente exemplaires, tous formats et supports confondus, pour pouvoir bénéficier du taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée '

2°) En cas de réponse positive à cette question, est-il néanmoins permis aux Etats membres d'exclure du bénéfice du taux réduit de la taxe sur la valeur ajoutée des photographies qui n'ont, en outre, pas de caractère artistique '

3°) En cas de réponse négative à la première question, à quelles autres conditions doivent répondre des photographies pour pouvoir bénéficier du taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée ' Notamment, doivent-elles présenter un caractère artistique '

4°) Ces conditions doivent être interprétées de manière uniforme au sein de l'Union européenne ou renvoient au droit de chaque Etat membre, notamment en matière de propriété intellectuelle '

Vu l'arrêt n° C-145/18 du 5 septembre 2019 par lequel la Cour de justice de l'Union européenne s'est prononcée sur ces questions ;

Vu le mémoire, enregistré le 25 octobre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, par lequel la société Regards photographiques demande au Conseil d'Etat :

- d'annuler l'arrêt de la cour administrative de Nantes ;

- réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

- de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier, y compris celles visées par la décision du 20 mai 2016 du Conseil d'Etat, statuant au contentieux ;

Vu :

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, notamment son article 267 ;

- la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 ;

- le code général des impôts ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Déborah Coricon, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la société Regards Photographiques ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à la suite d'une vérification de comptabilité de la société à responsabilité limitée (SARL) Regards Photographiques, qui a pour activité la réalisation et la vente de photographies, l'administration a remis en cause le taux réduit de TVA que cette société avait appliqué à la livraison de certaines photographies au titre de la période du 1er février 2009 au 31 janvier 2012. Par un jugement du 12 novembre 2014, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté la demande de la société tendant à la décharge des rappels de TVA mis à sa charge ainsi que des pénalités correspondantes. La société se pourvoit contre l'arrêt du 21 avril 2016 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté l'appel qu'elle avait formé contre ce jugement.

2. Aux termes, d'une part, de l'article 103 de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée : " 1. Les États membres peuvent prévoir que le taux réduit, ou l'un des taux réduits, qu'ils appliquent conformément aux articles 98 et 99 s'applique également aux importations d'objets d'art, de collection ou d'antiquité tels que définis à l'article 311, paragraphe 1, points 2), 3) et 4). / 2. Lorsqu'ils font usage de la faculté prévue au paragraphe 1, les États membres peuvent également appliquer le taux réduit aux livraisons suivantes : / a) les livraisons d'objets d'art effectuées par leur auteur ou par ses ayants droit / (...) ". Aux termes de l'article 311 de la même directive : " 1. Aux fins du présent chapitre, et sans préjudice d'autres dispositions communautaires, sont considérés comme : / (...) 2°) " objets d'art ", les biens figurant à l'annexe IX, partie A " / (...) 2. Les États membres peuvent ne pas considérer comme objets d'art, les objets figurant à l'annexe IX, partie A, points 5), 6) et 7) ". Aux termes du point 7 de la partie A de l'annexe IX à cette directive, constituent notamment des objets d'art les " photographies prises par l'artiste, tirées par lui ou sous son contrôle, signées et numérotées dans la limite de trente exemplaires, tous formats et supports confondus ".

3. Dans l'arrêt du 5 septembre 2019 par lequel elle s'est prononcée sur les questions dont le Conseil d'Etat, statuant au contentieux l'avait saisie à titre préjudiciel, la Cour de justice de l'Union européenne a jugé aux points 29 et 31, qu'en se référant aux termes " auteur " et " artiste ", les dispositions précitées de l'article 103 et du point 7 de la partie A de l'annexe IX visent la même personne, à savoir la personne qui a la qualité d'auteur d'une photographie remplissant les conditions explicitement prévues à ce point 7 et que, par suite, il ne saurait être déduit de l'emploi du terme " artiste " figurant au point 7 précité, que, au-delà des conditions que ce point énumère, une photographie devrait également présenter un caractère artistique aux fins de pouvoir bénéficier du taux réduit au titre de l'article 103, paragraphe 2, sous a).

4. En vertu, d'autre part, des dispositions du 2° de l'article 278 septies du code général des impôts, aujourd'hui reprises au 3° du I de l'article 278-0 bis du même code et transposant les dispositions citées au point 2, les livraisons d'oeuvres d'art effectuées par leur auteur ou ses ayants droit sont imposables au taux réduit de la taxe sur la valeur ajoutée. Aux termes de l'article 98 A de l'annexe III au même code : " (...) / II. Sont considérées comme oeuvres d'art les réalisations ci-après : / (...) 7° Photographies prises par l'artiste, tirées par lui ou sous son contrôle, signées et numérotées dans la limite de trente exemplaires, tous formats et supports confondus (...) ". La notion de photographies, qui est prévue par ces dispositions, est reprise de celle qui figure dans la directive 2006/112/CE et doit, dès lors, être interprétée comme indiqué au point 3.

5. Par suite, en écartant l'application du taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée à certaines photographies de la requérante, au motif, inspiré de l'instruction administrative référencée BOI 3 C-3-03 du 25 juin 2003, que les portraits et photographies de mariage ne présentaient pas un caractère d'originalité et ne manifestaient pas une intention créatrice susceptibles de les faire regarder, ne serait-ce qu'en partie, comme des photographies prises par un artiste, la cour a commis une erreur de droit.

6. Il résulte de ce qui précède que la société Regards Photographiques est fondée, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen du pourvoi, à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à la société Regards Photographiques au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes du 21 avril 2016 est annulé.

Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Nantes.

Article 3 : L'Etat versera à la société Regards Photographiques la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Regards Photographiques et au ministre de l'action et des comptes publics.


Synthèse
Formation : 3ème - 8ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 400837
Date de la décision : 02/12/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES ET UNION EUROPÉENNE - RÈGLES APPLICABLES - FISCALITÉ - TAXE SUR LA VALEUR AJOUTÉE - TAUX RÉDUIT DE TVA APPLICABLE AUX LIVRAISONS D'ŒUVRES D'ART (ART - 103 DE LA DIRECTIVE 2006/112/ CE) - NOTION D'ŒUVRE D'ART - INCLUSION - PHOTOGRAPHIES REMPLISSANT LES CONDITIONS LÉGALES - SANS QU'AIT D'INCIDENCE LA CIRCONSTANCE QUE CES PHOTOGRAPHIES NE PRÉSENTENT PAS UN CARACTÈRE ARTISTIQUE.

15-05-11-01 Dans l'arrêt du 5 septembre 2019 (aff. C-145/18) par lequel elle s'est prononcée sur les questions dont le Conseil d'Etat, statuant au contentieux l'avait saisie à titre préjudiciel, la Cour de justice de l'Union européenne a jugé aux points 29 et 31 qu'en se référant aux termes auteur et artiste, l'article 103 de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 et le point 7 de la partie A de son annexe IX visent la même personne, à savoir la personne qui a la qualité d'auteur d'une photographie remplissant les conditions explicitement prévues à ce point 7 et que, par suite, il ne saurait être déduit de l'emploi du terme artiste figurant au point 7, que, au-delà des conditions que ce point énumère, une photographie devrait également présenter un caractère artistique aux fins de pouvoir bénéficier du taux réduit au titre de l'article 103, paragraphe 2, sous a).,,,En vertu du 2° de l'article 278 septies du code général des impôts (CGI), aujourd'hui repris au 3° du I de l'article 278-0 bis du même code et transposant les dispositions mentionnées au point précédent, les livraisons d'oeuvres d'art effectuées par leur auteur ou ses ayants droit sont imposables au taux réduit de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA). La notion de photographie, qui figure dans la liste des réalisations considérées comme des oeuvres d'art prévue par l'article 98 A de l'annexe III au même code, est reprise de celle qui figure dans la directive 2006/112/CE et doit, dès lors, être interprétée comme indiqué au point précédent.,,,Commet, par suite, une erreur de droit la cour qui se fonde, pour écarter l'application du taux réduit de TVA à certaines photographies de la société requérante, sur la circonstance que les portraits et photographies de mariage ne présentaient pas un caractère d'originalité et ne manifestaient pas une intention créatrice susceptibles de les faire regarder, ne serait-ce qu'en partie, comme des photographies prises par un artiste.

CONTRIBUTIONS ET TAXES - TAXES SUR LE CHIFFRE D'AFFAIRES ET ASSIMILÉES - TAXE SUR LA VALEUR AJOUTÉE - CALCUL DE LA TAXE - TAUX - TAUX RÉDUIT DE TVA APPLICABLE AUX LIVRAISONS D'ŒUVRES D'ART - NOTION D'ŒUVRE D'ART - INCLUSION - PHOTOGRAPHIES REMPLISSANT LES CONDITIONS LÉGALES (ART - 98 A DE L'ANNEXE III AU CGI) - SANS QU'AIT D'INCIDENCE LA CIRCONSTANCE QUE CES PHOTOGRAPHIES NE PRÉSENTENT PAS UN CARACTÈRE ARTISTIQUE.

19-06-02-09-01 Dans l'arrêt du 5 septembre 2019 (aff. C-145/18) par lequel elle s'est prononcée sur les questions dont le Conseil d'Etat, statuant au contentieux l'avait saisie à titre préjudiciel, la Cour de justice de l'Union européenne a jugé aux points 29 et 31 qu'en se référant aux termes auteur et artiste, l'article 103 de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 et le point 7 de la partie A de son annexe IX visent la même personne, à savoir la personne qui a la qualité d'auteur d'une photographie remplissant les conditions explicitement prévues à ce point 7 et que, par suite, il ne saurait être déduit de l'emploi du terme artiste figurant au point 7, que, au-delà des conditions que ce point énumère, une photographie devrait également présenter un caractère artistique aux fins de pouvoir bénéficier du taux réduit au titre de l'article 103, paragraphe 2, sous a).,,,En vertu du 2° de l'article 278 septies du code général des impôts (CGI), aujourd'hui repris au 3° du I de l'article 278-0 bis du même code et transposant les dispositions mentionnées au point précédent, les livraisons d'oeuvres d'art effectuées par leur auteur ou ses ayants droit sont imposables au taux réduit de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA). La notion de photographie, qui figure dans la liste des réalisations considérées comme des oeuvres d'art prévue par l'article 98 A de l'annexe III au même code, est reprise de celle qui figure dans la directive 2006/112/CE et doit, dès lors, être interprétée comme indiqué au point précédent.,,,Commet, par suite, une erreur de droit la cour qui se fonde, pour écarter l'application du taux réduit de TVA à certaines photographies de la société requérante, sur la circonstance que les portraits et photographies de mariage ne présentaient pas un caractère d'originalité et ne manifestaient pas une intention créatrice susceptibles de les faire regarder, ne serait-ce qu'en partie, comme des photographies prises par un artiste.


Publications
Proposition de citation : CE, 02 déc. 2019, n° 400837
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Déborah Coricon
Rapporteur public ?: Mme Marie-Gabrielle Merloz
Avocat(s) : SCP PIWNICA, MOLINIE

Origine de la décision
Date de l'import : 18/12/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2019:400837.20191202
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