Vu la procédure suivante :
M. D... A... et Mme C... B..., épouse A..., ont demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner le centre hospitalier intercommunal du Bassin de Thau et le centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Montpellier à leur verser, respectivement, les sommes de 20 000 euros et 30 000 euros à titre provisionnel en réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis du fait du décès in utero de leur enfant et d'ordonner une expertise. Par un jugement n° 1501150 du 28 octobre 2016, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté leur demande.
Par un arrêt n° 16MA05007 du 28 juin 2018, la cour administrative d'appel de Marseille a annulé ce jugement en tant qu'il mettait une somme à la charge de M. et Mme A... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et rejeté le surplus de leurs conclusions.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 27 août et 27 novembre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. et Mme A... demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) de mettre à la charge du centre hospitalier du Bassin de Thau et du CHRU de Montpellier, solidairement, la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Jean-Dominique Langlais, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Nicolas Polge, rapporteur public.
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Rousseau, Tapie, avocat de M. et Mme A... et à Me Le Prado, avocat du centre hospitalier du Bassin de Thau et du centre hospitalier régional de Montpellier.
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme A... a confié, en février 2009, le suivi de sa grossesse au centre hospitalier intercommunal (CHI) du Bassin de Thau, puis a été suivie, à partir du 28 juin 2009, au centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Montpellier, où la mort in utero du foetus a été constatée le 8 juillet 2009. Par une ordonnance du 25 juillet 2011, le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier a, à la demande de M. et Mme A..., désigné le Dr Belaiche comme expert appelé à se prononcer sur la conformité aux règles de l'art de la prise en charge de Mme A... dans ces deux établissements. Au cours des opérations d'expertise, M. et Mme A... ont demandé la récusation de l'expert au tribunal administratif de Montpellier, qui a rejeté leur demande par un jugement du 3 avril 2012.
2. Au vu du rapport d'expertise déposé le 23 novembre 2011, qui concluait que la prise en charge de Mme A... avait été conforme aux règles de l'art, le tribunal administratif de Montpellier a, par un jugement du 28 octobre 2016, rejeté la demande de M. et Mme A... tendant à ce que le CHI du Bassin de Thau et le CHRU de Montpellier soient condamnés à leur verser une provision à valoir sur l'indemnisation des préjudices résultant pour eux du décès de leur enfant. M. et Mme A... se pourvoient en cassation contre l'arrêt du 28 juin 2018 de la cour administrative d'appel de Marseille, en tant qu'il rejette leur appel formé contre ce jugement.
Sur la recevabilité du moyen tiré de l'absence d'impartialité de l'expert :
3. Aux termes de l'article R. 621-6 du code de justice administrative : " Les experts ou sapiteurs mentionnés à l'article R. 621-2 peuvent être récusés pour les mêmes causes que les juges. (...) La partie qui entend récuser l'expert ou le sapiteur doit le faire avant le début des opérations ou dès la révélation de la cause de la récusation. (...)". Aux termes de l'article R. 621-6-4 : " Si l'expert acquiesce à la demande de récusation, il est aussitôt remplacé. / Dans le cas contraire, la juridiction, par une décision non motivée, se prononce sur la demande, après audience publique dont l'expert et les parties sont avertis. / Sauf si l'expertise a été ordonnée sur le fondement du titre III du livre V, cette décision ne peut être contestée devant le juge d'appel ou de cassation qu'avec le jugement ou l'arrêt rendu ultérieurement (...) ".
4. La désignation de l'expert ayant été ordonnée, par le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier, sur le fondement du titre III du livre V du code de justice administrative, le jugement du 3 avril 2012 rejetant la demande de récusation pouvait faire l'objet d'un appel des requérants, indépendamment de l'appel formé par eux contre le jugement du 28 octobre 2016. En l'absence d'appel, ce jugement du 3 avril 2012 est devenu définitif. Toutefois, cette circonstance ne faisait pas obstacle, contrairement à ce qui est soutenu en défense devant le Conseil d'Etat, à ce que M. A... et Mme B..., épouse A..., soulèvent, devant les juges du fond saisis du litige indemnitaire, un moyen tiré de l'absence d'impartialité de l'expert.
Sur l'impartialité de l'expert :
5. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le Dr Belaiche, qui exerçait des responsabilités au sein de la principale organisation syndicale française de gynécologues-obstétriciens, avait, d'une part, pris parti, peu de temps avant la réalisation de l'expertise litigieuse et de manière publique, en expliquant qu'il était selon lui nécessaire que les gynécologues-obstétriciens soient mieux défendus devant les juridictions, d'autre part, mis en place, au sein de l'Union professionnelle internationale des gynécologues-obstétriciens, une commission dont il assurait la direction et qui était notamment chargée d'aider les gynécologues-obstétriciens à faire réaliser des expertises aux fins d'assurer leur défense devant les juridictions saisies de litiges indemnitaires dirigés contre eux. Si l'exercice de responsabilités au sein d'organisations syndicales ou professionnelles de médecins n'est pas, par elle-même, de nature à faire obstacle à la réalisation d'une mission d'expertise, la cour administrative d'appel a inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis en jugeant que, dans les circonstances de l'espèce, M. et Mme A... n'étaient pas fondés à mettre en cause l'impartialité du Dr Belaiche. Son arrêt doit, par suite, être annulé.
6. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. et Mme A..., qui ne sont pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que demandent à ce titre le CHI du Bassin de Thau et le CHRU de Montpellier. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du CHI du Bassin de Thau et du CHRU de Montpellier la somme de 3 000 euros à verser solidairement à M. et Mme A... au titre des mêmes dispositions.
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 28 juin 2018 de la cour administrative d'appel de Marseille est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Marseille.
Article 3 : Le CHI du Bassin de Thau et le CHRU de Montpellier verseront, solidairement, la somme de 3 000 euros à M. et Mme A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. D... A..., à Mme C... A..., au centre hospitalier intercommunal du Bassin de Thau et au centre hospitalier régional universitaire de Montpellier.