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01/07/2019 | FRANCE | N°416268

France | France, Conseil d'État, 3ème chambre, 01 juillet 2019, 416268


Vu la procédure suivante :

Mme A...B...a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand de condamner l'Etat à lui verser les sommes de 500 000 euros au titre de ses préjudices professionnel et financier et de 40 000 euros au titre de son préjudice moral.

Par un jugement n° 1402086 du 17 décembre 2015, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 16LY00624 du 5 octobre 2017, la cour administrative d'appel de Lyon a annulé ce jugement et a condamné l'Etat à verser à Mme B...une somme de 15 000 euros en réparation d

es préjudices subis.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enre...

Vu la procédure suivante :

Mme A...B...a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand de condamner l'Etat à lui verser les sommes de 500 000 euros au titre de ses préjudices professionnel et financier et de 40 000 euros au titre de son préjudice moral.

Par un jugement n° 1402086 du 17 décembre 2015, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 16LY00624 du 5 octobre 2017, la cour administrative d'appel de Lyon a annulé ce jugement et a condamné l'Etat à verser à Mme B...une somme de 15 000 euros en réparation des préjudices subis.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 5 décembre 2017 et 5 mars 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme B...demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt en tant qu'il limite, par son article 2, à 15 000 euros la réparation des préjudices subis ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire entièrement droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'éducation ;

- le décret n° 95-979 du 25 août 1995 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Déborah Coricon, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Laurent Cytermann, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Rousseau, Tapie, avocat de Mme B...;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme A...B...a été recrutée par contrat à durée indéterminée, à compter du 1er septembre 2009, en qualité de maître délégué de l'enseignement privé sous contrat par le recteur de l'académie de Clermont-Ferrand. Ayant été placée en congé de maladie à compter du 22 février 2011 et reconnue travailleur handicapée le 14 avril 2011 par la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées de l'Allier, Mme B...a sollicité le bénéfice des dispositions de l'article 27 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat. Par un contrat d'un an daté du 14 décembre 2011 avec effet au 1er septembre 2011, Mme B...a été recrutée, sur le fondement de l'article R. 914-33 du code de l'éducation, en qualité de maître de l'enseignement privé sous contrat. Par un arrêté du 1er septembre 2012, le recteur de l'académie de Clermont-Ferrand a renouvelé la période de stage de Mme B...pour une durée d'un an, alors que celle-ci était toujours en situation de congé longue maladie. Le recteur n'ayant pas renouvelé cette relation contractuelle à l'échéance du 31 août 2013, Mme B... a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand de condamner l'État à lui verser les sommes de 500 000 euros en réparation des préjudices professionnel et financier qu'elle aurait subis et de 40 000 euros en raison de son préjudice moral. Par un jugement du 17 décembre 2015, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande. Mme B... se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 5 octobre 2017 par lequel la cour administrative d'appel de Lyon, après avoir annulé ce jugement, a condamné, par son article 2, l'Etat à lui verser une somme de 15 000 euros en réparation des préjudices subis. Par la voie du pourvoi incident, le ministre de l'Education nationale et de la jeunesse demande l'annulation du même arrêt en tant qu'il annule le jugement du tribunal administratif de Clermont-Ferrand et condamne l'Etat à verser la somme de 15 000 euros à MmeB....

Sur l'existence d'une faute à raison de la rupture d'un contrat définitif :

2. Aux termes de l'article R. 914-32 du code de l'éducation, applicable au recrutement de maîtres de l'enseignement privé sous contrat dans le second degré : " Sous réserve des dispositions prévues à l'alinéa suivant, les candidats admis qui remplissent les conditions exigées pour la nomination des lauréats des concours correspondants de l'enseignement public accomplissent un stage d'une durée d'un an (...) ". Aux termes du premier alinéa de l'article R. 914-33 du même code : " L'année de stage prévue à l'article R. 914-32 donne lieu à un contrat provisoire signé par le recteur ". Les articles R. 914-34 et R. 914-35 du même code, dans leur rédaction applicable au litige, disposent qu'à l'issue du stage, les candidats peuvent se voir délivrer, sur proposition du jury, un contrat définitif par le recteur ou être autorisés, sur proposition du jury et par décision du recteur, à suivre une seconde année de stage. Il résulte de l'ensemble de ces dispositions qu'un contrat définitif de maître de l'enseignement privé dans le second degré ne peut être conclu qu'à l'issue d'une période probatoire de formation.

3. En relevant, pour en déduire que, quand bien même ses bulletins de salaire mentionnaient de manière erronée qu'elle avait un contrat définitif, le recteur de Clermont-Ferrand n'avait pas pu conclure avec Mme B...un tel contrat, dont la décision contestée aurait constitué une rupture fautive, d'une part que l'intéressée avait été recrutée sur le fondement de l'article R. 914-33 du code de l'éducation par contrat d'enseignement provisoire daté du 14 décembre 2011, renouvelé pour une nouvelle période annuelle du 1er septembre 2012 au 31 août 2013 par arrêté du recteur de l'académie de Clermont-Ferrand du 1er septembre 2012, et d'autre part qu'il ne résultait pas de l'instruction que Mme B...avait pu suivre ou avait été dispensée de la période probatoire de formation, la cour a porté sur les faits dont elle était saisie une appréciation souveraine non entachée de dénaturation.

4. Il résulte de ce qui précède que Mme B...n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt attaqué en tant qu'il rejette sa demande d'indemnisation à raison d'une faute qu'aurait commise l'administration en mettant un terme à un contrat définitif.

Sur l'existence d'une faute à raison du refus de permettre à Mme B...d'accomplir, à l'issue de ses congés de longue maladie, le stage requis pour obtenir un contrat définitif :

5. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme B...a soutenu devant les juges d'appel qu'elle avait été privée de la possibilité d'effectuer le stage exigé par les dispositions du code de l'éducation précitées du fait de son congé maladie, alors qu'elle avait soutenu devant les juges de première instance qu'elle devait être dispensée de ce stage et bénéficier d'un contrat définitif. L'argumentation d'appel relève, toutefois, de la même cause juridique que celle de première instance dès lors que toutes deux mettent en cause la responsabilité pour faute de l'administration. Par suite, et contrairement à ce que soutient le ministre de l'éducation nationale, la cour n'a pas commis d'erreur de droit en estimant que l'argumentation dont elle était saisie, bien que nouvelle en appel, était recevable.

6. En deuxième lieu, aux termes du dernier alinéa de l'article R. 914-33 du code de l'éducation : " Les maîtres ayant obtenu un contrat provisoire bénéficient des dispositions du décret n° 94-874 du 7 octobre 1994 fixant les dispositions communes applicables aux stagiaires de l'Etat et de ses établissements publics, à l'exception de celles relatives au détachement et à la discipline ". Aux termes de l'article 27 du décret du 7 octobre 1994 fixant les dispositions communes applicables aux stagiaires de l'Etat et de ses établissements publics : " Quand, du fait des congés successifs de toute nature, autres que le congé annuel, le stage a été interrompu pendant au moins trois ans, l'intéressé doit, à l'issue du dernier congé, recommencer la totalité du stage qui est prévu par le statut particulier en vigueur. / Si l'interruption a duré moins de trois ans, l'intéressé ne peut être titularisé avant d'avoir accompli la période complémentaire de stage qui est nécessaire pour atteindre la durée normale du stage prévu par le statut particulier en vigueur ".

7. Les dispositions citées au point 9 ont pour objet de prendre en compte les périodes de congés, autre que le congé annuel, intervenues pendant la période de stage. Il n'en résulte pas qu'elles feraient obstacle à la prise en compte d'une période de congé intervenant dès le début du stage ou au renouvellement de périodes de congés au cours de celui-ci. Il s'ensuit qu'en jugeant que l'administration a commis une faute de nature à engager sa responsabilité en ne permettant pas à MmeB..., à l'issue de ses congés de longue maladie, d'accomplir effectivement son stage, alors même qu'elle était placée en congé longue maladie dès le 1er septembre 2011, date de début de son contrat provisoire de maître de l'enseignement privé dans le second degré, la cour n'a pas commis d'erreur de droit.

8. Il résulte des points 5 à 6 ci-dessus que le ministre de l'éducation nationale n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêt attaqué en tant qu'il statue sur l'existence d'une faute à raison du refus de l'administration de permettre à Mme B...d'accomplir, à l'issue de ses congés de longue maladie, le stage requis pour obtenir un contrat définitif.

Sur l'existence d'une faute à raison de la communication d'informations erronées à MmeB... :

9. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond, d'une part, que les bulletins de paie de Mme B...portaient la mention, durant la période litigieuse, " contrat définitif " et que ce n'est que par courriel du 1er mars 2013 que l'administration l'a informée de ce que les stagiaires bénéficiaires de l'obligation d'emploi devaient être considérés comme des agents non-titulaires, d'autre part, que le contrat d'enseignement provisoire pour la période du 1er septembre 2011 au 31 août 2012 et l'arrêté de renouvellement de stage pour la période du 1er septembre 2012 au 31 août 2013 n'ont été transmis à Mme B...que par bordereau du 28 février 2013. Par suite, en jugeant que les erreurs matérielles que l'administration a pu commettre en délivrant des informations erronées à Mme B...ne constituaient pas des fautes de nature à engager la responsabilité de l'Etat au motif que l'hypothèse d'un contrat définitif était contredite par la réalité des liens unissant Mme B...à son employeur, alors que les informations dont disposait avant 2013 MmeB..., qui avait été placée durant cette période en congé de longue maladie, avaient pu l'induire en erreur sur sa situation administrative, la cour a inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis.

10. Il résulte de ce qui précède que Mme B...est fondée à demander l'annulation de l'arrêt attaqué en tant qu'il écarte l'existence d'une faute de l'administration à raison de la communication qui lui a été faite par cette dernière d'informations erronées.

Sur l'existence d'une faute à raison d'une discrimination à l'encontre de Mme B... :

11. Il ressort des pièces du dossier soumis à la cour administrative d'appel de Lyon que Mme B...soutenait notamment que les agissements du rectorat étaient constitutifs d'une discrimination à son égard. En ne se prononçant pas sur ce moyen, qui n'était pas inopérant, la cour a entaché son arrêt d'une insuffisance de motivation.

12. Il résulte de ce qui précède que Mme B...est fondée à demander l'annulation de l'arrêt attaqué en tant qu'il omet de statuer sur l'existence d'une faute à raison de la discrimination qu'elle invoque.

Sur l'évaluation du préjudice subi par MmeB... :

13. Pour évaluer globalement le montant de l'indemnité accordée à Mme B... à 15 000 euros, en réparation de la faute qu'a commise l'administration en ne lui permettant pas, à l'issue de ses congés de longue maladie, d'accomplir effectivement son stage, la cour s'est bornée à mentionner les " seuls chefs de préjudice qui présentent un lien direct de causalité avec cette faute ". En statuant ainsi, sans caractériser la nature des préjudices qu'elle entendait indemniser, la cour n'a pas suffisamment motivé son arrêt.

14. Il résulte de ce qui précède, ainsi que de ce qui a été jugé aux points 10 et 12 ci-dessus, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi de MmeB..., que celle-ci et le ministre de l'éducation nationale sont fondés à demander l'annulation de l'arrêt attaqué en tant qu'il fixe à 15 000 euros le montant du préjudice subi par MmeB....

Sur les conclusions de Mme B...présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

15. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Mme B...d'une somme globale de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêt n° 16LY00624 de la cour administrative de Lyon du 5 octobre 2017 est annulé dans la mesure précisée aux points 10, 12 et 14 de la présente décision et en tant qu'il fixe, par son article 2, à 15 000 euros le montant de la réparation accordée.

Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans cette mesure, à la cour administrative d'appel de Lyon.

Article 3 : L'Etat versera à Mme B...une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions du pourvoi de Mme B...et du pourvoi incident du ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse est rejeté.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à Mme A...B...et au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse.


Synthèse
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 416268
Date de la décision : 01/07/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 01 jui. 2019, n° 416268
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Déborah Coricon
Rapporteur public ?: M. Laurent Cytermann
Avocat(s) : SCP ROUSSEAU, TAPIE

Origine de la décision
Date de l'import : 16/07/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2019:416268.20190701
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