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28/03/2019 | FRANCE | N°419053

France | France, Conseil d'État, 5ème et 6ème chambres réunies, 28 mars 2019, 419053


Vu la procédure suivante :

Les consorts B...ont demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner le centre hospitalier de Chambéry à verser à M. A...B...la somme de 2 154 054,77 euros, outre une rente trimestrielle de 15 530 euros, à Mme C...B...et M. D... B...la somme de 55 000 euros chacun, et à Mme C...B...la somme de 25 000 euros, en réparation des préjudices résultant du handicap dont M. A...B...est atteint depuis sa naissance dans cet établissement. Par un jugement n° 1403406 du 21 juin 2016, le tribunal administratif a condamné le centre hospitalier de Cham

béry, d'une part, à verser à M. A...B...une somme de 795 389 euros...

Vu la procédure suivante :

Les consorts B...ont demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner le centre hospitalier de Chambéry à verser à M. A...B...la somme de 2 154 054,77 euros, outre une rente trimestrielle de 15 530 euros, à Mme C...B...et M. D... B...la somme de 55 000 euros chacun, et à Mme C...B...la somme de 25 000 euros, en réparation des préjudices résultant du handicap dont M. A...B...est atteint depuis sa naissance dans cet établissement. Par un jugement n° 1403406 du 21 juin 2016, le tribunal administratif a condamné le centre hospitalier de Chambéry, d'une part, à verser à M. A...B...une somme de 795 389 euros et, à partir du 7 juillet 2008, une rente trimestrielle calculée, en retenant 103 jours par trimestre, sur la base d'une assistance de cinq heures par jour au taux horaire de 15 euros sous déduction, le cas échéant, des sommes perçues au titre de la prestation de compensation du handicap et, d'autre part, à rembourser à M. A...B..., dans la limite annuelle de 1 490 euros, les frais futurs non pris en charge par sa caisse de sécurité sociale et sa mutuelle correspondant à deux séances de kinésithérapie par semaine, au changement de semelles orthopédiques tous les deux ans, à un contrôle ophtalmique tous les deux ans et à l'acquisition de lunettes tous les deux ans.

Par un arrêt n° 16LY02838,16LY02888 du 18 janvier 2018, la cour administrative d'appel de Lyon a, sur appels des consorts B...et du centre hospitalier de Chambéry, annulé ce jugement en tant qu'il refusait d'ordonner une expertise médicale et en tant qu'il rejetait la demande d'indemnisation des préjudices à caractère personnel subis par les époux B...postérieurement au 31 décembre 2013 et diligenté avant-dire droit une expertise.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 16 mars et 18 juin 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A...B..., Mme C... B...et M. D...B...demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt en tant qu'il leur fait grief ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à leur appel et de rejeter l'appel du centre hospitalier ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Chambéry la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Florian Roussel, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Nicolas Polge, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, avocat des consorts B...et à Me Le Prado, avocat du centre hospitalier métropole Savoie.

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que Mme C...B...a accouché le 19 novembre 1986 au centre hospitalier de Chambéry du jeune A...B.... Ce dernier est atteint, depuis sa naissance, d'une infirmité motrice cérébrale se traduisant notamment par une cécité d'origine corticale. Par un jugement du 31 décembre 1993, devenu définitif, le tribunal administratif de Grenoble a, après avoir diligenté une expertise, retenu que le centre hospitalier de Chambéry avait commis des fautes pendant la prise en charge de Mme B...lors de l'accouchement et condamné l'établissement à verser aux épouxB..., en leur qualité de représentants légaux deA..., une rente annuelle de 150 000 francs jusqu'à la consolidation de son état de santé. Le tribunal a, en outre, condamné le centre hospitalier de Chambéry à verser aux époux B...une somme globale de 80 000 francs en réparation de leurs préjudices personnels. Après la consolidation de l'état de santé de M. A...B..., acquise en 2008, ses parents et lui-même ont demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner le centre hospitalier de Chambéry à les indemniser de leurs préjudices définitifs. Par jugement du 21 juin 2016, le tribunal administratif a condamné le centre hospitalier de Chambéry à verser à M. A...B...une somme de 795 389 euros, une rente trimestrielle, et à lui rembourser les dépenses de santé futures non prises en charge par sa caisse de sécurité sociale et sa mutuelle. Il a, en revanche, rejeté les conclusions indemnitaires présentées par ses parents. Par un arrêt du 18 janvier 2018, la cour administrative d'appel de Lyon, saisie par chacune des parties, a annulé ce jugement en tant qu'il refusait d'ordonner une expertise médicale et en tant qu'il rejetait la demande d'indemnisation des préjudices à caractère personnel subis par les époux B...postérieurement au 31 décembre 2013 et diligenté avant-dire droit une expertise afin, notamment, d'une part, de déterminer l'ampleur de la chance perdue par M. A... B...d'échapper au handicap dont il est atteint et, d'autre part, dans l'hypothèse où plusieurs causes seraient à l'origine des séquelles dont demeure atteint l'intéressé, de faire le partage entre chacune de ces causes et d'indiquer leur part dans sa survenue. Eu égard aux moyens soulevés, le pourvoi des consorts B...doit être regardé comme tendant à ce que l'arrêt soit annulé en tant qu'il confie ces deux missions à l'expert.

2. Dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou le traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter la survenue de ce dommage. La réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue.

3. Dans son jugement du 31 décembre 1993 devenu définitif, le tribunal a retenu que les fautes commises par l'équipe médicale du centre hospitalier de Chambéry dans la prise en charge de A...B...étaient " la cause directe " des importantes séquelles conservées par ce dernier. Le tribunal doit ainsi être regardé comme ayant exclu que ces fautes n'aient eu pour conséquence que de compromettre les chances de l'intéressé de se soustraire au dommage qui s'est réalisé. Il suit de là qu'en ordonnant une expertise aux fins, d'une part, de déterminer l'ampleur de la chance perdue par M. A...B...d'échapper au handicap dont il est atteint et d'identifier les différentes causes à l'origine du dommage et, d'autre part, dans l'hypothèse où plusieurs causes seraient à l'origine des séquelles dont demeure atteint l'intéressé, de faire le partage entre chacune de ces causes et d'indiquer leur part dans sa survenue, la cour a méconnu l'autorité de chose jugée dont le jugement du 31 décembre 1993 est revêtu. Par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, les consorts B...sont fondés à demander l'annulation de l'arrêt attaqué en tant qu'il confie à l'expert ces deux missions.

4. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier de Chambéry le versement aux consorts B...d'une somme de 3 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon du 18 janvier 2018 est annulé en tant qu'il confie à l'expert les missions, d'une part, d'évaluer l'ampleur de la chance perdue par A...B...d'échapper aux séquelles dont il est atteint et, d'autre part, dans l'hypothèse où plusieurs causes seraient à l'origine des séquelles dont demeure atteint l'intéressé, de faire le partage entre chacune de ces causes et d'indiquer leur part dans leur survenue.

Article 2 : Le centre hospitalier de Chambéry versera aux consorts B...une somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à Mme C...B..., représentante unique pour l'ensemble des requérants, et au centre hospitalier de Chambéry.


Synthèse
Formation : 5ème et 6ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 419053
Date de la décision : 28/03/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 28 mar. 2019, n° 419053
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Florian Roussel
Rapporteur public ?: M. Nicolas Polge
Avocat(s) : SCP MATUCHANSKY, POUPOT, VALDELIEVRE ; LE PRADO

Origine de la décision
Date de l'import : 02/04/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2019:419053.20190328
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