La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

18/01/2018 | FRANCE | N°16LY02838

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 6ème chambre - formation à 3, 18 janvier 2018, 16LY02838


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Les consorts D...ont demandé au tribunal administratif de Grenoble, d'une part, de condamner le centre hospitalier de Chambéry à verser à M. A...D...la somme de 2 154 054,77 euros, outre une rente trimestrielle de 15 530 euros, à Mme B...D...et M. F... D...respectivement la somme de 55 000 euros, à Mme B...D...la somme de 25 000 euros, et de mettre à la charge du centre hospitalier de Chambéry la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un juge

ment n° 1403406 du 21 juin 2016, le tribunal administratif de Grenoble :

-...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Les consorts D...ont demandé au tribunal administratif de Grenoble, d'une part, de condamner le centre hospitalier de Chambéry à verser à M. A...D...la somme de 2 154 054,77 euros, outre une rente trimestrielle de 15 530 euros, à Mme B...D...et M. F... D...respectivement la somme de 55 000 euros, à Mme B...D...la somme de 25 000 euros, et de mettre à la charge du centre hospitalier de Chambéry la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1403406 du 21 juin 2016, le tribunal administratif de Grenoble :

- a condamné le centre hospitalier de Chambéry à verser à M. A...D..., d'une part, une somme de 795 389 euros, et d'autre part, à partir du 7 juillet 2008, une rente trimestrielle calculée, en retenant 103 jours par trimestre, sur la base d'une assistance de 5 heures par jour au taux horaire de 15 euros sous déduction, le cas échéant, des sommes qui lui sont versées au titre de la prestation de compensation du handicap, l'intéressé devant porter à la connaissance du centre hospitalier les sommes perçues à ce titre et également toutes autres aides versées en cas de placement dans un établissement (le versement de la rente interviendra par trimestre échu, avec revalorisation par application des coefficients prévus à l'article L. 434-17 du code de la sécurité sociale), les sommes précédemment versées par le centre hospitalier de Chambéry devant être déduites de ces condamnations ;

- a condamné le centre hospitalier de Chambéry à rembourser à M. A...D..., dans la limite annuelle de 1 490 euros, les frais futurs non pris en charge par sa caisse de sécurité sociale et sa mutuelle correspondant à deux séances de kinésithérapie par semaine, au changement de semelles orthopédiques tous les deux ans, à un contrôle ophtalmique tous les deux ans et à l'acquisition de lunettes tous les deux ans ;

- a mis à la charge du centre hospitalier de Chambéry la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédures devant la cour :

I. Par une requête et des mémoires enregistrés les 8 août 2016, 15 septembre, 21 septembre et 30 novembre 2017, sous le n° 16LY02838, le centre hospitalier de Chambéry, représenté par MeE..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1403406 du 21 juin 2016 du tribunal administratif de Grenoble susmentionné.

2°) de rejeter la demande des consortsD....

Il soutient que :

- le jugement du tribunal administratif de Grenoble est insuffisamment motivé ;

- c'est à tort que le tribunal administratif de Grenoble a refusé d'ordonner une expertise médicale dès lors qu'elle était nécessaire pour faire le départage entre les préjudices directement en lien avec les fautes commises par l'établissement hospitalier et les préjudices directement en lien avec l'accident vasculaire cérébral in utero dont il a été par ailleurs victime ; en effet, dès lors que le tribunal devait faire application de la jurisprudence " centre hospitalier de Vienne ", une expertise médicale était nécessaire pour déterminer si les fautes commises avaient fait perdre une chance à M. A...D...d'échapper au préjudice dont il demeure atteint ;

- c'est à tort que le tribunal administratif de Grenoble a indemnisé les préjudices temporaires de M. A...D...dès lors qu'ils avaient déjà fait l'objet d'une indemnisation par le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 31 décembre 1993 ayant l'autorité de la chose jugée ;

- c'est à tort que le tribunal administratif de Grenoble a indemnisé certains préjudices dès lors que leur réalité et le lien de causalité direct et certain avec les fautes commises n'étaient pas établis ;

- l'indemnisation accordée au titre de l'assistance par une tierce personne a été surévaluée par le tribunal, le nombre d'heures d'assistance devant être ramené à 4 au lieu de 5 et le taux horaire retenu devant être 9 euros et non 15 ;

- c'est à tort que le tribunal pour les frais futurs d'assistance par une tierce personne n'a pas prévu l'obligation pour A...D...d'informer l'hôpital du nombre de nuits passées en établissement et des sommes versées au titre de la prestation de compensation du handicap ;

- l'indemnité accordée par le tribunal administratif de Grenoble au regard de l'incidence scolaire et professionnelle est excessive ;

- le déficit fonctionnel temporaire subi par M. D...a déjà été indemnisé par la rente accordée par le jugement du 31 décembre 1993 ;

- le préjudice en lien avec le déficit fonctionnel permanent a été évalué de manière excessive ;

- l'indemnisation au titre du préjudice sexuel, du préjudice d'établissement, des souffrances endurées et du préjudice d'agrément doit être minorée ; en effet, l'expert n'a pas retenu de préjudice d'établissement ni de préjudice sexuel ; les souffrances endurées retenues par l'expert ne se rapportent qu'à la période antérieure à la consolidation ; enfin, M. A...D...peut pratiquer des activités sportives ;

- dès lors que les fautes à l'origine du dommage ont eu lieu à la naissance de M. A... D..., il ne peut demander une indemnisation au titre des pertes de revenu et des droits à retraite ;

- s'agissant des frais liés à l'aménagement du logement, il n'appartient au tribunal de donner acte de frais futurs éventuels ;

- le préjudice des parents de M. A...D...a été déjà été indemnisé lors du jugement du tribunal administratif de Grenoble du 31 décembre 1993.

Par des mémoires enregistrés les 27 septembre 2016 et 17 octobre 2017, les consortsD..., représentés par MeC..., concluent au rejet de la requête du centre hospitalier de Chambéry et demandent, par voie d'appel incident :

- de condamner le centre hospitalier de Chambéry à verser à M. A...D...au titre des préjudices patrimoniaux, la somme de 823 778,49 euros et, en outre, une rente trimestrielle au titre des dépenses liées au handicap ;

- de condamner le centre hospitalier de Chambéry à verser à M. A...D...la somme de 942 200 euros au titre des préjudices personnels ;

- de condamner le centre hospitalier de Chambéry à verser à M. F...D...et Mme B...D...respectivement la somme de 55 000 euros au titre des préjudices personnels ;

- de condamner le centre hospitalier de Chambéry aux entiers frais et dépens ;

- de mettre à la charge du centre hospitalier de Chambéry la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- c'est à tort que le tribunal administratif de Grenoble a estimé que l'autorité de la chose jugée par jugement du 31 décembre 1993, s'opposait à ce qu'il indemnise les épouxD... du préjudice personnel subi en lien avec la faute commise, dès lors qu'ils avaient déjà reçu à ce titre une indemnité de 80 000 francs ; en effet, le jugement du 31 décembre 1993 ne précise pas si cette somme correspond à une provision ou à une indemnisation définitive ; en outre, l'état de santé de A...n'était pas à cette date consolidé et ils ne pouvaient, par suite, connaître l'étendue de leur préjudice ;

- il y a lieu d'accorder respectivement à M. et Mme D...la somme de 20 000 euros au titre du préjudice lié au bouleversement dans leurs conditions de vie ;

- dès lors que le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 31 décembre 1993 précise que l'état de santé de M. A...D...est en lien direct et certain avec les fautes commises par le centre hospitalier de Chambéry, l'autorité de la chose jugée s'oppose à ce que soit remis en cause le lien de causalité ; par suite, l'expertise médicale demandée ne présente pas en l'espèce de caractère utile ;

- il y a lieu d'évaluer le préjudice d'affection subi par les époux D...depuis la consolidation de l'état de santé de leur enfant en leur accordant à ce titre respectivement la somme de 35 000 euros et le préjudice lié au bouleversement dans leurs conditions de vie en leur accordant respectivement la somme de 20 000 euros ;

il y a lieu d'accorder à M. A...D...la somme de 423 076,28 euros au titre des préjudices temporaires, la somme de 8 688,68 euros, au titre des dépenses de santé exposées entre la date de consolidation et ses 18 ans et la somme de 49 051,39 euros au titre des dépenses de santé futures capitalisées, la somme de 398 580 euros au titre des frais d'assistance à un tierce personne exposés entre sa date de consolidation et ses 18 ans et une rente trimestrielle d'un montant de 15 330 euros ; pour calculer ces sommes, il convient de retenir un nombre d'heures d'aide par une tierce personne de huit heures par jour et un taux horaire de 21 euros ; le chef de préjudice lié à l'aménagement du logement doit être réservé ; les pertes de revenu doivent être évaluées à la somme de 695 729,70 euros, le préjudice scolaire à la somme de 104 000 euros, l'incidence professionnelle à la somme de 150 000 euros, le déficit fonctionnel temporaire à la somme de 187 200 euros, le déficit fonctionnel permanent à la somme de 326 000 euros, les souffrances endurées à la somme de 50 000 euros, le préjudice d'agrément à la somme de 50 000 euros, le préjudice sexuel à la somme de 50 000 euros, le préjudice d'établissement à la somme de 50 000 euros, le préjudice esthétique à la somme de 35 000 euros ;

II. Par une requête et des mémoires enregistrés, les 11 août, 27 septembre 2016 et 17 octobre 2017, sous le n° 16LY02888, M. A...D..., M. F...D...et Mme B...D..., représentés par MeC..., demandent à la cour :

1°) de réformer le jugement du 21 juin 2016 en tant qu'il a limité les indemnités allouées à un montant inférieur aux indemnités réclamées ;

2°) de condamner le centre hospitalier de Chambéry à verser à M. A...D...au titre des préjudices patrimoniaux, la somme de 823 778,49 euros et, en outre, une rente trimestrielle versée au titre des dépenses liées au handicap ;

3°) de condamner le centre hospitalier de Chambéry à verser à M. A...D...la somme de 942 200 euros au titre des préjudices personnels ;

4°) de condamner le centre hospitalier de Chambéry à verser à M. F...D...et Mme B...D...respectivement la somme de 55 000 euros au titre des préjudices personnels ;

5°) de condamner le centre hospitalier de Chambéry aux entiers frais et dépens ;

6°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Chambéry la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Ils soutiennent que :

- c'est à tort que le tribunal administratif de Grenoble a estimé que l'autorité de la chose jugée par jugement du 31 décembre 1993, s'opposait à ce qu'il indemnise à nouveau les épouxD... du préjudice personnel subi en lien avec la faute commise, dès lors qu'ils avaient déjà reçu à ce titre une indemnité de 80 000 francs ; en effet, le jugement du 31 décembre 1993 ne précise pas si cette somme correspond à une provision ou à une indemnisation définitive ; en outre, l'état de santé de A...n'était pas à cette date consolidé et ils ne pouvaient, par suite, connaître à la date du jugement toute l'étendue de leur préjudice ; il y a lieu d'évaluer le préjudice d'affection subi par les époux D...depuis la consolidation de l'état de santé de leur enfant en leur accordant à ce titre respectivement la somme de 35 000 euros et le préjudice lié au bouleversement dans leurs conditions de vie en leur accordant respectivement la somme de 20 000 euros ;

- il y a lieu d'accorder respectivement à M. et Mme D...la somme de 20 000 euros au titre du préjudice lié au bouleversement dans leurs conditions de vie ;

- dès lors que le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 31 décembre 1993 précise que l'état de santé de M. A...D...est en lien direct et certain avec les fautes commises par le centre hospitalier de Chambéry, l'autorité de la chose jugée s'oppose à ce que soit remise en cause le lien de causalité ; par suite, l'expertise médicale demandée ne présente pas en l'espèce de caractère utile ; il y a lieu d'accorder à M. A...D...la somme de 423 076,28 euros au titre des préjudices temporaires, la somme de 8 688,68 euros, au titre des dépenses de santé exposées entre la date de consolidation et ses 18 ans et la somme de 49 051,39 euros au titre des dépenses de santé futures capitalisées, la somme de 398 580 euros au titre des frais d'assistance à un tierce personne exposés entre sa date de consolidation et ses 18 ans et une rente trimestrielle d'un montant de 15 330 euros ; pour calculer ces sommes, il convient de retenir un nombre d'heures d'aide par une tierce personne de huit heures par jour et un taux horaire de 21 euros ; le chef de préjudice lié à l'aménagement du logement doit être réservé ; les pertes de revenu doivent être évaluées à la somme de 695 729,70 euros, le préjudice scolaire à la somme de 104 000 euros, l'incidence professionnelle à la somme de 150 000 euros, le déficit fonctionnel temporaire à la somme de 187 200 euros, le déficit fonctionnel permanent à la somme de 326 000 euros, les souffrances endurées à la somme de 50 000 euros, le préjudice d'agrément à la somme de 50 000 euros, le préjudice sexuel à la somme de 50 000 euros, le préjudice d'établissement à la somme de 50 000 euros, le préjudice esthétique à la somme de 35 000 euros ;

Par des mémoires enregistrés les 15 septembre, 21 septembre et 30 novembre 2017, le centre hospitalier de Chambéry, représenté par MeE..., conclut au rejet de la requête et demande, par voie d'appel incident, le rejet de la demande indemnitaire présentée par les consortsD....

Ils soutiennent que :

- c'est à tort que le tribunal administratif de Grenoble a refusé d'ordonner une expertise médicale dès lors qu'elle était nécessaire pour faire le départage entre les préjudices directement en lien avec les fautes commises par l'établissement hospitalier et les préjudices directement en lien avec l'accident vasculaire cérébral in utero dont il a été par ailleurs victime ; en effet, dès lors que le tribunal devait faire application de la jurisprudence " centre hospitalier de Vienne ", une expertise médicale était nécessaire pour déterminer si les fautes commises avaient fait perdre une chance à M. A...D...d'échapper au préjudice dont il demeure atteint ;

- c'est à tort que le tribunal administratif de Grenoble a indemnisé les préjudices temporaires de M. A...D...dès lors qu'ils avaient déjà fait l'objet d'une indemnisation par le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 31 décembre 1993 ayant l'autorité de la chose jugée ;

- c'est à tort que le tribunal administratif de Grenoble a indemnisé certains préjudices dès lors que leur réalité et le lien de causalité direct et certain avec les fautes commises n'étaient pas établis ;

- l'indemnisation accordée au titre l'assistance par une tierce personne a été surévaluée par le tribunal, le nombre d'heures d'assistance devant être ramené à 4 au lieu de 5 et le taux horaire retenu devant être 9 euros et non 15 ;

- c'est à tort que le tribunal pour les frais futurs d'assistance par une tierce personne n'a pas prévu l'obligation pour A...D...d'informer l'hôpital du nombre de nuits passées en établissement et des sommes versées au titre de la prestation de compensation du handicap ;

- l'indemnité accordée par le tribunal administratif de Grenoble au regard de l'incidence scolaire et professionnelle est excessive ;

- le déficit fonctionnel temporaire subi par M. D...a déjà été indemnisé par la rente accordée par le jugement du 31 décembre 1993 ;

- le préjudice en lien avec le déficit fonctionnel permanent a été évalué de manière excessive ;

- l'indemnisation au titre du préjudice sexuel, du préjudice d'établissement, des souffrances endurées et du préjudice d'agrément doit être minorée ; en effet, l'expert n'a pas retenu de préjudice d'établissement ni de préjudice sexuel ; les souffrances endurées retenues par l'expert ne se rapportent qu'à la période antérieure à la consolidation ; enfin, M. A...D...peut pratiquer des activités sportives ;

- dès lors que les fautes à l'origine du dommage ont eu lieu à la naissance de M. A... D..., il ne peut demander une indemnisation au titre des pertes de revenu et des droits à retraite ;

- s'agissant des frais liés à l'aménagement du logement, il n'appartient au tribunal de donner acte de frais futurs éventuels ;

- le préjudice des parents de M. A...D...a été déjà été indemnisé lors du jugement du tribunal administratif de Grenoble du 31 décembre 1993.

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique du 7 décembre 2017 :

- le rapport de M. Carrier, rapporteur ;

- les conclusions de Mme Vigier-Carrière, rapporteur public ;

- et les observations de Me Demailly, avocat de M. et MmeD....

1. Considérant que les requêtes susvisées n° 16LY02838 et n° 16LY002888, présentées respectivement pour le centre hospitalier de Chambéry et les consortsD..., concernent le même jugement et ont fait l'objet d'une instruction commune ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt ;

2. Considérant que Mme B...D...a accouché le 19 novembre 1986 au centre hospitalier de Chambéry du jeune A...D...qui à la suite de sa naissance est demeuré atteint d'une infirmité motrice cérébrale se traduisant notamment par une cécité d'origine corticale ; que, par jugement du 31 décembre 1993, devenu définitif, le tribunal administratif de Grenoble a retenu que le centre hospitalier de Chambéry avait commis des fautes pendant la prise en charge de Mme D...lors de l'accouchement ; que le tribunal a condamné l'établissement hospitalier à verser aux épouxD..., en leur qualité de représentants légaux deA..., une rente annuelle de 150 000 francs (22 867,41 euros) jusqu'à la consolidation de son état de santé, ladite rente étant indexée en lui appliquant les coefficients de revalorisation prévus à l'article L. 455 du code de la sécurité sociale alors en vigueur, et sur laquelle s'imputaient les débours exposés chaque année par la caisse primaire d'assurance maladie de Grenoble, devenue la caisse primaire d'assurance maladie de l'Isère, et ce, dans la limite de la moitié de ladite rente ; que le tribunal a, en outre, condamné le centre hospitalier de Chambéry à verser aux époux D...une somme globale de 80 000 francs (3 048,99 euros) en réparation de leurs préjudices propres ; que l'état de santé de M. A... D...étant consolidé en juillet 2008, les époux D...et M. A...D...ont demandé au tribunal administratif de Grenoble à être indemnisés définitivement de leurs préjudices ; que, par jugement du 21 juin 2016, le tribunal administratif de Grenoble a condamné le centre hospitalier de Chambéry à verser à M. A...D..., d'une part, une somme de 795 389 euros, et d'autre part, à partir du 7 juillet 2008, une rente trimestrielle calculée, en retenant 103 jours par trimestre, sur la base d'une assistance de 5 heures par jour au taux horaire de 15 euros sous déduction, le cas échéant, des sommes qui lui sont versées au titre de la prestation de compensation du handicap, l'intéressé devant porter à la connaissance du centre hospitalier les sommes perçues à ce titre et également toutes autres aides versées en cas de placement dans un établissement, les sommes précédemment versées par le centre hospitalier de Chambéry devant être déduites de ces condamnations ; que le tribunal a en outre condamné le centre hospitalier de Chambéry à rembourser à M. A...D..., dans la limite annuelle de 1 490 euros, les frais futurs non pris en charge par sa caisse de sécurité sociale et sa mutuelle correspondant à deux séances de kinésithérapie par semaine, au changement de semelles orthopédiques tous les deux ans, à un contrôle ophtalmique tous les deux ans et à l'acquisition de lunettes tous les deux ans ; qu'en revanche, il a rejeté la demande indemnitaire présentée par les épouxD... ; que, par les requêtes susmentionnées, les consorts D...et le centre hospitalier de Chambéry demandent la réformation de ce jugement ;

Sur la régularité du jugement :

3. Considérant que le centre hospitalier en se bornant à soutenir de manière générale que le jugement attaqué serait insuffisamment motivé, n'assortit pas son moyen des précisions permettant d'en apprécier la portée et le bien-fondé ; qu'il s'ensuit que ce moyen doit être écarté ;

Sur le bien-fondé du jugement :

4. Considérant qu'il résulte des termes du jugement du 31 décembre 1993 que le tribunal administratif de Grenoble ne s'est prononcé de manière définitive que sur le principe de la responsabilité du centre hospitalier de Chambéry et sur l'évaluation du préjudice personnel des époux D...tel qu'il existait à la date dudit jugement ; qu'en revanche, s'agissant du préjudice de M. A...D...et de la caisse, il n'a procédé qu'à une évaluation provisoire de leurs préjudices jusqu'à la consolidation de l'enfant, et ce, dans l'attente de l'évaluation définitive ; que l'autorité de la chose jugée qui s'attache à ce jugement est donc strictement limitée à ce qui précède ;

5. Considérant, en premier lieu, qu'eu égard à l'autorité de la chose jugée telle que définie au point 4, les époux D...ne sont pas fondés à demander une réévaluation globale de leurs préjudices à caractère extra-patrimonial depuis la naissance de M. A...D...; qu'en revanche, contrairement à ce que soutient le centre hospitalier de Chambéry, ils peuvent obtenir la réparation des préjudices personnels apparus ou aggravés postérieurement au jugement du 31 décembre 1993 alors que l'état de santé de M. A...D...n'était pas consolidé ;

6. Considérant, en deuxième lieu, qu'il résulte de ce qui a été dit au point 4 que le centre hospitalier de Chambéry n'est pas fondé à soutenir que les préjudices subis par M. A... D..., de sa naissance à la date de consolidation de son état de santé, ont été définitivement réparés par la rente annuelle qui lui a été allouée de manière provisoire par le jugement du 31 décembre 1993 ;

7. Considérant, en troisième lieu, qu'il appartient en principe au juge administratif de faire application d'une règle jurisprudentielle nouvelle à l'ensemble des litiges, quelle que soit la date des faits qui leur ont donné naissance ; que l'arrêt du Conseil d'Etat du 21 décembre 2007 " Centre hospitalier de Vienne " a posé une nouvelle règle jurisprudentielle en matière d'évaluation et de liquidation du préjudice ; qu'ainsi, dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou le traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté mais la perte de chance d'éviter la survenue de ce dommage ; que la réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue ;

8. Considérant qu'en l'espèce, eu égard à la teneur du jugement du 31 décembre 1993 susrappelée et à la circonstance que le tribunal administratif de Grenoble n'a statué que de manière provisoire sur l'évaluation du préjudice de M. A...D..., l'autorité de la chose jugée ne s'oppose pas à ce qu'il soit fait application, pour l'évaluation définitive du préjudice de ce dernier, de cette nouvelle règle de réparation dégagée par une jurisprudence postérieure au jugement du 31 décembre 1993, dès lors qu'il est constaté que la ou les fautes retenues par le tribunal n'ont fait perdre à la victime qu'une chance d'échapper aux préjudices dont elle demeure atteinte ; que, de même, il appartient, le cas échéant, au juge d'appliquer cette même règle jurisprudentielle pour évaluer les nouveaux préjudices personnels ou l'aggravation du préjudice personnel invoqués par les époux D...postérieurement au jugement du 31 décembre 1993 ;

9. Considérant que, par le jugement du 31 décembre 1993, le tribunal administratif de Grenoble a jugé que lors de l'accouchement de MmeD..., l'utilisation de doses importantes d'ocytoxiques, l'interprétation erronée du rythme cardiaque foetal, le manque de vigilance du personnel obstétrical en présence d'un liquide amniotique teinté et le retard à alerter le médecin de garde en présence d'un accouchement présentant des difficultés, constituaient des fautes de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier de Chambéry ; que si le tribunal a également précisé que ces fautes étaient la cause directe des préjudices invoqués, il n'a, en revanche, pas jugé qu'elles en seraient la cause exclusive, alors qu'à la date du jugement cette circonstance était sans incidence pour l'évaluation du préjudice ; qu'il résulte de l'instruction qu'eu égard notamment à l'état de santé du foetus à l'accouchement, à la dystocie qui s'est produite, il n'est pas établi avec certitude que les séquelles dont M. D...demeure atteint ne seraient pas advenues même en l'absence des fautes commises ; qu'il n'est pas davantage établi avec certitude que lorsque les fautes ont été commises, les lésions de M. A...D...étaient irréversiblement acquises dans leur totalité ; qu'ainsi, la réparation qui incombe au centre hospitalier doit être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue ; que, par suite, c'est à tort que, par le jugement du 21 juin 2016 attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a jugé que l'autorité de la chose jugée qui s'attache à son jugement du 31 décembre 1993 faisait obstacle, d'une part, à ce que fût accueillie la demande du centre hospitalier de Chambéry tendant à ce que soit prescrite une expertise complémentaire en vue de déterminer l'ampleur de la chance perdue par M. A...D...d'échapper au handicap dont il est atteint et, d'autre part, à ce que les préjudices à caractère personnel invoqués par les épouxD..., apparus ou aggravés postérieurement audit jugement, puissent faire l'objet d'une indemnisation ; qu'il y a lieu, par suite, d'annuler le jugement dans cette mesure ;

10. Considérant qu'il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, de statuer sur la demande des consortsD... ;

11. Considérant qu'aux termes de l'article R. 621-1 du code de justice administrative : " La juridiction peut, soit d'office, soit sur la demande des parties ou de l'une d'elles, ordonner, avant dire droit, qu'il soit procédé à une expertise sur les points déterminés par sa décision. La mission confiée à l'expert peut viser à concilier les parties. " ;

12. Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit au point 9 que M. A...D...a perdu une chance d'échapper au dommage qui s'est produit ; que l'état du dossier ne permet pas de connaître l'ampleur de la chance perdue ; qu'il y a lieu, par suite, d'ordonner une expertise complémentaire afin de déterminer le taux de perte de chance d'échapper aux préjudices en lien direct et certain avec les fautes retenues par le tribunal administratif de Grenoble dans son jugement du 31 décembre 1993 devenu définitif ;

13. Considérant qu'il résulte des termes du jugement du 31 décembre 1993 du tribunal administratif de Grenoble, d'une part, que la rente annuelle de 150 000 francs (22 867,41 euros) allouée à A...D...de novembre 1986, date de sa naissance, à juillet 2008, date de sa consolidation, a été octroyée à titre provisionnel en attendant la fixation définitive du préjudice de l'intéressé, et d'autre part, que les dépenses exposées par la caisse primaire d'assurance maladie de l'Isère au titre des frais de suivi médico-rééducatif dans un établissement spécialisé s'imputent sur cette rente dans la limite de la moitié ; que, pour pouvoir déterminer à titre définitif les droits respectifs de la caisse de sécurité sociale et de la victime, il doit être tenu compte de l'ensemble des sommes que le centre hospitalier de Chambéry a versées à chacune, soit en application du jugement susmentionné soit, le cas échéant, de lui-même à la suite de la production de justificatifs, afin de déterminer l'état des créances ou des trop-perçus éventuels de ces parties ; que, toutefois, l'état du dossier ne permet pas de procéder à ce calcul en l'absence d'éléments certains, qu'une mesure d'instruction ne suffirait pas à établir, d'une part, sur les modalités selon lesquelles A...D...a été pris en charge par ses parents et, d'autre part, sur les versements effectués par le centre hospitalier tant aux parents de l'intéressé qu'à la caisse primaire d'assurance maladie ; qu'il y a lieu, par suite, d'ordonner une expertise afin de déterminer, en premier lieu, le décompte des sommes que le centre hospitalier de Chambéry a versées à M. A...D...ou à ses représentants légaux au titre des rentes mises à sa charge par le jugement du 31 décembre 1993, en deuxième lieu, le décompte des sommes que le centre a versées à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Isère au titre de l'imputation des droits de cette dernière sur la rente versée jusqu'à la consolidation de la victime, en troisième lieu, le décompte des divers débours que la caisse justifie avoir supportés de la naissance de M. A...D...à la date de sa consolidation, puis de la date de la consolidation à la date de l'arrêt (en faisant le départage selon les différents postes de préjudice) et, en quatrième lieu, les périodes et les modalités selon lesquelles M. A...D...a été pris en charge tout au long de sa vie, selon qu'il a été hospitalisé ou placé en institution spécialisée ou a vécu au foyer de ses parents, et de rassembler les justificatifs correspondants ;

14. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu, dès lors, d'ordonner une expertise aux fins précisées ci-après ;

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 21 juin 2016 est annulé en tant qu'il a refusé d'ordonner une expertise médicale et en tant qu'il a rejeté la demande d'indemnisation des préjudices à caractère personnel subis par les époux D...postérieurement au 31 décembre 2013.

Article 2 : Il sera, avant de statuer sur les requêtes susvisées, procédé par un expert, désigné par le président de la cour administrative d'appel, à une expertise avec mission pour l'expert de :

1) se faire communiquer tous documents relatifs à l'état de santé de Mme D...et de M. A...D...et, notamment, tous documents relatifs au suivi médical, aux actes de soins, et aux diagnostics pratiqués sur elle lors notamment de sa prise en charge par le centre hospitalier de Chambéry à l'occasion de son accouchement le 19 novembre 1986 ; convoquer et entendre les parties et tous sachants ; procéder à l'examen sur pièces du dossier médical de Mme D...et de M. A...D...;

2) préciser à la cour dans quelle mesure, compte tenu des manquements fautifs retenus par le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 31 décembre 1993, devenu définitif, les requérants ont perdu une chance d'échapper aux préjudices dont ils demandent l'indemnisation. Chiffrer l'ampleur de la perte de chance perdue ;

3) dans l'hypothèse où plusieurs causes seraient à l'origine des séquelles dont demeure atteint A...D..., faire le partage entre chacune de ces causes et indiquer leur part dans la survenue des préjudices ;

4) faire le décompte des sommes versées par le centre hospitalier de Chambéry à M. A... D...au titre des rentes mises à sa charge par le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 31 décembre 1993 ;

5) faire le décompte des sommes versées par le centre hospitalier de Chambéry à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Isère au titre de l'imputation des droits de cette dernière sur la rente versée à M. A...D...jusqu'à la consolidation de son état de santé ;

6) de faire le décompte des divers débours en lien avec les fautes retenues par le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 31 décembre 1993 que la caisse primaire d'assurance maladie de l'Isère justifie avoir supportés de la naissance de M. A...D...à la consolidation de son état de santé, puis de la consolidation de son état de santé à aujourd'hui ;

7) préciser les périodes et les modalités selon lesquelles M. A...D...a été pris en charge tout au long de sa vie, selon qu'il a été hospitalisé ou placé en institution spécialisée ou a vécu au foyer de ses parents ; rassembler les justificatifs afférents aux périodes de placement ou d'hospitalisation prises en charge par la caisse primaire d'assurance maladie ;

8) fournir à la cour tous éléments utiles à la solution du litige.

Article 3 : Les opérations d'expertise auront lieu contradictoirement entre M. et Mme D..., M. A...D..., la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône et le centre hospitalier de Chambéry.

Article 4 : L'expert accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative. Il prêtera serment par écrit devant le greffier en chef de la cour. L'expert déposera son rapport au greffe de la cour en deux exemplaires et en notifiera copie aux parties dans le délai fixé par le président de la cour dans sa décision le désignant.

Article 5 : Les frais d'expertise sont réservés pour y être statué en fin d'instance.

Article 6 : Tous droits et moyens des parties, sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt, sont réservés jusqu'en fin d'instance.

Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à M. A...D..., Mme B...D..., M. F... D..., au centre hospitalier de Chambéry et à la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône ayant reçu mandat pour gérer l'activité " recours contre tiers " de la caisse primaire d'assurance malade de l'Isère.

Délibéré après l'audience du 7 décembre 2017 à laquelle siégeaient :

M. Pommier, président de chambre,

M. Carrier, président-assesseur,

Mme Caraës, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 18 janvier 2018.

N° 16LY02838,... 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 6ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 16LY02838
Date de la décision : 18/01/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Procédure - Instruction - Moyens d'investigation - Expertise.

Procédure - Pouvoirs et devoirs du juge - Questions générales.

Responsabilité de la puissance publique - Réparation - Évaluation du préjudice.


Composition du Tribunal
Président : M. POMMIER
Rapporteur ?: M. Claude CARRIER
Rapporteur public ?: Mme VIGIER-CARRIERE
Avocat(s) : LE PRADO

Origine de la décision
Date de l'import : 30/01/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2018-01-18;16ly02838 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award