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18/03/2019 | FRANCE | N°417635

France | France, Conseil d'État, 5ème et 6ème chambres réunies, 18 mars 2019, 417635


Vu la procédure suivante :

M. C...B...et Mme D...A...ont demandé au tribunal administratif d'Amiens de condamner, à titre principal, le centre hospitalier universitaire (CHU) d'Amiens à leur verser, en leur nom personnel et au nom de leur fils Sélim, la somme globale de 79 000 euros, à titre de provision, en réparation des préjudices résultant des conditions de la naissance de celui-ci, à titre subsidiaire, de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à leur verser, en leur nom person

nel et au nom de leur enfant, la somme globale de 79 000 euros en ...

Vu la procédure suivante :

M. C...B...et Mme D...A...ont demandé au tribunal administratif d'Amiens de condamner, à titre principal, le centre hospitalier universitaire (CHU) d'Amiens à leur verser, en leur nom personnel et au nom de leur fils Sélim, la somme globale de 79 000 euros, à titre de provision, en réparation des préjudices résultant des conditions de la naissance de celui-ci, à titre subsidiaire, de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à leur verser, en leur nom personnel et au nom de leur enfant, la somme globale de 79 000 euros en réparation des mêmes préjudices et à défaut de diligenter une nouvelle expertise avant dire droit. Par un jugement n° 1203179 du 13 novembre 2014, le tribunal administratif, après avoir mis hors de cause l'ONIAM, a notamment condamné le CHU d'Amiens à verser à Mme A...et M. B..., en leur qualité de représentants légaux de leur fils Sélim, la somme de 4 392 euros et en leur nom personnel, la somme de 1 800 euros chacun.

Par un arrêt n° 15DA00061,15DA00166 du 7 décembre 2017, la cour administrative d'appel de Douai, statuant sur les appels de M. B...et Mme A...et du CHU d'Amiens, a porté la somme allouée à M. B...et Mme A...à 11 952 euros, dont 7 152 euros en leur qualité de représentants légaux de leur fils Sélim et 4 800 euros en leur nom propre, a rejeté le surplus des conclusions des parties et a réformé le jugement du tribunal en ce qu'il avait de contraire à son arrêt.

Par une requête, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 25 janvier, 16 avril et 13 décembre 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A...et M. B...demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt en tant qu'il limite l'indemnisation de leurs préjudices à la réparation d'une perte de chance d'éviter la survenance des dommages fixée à 80% ;

2°) de mettre à la charge du CHU d'Amiens le versement de la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Louise Cadin, auditrice,

- les conclusions de Mme Cécile Barrois de Sarigny, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Gouz-Fitoussi, avocat de M. B...et de Mme A...et à Me Le Prado, avocat du centre hospitalier universitaire Amiens Picardie.

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que Mme D...A...épouse B...a été admise le 2 novembre 2006 dans le service de gynécologie obstétrique du centre hospitalier universitaire (CHU) d'Amiens pour y accoucher à terme de son premier enfant. Les médecins ont extrait l'enfant, prénommé Sélim, par voie basse, en pratiquant une manoeuvre obstétricale rendue nécessaire par le relèvement du bras du foetus et par l'étroitesse du bassin de la parturiente. Né en état de mort apparente, il a été placé en réanimation pédiatrique puis transféré dans le service de soins intensifs où son état général a pu être stabilisé. Une paralysie du plexus brachial droit a été diagnostiquée et a nécessité une intervention chirurgicale pour réaliser une greffe de la racine rachidienne C5. Sélim est demeuré atteint de séquelles physiques que M. B...et Mme A...imputent aux conditions de sa naissance. Ils ont demandé au tribunal administratif d'Amiens de condamner le CHU d'Amiens à leur verser une somme globale de 79 000 euros en réparation de leurs préjudices personnels et de ceux de leur enfant. Le tribunal a condamné le CHU d'Amiens à leur verser 4 392 euros en leur qualité de représentants légaux de leur enfant et 1 800 euros chacun en leur nom personnel. Sur appel de M. B...et Mme A..., la cour administrative d'appel de Douai a porté les indemnités mises à la charge du CHU à 11 952 euros, dont 7 152 euros en leur qualité de représentants légaux de leur enfant et 4 800 euros en leur nom propre. M. B...et Mme A...se pourvoient en cassation contre cet arrêt. Ils doivent être regardé comme demandant qu'il soit annulé en tant qu'il limite l'indemnisation de leurs préjudices à la réparation d'une perte de chance d'éviter la survenance des dommages fixée à 80 %.

2. Dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou du traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage advienne, la réparation qui incombe à l'hôpital devant alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue.

3. Après avoir estimé que le choix de ne pas réaliser de césarienne pour l'accouchement de Mme B...constituait une faute de nature à engager la responsabilité du CHU d'Amiens, la cour administrative d'appel a retenu que cette faute avait seulement entraîné une perte de chance, qu'elle a évaluée à 80 %, d'éviter l'arrachement du plexus brachial provoqué par la manoeuvre obstétricale rendue nécessaire par l'étroitesse du bassin de la parturiente. En se prononçant ainsi, alors qu'il résultait de ses propres constatations que le dommage résultait d'une manoeuvre obstétricale qui n'aurait pas été nécessaire en cas de césarienne, si bien que le dommage corporel, qui ne serait pas survenu en l'absence de la faute commise, devait être regardé comme étant la conséquence directe de celle-ci, la cour a commis une erreur de droit.

4. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative et de régler l'affaire au fond dans les limites de la cassation prononcée.

5. Le CHU d'Amiens devant, ainsi qu'il a été dit au point 3, réparer intégralement ces préjudices, il y a lieu de fixer à 8 940 euros le montant total des indemnités dues à Sélim et à 3 000 euros chacun le montant des indemnités dues à M. B...et MmeA..., de réformer le jugement du 13 novembre 2014 du tribunal administratif d'Amiens qui avait fixé ces montants, respectivement, à 4 392 euros et 1 800 euros, et de rejeter le surplus des conclusions de la requête d'appel des intéressés.

6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du CHU d'Amiens le versement à M. B...et à Mme A...d'une somme globale de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Douai est annulé en tant qu'il limite l'obligation de réparation pesant sur le CHU d'Amiens à 80 % des préjudices résultant de l'accident et fixe en conséquence les indemnités mises à la charge de cet établissement.

Article 2 : La somme de 6 192 euros que le centre hospitalier universitaire d'Amiens a été condamné à verser à M. B...et à Mme A...par le jugement du 13 novembre 2014 du tribunal administratif d'Amiens est portée à 14 940 euros dont 8 940 euros en leur qualité de représentants légaux de leur enfant Sélim et 3 000 euros chacun en leur nom propre.

Article 3 : Le jugement du 13 novembre 2014 du tribunal administratif d'Amiens est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête d'appel de M. B...et de Mme A...est rejeté.

Article 5 : Le centre hospitalier universitaire d'Amiens versera une somme globale de 3 000 euros à M. B...et Mme A...au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : Les conclusions du centre hospitalier universitaire d'Amiens présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 7 : La présente décision sera notifiée à Mme D...A..., à M. C...B...et au centre hospitalier universitaire d'Amiens.


Synthèse
Formation : 5ème et 6ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 417635
Date de la décision : 18/03/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

RESPONSABILITÉ DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - RESPONSABILITÉ EN RAISON DES DIFFÉRENTES ACTIVITÉS DES SERVICES PUBLICS - SERVICE PUBLIC DE SANTÉ - ÉTABLISSEMENTS PUBLICS D'HOSPITALISATION - RESPONSABILITÉ POUR FAUTE MÉDICALE : ACTES MÉDICAUX - DOMMAGE RÉSULTANT D'UNE MANŒUVRE OBSTÉTRICALE QUI N'AURAIT PAS ÉTÉ NÉCESSAIRE EN CAS DE CÉSARIENNE - LIEN DE CAUSALITÉ DIRECTE ENTRE LA DÉCISION FAUTIVE DE NE PAS RÉALISER UNE CÉSARIENNE ET LE PRÉJUDICE SUBI - EXISTENCE - CONSÉQUENCE - ERREUR DE DROIT À AVOIR INDEMNISÉ À HAUTEUR DE 80 % LA PERTE DE CHANCE DE NE PAS SUBIR CE DOMMAGE.

60-02-01-01-02 Après avoir estimé que le choix de ne pas réaliser de césarienne pour l'accouchement de la requérante constituait une faute de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier universitaire (CHU), la cour administrative d'appel a retenu que cette faute avait seulement entraîné une perte de chance, qu'elle a évaluée à 80 %, d'éviter l'arrachement du plexus brachial provoqué par la manoeuvre obstétricale rendue nécessaire par l'étroitesse du bassin de la parturiente. En se prononçant ainsi, alors qu'il résultait de ses propres constatations que le dommage résultait d'une manoeuvre obstétricale qui n'aurait pas été nécessaire en cas de césarienne, si bien que le dommage corporel, qui ne serait pas survenu en l'absence de la faute commise, devait être regardé comme étant en lien direct avec celle-ci, la cour a commis une erreur de droit.

RESPONSABILITÉ DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - RÉPARATION - ÉVALUATION DU PRÉJUDICE - RESPONSABILITÉ POUR FAUTE MÉDICALE - DOMMAGE RÉSULTANT D'UNE MANŒUVRE OBSTÉTRICALE QUI N'AURAIT PAS ÉTÉ NÉCESSAIRE EN CAS DE CÉSARIENNE - LIEN DE CAUSALITÉ DIRECTE ENTRE LA DÉCISION FAUTIVE DE NE PAS RÉALISER UNE CÉSARIENNE ET LE PRÉJUDICE SUBI - EXISTENCE - CONSÉQUENCE - ERREUR DE DROIT À AVOIR INDEMNISÉ À HAUTEUR DE 80 % LA PERTE DE CHANCE DE NE PAS SUBIR CE DOMMAGE.

60-04-03 Après avoir estimé que le choix de ne pas réaliser de césarienne pour l'accouchement de la requérante constituait une faute de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier universitaire (CHU), la cour administrative d'appel a retenu que cette faute avait seulement entraîné une perte de chance, qu'elle a évaluée à 80 %, d'éviter l'arrachement du plexus brachial provoqué par la manoeuvre obstétricale rendue nécessaire par l'étroitesse du bassin de la parturiente. En se prononçant ainsi, alors qu'il résultait de ses propres constatations que le dommage résultait d'une manoeuvre obstétricale qui n'aurait pas été nécessaire en cas de césarienne, si bien que le dommage corporel, qui ne serait pas survenu en l'absence de la faute commise, devait être regardé comme étant en lien direct avec celle-ci, la cour a commis une erreur de droit.


Publications
Proposition de citation : CE, 18 mar. 2019, n° 417635
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Louise Cadin
Rapporteur public ?: Mme Cécile Barrois de Sarigny
Avocat(s) : SCP GOUZ-FITOUSSI ; LE PRADO

Origine de la décision
Date de l'import : 05/07/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2019:417635.20190318
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