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28/07/2017 | FRANCE | N°407647

France | France, Conseil d'État, 9ème chambre, 28 juillet 2017, 407647


Vu la procédure suivante :

Par un mémoire enregistré le 24 mai 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, la société Oddo Opéra demande au Conseil d'Etat, à l'appui de son pourvoi tendant à l'annulation de l'arrêt n° 15VE01629 du 6 décembre 2016 de la cour administrative d'appel de Versailles, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article 2 de la loi n° 2010-237 du 9 mars 2010. Elle so

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Vu la procédure suivante :

Par un mémoire enregistré le 24 mai 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, la société Oddo Opéra demande au Conseil d'Etat, à l'appui de son pourvoi tendant à l'annulation de l'arrêt n° 15VE01629 du 6 décembre 2016 de la cour administrative d'appel de Versailles, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article 2 de la loi n° 2010-237 du 9 mars 2010. Elle soutient que ces dispositions, applicables au litige, méconnaissent l'objectif constitutionnel d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi, qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et portent de ce fait atteinte au principe du respect du droit de propriété garanti par les articles 2 et 17 de la même Déclaration, au principe d'égalité devant la loi garanti par l'article 6 de la même Déclaration et au principe d'égalité devant les charges publiques garanti par l'article 13 de la même Déclaration.

Par un mémoire en défense enregistré le 13 juin 2017, le ministre de l'action et des comptes publics conclut à ce qu'il n'y a pas lieu de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité. Il soutient que les conditions posées par l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 ne sont pas remplies, et, en particulier, que la question soulevée ne présente pas un caractère sérieux.

Le mémoire de la société Oddo Opéra a été communiqué au Premier ministre, qui n'a pas produit de mémoire.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- la loi n° 2010-237 du 9 mars 2010 ;

- le code général des impôts ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Ophélie Champeaux, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Marie-Astrid Nicolazo de Barmon, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Baraduc, Duhamel, Rameix, avocat de la Société Oddo Opera ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. " Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte de ces dispositions que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. Aux termes de l'article 2 de la loi du 9 mars 2010 de finances rectificative pour 2010 : " I. - Les personnes morales mentionnées aux articles L. 511-1 et L. 531-4 du code monétaire et financier qui, au jour de l'entrée en vigueur de la présente loi, exploitent une entreprise en France au sens du I de l'article 209 du code général des impôts, acquittent une taxe exceptionnelle. (...) / II. - La taxe est assise sur la part variable des rémunérations attribuées, au titre de l'année 2009, par les personnes morales mentionnées au I, à ceux de leurs salariés, professionnels des marchés financiers dont les activités sont susceptibles d'avoir une incidence significative sur l'exposition aux risques de l'entreprise, ainsi qu'aux professionnels de marché sous le contrôle desquels opèrent ces salariés./ (...) ".

3. La société Oddo Opéra soutient qu'en soumettant à la taxe exceptionnelle la part variable des rémunérations attribuées par les redevables à leurs salariés, professionnels des marchés financiers dont les activités sont susceptibles d'avoir une incidence significative sur l'exposition aux risques de l'entreprise, le législateur a adopté des dispositions ambiguës qui ne permettent pas aux redevables de déterminer l'assiette de la taxe et qui, méconnaissant de ce fait l'objectif à valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, portent atteinte au respect du droit de propriété garanti par les articles 2 et 17 de la même Déclaration, au principe d'égalité devant la loi garanti par son article 6 et au principe d'égalité devant les charges publiques garanti par son article 13.

4. En premier lieu, la société requérante soutient que les dispositions en litige qui, selon elle, ne permettraient pas au contribuable de déterminer clairement le champ d'application de la taxe, méconnaissent le principe du respect au droit de la propriété garanti par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Toutefois, ce moyen n'est pas assorti des précisions permettant d'en apprécier le bien fondé.

5. En deuxième lieu, la société requérante soutient que les dispositions en litige, qui auraient pour effet de soumettre à la taxe exceptionnelle le versement de rémunérations attribués à des salariés même lorsque ceux-ci n'exposent pas leur entreprise à un risque significatif, méconnaissent le principe d'égalité devant la loi garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

6. Aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : " La Loi est l'expression de la volonté générale. Tous les Citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs Représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse. (...) ". Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit. Si, en règle générale, le principe d'égalité impose de traiter de la même façon des personnes qui se trouvent dans la même situation, il n'en résulte pas pour autant qu'il oblige à traiter différemment des personnes se trouvant dans des situations différentes.

7. Les dispositions en litige ne trouvent à s'appliquer qu'aux rémunérations variables versées à des salariés, professionnels des marchés dont les activités seraient susceptibles d'avoir une incidence significative sur l'exposition aux risques de l'entreprise. Par suite, le grief tiré de ce que la taxe s'appliquerait également à des salariés dont les activités sur les marchés financiers s'exerceraient dans des conditions qui n'exposeraient pas leur entreprise à des risques significatifs, et méconnaîtrait de ce fait le principe d'égalité devant la loi, n'est pas fondé.

8. En troisième lieu, aux termes de l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : " Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ". Cette exigence ne serait pas respectée si l'impôt revêtait un caractère confiscatoire ou faisait peser sur une catégorie de contribuables une charge excessive au regard de leurs facultés contributives. En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.

9. D'une part, la société requérante soutient que les dispositions en litige méconnaîtraient le principe d'égalité devant les charges publiques en ne permettant pas à un redevable d'apporter la preuve que l'activité de ses salariés n'a pas d'incidence significative sur son exposition au risque lorsque l'activité de ceux-ci ne l'expose qu'à un risque potentiel faible. Toutefois, il résulte de ce qui a été dit au point 7 ci-dessus que la détermination de l'assiette de la taxe suppose d'apprécier si les activités des salariés sont susceptibles d'avoir une incidence significative sur l'exposition aux risques de l'entreprise. Ces dispositions n'ont ni pour objet ni pour effet d'interdire au contribuable qui s'y croit fondé de démontrer que les activités de ses salariés professionnels de marché ne sont pas susceptibles d'avoir d'incidence significative sur son exposition aux risques. Par suite, le grief tiré de ce que les dispositions en litige méconnaîtraient le principe d'égalité devant les charges publiques en raison de ce qu'elles interdiraient au contribuable de prouver que l'activité de ses salariés n'est pas susceptible d'avoir une incidence significative sur son exposition aux risques ne peut qu'être écarté.

10. D'autre part, la société requérante soutient que les dispositions en litige méconnaîtraient le principe d'égalité devant les charges publiques du fait qu'elles font peser la taxe exceptionnelle sur l'entreprise versant les rémunérations et non sur les salariés qui les perçoivent. Toutefois, la taxe exceptionnelle prévue à l'article 2 de la loi de finances rectificative pour 2010 ne figure pas au nombre des impositions sur les revenus. En instituant une telle taxe, le législateur a entendu frapper non la capacité contributive des personnes physiques auxquelles sont attribuées ces rémunérations, mais celle des entreprises qui attribuent celles-ci afin de les faire contribuer de façon exceptionnelle au financement du soutien à l'innovation des petites et moyennes entreprises tout en les incitant à modérer l'attribution de rémunérations variables à leurs opérateurs de marché. Par suite, en faisant peser la taxe sur les entreprises versant ces rémunérations, le législateur a fondé son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il s'était fixés et n'a dès lors pas méconnu le principe d'égalité devant les charges publiques.

11. En dernier lieu, la méconnaissance de l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi, qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ne peut, en elle-même, comme en convient la société requérante, être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité sur le fondement de l'article 61-1 de la Constitution.

12. Il résulte de tout ce qui précède que la question prioritaire de constitutionnalité soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux. Par suite, il n'y a pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société Oddo Opéra.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Oddo Opéra, au Premier ministre et au ministre de l'action et des comptes publics.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel.


Synthèse
Formation : 9ème chambre
Numéro d'arrêt : 407647
Date de la décision : 28/07/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 28 jui. 2017, n° 407647
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Ophélie Champeaux
Rapporteur public ?: Mme Marie-Astrid Nicolazo de Barmon
Avocat(s) : SCP BARADUC, DUHAMEL, RAMEIX

Origine de la décision
Date de l'import : 10/04/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2017:407647.20170728
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