Vu la procédure suivante :
La Caisse régionale du crédit agricole mutuel (CRCAM) du Morbihan a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer l'annulation et la restitution de l'amende qui lui a été infligée, sur le fondement de l'article 1739 du code général des impôts, à raison d'opérations effectuées au cours des années 2005 et 2006, pour un montant global de 75 647 euros. Par un jugement n° 1103406 du 20 décembre 2012, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 13VE00557 du 23 juin 2015, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé par la CRCAM du Morbihan contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 24 août, 24 novembre 2015 et 25 août 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la CRCAM du Morbihan demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code monétaire et financier ;
- le décret n° 2007-996 du 31 mai 2007 relatif aux attributions du ministre de l'économie, des finances et de l'emploi ;
- le décret n° 2007-1003 du 31 mai 2007 relatif aux attributions du ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique ;
- le décret n° 2008-310 du 3 avril 2008 relatif à la direction générale des finances publiques ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Julien Anfruns, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de la Caisse régionale du crédit agricole mutuel du Morbihan ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la Caisse régionale du Crédit agricole mutuel (CRCAM) du Morbihan, établissement de crédit agréé, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2005 au 31 décembre 2006, à l'issue de laquelle l'administration lui a infligé une amende de 75 647 euros en application de l'article 1739 du code général des impôts. La caisse a sollicité la décharge de cette amende devant le tribunal administratif de Montreuil qui, par un jugement du 20 décembre 2012, a rejeté sa demande. Elle se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 23 juin 2015 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté son appel dirigé contre ce jugement.
2. Aux termes du I de l'article 1739 du code général des impôts dans sa rédaction alors applicable, dont les dispositions reprennent celles qui figuraient, antérieurement au 1er janvier 2006, à l'article 1756 bis du même code : " I. - Nonobstant toutes dispositions contraires, il est interdit à tout établissement de crédit qui reçoit du public des fonds à vue ou à moins de cinq ans, et par quelque moyen que ce soit, d'ouvrir ou de maintenir ouverts dans des conditions irrégulières des comptes bénéficiant d'une aide publique, notamment sous forme d'exonération fiscale, ou d'accepter sur ces comptes des sommes excédant les plafonds autorisés. / Sans préjudice des sanctions disciplinaires qui peuvent être infligées par la commission bancaire, les infractions aux dispositions du présent article sont punies d'une amende fiscale dont le taux est égal au montant des intérêts payés, sans que cette amende puisse être inférieure à 75 euros. (...) ". Ces dispositions sont reprises, dans des termes analogues, à l'article L. 221-35 du code monétaire et financier. Aux termes de l'article L. 221-36 de ce code, dans sa rédaction applicable à la procédure ayant conduit à l'amende en litige : " Les infractions aux dispositions de l'article L. 221-35 sont constatées comme en matière de timbre : /- par les comptables du Trésor ; /- par les agents des administrations financières. / Les procès-verbaux sont dressés à la requête du ministre chargé de l'économie. ".
3. Il résulte de ces dispositions que l'amende prévue par l'article 1756 bis puis par l'article 1739 du code général des impôts ne peut être infligée qu'après que les infractions qu'elle réprime ont été constatées par des agents placés sous l'autorité du ministre chargé de l'économie.
4. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que les faits constitutifs de l'infraction sanctionnée par l'amende en litige ont été constatés dans une proposition de rectification établie, le 29 juillet 2008, par des agents relevant de la direction des vérifications nationales et internationales, direction alors rattachée, en vertu du décret du 3 avril 2008 relatif à la direction générale des finances publiques, à cette direction générale. Or, aux termes des décrets du 31 mai 2007 relatifs aux attributions du ministre de l'économie, des finances et de l'emploi et du ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique, à la date du 29 juillet 2008, la direction générale des finances publiques était placée pour l'ensemble de ses attributions, à la seule exception de celles concernant la législation fiscale, sous l'autorité du ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique et non sous celle du ministre de l'économie, des finances et de l'emploi.
5. Il résulte de ce qui est dit au point 3 qu'en jugeant que cette circonstance, liée à une nouvelle répartition des compétences entre différents départements ministériels, était restée sans incidence, eu égard à l'intention des auteurs des dispositions légales précitées, sur la compétence des agents de la direction des vérifications nationales et internationales pour constater les infractions relevées par la proposition de rectification du 29 juillet 2008, la cour a entaché son arrêt d'une erreur de droit.
6. Par suite, la CRCAM du Morbihan est fondée, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de son pourvoi, à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
8. Il résulte de ce qui a été dit au point 4 ci-dessus que les infractions ayant donné lieu au prononcé de l'amende infligée à la CRCAM du Morbihan ne peuvent être regardées comme ayant été constatées par des agents agissant " à la requête du ministre chargé de l'économie " comme l'exigent les dispositions précitées de l'article L. 221-36 du code monétaire et financier. La méconnaissance de cette obligation, qui constitue une garantie pour la personne sanctionnée, entache la procédure ayant conduit au prononcé de l'amende litigieuse d'une irrégularité de nature à justifier sa décharge. Par suite, la CRCAM du Morbihan est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, la somme de 5 000 euros à verser à la CRCAM du Morbihan, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, pour l'ensemble de la procédure.
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles du 23 juin 2015 et le jugement du tribunal administratif de Montreuil du 20 décembre 2012 sont annulés.
Article 2 : La CRCAM du Morbihan est déchargée de l'amende qui lui a été infligée, sur le fondement de l'article 1739 du code général des impôts, à raison d'opérations effectuées au cours des années 2005 et 2006.
Article 3 : L'Etat versera une somme de 5 000 euros à la Caisse régionale du Crédit agricole mutuel du Morbihan au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la Caisse régionale du crédit agricole mutuel du Morbihan, au ministre de l'économie et au ministre de l'action et des comptes publics.