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10/05/2017 | FRANCE | N°385218

France | France, Conseil d'État, 9ème - 10ème chambres réunies, 10 mai 2017, 385218


Vu la procédure suivante :

La Caisse régionale de crédit agricole mutuel (CRCAM) du Centre Ouest a demandé au tribunal administratif de Montreuil de lui accorder la décharge partielle des cotisations primitives d'impôt sur les sociétés qu'elle a initialement acquittées au titre des exercices 2005, 2006 et 2007. Par un jugement n° 1104694 du 4 octobre 2012, le tribunal administratif de Montreuil, après avoir constaté un non-lieu partiel à statuer, a rejeté le surplus de sa demande.

Par un arrêt n° 12VE04103 du 8 juillet 2014, la cour administrative d'appel de Versa

illes a annulé le jugement du tribunal administratif en tant qu'il n'a pas ...

Vu la procédure suivante :

La Caisse régionale de crédit agricole mutuel (CRCAM) du Centre Ouest a demandé au tribunal administratif de Montreuil de lui accorder la décharge partielle des cotisations primitives d'impôt sur les sociétés qu'elle a initialement acquittées au titre des exercices 2005, 2006 et 2007. Par un jugement n° 1104694 du 4 octobre 2012, le tribunal administratif de Montreuil, après avoir constaté un non-lieu partiel à statuer, a rejeté le surplus de sa demande.

Par un arrêt n° 12VE04103 du 8 juillet 2014, la cour administrative d'appel de Versailles a annulé le jugement du tribunal administratif en tant qu'il n'a pas statué sur les conclusions de la CRCAM du Centre Ouest qui excédaient le quantum de 1 664 150 euros puis rejeté à la fois les conclusions de la demande excédant ce quantum et le surplus des conclusions de la requête d'appel.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 20 octobre 2014, 20 janvier 2015 et 26 février 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la CRCAM du Centre Ouest demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à ses conclusions d'appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général des impôts ;

- le règlement n° 2002-03 du 12 décembre 2002 du comité de la réglementation comptable relatif au traitement comptable du risque de crédit modifié par le règlement n° 2005-03 du 3 novembre 2005 et par le règlement n° 2007-06 du 14 décembre 2007 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Séverine Larere, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Marie-Astrid Nicolazo de Barmon, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de la Caisse régionale de crédit agricole mutuel (CRAM) du Centre Ouest ;

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par une réclamation du 17 décembre 2010, la Caisse régionale de crédit agricole mutuel (CRCAM) du Centre Ouest a demandé le dégrèvement d'une fraction des cotisations primitives d'impôt sur les sociétés qu'elle avait acquittées au titre des exercices 2005, 2006 et 2007, en faisant valoir que les provisions qu'elle avait inscrites, d'une part, pour actualisation de ses pertes prévisionnelles sur les créances douteuses, et, d'autre part, pour décote sur les prêts restructurés, avaient fait, à tort, l'objet d'une réintégration extra-comptable. A la suite du rejet de sa réclamation, elle a saisi le tribunal administratif de Montreuil qui, par un jugement du 4 octobre 2012, a prononcé un non-lieu à statuer à hauteur de la somme de 41 022 euros et rejeté le surplus des conclusions de sa demande en décharge. Par l'arrêt attaqué du 8 juillet 2014, la cour administrative d'appel de Versailles a annulé le jugement du tribunal administratif en tant qu'il n'a pas statué sur les conclusions de la demande qui excédaient le quantum de 1 664 150 euros (article 1er) et a rejeté les conclusions de la demande excédant ce quantum et les conclusions de la requête d'appel incluses dans ce quantum (article 2) ainsi que les conclusions présentées par la société au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative (article 3). Le pourvoi de la CRCAM doit être regardé comme étant dirigé contre l'article 2 de cet arrêt et contre l'article 3.

Sur la régularité de l'arrêt attaqué :

2. En premier lieu, s'il résulte du dernier alinéa de l'article R. 741-2 du code de justice administrative que l'indication de la date de l'audience constitue une mention substantielle dont l'absence est de nature à entacher d'irrégularité une décision, aucune disposition du code de justice administrative n'impose que la mention d'éventuelles audiences précédentes à l'issue desquelles l'affaire aurait été rayée et l'instruction rouverte soit également portée sur la décision. Par suite, la circonstance que l'arrêt attaqué, qui mentionne que l'audience a eu lieu le 27 mai 2014 et qu'y ont notamment été entendues les observations de l'avocat de la requérante, ne mentionne pas la tenue d'une précédente audience le 18 mars 2014, est sans incidence sur sa régularité.

3. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier soumis à la cour que la note en délibéré produite, le 2 juin 2014, par la CRCAM ne faisait qu'illustrer par des exemples chiffrés la méthode de calcul des provisions litigieuses, laquelle avait déjà fait l'objet de développements dans les écritures échangées par les parties au cours de l'instruction. Elle ne contenait, ainsi, aucun élément nouveau que le ministre n'aurait été en mesure de discuter. Dans ces conditions, l'absence de communication de cette note n'a pas, en tout état de cause, entaché la procédure d'irrégularité.

4. Enfin, si l'arrêt attaqué mentionne, dans ses visas, " l'arrêté du 27 décembre 2002 portant homologation des règlements nos 2002-01, 2002-02, 2002-03, 2002-04, 2002-05, 2002-09, 2002-10, 2002-12 et 2002-13 du Comité de la règlementation comptable " et se réfère, dans ses motifs, au " règlement établi par le Comité de la réglementation comptable n° 2002-03 du 12 décembre 2002 approuvé par l'arrêté du 27 décembre 2002 susvisé " alors que le règlement n° 2002-03 du 12 décembre 2002 a été modifié par le règlement n° 2005-03 du 3 novembre 2005, homologué par arrêté du 26 décembre 2005, et par le règlement n° 2007-06 du 14 décembre 2007, homologué par arrêté du 28 décembre 2007, il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la cour s'est fondée sur les dispositions de ce règlement telles que modifiées par ces règlements du 3 novembre 2005 et du 14 décembre 2007. Il en résulte que le moyen tiré de ce que la cour se serait fondée sur une version de ce texte inapplicable ratione temporis doit être écarté.

Sur le bien-fondé de l'arrêt attaqué :

5. Aux termes de l'article 39 du code général des impôts, applicable en matière d'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209 du même code : " 1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant (...) notamment : (...) 5° Les provisions constituées en vue de faire face à des pertes ou charges nettement précisées et que les événements en cours rendent probables, à condition qu'elles aient été effectivement constatées dans les écritures de l'exercice (...). " . Si un manque à gagner ne saurait être assimilé à une perte ou charge, un établissement de crédit peut déduire de son résultat imposable les provisions destinées à tenir compte de la dépréciation affectant les prêts qu'il consent s'il justifie que la valeur probable de réalisation de ces prêts est, à la clôture de l'exercice, inférieure à leur valeur nominale.

6. Il ressort des énonciations non contestées de l'arrêt attaqué que les provisions en litige correspondent, d'une part, à la décote sur prêts restructurés prévue à l'article 6 du règlement n° 2002-03 du 12 décembre 2002 du comité de la règlementation comptable (CRC) modifié relatif au traitement comptable du risque de crédit et, d'autre part, aux dépréciations sur encours douteux visées à l'article 13 du même règlement et qu'elles ont été calculées conformément aux termes de ce règlement. Selon l'article 6 de ce règlement, le montant de la décote sur prêts restructurés est " égal à l'écart entre l'actualisation des flux contractuels initialement attendus et l'actualisation des flux futurs attendus de capital et d'intérêts issus de la restructuration ". En vertu de l'article 13, la dépréciation sur encours douteux correspond, en valeur actualisée, à l'ensemble des pertes prévisionnelles au titre de ces encours, définies comme la différence entre les flux contractuels initiaux de capital et d'intérêts, déduction faite des flux déjà encaissés, et les flux prévisionnels.

7. En premier lieu, il résulte de ces dispositions que la décote enregistre uniquement la perte d'intérêts futurs alors que la dépréciation sur encours douteux enregistre une diminution de la valeur vénale de ces encours. Par suite, la cour a inexactement qualifié les faits en jugeant que les provisions pour dépréciation des créances douteuses, calculées conformément à l'article 13 du règlement n° 2002-03 du 12 décembre 2002 du CRC, devaient être regardées comme constituées pour faire face non à des pertes ou charges probables à la clôture de l'exercice au sens du 5° du 1 de l'article 39 du code général des impôts, mais à un manque à gagner d'intérêts futurs ne pouvant donner lieu à la constatation d'une provision déductible. En revanche, elle n'a pas donné aux faits une qualification juridique erronée en regardant les sommes objet de la décote comme un manque à gagner d'intérêts futurs. La cour n'a pas davantage dénaturé les pièces du dossier en affirmant que la requérante avait actualisé au dernier taux contractuel l'ensemble des prêts en cause. Elle s'est, en effet, bornée à expliciter la méthode d'actualisation de la décote, effectuée en principe au dernier taux contractuel ainsi que le prévoit l'article 6 du règlement n° 2002-03 du 12 décembre 2002 du CRC, qui ouvre seulement la faculté de se référer à un taux de marché lorsqu'il existe. C'est, enfin, sans méconnaître les dispositions de l'article 39 du code général des impôts que la cour a jugé que cette décote n'était pas fiscalement déductible.

8. En deuxième lieu, le moyen tiré de ce que la cour a commis une erreur de droit faute d'avoir établi une distinction entre la provision visée à l'article 13 du règlement n° 2002-03 du 12 décembre 2002 du CRC, qui relèverait du 5° du 1 de l'article 39 du code général des impôts, et la décote visée à son article 6, auquel s'appliquerait le 2 de l'article 38 du même code définissant le bénéfice imposable comme la variation d'actif net entre l'ouverture et la clôture de l'exercice, est nouveau en cassation et, par suite, inopérant.

9. En troisième lieu, c'est sans erreur de droit que la cour a jugé inopérant le moyen de la requérante tiré de ce que le droit fiscal et la doctrine administrative admettent de plus en plus fréquemment la prise en compte de l'actualisation des créances.

10. Enfin, si une provision constituée dans les comptes d'un exercice doit, en principe, être déduite du résultat fiscal de ce même exercice, c'est, toutefois, à la condition que les règles propres au droit fiscal ne s'opposent pas à sa déduction. Par suite, dès lors qu'elle avait jugé que les dispositions de l'article 39 du code général des impôts font obstacle à la déduction du résultat imposable de la décote litigieuse, la cour n'a pas méconnu ce principe en jugeant que celle-ci ne pouvait être déduite du résultat fiscal de la CRCAM.

11. Il résulte de tout ce qui précède que la requérante est seulement fondée à demander l'annulation de l'article 2 de l'arrêt attaqué en tant qu'il a rejeté les conclusions de sa requête tendant à la réduction des cotisations d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie, au titre des exercices 2005 à 2007, à raison de l'inclusion dans ses bases imposables des provisions pour pertes prévisionnelles sur les créances douteuses évaluées en valeur actualisée, et de son article 3.

12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre une somme de 1 500 euros à la charge de l'Etat au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

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Article 1er : L'article 2, en tant qu'il rejette les conclusions de la requête de la CRCAM du Centre Ouest tendant à la réduction des cotisations d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie, au titre des exercices 2005 à 2007, à raison de l'inclusion dans ses bases imposables des provisions pour pertes prévisionnelles sur les créances douteuses évaluées en valeur actualisée, et l'article 3 de l'arrêt du 8 juillet 2014 de la cour administrative d'appel de Versailles sont annulés.

Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Versailles dans la mesure de la cassation prononcée à l'article 1er.

Article 3 : L'Etat versera une somme de 1 500 euros à la CRCAM du Centre Ouest au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions du pourvoi est rejeté.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à la Caisse régionale du crédit agricole mutuel (CRCAM) du Centre Ouest et au ministre de l'économie et des finances.


Synthèse
Formation : 9ème - 10ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 385218
Date de la décision : 10/05/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

19-04-02-01-04-04 CONTRIBUTIONS ET TAXES. IMPÔTS SUR LES REVENUS ET BÉNÉFICES. REVENUS ET BÉNÉFICES IMPOSABLES - RÈGLES PARTICULIÈRES. BÉNÉFICES INDUSTRIELS ET COMMERCIAUX. DÉTERMINATION DU BÉNÉFICE NET. PROVISIONS. - PROVISIONS POUR DÉPRÉCIATION SUR ENCOURS DOUTEUX - DÉDUCTIBILITÉ DU RÉSULTAT IMPOSABLE (5° DU 1 DE L'ART. 39 DU CGI) - EXISTENCE.

19-04-02-01-04-04 Des provisions pour dépréciation sur encours douteux, calculées conformément à l'article 13 du règlement n° 2002-03 du 12 décembre 2002 du comité de la règlementation comptable (CRC), ne sont pas constituées pour faire face à un manque à gagner d'intérêts futurs mais à une diminution de la valeur vénale d'encours constituant des pertes ou charges probables à la clôture de l'exercice au sens du 5° du 1 de l'article 39 du code général des impôts (CGI). Elles sont par suite déductibles du résultat imposable.


Publications
Proposition de citation : CE, 10 mai. 2017, n° 385218
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Séverine Larere
Rapporteur public ?: Mme Marie-Astrid Nicolazo de Barmon
Avocat(s) : SCP WAQUET, FARGE, HAZAN

Origine de la décision
Date de l'import : 21/11/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2017:385218.20170510
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