Vu la procédure suivante :
La fédération des comités d'intérêt de quartier (CIQ) du 9ème arrondissement de Marseille, l'association du CIQ du vallon de Toulouse-Régny et M. A...B...ont demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler pour excès de pouvoir le permis de construire délivré tacitement le 27 mai 2009 à la société Urbatim, par lequel le maire de Marseille a autorisé la réalisation de 121 logements répartis sur deux bâtiments et la décision de rejet du recours gracieux dirigé contre ce permis. Par un jugement n° 1104377 du 21 février 2013, le tribunal administratif de Marseille a fait droit à leur demande.
Par un arrêt n° 13MA01514 du 16 décembre 2014, la cour administrative d'appel de Marseille a annulé ce jugement ainsi que le permis de construire tacite mentionné ci-dessus et la décision du maire de Marseille rejetant le recours gracieux dirigé contre cette décision.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 16 février et 18 mai 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Urbatim demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge de la fédération des CIQ du 9ème arrondissement de Marseille, du CIQ du vallon de Toulouse et de M. B...la somme de 5.000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Cyrille Beaufils, auditeur,
- les conclusions de Mme Suzanne von Coester, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de la société Urbatim et à la SCP Didier, Pinet, avocat de la fédération des CIQ du 9ème arrondissement de Marseille, du CIQ du vallon de Toulouse et de M. B...;
1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 600-4-1 du code de l'urbanisme : " Lorsqu'elle annule pour excès de pouvoir un acte intervenu en matière d'urbanisme ou en ordonne la suspension, la juridiction administrative se prononce sur l'ensemble des moyens de la requête qu'elle estime susceptibles de fonder l'annulation ou la suspension, en l'état du dossier ".
2. Considérant que, saisi d'un pourvoi dirigé contre une décision juridictionnelle reposant sur plusieurs motifs dont l'un est erroné, le juge de cassation, à qui il n'appartient pas de rechercher si la juridiction aurait pris la même décision en se fondant uniquement sur les autres motifs, doit, hormis le cas où ce motif erroné présenterait un caractère surabondant, accueillir le pourvoi ; qu'il en va cependant autrement lorsque la décision juridictionnelle attaquée prononce l'annulation pour excès de pouvoir d'un acte administratif, dans la mesure où l'un quelconque des moyens retenus par le juge du fond peut suffire alors à justifier son dispositif d'annulation ; qu'en pareille hypothèse, et sous réserve du cas où la décision qui lui est déférée aurait été rendue dans des conditions irrégulières, il appartient au juge de cassation, si l'un des moyens reconnus comme fondés par cette décision en justifie légalement le dispositif, de rejeter le pourvoi ; que, toutefois, en raison de l'autorité de chose jugée qui s'attache aux motifs constituant le soutien nécessaire du dispositif de la décision juridictionnelle déférée, le juge de cassation ne saurait, sauf à méconnaître son office, prononcer ce rejet sans avoir, au préalable, censuré celui ou ceux de ces motifs qui étaient erronés ; que, eu égard à l'objet des dispositions précitées de l'article L. 600-4-1 du code de l'urbanisme, cette règle trouve en particulier à s'appliquer lorsque la pluralité des motifs du juge du fond découle de l'obligation qui lui est faite de se prononcer sur l'ensemble des moyens susceptibles de fonder l'annulation ;
3. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le maire de la ville de Marseille a délivré à la société Urbatim, un permis de construire tacite à la date du 27 mai 2009, pour la construction de deux immeubles collectifs de 121 appartements sur un terrain situé en zone UZreB du règlement du plan d'occupation des sols ; que, par un jugement du 21 février 2013, le tribunal administratif de Marseille a annulé ce permis de construire, ainsi que la décision de refus du recours gracieux dirigé contre ce dernier ; que, par un arrêt du 16 décembre 2014 contre lequel la société Urbatim se pourvoit en cassation, la cour administrative d'appel de Marseille a annulé ce jugement puis, après évocation, a fait droit aux conclusions des requérants tendant à l'annulation de ces deux décisions ;
Sur le principe du contradictoire :
4. Considérant qu'il ressort des termes mêmes de l'arrêt attaqué que la cour ne s'est fondée sur aucun nouvel élément qui aurait été contenu dans le mémoire des requérants enregistré le 10 novembre 2014 ; que, par suite, la circonstance qu'elle n'a pas communiqué ce mémoire au défendeur, la société Urbatim, ne saurait constituer une méconnaissance du principe du contradictoire ;
Sur l'application des dispositions de l'article L. 111-4 du code de l'urbanisme :
5. Considérant qu'aux termes de l'article L. 111-4 du code de l'urbanisme alors en vigueur : " Lorsque, compte tenu de la destination de la construction ou de l'aménagement projeté, des travaux portant sur les réseaux publics de distribution d'eau, d'assainissement ou de distribution d'électricité sont nécessaires pour assurer la desserte du projet, le permis de construire ou d'aménager ne peut être accordé si l'autorité compétente n'est pas en mesure d'indiquer dans quel délai et par quelle collectivité publique ou par quel concessionnaire de service public ces travaux doivent être exécutés. " ; qu'il résulte de ces dispositions qu'un permis de construire ne peut être délivré lorsque, d'une part, des travaux d'extension ou de renforcement de la capacité des réseaux publics de distribution d'eau, d'assainissement ou d'électricité sont nécessaires à la desserte de la construction projetée et, d'autre part, lorsque l'autorité compétente n'est pas en mesure d'indiquer dans quel délai et par quelle collectivité publique ou par quel concessionnaire de service public ces travaux doivent être exécutés, après avoir, le cas échéant, accompli les diligences appropriées pour recueillir les informations nécessaires à son appréciation ; qu'aux termes de l'article 4 du règlement du plan local d'urbanisme applicable à la zone UZreB de la ZAC vallon de Toulouse-Régny : " Les constructions sont raccordées au réseau de distribution d'eau potable " ; que l'article 2.2.1 du même règlement précise: " Le raccordement à l'égout public est obligatoire " ;
6. Considérant que la cour a estimé, dans les motifs de son arrêt qui ne sont entachés d'aucune insuffisance de motivation, que la société Urbatim n'apportait pas d'éléments suffisants pour justifier du respect des délais pour la mise en oeuvre des travaux d'extension du réseau public d'eau, d'électricité et d'assainissement ; que, par suite, en relevant une absence d'engagements précis de la part de la société d'aménagement " Marseille Aménagement " ayant passé une convention avec la ville de Marseille pour la réalisation de l'opération, la cour administrative d'appel a dénaturé les faits qui lui étaient soumis dans l'application de l'article L. 111-4 du code de l'urbanisme ; qu'il ressort toutefois des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'article 10 du cahier des charges de la cession des terrains de la ZAC prévoyait qu'elle devait exécuter les travaux de canalisation d'eau et d'électricité dans les douze mois suivant la cession de chaque lot et que la société Urbatim avait présenté dans son dossier de demande de permis de construire une lettre de la société d'aménagement qui rappelait son engagement contractuel à exécuter tous les travaux à sa charge dans les délais nécessaires pour assurer la desserte des bâtiments, au fur et à mesure de leur mise en service ;
Sur l'application des dispositions de l'article 3 du règlement du plan d'occupation des sols de la ville de Marseille :
7. Considérant qu'aux termes de l'article 3 du règlement du plan d'occupation des sols de la ville de Marseille, applicable à la zone en cause : " 3. Accès-Voirie : Les constructions sont desservies par des voies publiques ou privées dont les caractéristiques, telles qu'elles se présentent au moment de l'exécution du projet, correspondent à leur destination " ; qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'en estimant que la desserte du projet de construction nécessitait l'aménagement des voies publiques d'une ampleur telle et requérait un si long délai que l'état de la voirie ne pourrait être regardé comme suffisant lors de l'exécution du projet de construction, eu égard notamment à la circonstance que l'acquisition nécessaire des terrains n'était pas achevée, la cour, qui n'a soulevé aucun moyen d'office sans qu'il ait été discuté entre les parties, ni retenu de circonstances de fait postérieures à la date de la décision attaquée, n'a pas commis d'erreur de droit dans l'application des dispositions du règlement du plan d'occupation de sols et n'a pas dénaturé les faits ; que ce motif justifie à lui seul l'annulation du permis de construire litigieux ; qu'il suit de là que la société Urbatim n'est pas fondée à demander, dans cette mesure, l'annulation de l'arrêt attaqué ;
Sur l'application des dispositions de l'article L. 600-5 du code de l'urbanisme :
8. Considérant qu'en écartant l'application des dispositions de l'article L. 600-5 du code de l'urbanisme sans que la société Urbatim puisse se prévaloir de la circonstance que le vice tiré de l'absence dans le dossier de demande du cahier des charges de la cession du terrain pouvait être régularisé par une demande de permis de construire modificatif, dès lors que les autres motifs qu'elle avait retenus n'étaient pas susceptibles d'être régularisés, la cour n'a pas méconnu ces dispositions ;
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
9. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de la fédération des CIQ du 9ème arrondissement de Marseille, du CIQ du vallon de Toulouse et de M. B...qui ne sont pas la partie perdante dans la présente instance ; qu'il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Urbatim le versement à la fédération des CIQ du 9ème arrondissement de Marseille, au CIQ du vallon de Toulouse et à M. B...la somme de 1.000 euros chacun au titre des mêmes dispositions ;
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de la société Urbatim est rejeté.
Article 2 : La société Urbatim versera à la fédération des CIQ du 9ème arrondissement de Marseille, au CIQ du vallon de Toulouse-Régny et à M. B...la somme de 1.000 euros chacun au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société Urbatim et à la fédération des CIQ du 9ème arrondissement de Marseille, premier défendeur dénommé. Les autres défendeurs seront informés de la présente décision par la SCP Hélène Didier et François Pinet, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation qui les représente devant le Conseil d'Etat.