Vu la procédure suivante :
M. D...A...a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 28 septembre 2009 par laquelle le ministre chargé du travail a annulé la décision du 7 avril 2009 de l'inspectrice du travail de la 8ème section de la Moselle refusant à la société Inéos Manufacturing France l'autorisation de le licencier et accordé cette autorisation. Par un jugement n° 0905637 du 29 avril 2013, le tribunal administratif a fait droit à sa demande.
Par un arrêt n° 13NC01371 du 23 juin 2014, la cour administrative d'appel de Nancy a, sur appel de la société Inéos Manufacturing France, annulé ce jugement et rejeté la demande de première instance de M.A....
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 25 août et 25 novembre 2014 et le 21 juillet 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A...demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel de la société Inéos Manufacturing France ;
3°) de mettre à la charge de la société Inéos Manufacturing France la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code du travail ;
- la décision du 8 décembre 2006 portant délégation de signature (direction générale du travail) ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Benjamin de Maillard, maître des requêtes,
- les conclusions de Mme Sophie-Justine Lieber, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Masse-Dessen, Thouvenin, Coudray, avocat de M. A...et à la SCP Thouin-Palat, Boucard, avocat de la société Ineos Manufacturing France ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 12 septembre 2016, présentée par M. A... ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 13 septembre 2016, présentée par la société Inéos Manufacturing France ;
1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par une décision du 7 avril 2009, l'inspectrice du travail de la 8ème section de la Moselle a refusé à la société Inéos Manufacturing France l'autorisation de licencier M.A..., salarié protégé, au motif notamment que l'employeur s'était borné à rechercher des postes de reclassement au sein de l'entreprise, sans faire porter sa recherche sur l'ensemble des entreprises du groupe Inéos ; que, sur recours de l'employeur, le ministre chargé du travail a, par une décision du 28 septembre 2009, retiré la décision de l'inspectrice du travail et autorisé le licenciement de M. A...; que ce dernier demande l'annulation de l'arrêt du 23 juin 2014 par lequel la cour administrative d'appel de Nancy a, sur appel de la société Inéos Manufacturing France, d'une part, annulé le jugement du 29 avril 2013 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a annulé la décision du 28 septembre 2009 du ministre chargé du travail et, d'autre part, rejeté sa demande d'annulation de cette décision ;
2. Considérant qu'en vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail ; que, lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, il ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé ; que, dans le cas où la demande de licenciement est fondée sur un motif de caractère économique, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si la situation de l'entreprise justifie le licenciement du salarié, en tenant compte notamment de la nécessité des réductions d'effectifs envisagées et de la possibilité d'assurer le reclassement du salarié ;
3. Considérant que, pour apprécier si l'employeur a satisfait à son obligation en matière de reclassement, l'autorité administrative doit s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, qu'il a procédé à une recherche sérieuse des possibilités de reclassement du salarié, tant au sein de l'entreprise que dans les entreprises du groupe auquel elle appartient, ce dernier étant entendu, à ce titre, comme les entreprises dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation permettent, en raison des relations qui existent avec elles, d'y effectuer la permutation de tout ou partie de son personnel ;
4. Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que s'il appartenait à la cour, pour juger du respect par la société Inéos Manufacturing France de l'obligation de moyens dont elle était débitrice pour le reclassement de M.A..., de tenir compte de l'ensemble des circonstances de fait qui lui étaient soumises, notamment de ce que les recherches de reclassement conduites au sein de la société avaient débouché sur des propositions précises de reclassement, de la nature et du nombre de ces propositions, ainsi que des motifs de refus avancés par le salarié, elle ne pouvait apprécier le caractère sérieux de la recherche des possibilités de reclassement de M. A...qu'au regard des possibilités existant, le cas échéant, dans les autres entreprises du groupe ; que, par suite, en jugeant que l'absence, à la date de la décision de l'inspectrice du travail, de toute recherche de reclassement au sein des autres entreprises du groupe Inéos était sans incidence sur l'appréciation à porter, à cette même date, sur le sérieux de la recherche de reclassement, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit ; que M. A...est, par suite, fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque ;
5. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;
6. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier qu'à la date à laquelle l'inspectrice du travail a refusé le licenciement de M.A..., la société Inéos Manufacturing France n'avait, ainsi qu'il a été dit, procédé à aucune recherche de reclassement au sein des autres entreprises du groupe Inéos ; que, toutefois, postérieurement au refus de l'inspectrice du travail mais avant que le ministre ne statue sur le recours hiérarchique dirigé contre cette décision, la société Inéos Manufacturing France a procédé dans l'ensemble des autres entreprises du groupe Inéos à la recherche des possibilités de reclassement de M. A...sur des fonctions comparables à celles qu'il occupait ;
7. Considérant, en premier lieu, qu'il ressort ainsi des pièces du dossier qu'à la date de la décision de l'inspectrice du travail, quatre postes de reclassement avaient été proposés à M. A...au sein de la société Inéos Manufacturing France sur des emplois de niveau équivalent ou supérieur au sien, dont trois avaient été refusés par lui sans qu'il donne le motif de ces refus ; que, par ailleurs, ainsi que le révèle notamment le caractère infructueux des recherches effectuées par l'employeur dans l'ensemble des autres entreprises du groupe postérieurement à cette décision, aucune possibilité de reclassement sur des fonctions comparables à celles qu'occupait M. A...n'existait, à la date de cette décision, au sein des autres entreprises du groupe Inéos ; qu'ainsi, l'employeur devait, à la date de la décision de l'inspectrice du travail, être regardé comme ayant procédé à une recherche sérieuse des possibilités de reclassement du salarié, tant au sein de l'entreprise que dans les entreprises du groupe auquel elle appartenait ; que, par suite, pour retirer la décision de l'inspectrice du travail, le ministre chargé du travail a pu légalement se fonder sur ce que l'employeur n'avait pas méconnu l'obligation qui lui incombait ;
8. Considérant, en second lieu, qu'eu égard au caractère sérieux des recherches conduites par l'employeur, avant que le ministre ne statue, tant au sein de l'entreprise Inéos Manufacturing France que dans l'ensemble des autres entreprises du groupe Inéos, le ministre chargé du travail a pu légalement se fonder sur ce que, à la date à laquelle il a autorisé le licenciement de M.A..., l'employeur n'avait pas méconnu l'obligation qui lui incombait ;
9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société Inéos Manufacturing France est fondée à soutenir que c'est à tort que, pour annuler la décision du ministre chargé du travail du 28 septembre 2009 retirant la décision de l'inspectrice du travail et autorisant le licenciement de M.A..., le tribunal administratif de Strasbourg s'est fondé sur la méconnaissance par l'employeur de son obligation de reclassement ;
10. Considérant, toutefois, qu'il appartient au Conseil d'Etat, saisi de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A...devant le tribunal administratif de Strasbourg ;
11. Considérant, en premier lieu, que, contrairement à ce que soutient M. A..., M. B...C...était, en vertu d'une décision du directeur général du travail du 8 décembre 2006 publiée au Journal officiel de la République française le 13 décembre 2006, compétent pour signer, au nom du ministre, la décision litigieuse du 28 septembre 2009 ;
12. Considérant, en deuxième lieu, que la décision du 28 septembre 2009 mentionne les éléments de droit et de fait sur lesquels s'est fondé le ministre pour estimer que la réalité du motif économique était établie, que la société devait être regardée comme ayant satisfait à son obligation de reclassement et que le licenciement n'avait pas de lien avec le mandat ; qu'elle est, par suite, suffisamment motivée ;
13. Considérant, en troisième lieu, qu'il ressort des pièces du dossier qu'en raison notamment de la chute de la demande mondiale en produits polyoléfines à la fin des années 2000, les capacités de production du groupe Inéos se sont révélées excédentaires ; que malgré la mise en oeuvre du plan d'adaptation de ses capacités de production décidé en 2007, les activités du groupe dans le secteur des produits polyoléfines ont enregistré en 2008, après une année 2007 qui était encore bénéficiaire, des pertes s'élevant notamment à 25 millions d'euros pour les sites européens du groupe et à 1,4 millions d'euros pour le site de Sarralbe de l'entreprise Inéos Manufacturing France où était employé M.A..., ce qui a d'ailleurs conduit à l'abandon, sur ce site, de la production du polypropylène ; que, dès lors, le ministre n'a pas fait une inexacte application des dispositions du code du travail en estimant établie la réalité du motif économique invoqué par l'employeur ;
14. Considérant, enfin, qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que le licenciement de M. A...serait en rapport avec son mandat ;
15. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société requérante est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé la décision du ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité du 28 septembre 2009 ;
16. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la société Inéos Manufacturing France qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. A...les sommes demandées par cette société au titre des mêmes dispositions ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy du 23 juin 2014 et le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 29 avril 2013 sont annulés.
Article 2 : La demande présentée par M. A...devant le tribunal administratif de Strasbourg est rejetée.
Article 3 : Les conclusions de la société Inéos Manufacturing France présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. D...A..., à la société Inéos Manufacturing France et à la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.