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30/06/2016 | FRANCE | N°400115

France | France, Conseil d'État, 9ème - 10ème chambres réunies, 30 juin 2016, 400115


Vu la procédure suivante :

M. et Mme B...A...ont demandé au tribunal administratif de Strasbourg de prononcer la réduction de la cotisation d'impôt sur le revenu à laquelle ils ont été assujettis au titre de l'année 2008. Au soutien de cette demande, ils ont demandé à ce tribunal de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité au principe d'égalité devant les charges publiques, garanti par la Constitution, de l'article 117 quater du code général des impôts, dans sa rédaction issue de la loi du 24 décembre 2007 de finances pour 2008. Par une ordonnance n°

1102055 du 24 janvier 2012, le président de la 3ème chambre du tribunal...

Vu la procédure suivante :

M. et Mme B...A...ont demandé au tribunal administratif de Strasbourg de prononcer la réduction de la cotisation d'impôt sur le revenu à laquelle ils ont été assujettis au titre de l'année 2008. Au soutien de cette demande, ils ont demandé à ce tribunal de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité au principe d'égalité devant les charges publiques, garanti par la Constitution, de l'article 117 quater du code général des impôts, dans sa rédaction issue de la loi du 24 décembre 2007 de finances pour 2008. Par une ordonnance n° 1102055 du 24 janvier 2012, le président de la 3ème chambre du tribunal administratif de Strasbourg, avant qu'il soit statué sur cette demande, a décidé, par application des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre cette question au Conseil d'Etat.

Par une décision n° 356227 du 28 mars 2012, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a décidé qu'il n'y avait pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité transmise par le tribunal administratif de Strasbourg.

Par un jugement n° 1102055 du 10 mars 2015, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leur demande.

Par un arrêt n° 15NC00737 du 24 mars 2016, la cour administrative d'appel de Nancy a décidé qu'il n'y avait pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée en appel par M. et Mme A...et rejeté leur appel contre ce jugement.

Par un pourvoi, enregistré le 25 mai 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. et Mme A...demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à leur appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code général des impôts ;

- la loi n° 2007-1822 du 24 décembre 2007 ;

- la décision du Conseil constitutionnel n° 2015-473 QPC du 26 juin 2015 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Bastien Lignereux, auditeur,

- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Baraduc, Duhamel, Rameix, avocat de M. et Mme A...;

Considérant ce qui suit :

1. L'article 158 du code général des impôts, dans sa rédaction alors applicable, dispose que : " (...) 3. 1° Les revenus de capitaux mobiliers comprennent tous les revenus visés au VII de la 1ère sous-section de la présente section, à l'exception des revenus expressément affranchis de l'impôt en vertu de l'article 157 et des revenus ayant supporté les prélèvements visés aux articles 117 quater et 125 A. / 2° Les revenus mentionnés au 1° distribués par les sociétés passibles de l'impôt sur les sociétés (...) sont réduits, pour le calcul de l'impôt sur le revenu, d'un abattement égal à 40 % de leur montant brut perçu. (...) / 3° Les dispositions du 2° ne s'appliquent pas : / (...) f. lorsque, au cours de la même année, le contribuable a perçu des revenus sur lesquels a été opéré le prélèvement prévu à l'article 117 quater (...) ". Aux termes de l'article 117 quater du code général des impôts, dans sa rédaction issue de la loi du 24 décembre 2007 de finances pour 2008 : " I.-1. Les personnes physiques fiscalement domiciliées en France au sens de l'article 4 B qui bénéficient de revenus éligibles à l'abattement prévu au 2° du 3 de l'article 158 peuvent opter pour leur assujettissement à un prélèvement au taux de 18 %, qui libère les revenus auxquels il s'applique de l'impôt sur le revenu. / (...) II. (...) L'option pour le prélèvement est exercée par le contribuable au plus tard lors de l'encaissement des revenus ; elle est irrévocable pour cet encaissement. (...) ".

2. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. et Mme A... ont, au cours de l'année 2008, perçu des dividendes ouvrant droit, en principe, pour le calcul de l'impôt sur le revenu, à l'abattement de 40 % prévu par les dispositions du 2°du 3 de l'article 158 du code général des impôts, citées au point 1. Pour une partie minime de ces revenus, ils ont opté pour le prélèvement forfaitaire libératoire alors prévu par l'article 117 quater de ce code. En application des dispositions précitées du f du 3° du 3 de l'article 158 du même code, l'impôt sur le revenu dû au titre des dividendes pour lesquels ils n'avaient pas exercé cette option a été établi sans application de l'abattement de 40 %.

3. Il ressort également des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par une réclamation du 16 février 2011, M. et Mme A...ont demandé la révocation de l'option pour le prélèvement libératoire qu'ils avaient exercée. Au soutien de leur demande présentée au tribunal administratif de Strasbourg, devant lequel ils avaient porté le litige résultant du rejet de cette réclamation, ils ont demandé que soit transmise au Conseil d'Etat la question de la conformité au principe d'égalité devant les charges publiques, garanti par la Constitution, de l'article 117 quater du code général des impôts. Par une décision n° 356227 du 28 mars 2012, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a décidé qu'il n'y avait pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité que lui avait transmise par le tribunal administratif de Strasbourg. Par un arrêt du 24 mars 2016, la cour administrative d'appel de Nancy a décidé qu'il n'y avait pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat une deuxième question prioritaire de constitutionnalité soulevée en appel par M. et MmeA..., également tirée de la méconnaissance par ces mêmes dispositions du principe d'égalité devant les charges publiques, et rejeté leur appel contre le jugement du 10 mars 2015 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg avait rejeté leur demande. A l'appui du pourvoi en cassation introduit contre cet arrêt, M. et Mme A...contestent d'une part, en application de l'article R. 771-16 du code de justice administrative, le refus opposé par la cour de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité qu'il lui avaient posée et demandent d'autre part au Conseil d'Etat, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité de l'article 117 quater du code général des impôts au principe d'égalité devant la loi et au droit de propriété.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité soulevée :

4. L'article 61-1 de la Constitution dispose que : " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé (...) ". Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé, y compris pour la première fois en cassation, à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat ou la Cour de cassation (...). Le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité dès lors que les conditions prévues aux 1° et 2° de l'article 23-2 sont remplies et que la question est nouvelle ou présente un caractère sérieux (...) ". Il résulte de ces dispositions que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

5. En premier lieu, M. et Mme A...soutiennent que l'exclusion du bénéfice de l'abattement de 40 % pour la part des dividendes pour lesquels le contribuable n'a pas opté pour le prélèvement forfaitaire libératoire prévu par l'article 117 quater du code général des impôts, qui selon eux n'est justifiée que pour les contribuables imposés, s'agissant de leurs revenus soumis au barème de l'impôt sur le revenu, à un taux marginal supérieur au taux de ce prélèvement, méconnaît le principe d'égalité devant la loi. Toutefois, cette exclusion résulte des dispositions du f du 3° du 3 de l'article 158 du code général des impôts, que le Conseil constitutionnel a déclarées, dans leur rédaction alors applicable, conformes à la Constitution dans sa décision n° 2015-473 QPC du 26 juin 2015, et non de l'article 117 quater de ce code dont les requérants entendent ici contester la conformité à la Constitution.

6. En deuxième lieu, les requérants soutiennent que le caractère irrévocable de l'option pour le prélèvement forfaitaire libératoire prévue par l'article 117 quater du code général des impôts introduit une différence de traitement entre, d'une part, les contribuables qui, percevant des revenus élevés, sont certains d'être imposés au taux marginal maximal du barème de l'impôt sur le revenu, et donc d'avoir intérêt à exercer l'option pour ce prélèvement pour les revenus de capitaux mobiliers qu'ils perçoivent et, d'autre part, les autres contribuables, qui supportent un risque s'ils optent pour ce prélèvement lors de l'encaissement des revenus qu'ils perçoivent, dès lors qu'ils ne peuvent être certains, à la date de cet encaissement, que les modalités d'imposition résultant de l'application de ce prélèvement s'avèreront financièrement plus avantageuses que celles qui résulteraient de l'application des règles d'imposition de droit commun. Toutefois, la différence de traitement relevée par les requérants résulte non pas de la loi elle-même, mais de l'exercice par le contribuable de l'option pour ce prélèvement. Le caractère irrévocable de cette option, s'il empêche d'éliminer le risque supporté par les contribuables l'ayant exercée, qui est inhérent à toute option entre deux modalités d'imposition distinctes, n'est pas par lui-même à l'origine de la rupture d'égalité dénoncée.

7. En dernier lieu, à supposer que le droit de propriété puisse être utilement invoqué pour contester la conformité à la Constitution de dispositions fiscales, l'irrévocabilité de l'option pour le prélèvement forfaitaire libératoire alors prévu par l'article 117 quater de ce code n'emporte ni privation du droit de propriété, ni limitation de son exercice, dès lors que les contribuables conservent la propriété de leurs titres ainsi que la possibilité de bénéficier du partage des résultats sociaux.

8. Il résulte de ce qui précède que la question soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux. Par suite, il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée.

Sur le pourvoi en cassation :

9. Si l'option pour le prélèvement forfaitaire libératoire prévu par l'article 117 quater du code général des impôts peut, dans certains cas, notamment lorsqu'elle n'est exercée que pour certains des revenus perçus entrant dans son champ d'application, conduire le contribuable à supporter une imposition plus élevée que celle qui aurait résulté de l'application du barème progressif de l'impôt sur le revenu, ou même de l'option pour ce prélèvement au titre de l'ensemble des revenus perçus, la différence de traitement qui en découle résulte uniquement du choix opéré par le contribuable lui-même entre les deux modalités d'imposition qui s'offrent à lui. Par ailleurs, si les dispositions de l'article 117 quater précisent que l'option pour le prélèvement forfaitaire libératoire est irrévocable pour l'encaissement auquel elle s'applique, cette règle, qui ne fait pas obstacle à ce que le contribuable opte pour l'imposition au barème progressif au titre de revenus de même nature perçus la même année, n'est pas, par elle-même, de nature à créer une rupture d'égalité entre contribuables. Le caractère irrévocable du choix se justifie par la nature de prélèvement à la source du prélèvement forfaitaire libératoire, laquelle implique que le contribuable se soit déterminé à la date d'encaissement des revenus.

10. En fondant sa décision sur les motifs énoncés au point 9 ci-dessus et non, contrairement à ce que soutiennent les requérants, sur la décision du Conseil constitutionnel n° 2015-473 QPC du 26 juin 2015, la cour a pu, sans commettre d'erreur de droit, refuser de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité de l'article 117 quater du code général des impôts au principe d'égalité devant les charges publiques, garanti par la Constitution, soulevée devant elle.

11. Aux termes de l'article L. 822-1 du code de justice administrative : " Le pourvoi en cassation devant le Conseil d'Etat fait l'objet d'une procédure préalable d'admission. L'admission est refusée par décision juridictionnelle si le pourvoi est irrecevable ou n'est fondé sur aucun moyen sérieux ". M. et Mme A...ne soulèvent aucun autre moyen au soutien de leur pourvoi. Le surplus des conclusions de celui-ci ne peut, par suite, être admis.

D E C I D E :

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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. et MmeA....

Article 2 : La contestation du refus de transmission au Conseil d'Etat de la question prioritaire de constitutionnalité soulevée devant la cour administrative d'appel de Nancy est écartée.

Article 3 : Le surplus des conclusions du pourvoi de M. et Mme A...et autres n'est pas admis.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. et Mme B...A...et au ministre des finances et des comptes publics. Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et au Premier ministre.


Synthèse
Formation : 9ème - 10ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 400115
Date de la décision : 30/06/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 30 jui. 2016, n° 400115
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Bastien Lignereux
Rapporteur public ?: Mme Emilie Bokdam-Tognetti
Avocat(s) : SCP BARADUC, DUHAMEL, RAMEIX

Origine de la décision
Date de l'import : 20/02/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2016:400115.20160630
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