Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 30 juillet et 27 octobre 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. et Mme Jean-Marc A, demeurant ... ; M. et Mme Bazin-Faucon demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt n° 09NT00211 du 31 mai 2010 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes, d'une part, faisant partiellement droit à l'appel qu'ils ont interjeté du jugement n° 07-1525 du 27 novembre 2008 du tribunal administratif de Caen, les a déchargés des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2002, 2003 et 2004 en tant qu'elles procèdent de la réintégration de frais financiers dans le bénéfice non commercial de Mme A, mais a rejeté le surplus de leurs conclusions et, d'autre part, faisant droit à l'appel incident du ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique, a remis à leur charge la pénalité de 80 % assortissant le redressement relatif à la remise en cause de l'exonération d'une plus-value au titre de l'année 2004 dont le tribunal administratif de Caen avait prononcé la décharge ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à leur appel ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu la loi n° 2004-804 du 9 août 2004 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Anne Egerszegi, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Lesourd, avocat de M. et Mme A,
- les conclusions de Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Lesourd, avocat de M. et Mme A ;
1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme A a cédé, le 30 décembre 2004, la clientèle de son cabinet individuel d'expert-comptable à la SARL Bazin-Faucon, constituée le même jour, elle-même et son mari en étant les seuls associés ; qu'elle a placé la plus-value alors réalisée sous le régime d'exonération prévu par l'article 238 quaterdecies du code général des impôts ; que l'administration fiscale a remis en cause cette exonération en se fondant sur les dispositions de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales relatives à l'abus de droit ; que, par un jugement du 27 novembre 2008, le tribunal administratif de Caen a écarté l'application de ces dispositions mais néanmoins confirmé le redressement sur le fondement de la fraude à la loi ; que M. et Mme A se pourvoient en cassation contre l'arrêt du 31 mai 2010 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes a, d'une part, rejeté les conclusions de leur appel tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 2004 en tant qu'elles procèdent du redressement relatif à la remise en cause de l'exonération de cette plus-value et, d'autre part, faisant droit à l'appel incident du ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique, remis à leur charge la pénalité de 80 %, dont le tribunal administratif de Caen avait prononcé la décharge ;
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi ;
2. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 238 quaterdecies du code général des impôts, dans sa rédaction applicable à l'imposition en litige : " I. Les plus-values soumises au régime des articles 39 duodecies à 39 quindecies et réalisées dans le cadre d'une activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale sont exonérées lorsque les conditions suivantes sont simultanément satisfaites :/ 1° le cédant est soit : a. une entreprise dont les résultats sont soumis à l'impôt sur le revenu (...) ;/ 2° la cession est réalisée à titre onéreux et porte sur une branche complète d'activité /; 3° la valeur de cette branche complète d'activité servant d'assiette aux droits d'enregistrement exigibles en application des articles 719, 720 ou 724 n'excède pas 300 000 euros (...) " ;
3. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable en l'espèce : " Ne peuvent être opposés à l'administration des impôts les actes qui dissimulent la portée véritable d'un contrat ou d'une convention à l'aide de clauses : / (...) qui déguisent soit une réalisation, soit un transfert de bénéfices ou de revenus (...) / L'administration est en droit de restituer son véritable caractère à l'opération litigieuse. En cas de désaccord sur les redressements notifiés sur le fondement du présent article, le litige est soumis, à la demande du contribuable, à l'avis du comité consultatif pour la répression des abus de droit. L'administration peut également soumettre le litige à l'avis du comité (...) / Si l'administration ne s'est pas conformée à l'avis du comité, elle doit apporter la preuve du bien-fondé du redressement " ; qu'il résulte de ces dispositions que, lorsque l'administration use de la faculté qu'elles lui confèrent dans des conditions telles que la charge de la preuve lui incombe, elle est fondée à écarter comme ne lui étant pas opposables certains actes passés par le contribuable, dès lors qu'elle établit que ces actes ont un caractère fictif ou que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, s'il n'avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées, eu égard à sa situation ou à ses activités réelles ; que l'administration fiscale apporte cette preuve par la production de tous éléments suffisamment précis attestant du caractère fictif des actes en cause ou de l'intention du contribuable d'éluder ou d'atténuer ses charges fiscales normales ; que, dans l'hypothèse où l'administration s'acquitte de cette obligation, il incombe ensuite au contribuable, s'il s'y croit fondé, d'apporter la preuve de la réalité des actes contestés ou de ce que l'opération litigieuse est justifiée par un motif autre que celui d'éluder ou d'atténuer ses charges fiscales normales ;
4. Considérant que, pour estimer que les actes passés par Mme A n'avaient pas pu être inspirés par un autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer ses charges fiscales, la cour administrative d'appel s'est bornée à relever que la recherche de l'exonération prévue à l'article 238 quaterdecies du code général des impôts était de nature à expliquer le choix effectué, pour créer la société, d'une cession plutôt que d'un apport d'actifs ; que, ce faisant, la cour a insuffisamment motivé son arrêt ; que, par suite, M. et Mme A sont fondés à en demander l'annulation en tant qu'il statue sur le redressement relatif à la remise en cause de l'exonération de la plus-value résultant de la cession litigieuse et sur la majoration de 80 % pour abus de droit ;
5. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative et de régler, dans cette mesure, l'affaire au fond ;
Sur l'appel de M. et Mme A :
6. Considérant qu'il résulte de l'instruction que le ministre, à qui incombe la charge de la preuve en l'absence de saisine du comité consultatif de répression des abus de droit, soutient que la cession par Mme A de son activité d'expert-comptable à la SARL Bazin-Faucon n'a pu être inspirée par un motif autre que celui d'éluder l'impôt dès lors que l'opération litigieuse permettait non seulement d'exonérer la plus-value réalisée à l'occasion de la cession de la clientèle à la société mais également de minorer très sensiblement la plus-value latente à constater lors d'une cession ultérieure éventuelle ; qu'il fait en outre valoir que Mme Bazin-Faucon a dû fournir sa caution personnelle à la banque pour la souscription par la société de l'emprunt destiné à financer l'acquisition en cause, que les apports en numéraire effectuées par l'intéressée à la souscription du capital de la société provenaient de prélèvements effectués sur son compte d'exploitant, que le fait d'intéresser son époux à son activité ne pouvait être regardé comme un élément de dilution de l'intérêt fiscal de l'opération et qu'enfin, les contribuables ne démontraient pas avoir entrepris des démarches pour trouver un nouvel associé ;
7. Considérant que, à supposer que, comme le soutient le ministre, Mme A n'apporte pas la preuve de ce que la cession de sa clientèle à la SARL Bazin-Faucon était justifiée par un motif autre que fiscal en affirmant qu'elle s'inscrivait dans un processus de structuration logique après dix années d'exercice professionnel sous forme individuelle, qu'elle était de nature à faciliter l'intégration de nouveaux associés et qu'elle répondait à des objectifs d'organisation patrimoniale en permettant notamment d'intéresser son mari à son activité, l'opération litigieuse ne saurait, en tout état de cause, être regardée comme ayant permis à l'intéressée d'éluder ou d'atténuer ses charges fiscales normales, dès lors que, en l'absence d'une telle opération, elle n'aurait supporté, l'année en cause, aucune charge fiscale au titre de l'imposition des plus-values ; qu'ainsi, le ministre n'établit pas que la charge fiscale de l'intéressée se trouvait, en réalité, modifiée par les actes qui ont été passés ; que, dans ces conditions, l'administration fiscale ne pouvait légalement fonder les suppléments d'impôt litigieux sur les dispositions de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales ; que, par suite, M et Mme A sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 27 novembre 2008, le tribunal administratif de Caen a rejeté leur demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis du fait de la remise en cause de l'exonération de la plus-value de cession réalisée au titre de l'année 2004 ;
Sur l'appel incident du ministre :
8. Considérant que, M. et Mme A étant déchargés des impositions et pénalités litigieuses, les conclusions incidentes du ministre tendant au rétablissement de la majoration de 80 % pour abus de droit prévue par l'article 1729 du code général des impôts et à ce que soit substituée à la pénalité d'abus de droit la pénalité prévue par le même article en cas de manoeuvres frauduleuses ainsi qu'à titre subsidiaire, la pénalité prévue au taux de 40 % en cas de manquement délibéré, ne peuvent qu'être rejetées ;
Sur les conclusions présentées par M. et Mme A au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
9. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros à verser à M. et Mme A au titre des dispositions de cet article ;
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes du 31 mai 2010 est annulé en tant qu'il statue sur le redressement relatif à la remise en cause de l'exonération de la plus-value réalisée au titre de l'année 2004 et sur la majoration de 80 % pour abus de droit.
Article 2 : M. et Mme A sont déchargés des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales ainsi que des pénalités correspondantes auxquelles ils ont été assujettis du fait de la remise en cause de l'exonération de la plus-value de cession réalisée au titre de l'année 2004.
Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Caen du 27 novembre 2008 est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.
Article 4 : Les conclusions incidentes du ministre présentées devant la cour administrative d'appel de Nantes sont rejetées.
Article 5 : L'Etat versera à M. et Mme A la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à M. et Mme A et au ministre de l'économie et des finances.