Vu la requête, enregistrée le 28 janvier 2009, présentée pour M. et Mme Jean-Marc X, demeurant ..., par Mes Pitron et Lostis, avocats au barreau de Rennes ; M. et Mme X demandent à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 07-1525 en date du 27 novembre 2008 par lequel le Tribunal administratif de Caen a rejeté leur demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2002, 2003 et 2004 ;
2°) de prononcer les décharges demandées ;
3°) de condamner l'Etat à leur verser une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 3 mai 2010 :
- le rapport de M. Grangé, président assesseur ;
- les conclusions de M. Hervouet, rapporteur public ;
- et les observations de Me Lostis, avocat de M. et Mme X ;
Sur la réintégration de frais financiers :
Considérant que l'administration, à l'issue d'une vérification de comptabilité de l'activité d'expert-comptable de Mme X, a réintégré aux bénéfices imposables des années 2002, 2003 et 2004, une quote-part des frais financiers résultant d'emprunts souscrits par la contribuable, en considérant que ces frais n'étaient pas dans cette mesure nécessités par l'exercice de la profession au sens de l'article 93 du code général des impôts dès lors que le compte de l'exploitant de l'intéressée, qui avait opté pour la tenue d'une comptabilité d'engagement, présentait un solde moyen débiteur au titre de chacune de ces années ;
Considérant qu'aux termes de l'article 93 du code général des impôts relatif à la détermination des bénéfices non commerciaux imposables : 1. Le bénéfice à retenir dans les bases de l'impôt sur le revenu est constitué par l'excédent des recettes totales sur les dépenses nécessitées par l'exercice de la profession (...) ; qu'en vertu du I de l'article 93 A du même code, par dérogation aux dispositions de la première phrase du 1 de l'article 93 les bénéfices à retenir dans les bases de l'impôt peuvent, sur demande des contribuables soumis au régime de la déclaration contrôlée, être constitués de l'excédent des créances acquises sur les dépenses mentionnées au 1 de l'article 93 et engagées au cours de l'année d'imposition ;
Considérant que le caractère débiteur du compte de l'exploitant ne saurait, à lui seul, justifier les redressements de frais financiers, pour un titulaire de bénéfices non commerciaux qui, comme en l'espèce, ne dresse pas de bilan, malgré son option pour une comptabilité d'engagement ; que la circonstance que la contribuable ait elle-même utilisé la méthode basée sur cette théorie pour la réintégration qu'elle a spontanément effectuée de frais financiers considérés comme personnels est sans incidence à cet égard ;
Considérant, toutefois, qu'il résulte des propres indications du contribuable que les emprunts contractés par Mme X au cours des années 2002, 2003 et 2004 ont été pour partie consacrés à couvrir ses besoins personnels ; que, comme il a été dit, elle a elle-même procédé à la réintégration des frais financiers correspondants ; que pour le surplus elle justifie, sans être précisément contredite par l'administration, que les emprunts se rapportent à des dépenses nécessitées par l'exercice de sa profession ; que l'administration n'est pas fondée à se prévaloir du solde débiteur moyen du compte de l'exploitant pour procéder à une réintégration complémentaire ; qu'elle n'établit pas par cette seule référence que dans cette mesure les frais financiers litigieux ont été rendus nécessaires par des prélèvements excessifs de l'exploitant sur la trésorerie de l'entreprise ; qu'il suit de là que M. et Mme X sont fondés à demander la décharge des impositions qui procèdent de ce redressement ;
Sur l'exonération de la plus-value :
Considérant que le 30 décembre 2004 Mme X a cédé la clientèle de son cabinet individuel d'expert-comptable à la SARL X constituée le même jour, dont elle-même et son mari sont les seuls associés, et dans laquelle elle exerce la même activité d'expert-comptable ; qu'elle a placé la plus-value alors réalisée sous le régime d'exonération prévu par l'article 238 quaterdecies du code général des impôts ; que l'administration a remis en cause cette exonération en se fondant sur les dispositions de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales relatives à l'abus de droit ; que le Tribunal administratif de Caen a écarté l'application de ces dispositions mais néanmoins confirmé le redressement sur le fondement du principe de la fraude à la loi ;
Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 238 quaterdecies du code général des impôts : I. Les plus-values soumises au régime des articles 39 duodecies à 39 quindecies et réalisés dans le cadre d'une activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale sont exonérées lorsque les conditions suivantes sont simultanément satisfaites : 1° le cédant est soit : a. une entreprise dont les résultats sont soumis à l'impôt sur le revenu (...) ; 2° la cession est réalisée à titre onéreux et porte sur une branche complète d'activité ; 3° la valeur de cette branche complète d'activité servant d'assiette aux droits d'enregistrement exigibles en application des articles 719, 720 ou 724 n'excède pas 300 000 euros (...) ;
Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales dans sa rédaction applicable en l'espèce : Ne peuvent être opposés à l'administration des impôts les actes qui dissimulent la portée véritable d'un contrat ou d'une convention à l'aide de clauses : / (...) qui déguisent soit une réalisation, soit un transfert de bénéfices ou de revenus (...) / L'administration est en droit de restituer son véritable caractère à l'opération litigieuse. En cas de désaccord sur les redressements notifiés sur le fondement du présent article, le litige est soumis, à la demande du contribuable, à l'avis du comité consultatif pour la répression des abus de droit. L'administration peut également soumettre le litige à l'avis du comité (...) / Si l'administration ne s'est pas conformée à l'avis du comité, elle doit apporter la preuve du bien-fondé du redressement ; qu'il résulte de ces dispositions que, lorsque l'administration use de la faculté qu'elles lui confèrent dans des conditions telles que la charge de la preuve lui incombe, elle est fondée à écarter comme ne lui étant pas opposables certains actes passés par le contribuable, dès lors qu'elle établit que ces actes ont un caractère fictif ou que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, s'il n'avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées, eu égard à sa situation ou à ses activités réelles ;
Considérant que, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif, le fait pour un contribuable relevant des bénéfices non commerciaux de chercher à bénéficier indûment de l'exonération d'une plus-value réalisée dans le cadre de son activité libérale est susceptible d'être réprimé par l'administration sur le fondement de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales dès lors qu'elle apporte la preuve qui lui incombe dans les conditions susmentionnées en l'absence de saisine du comité consultatif de répression des abus de droit ;
Considérant, d'une part, qu'il résulte de l'instruction que les requérants ont bénéficié de l'exonération d'une plus-value résultant de la cession du droit de présentation de clientèle de Mme X à une société dont elle-même et son conjoint, qui n'est pas lui-même expert-comptable, sont les seuls associés et dans laquelle elle a continué à exercer la même activité dans les mêmes conditions mise à part la forme sociale ; que le financement de cette acquisition par la SARL s'est effectué par l'emprunt sous la caution de Mme X alors que celle-ci connaissait une situation financière difficile dans le cadre de son activité individuelle ; que la cession ne s'est pas ainsi effectuée au profit d'une société étrangère aux contribuables, susceptible de reprendre une activité en voie de cessation ou de transformation mais d'une société émanant du même foyer fiscal et sans autre associé ; que dans ces conditions les contribuables doivent être regardés comme ayant recherché le bénéfice d'une application littérale de l'article 238 quaterdecies du code général des impôts à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs qui sont de favoriser la transmission d'entreprises, au profit de repreneurs exerçant la même activité afin d'éviter la disparition des petits commerces dans les centres villes et les zones rurales ; que si les requérants font valoir que la cession d'actif au profit de la société a constitué le fait générateur même de l'imposition en litige, cette circonstance est sans incidence sur la réalité de l'avantage fiscal procuré aux intéressés par une opération qui leur a permis d'atténuer la charge fiscale représentée par les plus-values latentes attachées à cet actif ; que si les requérants font également valoir les avantages résultant de la création d'une société pour la poursuite des activités de Mme X, la recherche de l'exonération prévue à l'article 238 quaterdecies est de nature à expliquer l'option effectuée pour cette création entre la cession et l'apport des actifs ; que dans ces conditions le ministre est fondé à soutenir que l'ensemble des opérations susmentionnées relève d'un abus de droit pour l'application de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales ;
Sur les pénalités :
Considérant, en premier lieu, qu'en vertu de l'article 1729 du code général des impôts alors applicable les droits mis à la charge du contribuable dont les déclarations font apparaître des bases d'imposition inexactes ou incomplètes sont assortis d'une majoration de 80 % s'il s'est rendu coupable d'abus de droit au sens de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales ; qu'il résulte de ce qui vient d'être dit que M. et Mme X rentrent dans les prévisions de l'article L. 64 ; qu'il suit de là que le ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique est fondé à demander, par la voie du recours incident, le rétablissement de la majoration de 80 % pour abus de droit dont le tribunal administratif a prononcé la décharge ;
Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 1732 du code général des impôts alors applicable : Lorsqu'un contribuable fait connaître, par une indication expresse portée sur la déclaration ou l'acte, ou dans une note y annexée, les motifs de droit ou de fait pour lesquels il ne mentionne pas certains éléments d'imposition en totalité ou en partie, ou donne à ces éléments une qualification qui entraînerait, si elle était fondée, une taxation atténuée, ou fait état de déductions qui sont ultérieurement reconnues injustifiées, les redressements opérés à ces titres n'entraînent pas l'application de l'intérêt de retard visé à l'article 1727 ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que Mme X a annexé à sa déclaration de revenus professionnels de l'année 2004 une note dans laquelle elle a indiqué : exonération des plus et moins-values professionnelles article 238 du code général des impôts, cessation d'activité suite à vente de clientèle à une société soumise à l'impôt sur les sociétés et détenue à plus de 75 % par des personnes physiques, montant de la cession inférieure à 300 000 euros acte de cession du 31 décembre 2004, engagement de maintenir l'activité pendant au moins 5 ans, plus-value à long terme exonérée : 256 000 euros. ; que toutefois ces indications, faute de contenir notamment toute précision quant à l'identité de la société cessionnaire, ne peuvent être regardées comme une indication expresse exonérant le contribuable de l'application des intérêts de retard ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, d'une part, M. et Mme X sont seulement fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Caen a rejeté la totalité du surplus de leur demande, et, d'autre part, que le ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique est fondé à soutenir que c'est à tort que, par ce même jugement, le tribunal a déchargé les requérants de la pénalité de 80 % mise à leur charge ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas la partie perdante pour l'essentiel dans la présente instance, soit condamné à payer à M. et Mme X la somme que ceux-ci demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : M. et Mme X sont déchargés des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2002, 2003 et 2004 en tant qu'elles procèdent de la réintégration de frais financiers au bénéfice non commercial de Mme X.
Article 2 : La pénalité de 80 % assortissant le redressement relatif à la remise en cause de l'exonération d'une plus-value au titre de l'année 2004 et dont le tribunal administratif a prononcé la décharge est remise à la charge de M. et Mme X.
Article 3 : Le jugement du Tribunal administratif de Caen en date du 27 novembre 2008 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. et Mme X est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme Jean-Marc X et au ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat.
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N° 09NT00211
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